Lucy Mirando (Tilda Swinton), la dirigeante hystérique et narcissique d’une firme multinationale, lance à grands renforts de publicité une nouvelle variété de porc génétiquement modifié, plus charnu et plus goûtu. Mi-dinosaure, mi-hippopotame, la truie Okja, le plus beau des spécimens, a été amoureusement élevée en Corée, dans une ferme perdue dans les montagnes, par une orpheline (Seo-Hyun Ahn) et son grand-père. Le vétérinaire de la firme Mirando (Jake Gyllenhaal méconnaissable) est chargé de la convoyer jusqu’à New York où elle devra être exhibée lors d’une parade géante. Mais, la jeune orpheline, aidée d’un groupe de militants du Front de libération des animaux entend bien faire pièce à ce projet criminel.
Le film par lequel le scandale arrive. Souvenez vous. C’était en 2017. En un temps où l’on se serrait les mains, où on allait au cinéma et où le Festival de Cannes avait lieu au mois de mai ! Production phare de Netflix, Okja était en sélection officielle alors qu’il n’avait pas vocation à être distribué en salles. Trois ans plus tard, après Roma et Marriage Story, la transgression semble étrangement anodine. L’apocalypse prophétisée par les anti-Netflix s’est réalisée en un clin d’oeil : depuis le 16 mars, plus personne ne va en salles et tout le monde regarde Netflix !
Le confinement m’a donc permis de regarder ce film que son absence de diffusion en salles à l’époque m’avait privé de voir. Ma réception en a été biaisée par ce qui s’est passé entretemps dans la carrière de son réalisateur : en 2019, Bong Joon-Ho sort Parasite qui rafle tous les prix (Oscar, BAFTA, Golden Globe, César…). Non pas que le réalisateur coréen en fut à son coup d’essai. Ses précédents opus (Memories of Murder, The Host, Snowpiercer…) lui avaient déjà taillé une sérieuse notoriété. Mais il a acquis avec Parasite une stature mondiale qu’il n’avait pas jusqu’alors.
Aussi est-il inéluctable de regarder aujourd’hui Okja à travers le prisme déformant de Parasite et d’y trouver les mêmes qualités. D’une part, l’inventivité du scénario. En une époque où les studios hollywoodiens mettent en scène les mêmes personnages répétitifs d’adolescentes mal dans leur peau ou de quarantenaires en crise, il faut reconnaître à Bong Joon-Ho une audace rafraichissante à raconter des histoires décoiffantes.
Il le fait en jouant sur plusieurs registres. Et c’est ce qui fait la richesse de son cinéma, dans Okja comme dans Parasite. Okja compte plusieurs niveaux de lecture. C’est un conte à la Miyazaki qui débute dans un Eden campagnard et met en scène des personnages simples vivant en harmonie avec la nature. C’est un film d’action avec une scène de poursuite dans un centre commercial séoulien à la Jason Bourne. C’est un film d’anticipation au budget de cinquante millions de dollars qui fait la part belle aux images de synthèse.
C’est enfin, et surtout, une critique acerbe de notre société contemporaine, de sa dérive consumériste, du danger que fait peser la production d’OGM et de la souffrance imposée aux animaux d’abattoir. Et le moindre des paradoxes d’Okja est d’avoir servi de fer de lance à une nouvelle major hollywoodienne disruptive pour casser les règles sur lesquelles le cinéma mondial était assis depuis soixante ans.