En 1844, Karl Marx a vingt-six ans à peine. C’est un jeune homme fougueux dont les écrits contestataires lui valent d’être emprisonné dans les geôles allemandes. Il prend le chemin de l’exil avec sa jeune épouse Jenny et son enfant. À Paris il fait la connaissance de Friedrich Engels. Les deux hommes partagent la même révolte contre la misère des temps et le même désir de les changer par la force de leur pensée. Face aux autorités qui les persécutent, face à leurs compagnons de lutte dont ils ne partagent pas toujours les idées, ils créent ensemble les prémisses d’un parti communiste et en rédigent le manifeste.
Tant de crimes ont été commis en son nom au vingtième siècle que personne n’oserait défendre Karl Marx aujourd’hui. Sauf Raoul Peck. Inclassable cinéaste originaire de Haïti – dont il fut le ministre de la culture – qui grandit au Congo et se forma à Berlin avant de réaliser une œuvre militante. L’Homme des quais, son premier long métrage, est une chronique des années Duvallier. Lumumba est une ode à la gloire du politicien congolais qui mourut sous la torture. I am not your Negro est une adaptation d’un essai militant de l’activiste afro-américain James Baldwin.
On aurait pu craindre que ce biopic tourne à l’hagiographie. Ce n’est pas le cas. Parce qu’on ne connaît guère de lui que la photo d’un homme d’âge mur, engoncé dans un costume bourgeois, on n’imagine pas Karl Marx jeune. Interprété par August Diehl, aussi à l’aise en allemand qu’en français et en anglais – dans une Europe dont les élites n’étaient pas moins polyglottes que ne le sont celles d’aujourd’hui – Karl Marx est sympathique. On le voit travailler, réfléchir, frotter le cuir de ses théories à celles de Proudhon ou de Bakounine. On le voit aussi jouer aux échecs, fumer et boire jusqu’à l’ivresse. Les scènes traditionnelles de bordel – qui sont pourtant un passage obligé de ces restitutions d’époque – nous sont épargnées.
Reste néanmoins un malaise distillé par le générique de fin. Sur une musique de Bob Dylan, Raoul Peck n’a pas résisté à la tentation de montrer quelques images des grandes figures qu’a inspirées le marxisme : Patrice Lumumba bien sûr, mais aussi Che Guevara, Mandela ou les Anonymous de Occupy Wall Street. Or, quitte à clore le film par une anthologie, il aurait fallu qu’elle soit complète. L’oubli dans lequel sont laissés les descendants les plus funestement illustres de Karl Marx (Staline, Mao, Pol Pot…) jette un doute sur l’objectivité de son auteur.
Mais depuis quand réclames-tu un cinéma « objectif » ?
Excellente remarque !
Le cinéma n’a aucunement l’obligation d’être objectif. Mais lorsqu’il a prétention à l’être – comme ici dans une biographie narrant la vie d’un homme célèbre – il a le devoir de l’être juste au bout.
Ping Miss Marx ★☆☆☆ | Un film, un jour