À Sept-Îles, sur les bords du Saint-Laurent, la population innue est parquée dans des réserves. Deux enfants, Mikuan et Shaniss y ont grandi, la première dans une famille unie, la seconde séparée de ses parents violents et alcooliques, y sont devenues inséparables. Mais au sortir de l’adolescence, leurs chemins semblent emprunter des chemins différents. Mikuan, éprise de littérature, ne rêve que de quitter une communauté qui l’étouffe tandis que Shaniss s’y est retrouvée piégée par un compagnon toxico et l’enfant qu’il lui a fait.
Kuessipan – un mot innu qui signifie « à toi », « à ton tour » – est l’adaptation par la réalisatrice québécoise Myriam Verreault d’un roman paru en 2011, écrit par Naomi Fontaine, une jeune romancière membre de la nation innue d’Uashat, qui en cosigne le scénario. Il a été tourné sur place avec des acteurs amateurs dans des rôles souvent très proches de leurs propres vies.
Kuessipan est donc un film profondément naturaliste à la limite du documentaire qui nous transporte dans des territoires exotiques, glacés et majestueux. Si quelques plans en montrent la sauvage beauté, l’objet du film n’est pas touristique ni esthétique. Il s’agit plutôt de présenter, à travers la vie de deux adolescentes, les difficultés auxquelles sont confrontés les derniers habitants d’une « nation » autochtone canadienne, soutenus à bout de bras par les subventions fédérales et régionales, repliés sur eux-mêmes dans un identitarisme inquiet que nourrit paradoxalement le regard ambigu que portent sur eux les Blancs. Ces questions identitaires sont incarnées par un personnage : Francis, le Blanc dont Mikuan tombe amoureuse, malgré l’hostilité de Shaniss qui lui reproche cette trahison, un adolescent gentil, ouvert et curieux de la communauté innue, mais dont l’ingénuité même trahit les préjugés racistes sinon l’hostilité.
Mais Kuessipan ne se réduit pas à cette dimension documentaire. C’est avant tout un drame familial mettant en scène, comme son affiche l’annonce, deux héroïnes à la fois proches et dissemblables. Dans le rôle de Mikuan, l’étonnante Sharon Fontaine-Ishpatao crève l’écran. L’actrice amateure porte son obésité avec une grâce déconcertante – on pense à Gadourey Sidibe, l’interprète de Precious. Elle joue à merveille les ambiguïtés de son personnage dont l’attachement à sa nation passe par un inéluctable éloignement. Yamie Grégoire a un rôle plus ingrat : celui d’une jeune femme trop tôt vieillie, prisonnière d’une relation toxique avec un mauvais garçon, un chouïa caricatural.
Kuessipan dure près de deux heures car son histoire connaît des rebondissements qu’on n’escomptait pas. Mais il est suffisamment rythmé, suffisamment prenant pour qu’on ne s’y ennuie jamais. Au contraire ! On sort de la salle transporté par cette histoire lumineuse.