Après le scandale provoqué par son film L’Âge d’or, interdit par la censure, le jeune réalisateur Luis Buñuel se retrouve ruiné et déprimé. Un coup de chance lui offre une opportunité : son ami le producteur Ramón Acín gagne à la loterie une somme qui lui permet de financer un nouveau film.
Il s’agira d’un documentaire tourné dans une région reculée de l’Estrémadure.
Tiré du roman graphique de Fermín Solís, Buñuel dans le labyrinthe des tortues, le film de Salvador Simó inaugure un genre : le making-of d’un documentaire en dessin animé.
Pourquoi pas ? On voit depuis quelques années l’animation, comme le montre la richesse de la programmation du festival d’Annecy qui vient de se conclure, envahir tous les genres. Le temps n’est plus où elle se cantonnait aux comptines trop sucrées pour enfants. L’animation raconte des histoires aux adultes. Elle constitue désormais un sous-genre du documentaire historique. En témoignent des œuvres telles que Funan sur le génocide cambodgien, Another Day of Life sur la guerre d’indépendance de l’Angola ou Adama sur les tirailleurs sénégalais enrôlés durant la Première Guerre mondiale.
Buñuel après l’âge d’or évoque une page méconnue de la vie et de l’œuvre de Luis Buñuel. Le réalisateur espagnol, expatrié à Paris, n’a pas trente ans. Il fréquente André Breton et Salvador Dali. Il vient de tourner Un chien andalou et L’Âge d’or, deux œuvres profondément subversives qui marqueront l’histoire du surréalisme, mais qui souffrent d’être déconnectées du réel. Le documentaire Terre sans pain marque une rupture dans sa carrière. Pour la première fois, Buñuel se coltine avec le réel – même si, comme le montre le film, il n’hésite pas à le re-fabriquer. Indirectement politique, son cinéma le devient directement.
Terre sans pain est un témoignage anthropologique – qui n’est pas sans rappeler dans cette veine Nanouk l’Esquimau de Robert Flaherty tourné dix ans plus tôt. Le dessin animé nous en montre les séquences les plus emblématiques. On y découvre des populations misérables, arriérées. Le documentaire de Buñuel n’était pas tendre avec les animaux : on y voyait un coq étêté, une chèvre précipitée du haut d’une falaise, un âne agonisant sous la piqûre d’un essaim d’abeilles. Le dessin animé, quatre-vingt dix ans plus tard, a l’audace de braver les oukases de la SPA et du parti animaliste et de nous remontrer ces images.
Seul défaut : on aurait volontiers fait l’économie des cauchemars de Buñuel qui le mettent en présence d’un père avare de tendresse dont le réalisateur quémande la reconnaissance.
Je suis bien d’accord, cher Yves, en particulier avec la dernière notation.
Une divergence de lecture, peut-être : je n’aurais pas dit que « Luis Buñuel se retrouve ruiné et déprimé » après le scandale de L’AGE D’OR. La thèse du film est que la mère du vicomte de Noailles, son producteur, serait allée voir le pape à Rome pour lui éviter l’excommunication. La scène est improbable, sans doute : c’est accorder beaucoup de pouvoir à l’Eglise catholique sur le cinéma français que de supposer qu’elle ait pu interdire de travail un cinéaste (raison invoquée de son départ en Espagne).