En 1971, deux ans avant que Carl Bernstein et Bob Wooodward ne mettent à jour le scandale du Watergate, le Washington Post a publié les « Pentagon Papers », des documents classifiés du ministère de la Défense qui démontraient l’hypocrisie de la Maison-Blanche et de ses locataires successifs au Vietnam.
À la vérité, le résumé du film et la réalité historique sont un peu plus complexes que le résumé en une phrase que je viens d’en faire. Ce n’est pas le Washington Post, mais le New York Times qui, le premier mit la main sur le rapport McNamara, l’éplucha pendant plus de trois mois et le publia – selon une procédure qui n’est pas sans rappeler celle qui a été suivie pour le Cable Gate ou les Panama Papers. Mais une injonction d’un juge new-yorkais lui lia les mains. Et c’est alors – et alors seulement que le Washington Post prit le relais. Un autre juge refusant à l’administration d’adresser au Post une injonction similaire à celle que contenait l’ordonnance du juge new-yorkais, la Cour suprême fut saisie. Et, statuant donc à la fois sur les deux affaires, elle fit prévaloir la liberté de la presse sur la protection du secret d’État.
Le Post eut donc moins de mérite dans cette histoire que le Times. Et c’est avec raison que les journalistes du second ont reproché à Spielberg le titre de son film : The Post – dont, pour une fois, la traduction de ce côté-ci de l’Atlantique, n’est pas idiote. Mais ne nous arrêtons pas à ces détails.
Pentagon Papers aurait aussi bien pu s’intituler Katharine. Car au-delà d’un hymne à la grandeur du métier de journaliste et à la liberté de la presse, Pentagon Papers est un film sur la présidente du Post, Katharine Graham qui hérita de cette fonction après la mort de son père et le suicide de son mari. Le rôle, qui ne le sait, est interprété par Meryl Streep – et lui vaut sa vingt-et-unième nomination aux Oscars et peut-être sa quatrième statuette. Au début du film, c’est une grande bourgeoise qui a intériorisé le soupçon d’incompétence qui pèse sur elle et ne parvient pas à se faire entendre des membres exclusivement masculins de son conseil d’administration. À la fin, on s’en doute, elle aura pris de l’assurance et aura réussi à faire entendre sa voix – même si j’ai été frustré de ne pas l’entendre prononcer quelques paroles vibrantes sur les marches de la Cour suprême.
Bien sûr, Pentagon Papers est tourné par un excellent réalisateur qui sait comment écrire une histoire, la filmer et maintenir en haleine son auditoire pendant deux heures de rang. Bien sûr, Pentagon Papers est interprété par deux monstres sacrés du cinéma américain. Bien sûr, Pentagon Papers brasse des sujets (la liberté de la presse, l’empowerment des femmes) ô combien sensibles et bienvenus.
Mais c’est paradoxalement l’accumulation de toutes ces qualités, de toutes ces perfections, de tant de bien-pensance, de tant d’inconsciente vanité cocardière qui constitue le principal défaut de ce film. Avec les mêmes acteurs, sans doute excellents mais largement sexagénaires, avec la même insupportable et envahissante musique dont il ne résiste pas au besoin de saturer chaque scène, avec les mêmes procédés filmiques, quasiment sur les mêmes thèmes empruntés à l’âge d’or du cinéma fordien des années quarante, Spielberg tourne et retourne depuis vingt ans le même film. Romain Gary aurait dit : « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ».
Je vous trouve très sévère et injuste envers la filmographie, somme toute extrêmement variée , de Steven Spielberg : Les dents de la mer, E.T, Indiana Jones, Arrête-moi si tu peux, Cheval de guerre, La liste Schindler, La couleur pourpre, Terminal…dans le désordre et j’en passe!Non, Spielberg ne tourne pas toujours le même film!
Il est vrai que Pentagon Papers est un film très académique.Trop. C’est aussi le sujet qui veut ça. Je salue toutefois le risque d’avoir choisi de porter à la connaissance du plus grand nombre l’existence de ce dossier, ardu, compliqué, top secret de 7000 pages qui dénonce les manipulations politiques, et les mensonges d’Etat pendant la guerre du Vietnam.Et comment toucher le plus grand nombre avec un sujet aussi difficile et rébarbatif (d’ailleurs le film n’assume pas entièrement sa mission pédagogique, puisqu’il insiste davantage sur les problèmes liés à la publication des Pentagon Papers qu’à leur contenu)? En créant ce duo de choc avec deux acteurs Hollywoodiens par excellence : Meryl Streep (Katharine Graham) et Tom Hanks( Benjamin Bradlee). Eh oui , ils sont au moins sexagénaires ( sous votre plume ça passerait pour une critique…) mais ils sont brillants et j’ai eu un immense plaisir à les voir jouer. Même si les dialogues sont souvent télécommandés.
Je suis d’accord avec vous, Pentagon Papers n’est pas le meilleur de Spielberg. Parce qu’il est trop empli de bienséance, de bons sentiments, de réserve.Mais c’est néanmoins une oeuvre dans l’air du temps . Elle pose l’éternel problème de la liberté de la presse ( hélas tellement d’actualité!) et elle dénonce le machisme international envers le pouvoir accordé aux femmes. Katharine, plus battante et plus sincère que nombre de ses confrères et associés, évolue dans un monde d’hommes qui autorisent l’ascension des femmes mais jusqu’à un certain point seulement. Rien de nouveau sous le soleil! Elle dirige néanmoins d’une main de fer le journal légué par son père: le Washington Post. Pour toucher son public, Spielberg lui a donné une dimension humaine en la confrontant à des problèmes intimes autant qu’à des problèmes politiques: être loyale envers l’éthique de son journal, respecter l’héritage intellectuel mais aussi financier qu’elle a reçu, prendre le risque de tout perdre et même risquer la prison!
Peut-on lutter contre un Etat criminel et menteur? La réponse est: oui! Peut-on changer le monde? La réponse est : non! Le film s’achève d’ailleurs par les débuts du Watergate qui finira d’éclabousser la classe politique sous Nixon.
twejrv