Quelque part en Yougoslavie au milieu des années 90. La guerre fait rage. Kosta (Emir Kusturica himself), un peu poète, un peu musicien, traverse chaque jour la ligne de front sur son âne, au péril des balles perdues et des serpents, pour aller livrer le lait. Milena attend pour l’épouser le retour de son frère qui doit se marier avec une réfugiée, mi-Serbe mi-Italienne. Mais l’horreur de la guerre rattrapera les amoureux.
Les oies cacardent, les poules caquettent, les soldats boivent, les gitans chantent, les femmes dansent. Dès la première scène, le doute n’est plus permis : Kusturica est de retour. Il revisite les mêmes situations, les mêmes personnages, les mêmes fantasmes. Depuis Underground (1995), Chat noir chat blanc (1998), La Vie est un miracle (2004), il tourne le même film. La critique, sévère, n’a pas manqué de lui en faire le reproche : « Où en est aujourd’hui le cinéma d’Emir Kusturica ? À un état de folklorisation avancée, si l’on en croit son dernier long-métrage, On the Milky Road, fable poussive sur l’amour en temps de guerre. » (Le Monde) « Tout semble ici si kitsch, fatigué, faux et forcé qu’il semble peu probable que Kusturica nous inflige à nouveau ce genre de mascarade sans révéler, sous le vernis décati de ses atroces visions numériques, l’obscénité idéologique de ce cinéma. » (Les Cahiers du cinéma)
Une telle salve me donne envie de saluer le verre à moitié plein plutôt que de railler l’à moitié vide. Certes, on ne comprend pas grand chose à cette histoire embrouillée. Mais Kusturica ne s’est jamais soucié de raconter des histoires. Certes Monica Bellucci et Emir Kusturica jouent comme des pelles ; mais la direction d’acteurs n’a jamais été le point fort du réalisateur multi-palmé. Son génie n’est pas là. Il est dans des scènes d’un onirisme débridé : une horloge qui tourne à l’envers, des amants qui s’envolent, une masure au bord d’un lac, des moutons qui sautent sur un champ de mines… Sans doute, cet onirisme-là a un goût de déjà-vu. On the Milky Road ne produit plus en 2017 l’effet de tourbillonnant chamboulement qu’avait causé Underground vingt ans plus tôt. Mais faut-il reprocher à un artiste de creuser son sillon ? Reproche-t-on à Bach ses fugues ou à Monet ses nymphéas ?