Charlotte (Gainsbourg) filme sa mère Jane (Birkin). Les deux actrices sont si connues que le titre de leur film peut faire l’économie de leurs patronymes… et l’affiche celui de leurs visages.
Le titre et le procédé louchent du côté du documentaire qu’Agnès Varda avait consacré à la chanteuse franco-britannique, Jane B. par Agnès V. Comme Varda en 1988, Charlotte filme Jane chez elle, dans son intimité et la fait se raconter à travers les objets qu’elle accumule compulsivement : Jane confesse souffrir d’une maladie douce, celle de l’incapacité de jeter quoi que ce soit, qui transforme vite ses intérieurs en bric-à-brac nostalgiques. En 1988, c’était la maison parisienne de Jane qu’on découvrait. Aujourd’hui, c’est sa résidence secondaire en Bretagne, avec son immense baie vitrée, son jardin, le portillon qui donne sur la plage.
Jane par Charlotte est une émouvante déclaration d’amour d’une fille à sa mère qu’elle filme à Bréhat, mais aussi en concert, à Tokyo comme à New York, et enfin à Paris, rue de Verneuil, dans l’appartement où elle vécut avec Serge Gainsbourg, que Charlotte a transformé en musée. On ne peut qu’être séduit par ce tête-à-tête touchant, par la relation entre jane et sa fille avec qui on adorerait prendre un thé en regardant le soleil se coucher sur une plage bretonne un soir d’automne. En compagnie de Jo, la petite dernière de Charlotte dont la présence esquisse peut-être une autre transmission générationnelle, les deux femmes y font preuve l’une à l’égard de l’autre d’une grande pudeur qu’elles questionnent et dont elles testent les limites.
Plutôt que de dérouler platement la biographie, pourtant très riche de Jane, ses succès de chanson, puis de cinéma, Charlotte s’intéresse plutôt à sa vie de femme. Dans un troublant jeu de miroirs, elle l’interroge sur les hommes qui ont marqué sa vie et sur les trois enfants qu’elle a eus avec eux : Kate l’aînée, la fille de John Barry, brutalement décédée en 2013, Charlotte elle-même, la fille de Serge Gainsbourg, et enfin Lou, la fille de Jacques Doillon.
Jane par Charlotte est un film qui touchera peut-être plus les femmes que les hommes, soit qu’elles aient une relation douloureuse à leur mère, soit au contraire qu’elles aient réussi à construire une relation aussi épanouie et complice que celle qui unit Charlotte à la sienne, soit enfin qu’elles l’aient perdue et en nourrissent la nostalgie…. ce qui devrait, si l’on additionne les femmes de ces trois catégories, représenter environ la moitié de l’humanité. En tant qu’homme – et au risque de m’attirer les foudres de mes amies universalistes – j’y ai moins trouvé d’intérêt.
Surtout, après le documentaire de Varda de 1988, après Boxes, l’autobiographie à peine romancée qu’avait réalisée Jane en 2007, sur son père et les pères de ses filles, on frise l’overdose. Si pudeur est le maître mot de ce documentaire-là, s’il est celui qui caractérise le mieux la relation entre ces deux femmes exceptionnelles, le risque est que cet exercice le galvaude ou pire le corrompe.