Ascoval est une aciérie du nord de la France placée en redressement judiciaire fin 2017 qui, grâce au soutien de l’État, a disposé de douze mois pour trouver un repreneur. Le documentariste Eric Guéret a filmé cet angoissant compte à rebours.
Des documentaires sur des usines au bord du dépôt de bilan et sur des ouvriers en grève, on en a déjà vu quelques uns : La Saga des Conti en 2013, Des Bobines et des Hommes en 2017. On a surtout vu un film exceptionnel qui avait été accueilli avec un succès mérité : En guerre de Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle d’un syndicaliste CGT poussé à bout.
Pour autant, Le Feu sacré – qui aurait pu tout aussi bien s’intituler Dur comme fer – parvient à nous surprendre par un scénario plus rebondissant que ne l’aurait été la plus rebondissante des fictions. Fermera , fermera pas ? Jusqu’à l’ultime seconde, le suspense est maintenu. Et n’allez pas le gâcher en suscitant votre mémoire et/ou en allant consulter Wikipédia.
Mais cette trame rebondissante n’est pas le seul atout du film. Son principal est son absence de manichéisme. Ce genre de productions souffre en effet souvent d’un handicap : opposer bloc à bloc les ouvriers, engagés dans une juste lutte pour sauver leur emploi, et des patrons, obsédés par la réduction des coûts, insensibles à la souffrance humaine – sans parler d’un État impuissant à s’opposer à cette logique capitaliste mortifère.
Le Feu sacré a l’immense vertu de ne pas céder à ces simplifications-là. Le documentaire ne nous montre pas des acteurs sociaux figés dans des rôles caricaturaux écrits d’avance mais au contraire des partenaires prêts à des concessions pour atteindre un objectif commun : la survie d’un savoir-faire industriel et la défense de l’emploi.
Les ouvriers, viscéralement attachés à leur outil de production, malades à l’idée d’abandonner une communauté qui est devenue pour eux une seconde famille, ont la clairvoyance d’accepter des concessions sur le temps de travail pour satisfaire un éventuel repreneur. Le patron est un modèle du genre, qui se bat pour réduire les coûts sans jamais ignorer le prix des efforts qu’il exige, aussi convaincant dans le documentaire qu’à l’avant-première à laquelle j’ai eu la chance d’assister en sa présence. Même les hommes politiques, qui jouent d’habitude les méchants de service, s’en tirent plutôt bien : on voit Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, « mouiller la chemise » pendant de longues négociations, on voit surtout Agnès Pannier venir à Saint-Saulve et changer radicalement de pied sur une entreprise qu’elle croyait condamnée mais dont on lui démontre la viabilité.
Dans le débat qui a suivi la projection du film, hélas abrégé par le couvre-feu qui s’annonçait, la salle bruissait d’interventions militantes, exaltant la colère des ouvriers, attaquant la carence de l’État. Je me sentais bien seul dans mon costume-cravate passe-muraille qui trahissait trop visiblement mon appartenance à la caste honnie des énarques dominateurs et sûrs d’eux-mêmes. Je sais gré au réalisateur, à son producteur et au patron, Cédric Orban, d’avoir salué le rôle de la haute fonction publique dans la reprise d’Ascoval : une haute fonction publique qui, contrairement à ce qu’imaginent les complotistes de tous bords, n’est pas gangrenée par la corruption et minée par l’incompétence, mais qui essaie, tant bien que mal, d’œuvrer chaque jour au bien commun.
Le Feu sacré est un documentaire touchant et intelligent dont on regrettera qu’il ne sorte malheureusement que sur deux salles à Paris. À voir absolument.
Critique intéressante mais votre jugement semble partial en cela que vous évoquez le hors-caméra pour défendre les actions du gouvernements.
Outre mon désaccord, non sur ce gouvernement nécessairement (et pourtant le chef de l’État est par exemple bien « mouillé » avec Alstom), mais sur les fermetures d’usines qui se succèdent depuis de nombreuses années dans des mensonges gouvernementaux.
J’en tire de ce film, sans l’avoir vu, un film de propagande car il n’y a pas à mettre sous un bon angle Bruno Lemaire et Agnès Pannier.
Enfin, sur les complotistes: cela en fait du monde, et du gratin. Le complotisme semble avoir bon dos. Il n’y a qu’à se baisser pour entendre ce genre de réflexion, de Gaël Giraud en passant par Bernard Stiegler, Christian Harbulot, Virginie Martin, les enquêtes de Marc Endeweld et bien d’autres (je passe sur Juan Branco par exemple).
Je vous recommande cher Iwobi ce film car, précisément, il ne s’agit pas d’un film de propagande.
Son auteur est engagé et ne s’en cache pas du côté de la classe ouvrière et de ses luttes ; mais il a l’intelligence et l’honnêteté de ne pas verser dans le manichéisme.