Anon ★☆☆☆

Dans un futur proche, des implants oculaires et d’immenses base de données permettent à la police de connaître les allées-et-venues de chaque individu en temps réel. Une série de meurtres n ‘ont pas été élucidés. Ils n’ont pu être réalisés qu’au prix d’une manipulation informatique sophistiquée pour contourner ce dispositif de surveillance. L’inspecteur Sal Frieland (Clive Owen) est chargé de l’enquête. Il réussit à piéger une mystérieuse hackeuse (Amanda Seyfried).

Andrew Niccol est un réalisateur que j’adore et dont j’ai vu tous les films. Son tout premier, Bienvenue à Gattaca, est un de mes films préférés – que je n’ose pas revoir de peur de constater combien il a vieilli. S1m0ne, l’invention d’une star analogique, m’avait moins convaincu. Lord of War, sur les traces d’un trafiquant d’armes en Afrique, contient l’un des plans d’ouverture les plus incroyables de l’histoire du cinéma. Time Out est une distrayante dystopie servie par ses deux jeunes interprètes, Amanda Seyfried (qu’on retrouve au casting de Anon) et Justin Timberlake. Good Kill enfin est une réflexion intelligente sur l’éthique des pilotes de drone.

C’est donc avec gourmandise que je me suis précipité sur son dernier film, directement sorti en mai 2018 sur Netflix.

Hélas le résultat n’est pas concluant. Certes Andrew Niccol a réussi à créer une atmosphère, une ambiance, qui n’est pas sans rappeler celle de La Taupe avec des décors minimalistes, des rues sans trafic, d’immenses espaces de bureaux, des appartements sans âme… Des fonctionnaires de police habillés à la mode des années cinquante s’y croisent sans mallette ni papier, leur outil de travail au fond de leur œil, chuchotant quelques lignes de dialogues souvent hermétiques.

Si donc les décors et les costumes sont remarquables, le scénario ne tient pas la route. On s’y intéresse un moment ; puis on s’en désintéresse une fois qu’on croit en avoir compris le pauvre ressort jusqu’à une scène finale qui me sera définitivement restée obscure.

La bande-annonce

La Terre (1930) ★★☆☆

L’Ukraine au temps de la collectivisation. Le monde ancien meurt ; un nouveau lève. Un vieux paysan encore voûté sur sa charrue s’inquiète des changements en cours. Mais son fils Vassili déborde d’enthousiasme. Avec la collectivisation viendra la mécanisation symbolisée par ce tracteur qui arrive sous les applaudissements des paysans et qui facilitera la récolte. Vassili exulte et partage sa joie avec Natalka sa fiancée.
Mais les évolutions en cours ne sont pas du goût de tous. Khoma, le fils du koulak, hostile à la collectivisation et jaloux de Vassili, le tue d’une balle. Le père de Vassili refuse que son fils soit enterré selon le rite orthodoxe. C’est une foule silencieuse qui accompagne la dépouille du jeune kolkhozien tandis que Khoma, devenu fou, confesse son crime.

La Terre d’Alexandre Dovjenko est un film d’anthologie. « Le plus beau film du monde » annonce Bach films, avec un brin d’exagération, sur la jaquette du DVD. C’est que La Terre marque l’apogée du cinéma muet soviétique, dans la lignée des grands films de Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine, Octobre) qui en ont éclipsé la mémoire.

La Terre est bien sûr une œuvre de propagande qui ne recule devant aucune outrance. Vassili incarne jusqu’à la caricature l’énergie et l’enthousiasme des jeunes forces révolutionnaires qui réussit à convaincre son vieux père des avantages de la modernisation là où le vieux pope reste prisonnier de son obscurantisme. Khoma au contraire est l’archétype du koulak aigri et revanchard dont même la Pravda, dans sa critique de l’époque, avait pointé du doigt le manichéisme. On ne peut aujourd’hui regarder cette ode à la collectivisation sans avoir à l’esprit l’effroyable famine qu’elle allait provoquer en Ukraine deux ans plus tard.

Pour autant, si on fait litière de cet encombrant arrière-plan propagandiste, si on accepte les conventions et les lourdeurs du muet, aujourd’hui irrémédiablement passées de mode, si on n’est pas rebuté par l’état catastrophique de l’image qui a pourtant été restaurée au début des 70ies par Mosfilm, on ne peut que se laisser emporter par l’énergie panthéiste, par la virtuosité sensuelle qui se dégage de La Terre.

Le film en v.o.

Connasse, princesse des cœurs ☆☆☆☆

Egocentrique et prétentieuse, Camille, la trentaine, a une (très) haute d’idée d’elle-même, de sa beauté, de son intelligence et de la vie merveilleuse qu’elle pourrait avoir loin de la  France qu’elle juge trop médiocre pour elle. Aussi décide-t-elle de partir au Royaume-Uni pour y épouser le prince Harry.

Pendant deux ans, Camille Cottin a été l’héroïne d’une série shortcom diffusée à une heure de grande écoute sur Canal. Elle y interprétait le rôle d’une pétasse imbue d’elle-même. Les mini-épisodes de deux minutes à peine, tournés en caméra cachée, la plaçaient dans des situations hilarantes. Son humour irrévérencieux y faisait souvent mouche.

Le succès de la série a immanquablement conduit ses réalisatrices, Eloïse Lang et Noémie Saglio, à passer au long. Le film a attiré près de 1,2 millions de spectateurs en salles au printemps 2015.

Pourtant, Connasse est doublement décevant. Son scénario poussif peine à s’assumer pour ce qu’il est : un prétexte à aller tourner outre-Manche des scènes en caméra cachée que la notoriété de Camille Cottin ne permettait plus de tourner en France. Il devient la trame sans grand intérêt d’une succession de saynètes plus ou moins réussies. Prises isolément, elles nous faisaient sourire au beau milieu du Grand journal de Canal dont elles partageaient l’humour potache. Mais mises bout à bout, elles deviennent vite répétitives et l’héroïne, dont les outrances nous avaient d’abord fait sourire, finit bientôt par nous sortir des yeux.

Il y a de mon point de vue plus grave : le tournage en caméra cachée. Il repose sur un pacte implicite avec le spectateur : ce que nous allons vous montrer est drôle parce que vrai, spontané, non joué. Ce pacte me semble être la négation du cinéma, de ce qu’il autorise, de ce qu’il permet : la recréation, poussée à la perfection, de moments de vérité. La caméra cachée qui court après une chimère – l’émotion que créerait la réalité – se condamne irrémédiablement, aussi virtuose soit le montage, à une mauvaise lumière, un mauvais son, un mauvais jeu d’acteurs….

L’humour suscité par ces saynètes tournées en caméra cachée, qu’il s’agisse de celles, innocentes, qu’on nous passe en boucle dans les vols low cost quand ils ont plus d’une heure de retard, ou celles jouées par Sacha Baron Cohen, François Damiens ou Camille Cottin, repose sur un ressort qui me met énormément mal à l’aise : le Rhooooo qui nous échappe face à une situation choquante. Pourquoi rit-on ? De quoi rit-on ? De l’abattage, du culot des acteurs dont on reconnaît le talent à se mettre en danger – par exemple, dans Connasse, ceux de Camille Cottin pour escalader les grilles de Kensington Palace ou pour aller perturber la Relève de la garde ? Ou bien de la réaction des passants, filmés à leur insu, qui manifestent face aux situations dans lesquelles on les place un mélange d’abasourdissement et de désapprobation muette ?

Je me souviens de la gêne que j’avais éprouvée en regardant Borat, entre deux éclats de rire. C’est la même gêne que j’ai éprouvée face à Connasse, les éclats de rire en moins.

La bande-annonce

Cure (1997) ★☆☆☆

L’inspecteur Takabe enquête sur une série de meurtres présentant entre eux d’étranges coïncidences. Les victimes sauvagement assassinées portent toutes la même blessure en forme de croix cisaillée sur leur cou. Les assassins avouent tour à tour leurs crimes sans parvenir à en rassembler le souvenir ni à en expliquer la raison. Très vite, l’enquête conduit Takabe sur les traces de Mayima, un étudiant en médecine amnésique ou feignant de l’être, doté de mystérieux dons de mesmérisme.

Kiyoshi Kurosawa – dont on répète depuis vingt ans qu’il n’a aucun lien de parenté avec son célèbre aîné Akira Kurosawa – s’est fait connaître tardivement hors du Japon. Réalisé en 1997, sorti en France deux ans plus tard, Cure est le premier de ses films à avoir franchi les frontières alors que Kurosawa avait quarante ans passés. Depuis, sa renommée n’a cessé de croître avec des films aussi réussis que Tokyo Sonata (2008), Shokuzai (2012) ou, le dernier en date, Au bout du monde (2019) que j’avais particulièrement apprécié.

Avec Cure, Kurosawa s’affirme comme un nouveau maître du cinéma japonais. À mi-chemin du polar et du film fantastique, il invente un nouveau genre. Comme tous les bons récits sur les serial killers, ses films convoquent des policiers têtus et des assassins particulièrement pervers, auteurs de crimes sadiques (Cure est interdit aux moins de douze ans). Mais Cure ne se réduit pas à la traque du meurtrier et l’élucidation des crimes qu’il a commis. Kurosawa consacre autant sinon plus d’attention à la description d’une société en voie de délitement, rongée par la peur.

Je n’ai jamais été un grand fan des films de Kurosawa, que je vais pourtant voir stoïquement à chacune de leur sortie. Je trouve leur contenu trop noir, et surtout trop languide. Je reconnais volontiers qu’il n’a pas son pareil pour créer des ambiances étouffantes, pour camper des personnages fantomatiques, à mi-chemin entre réel et cauchemar. Mais ce sont des ambiances qui ne m’intéressent pas, des personnages pour lesquels je ne ressens aucune empathie, des cauchemars que je n’ai pas envie de faire.

La bande-annonce

Un crime parfait : L’assassinat de Detlev Rohwedder ★★☆☆

Qui a assassiné à Düsseldorf le 1er avril 1991 Detlev Rohwedder, le patron de la Treuhandanstalt, la structure de défaisance créée pour vendre les actifs industriels de l’Allemagne de l’est récemment réunifiée ? Des combattants de la troisième génération de la Fraction armée rouge (RAF) en croisade contre le capitalisme et ses patrons qui l’incarnent ? Des mercenaires de la Stasi en rupture de ban après leur brutale mise à pied ? Ou une organisation para-étatique secrète ? Le crime n’a jamais été élucidé. Une mini-série allemande distribuée par Netflix en septembre 2020 reprend en quatre épisodes l’enquête sur ce meurtre mystérieux.

Le true crime documentaire est décidément un genre à la mode. Avec l’esprit de méthode qui caractérise la plateforme californienne, Netflix a repéré le filon et a décidé d’en distribuer tous les avatars qu’il s’agisse de l’assassinat du petit Grégory (Grégory), de l’agression sexuelle de DSK sur Nafissatou Diallo (Chambre 2806) ou de la disparition de la jeune Maddie McCann au Portugal. À chaque fois, la recette est la même : un crime inexpliqué qui a défrayé la chronique, revisité avec les interviews des principaux protagonistes, des images d’archives et, le cas échéant, la fictionnalisation de quelques uns des moments-clés.

Un crime parfait : L’assassinat de Detlev Rohwedder ne déroge pas à cette règle éprouvée. Les réalisateurs ont beau faire : ils ne parviennent pas à lever l’épais voile de mystère qui entoure ce crime réalisé avec un professionnalisme qui nourrit tous les complotismes. Il fallait une sacrée organisation pour laisser aussi peu d’indices.

Que les réalisateurs l’aient sciemment voulu ou non, le principal intérêt de ce documentaire n’est pas dans son enquête policière sans coupable. Il se trouve dans la reconstitution d’une époque : celle qui a précédé et immédiatement suivi la réunification allemande. On en revoit avec émotion les images défraichies – et on se dit que, décidément, tout était hideux dans la mode et la coiffure de ces années-là. Et on en vient à regretter qu’au lieu de nous parler d’un crime définitivement obscur, ce documentaire n’ait pas pris le parti radical de se saisir à bras-le-corps de cette page passionnante de l’histoire allemande.

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Frissons (1975) ★☆☆☆

Le docteur Emil Hobbes a inventé un parasite qui lève les inhibitions sexuelles des personnes auxquelles il est inoculé. Mais le docteur constate sur la jeune femme qu’il a utilisée comme cobaye la réaction monstrueuse qu’il a suscitée. Horrifié par son invention, il assassine la jeune femme, brûle à l’acide les parasites et se donne la mort. Mais le mal est fait : le parasite s’est déjà répandu dans un immeuble de luxe en périphérie de Montréal désinhibant les appétits sexuels de ses habitants et y provoquant une monstrueuse orgie.

Frissons – diffusé au Canada et aux Etats-Unis sous plusieurs titres différents : Shivers, The Parasite Murders, They Came from Within – est le premier long métrage de David Cronenberg. Il fit scandale à sa sortie.

On peut certes y voir les prémisses de l’œuvre d’un des plus grands réalisateurs contemporains, inlassable entomologiste du corps humain, de ses névroses et de ses dérèglements. On peut aussi voir dans Shivers un film qui bouscule le conformisme ambiant, qui fait le procès du puritanisme dans lequel le Canada de l’époque était englué et qui, sous couvert d’en souligner l’horreur, ose montrer des scènes d’orgie (il fut évidemment interdit à un jeune public à sa sortie).

Mais, si on fait abstraction de ses éléments de contexte, Shivers se réduit à pas grand chose. Certes, il a une qualité : son action se déroule quasiment en temps réel dans une luxueuse résidence. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Mais c’est peut-être la seule qualité d’un film dont l’indigence des moyens saute aux yeux, dans la qualité du son et de l’image, dans celle des décors et des costumes, dans la direction d’acteurs, dans l’écriture du scénario, platement linéaire. Shivers est un thriller désuet qui n’angoisse pas, un film d’horreur passé de mode qui ne fait pas peur.

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La Fabrique de l’ignorance ★★☆☆

Ce documentaire aurait pu avoir un titre plus savant : « Agnotologie » (l’étude de la production de l’ignorance, du doute ou de la désinformation). Le sujet est à la mode ces temps-ci, qu’il s’agisse des origines du Covid, des moyens de le soigner, de l’utilité de s’en vacciner ou du résultat des élections américaines ou encore des menées obscures de la Russie ou de la Chine pour semer la confusion en Occident.

Mais ce n’est pas par le biais attendu de ces questions ultra-contemporaines que Pascal Vasselin et Franck Cuveillier abordent le sujet de la désinformation scientifique. C’est par celui, plus classique, des dévoiements du Grand Capital qui, pour défendre ses intérêts, a retourné la science contre elle-même.

Les faits sont désormais bien connus, ce qui prive d’ailleurs ce documentaire d’une partie de son intérêt. Mais la façon dont ils sont présentés est particulièrement intéressante dans le contexte actuel. Dans les années cinquante, alors que les études médicales se multipliaient pour dénoncer les méfaits du tabac, Big Tobacco a développé une stratégie particulièrement vicieuse pour y faire pièce. Il n’a pas contesté ces études. Au contraire : il en a financé d’autres pour faire diversion en essayant de démontrer que les cancers du poumon imputés à la cigarette pouvaient avoir d’autres causes (des antécédents génétiques, la pollution de l’air…). La même stratégie a été déployée dans les années 2000 quand les dangers du tabagisme passif allaient conduire à l’interdiction de la cigarette dans les lieux publics.

Mêmes contre-feux pour les néonicotinoïdes ou pour les perturbateurs endocriniens ou pour le réchauffement climatique. Il s’agit à chaque fois de répondre à la science par la science en utilisant un levier diablement efficace et consubstantiel à la démarche scientifique : le doute. Si la nocivité d’un produit est révélée par une étude, il s’agit de semer le doute sur cette annonce en suggérant que sa toxicité a été surestimée ou que ses effets secondaires ont d’autres causes. Si le contre-feu, à long terme, finit par céder face à la vérité scientifique, il aura permis aux industriels et à leurs armées d’avocats de gagner quelques années.

Cette bataille entre bonne et mauvaise science (sound science vs. junk science) a été amplifiée par les réseaux sociaux. C’est une dimension que le documentaire ne fait qu’effleurer. Avec les réseaux sociaux, l’information circule mieux, le débat est plus vif, la réfutation scientifique plus aisée. Mais, hélas, cette démocratisation de la science s’accompagne de son nivellement par le bas. Sont mis sur le même plan l’avis éclairé d’un prix Nobel de médecine, un article de Nature ou n’importe quel preprint mis en ligne sur un site Internet moldo-slovaque. Comment espérer établir une vérité scientifique si n’importe qui, n’importe où, n’importe comment peut, de bonne ou mauvaise foi, la questionner ?

La sérénité du débat est polluée par nos biais cognitifs. Nous sommes tous lourdement influencés par nos a priori. Selon nos convictions, nous accueillerons différemment les études scientifiques qui les valident et celles qui les infirment. Je n’évoquerai pas ici le débat, aujourd’hui dépassé, autour de l’hydroxychloroquine qui continue à enflammer les ayatollahs des deux bords : les uns renvoyant aux autres l’absence d’une étude définitive qui démontrerait sans réfutation possible l’efficacité ou l’inefficacité de ce remède-miracle (les termes que j’utilise laissent peut-être augurer mon propre biais cognitif). J’en évoquerai un autre : l’électrohypersensibilité. Connaissant les stratégies déployées par les lobbies industriels pour cacher la toxicité du tabac, des insecticides, des plastiques, faut-il augurer qu’ils déploient les mêmes pour cacher la nocivité de la 5G ? Il y a fort à craindre que la réponse que vous, moi, nous tous, donnons à cette question dépende hélas moins de l’état objectif de la science que de nos propres préjugés.

La bande-annonce

La Fille aux allumettes (1990) ★★★☆

Iris (Kati Outinen) travaille dans une fabrique d’allumettes à Helsinki. Elle verse tout son salaire à sa mère et à son beau-père qui l’hébergent dans un deux pièces miteux de la cité ouvrière. Elle croit trouver l’amour auprès d’Arne qui la méprise et l’humilie. La vie d’Iris ne peut que verser dans la tragédie.

L’Homme sans passé (2002) est souvent présenté comme le meilleur film d’Aki Kaurismäki. Il a raté de peu la Palme d’or à Cannes et y a obtenu, en guise de consolation, le Grand prix. Kati Outinen y a décroché le prix d’interprétation féminine. Le film a valu à Kaurismäki l’un des six Jussis (l’équivalent des Césars en Finlande) de sa longue carrière. Pourtant ce n’est pas mon préféré.

La Fille aux allumettes l’est peut-être. Car il résume le mieux selon moi le cinéma du maître finlandais. Résumer est le mot juste ; car il dure soixante-neuf minutes à peine, flirtant avec les canons du moyen métrage. Tout y est concentré, sans une once de gras : les banlieues pauvres de Helsinki, des personnages mutiques écrasés par une vie sans joie mais dotés d’une solide résilience, des plans fixes souvent suréclairés donnant aux images une patine de romans-photos, un humour grinçant, une bande musicale qui alterne les airs les plus démodés aux expérimentations néo-punks….

Kati Outinen porte le film sur ses frêles épaules. La beauté hyperboréenne, elle a vingt neuf ans déjà à la sortie de La Fille aux allumettes ; mais elle en fait bien dix de moins. C’est son troisième film sous la direction de Aki Kaurismäki avec qui elle en tournera huit autres. Avec La Fille aux allumettes, elle décroche son premier Jussi de la meilleure actrice (suivront deux autres en 1997 pour Au loin s’en vont les nuages et en 2002 pour L’Homme sans passé). Elle est si misérable durant la première moitié du film qu’on se demande un instant si elle ne joue pas un remake du comte du Danois Andersen et si elle va mourir de froid, sa dernière allumette soufflée. L’évolution du personnage dans la seconde moitié du film est étonnante, empreinte d’un féminisme enthousiasmant qui, en 1990, était encore d’avant-garde.

Extraits

The Dawn Wall ★★☆☆

Au cœur de la vallée de Yosemite se dresse El Capitan un monolithe vertical de près de neuf cents mètres de haut. Il a depuis toujours fasciné les alpinistes qui ont entrepris de l’escalader de toutes les façons possibles et par toutes les voies possibles.
Sa partie la plus lisse, le « mur de l’aube », plein est, qu’éclaire en tout premier le soleil levant, était resté longtemps inconquis. Deux grimpeurs s’y attaquent en escalade libre, à la force de leurs bras et de leurs jambes.

J’avoue un penchant coupable pour les films d’alpinisme. Everest ou La Mort suspendue font partie de mon panthéon. Je leur vois plusieurs qualités. D’abord, ils sont fantastiquement dépaysants et permettent de découvrir des paysages à couper le souffle, tels que les immense monolithes de la vallée de Yosemite. Ensuite ils présentent d’évidentes qualités cinématographiques : unité de temps, de lieu d’action, et un enjeu simple et captivant : les alpinistes réussiront-ils ou pas à atteindre le sommet – et à redescendre sain et sauf ? Enfin, ils ont pour personnages des héros nietzschéens, en quête de dépassement, à la contagieuse énergie.

Aussi, j’ai naturellement cédé au charme californien de Tommy Caldwell et Kevin Jurgenson dont quelques flashbacks racontent la vie avant leur ascension d’El Capitan en janvier 2015. J’ai vibré avec eux à chaque étape de leur incroyable exploit. Et l’émotion a naturellement débordé avec sa conclusion.

Pour autant, The Dawn Wall est irrémédiablement plombé par la comparaison avec Free Solo, sorti un an plus tard, qui raconte l’ascension par Alex Honnold de la même paroi, mais en solo libre. Honnold, comme Caldwell & Jurgenson, grimpe la paroi à mains nues ; mais à la différence d’eux, il n’est pas assuré. Aucune corde, aucune protection. La moindre chute pour lui serait mortelle. Du coup, les images de Free Solo, qui a décroché l’Oscar 2019 du meilleur documentaire, sont autrement plus impressionnantes que celles de The Dawn Wall. Si l’exploit de Caldwell & Jurgenson est galvanisant, celui de de Honnold, au regard des risques (inconsidérés ?) pris par le grimpeur, est plus sidérant encore.

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Et soudain, tout le monde me manque (2010) ★☆☆☆

Justine (Mélanie Laurent) a toujours eu des relations compliquées avec son père Eli (Michel Blanc). Elle lui reproche de ne pas s’être occupé d’elle quand elle était petite et, aujourd’hui, de faire à soixante ans passés avec sa nouvelle compagne (Claude Perron) un enfant.

Et soudain, tout le monde me manque fait partie de ces petits films français comme il en existe treize à la douzaine, pas vraiment mauvais, mais pas suffisamment bons pour retenir l’attention. Je l’avais raté à sa sortie début 2011 ; la fermeture des salles et sa présence surprenante sur le catalogue Netflix m’ont donné l’occasion de le voir.

Je serais bien aigri d’affirmer avoir passé un mauvais moment à le regarder. Car Mélanie Laurent, Michel Blanc et les seconds rôles, excellents, qui les entourent (Guillaume Gouix, Florence Loret Caille, Géraldine Nakachze, Manu Payet…) font honnêtement le job. Mieux : le dernier quart d’heure est particulièrement attachant qui tire le film dans une direction qu’on n’aurait pas imaginée (en ai-je trop dit ? pas assez ?).

Mais pour autant, la narration aux ressorts éculés de cette relation père-fille n’a rien de si original qu’il faille s’offusquer du légitime oubli dans lequel ce film – et sa réalisatrice qui n’en a pas tourné d’autre depuis dix ans – est tombé.

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