Douleur et Gloire ★★☆☆

Pas facile d’émettre quelques réserves au sujet du dernier film de Pedro Almodóvar. Les critiques sont en pâmoison. Mes amis l’ont déjà vu et adoré : l’un d’entre eux, parmi les plus grands, le plaçant même « au-delà de tout éloge ». Avant même la clôture du festival de Cannes, la Palme d’or lui est déjà décernée – au motif, à mon sens cruellement inopérant, qu’elle n’aurait jamais été donnée au célèbre réalisateur espagnol.

Commençons par l’affiche. Son héros regarde vers la gauche, vers le passé. Bienvenue dans l’autobiographie du réalisateur madrilène dont on reconnaît la silhouette dans l’ombre chinoise de son acteur fétiche. Le nom de Pedro Almodóvar est juste au-dessus de celui de Antonio Banderas qui s’est vieilli de dix ans, s’est blanchi la barbe et frisé le chef pour endosser le rôle. Celui de Penélope Cruz est aussi en gros caractères, un peu plus bas, qui incarne la mère, idéalisée, jeune, belle, aimante et dure à la tâche, du héros.

Le titre Dolor y Gloria ne brille pas par sa finesse. L’antithèse est transparente : il n’y a pas d’ombre sans lumière, de célébrité sans servitude, de gloire sans douleur.

Le générique qui lance le film entrelace les images psychédéliques de ces merveilleux papiers marbrés utilisés pour relier les vieux livres. Les couleurs intenses s’interpénètrent et créent les motifs les plus inattendus : marbrures, zigzags, fleurs, tourniquets, plumes, chevrons et cailloux. Chaque image est unique ; la figure qu’elle dessine n’est pas figée.

Douleur et Gloire, construit comme un patchwork avec de nombreux flash-back, est une autofiction. Un des plus célèbre cinéastes du moment : Pedro Almodóvar (69 ans) a choisi pour alter ego dans la force de l’âge Antonio Banderas (58 ans) et dans la petite enfance le malicieux Asier Flores, rebaptisés Salvador Mallo, un anagramme quasi-parfait.

Antonio Banderas évite le piège du cabotinage en interprétant ce personnage égocentrique, homosexuel, artiste génial et fortuné. Il vit dans un appartement-musée où se côtoient des bibelots d’exception, un mobilier design rare (le cabinet aux papillons et le secrétaire à armoires Architettura de Piero Fornasetti), une admirable commode syrienne, une collection de toiles contemporaines (dont Antonio Lopez Garcia). Les livres d’art et d’architecture (Gaudi, Sottsass) témoignent de la culture du maître qui lit le dernier Goncourt (L’Ordre du jour de Eric Vuillard) pendant ses insomnies. Tout est parfaitement agencé, rangé, codifié, mais aussi exhibé dans une furieuse quête d’esthétisme.

Cette carapace ne suffit plus à protéger le créateur. Fragilisé par mille infirmités (acouphènes, pharyngites, maux de dos, migraines, difficulté à avaler), il ne parvient plus à créer. Sa vie n’a plus aucun sens.
C’est avec humour que Pedro Almodóvar nous parle de ses douleurs tant physiques que morales. Les faiblesses du corps le révèlent hypocondriaque et sujet à l’automédication. Les chagrins du cœur dévoilent son incapacité à être aimé, sinon de sa mère Jacinta (interprétée successivement par la sensuelle Penélope Cruz et l’entêtée Julieta Serrano) et de son assistante dévouée Mercedes (Nora Navas).

En pleine dépression, il retrouve l’acteur d’un de ses premiers films avec lequel il s’était brouillé : Alberto Crespo (Asier Etxeandia). Ce dernier lui apprend à “chasser le dragon” en l’initiant aux plaisirs interdits de l’héroïne. Ce puissant véhicule calme les douleurs de Salvador, apaise son spleen et le renvoie à ses souvenirs : la poésie de la vie à la campagne où sa mère et ses voisines lavent le linge à la rivière, l’installation dans une cave sordide qui deviendra, avec sa chaux blanche et ses azulejos chatoyants, le monde enchanté du jeune Salvador, l’éveil à la sexualité avec un jeune maçon analphabète au corps d’albâtre, puis l’amour fou pour Federico (Leonardo Sbaraglia) qui s’expatriera en Argentine pour se marier et faire des enfants…

J’évoquais au début de cette longue présentation quelques réserves. Elles sont de deux ordres. Sur le fond et sur la forme.
Le fond : Almodóvar ne se foule pas. La septantaine approchant, il se filme en artiste vieillissant. Quelle imagination ! Il le fait en enchâssant les flash-back. Quelle audace ! Un peu de Volver (l’ode à la mère), un chouïa de La Mauvaise Éducation (l’enfance au séminaire, les sévices sexuels en moins). Quelle originalité !
La forme. Avec l’âge, le porte-drapeau de la movida a perdu son chien. Où est passée l’ironie subversive de ses premiers films ? Almodóvar s’est embourgeoisé. Il s’est institutionnalisé. Tout baigne désormais dans une profonde bienveillance, ni touchante ni drôle. Comme la purée que son héros ingère, tout y est fade.

On me dira que j’ai l’esprit bien chagrin pour ne pas me laisser émouvoir par les retrouvailles de Salvador et de Federico : le long baiser qu’ils échangent – écho à celui du Labyrinthe des passions qui en 1982 avait fait scandale – a vocation à devenir iconique. Et on n’aura pas tort.

Mais une scène ne fait pas un film.
Et la Palme d’or n’a pas vocation à récompenser une œuvre ni à corriger les oublis des palmarès antérieurs.

La bande-annonce

2 commentaires sur “Douleur et Gloire ★★☆☆

  1. Lorsque je vois les films actuels, souvent mal éclairés, avec un son médiocre, je me dis que le talent de Pedro Almodovar marque toute sa différence par son talent de l’esthétique, les couleurs, le choix de ses acteurs : la plupart de ses prises de vues sont de vrais tableaux et quelle lumière ! … et le décor de l’appartement du film « Douleur et Gloire » un vrai bijou !
    Monica une admiratrice enthousiaste

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