Au nord de l’Ouganda, depuis près de trente ans, la Lord’s Resistance Army (LRA) est entrée en rébellion. Son chef, Jospeh Kony, n’hésite pas à kidnapper des enfants, des filles pour les réduire en esclaves sexuelles et des garçons pour en faire des soldats fanatisés. Jonathan Littell, l’auteur des Bienveillantes, prix Goncourt 2006, filme quatre d’entre eux, revenus à la vie civile.
Difficile de ne pas être écrasé par un sujet aussi grave. Moins connus que le génocide rwandais, les crimes perpétrés par la LRA en Ouganda n’en sont pas pour autant moins choquants : la durée exceptionnelle de la rébellion, le nombre des victimes qu’elle a causés (100 000 morts, 2 millions de déplacés), le fanatisme de son leader, le recours systématique aux enfants soldats en font un exemple tristement caractéristique de violence politique extrême. Il n’est dès lors pas surprenant que l’auteur des Bienveillantes s’y soit intéressé. Comme dans son roman-fleuve, c’est le mal qu’il dissèque, comment on le fait, comment on supporte de l’avoir fait.
A ce titre, les ex-enfants soldats de la LRA constituent une population chimiquement pure. Victimes innocentes d’un kidnapping, peuvent-ils être tenus pour coupables des exactions qu’ils ont commises ? La caméra de Jonathan Littell n’est pas neutre qui montre des ex-soldats pudiques et souriants dont les rares confessions les posent en victimes plus qu’en coupables. Utilisant exactement le même procédé, le documentariste Joshua Oppenheimer aboutissait à un résultat inverse en allant à la recherche des tortionnaires indonésiens auteurs des crimes commis en 1966 contre la rébellion communiste (The Act of Killing, The Look of Silence).
Le problème est ailleurs. Il est dans le décalage entre l’ambition philosophique du projet et sa réalisation cinématographique. Pour le dire plus brutalement : Jonathan Littell pense bien mais filme mal.
Les témoignages des ex-recrues de la LRA sont rythmés par de longs plans séquences d’une savane filmée dans une lumière inutilement esthétisante. La musique est au diapason, qui invite au recueillement. Mais pourquoi diable avoir choisi Bach ou Biber ?
Plus grave : le montage. Pendant une heure, on suit Geoffrey et Mike, Nighty et Lakwena. Le film pourrait s’arrêter là. Mais, Jonathan Littell lui greffe une autre séquence : la remise du chef Dominic Ongwen à l’Union africaine avant son transfert à la Cour pénale internationale de La Haye. Du coup, la durée du film double avec au final une séquence, certes émouvante, mais qu’on sent reconstituée pour les besoins du documentaire, où l’on voit Geoffrey revenir dans un village qu’il avait razzié lorsqu’il œuvrait dans les rangs de la rébellion.
Une dernière irritante interrogation : que faut-il comprendre du titre ? L’expression Wrong Elements est empruntée à Alice Auma Lakwena, l’inspiratrice de la LRA : « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments ». De quels « mauvais éléments » parle-t-on ? De ces quatre victimes devenues à leur corps défendant des bourreaux ? Pourtant, tant aux yeux de la prophétesse acholi que de ceux du réalisateur franco-américain, ils ne sont pas de mauvais éléments. Alors ?