Pádraic le bouvier (Colin Farrell) et Colm le ménétrier (Brendan Gleeson) étaient jusqu’à peu les meilleurs amis au monde. Chaque jour, à quatorze heures, ils partageaient en devisant une pinte de bière au minuscule pub de l’île d’Inisherin qui les avait vus naître et qui les verrait mourir. Mais, un beau jour d’avril 1923, en pleine guerre civile irlandaise, Colm rompt cette routine et demande à Pádraic de le laisser tranquille. Cette brutale décision stupéfie Pádraic qui cherche à en comprendre la cause.
Les Banshees d’Inisherin repose sur un argument très simple qu’on croirait tout droit emprunté au théâtre de l’absurde de Beckett ou de Pinter : deux amis soudainement se brouillent. La bande-annonce est un petit bijou du genre pour mettre en place cette intrigue en faisant répéter par tous les personnages du film la question qui ronge Pádraic : « sommes-nous fâchés ? » (« are we rowing? »).
Le problème du film est de se réduire à ce pauvre argument. Je reconnais qu’il le fait sur le fond des splendides paysages des îles d’Aran, publicité ultra-référencée pour des vacances dépaysantes et oxygénées sur la côte ouest de l’Irlande. Il le fait aussi avec d’excellents acteurs : Collin Farrell, qui en deux mimiques et sans une parole joue tout à la fois l’incompréhension, la consternation et la tristesse, Brendan Gleeson, incarnation vivante de l’ingratitude, sans oublier les excellents personnages secondaires interprétés par Barry Keoghan (Dunkerque, Mise à mort du cerf sacré) et Kerry Condon.
« De l’importance d’être gentil » Mais son argument se réduit à vraiment trop peu. Tout est dit dans une discussion au pub entre les deux héros : quelle est la meilleure façon de vivre sa vie ? en discutant gentiment avec son meilleur ami autour d’une pinte de bière, quitte à y perdre son temps ? ou en se consacrant solitairement à la construction d’une oeuvre et au legs d’un héritage, comme Colm ambitionne soudainement de le faire ?
Une autre lecture du film est possible, plus dramatique. Elle insiste sur la lente évolution de Pádraic en réaction à l’hostilité de Colm. Son personnage, bon comme le pain, à la limite de l’idiotie, devient de plus en plus violent. La gentillesse le quitte.
On peut également en faire une troisième : une lecture métaphorique de la Guerre civile irlandaise qui corrompt les amitiés les plus solides.
On me dira que le film n’est pas si pauvre, qui peut se prêter à autant d’interprétations. Peut-être. Il n’en reste pas moins que j’en ai été déçu par rapport à mes attentes, le grand bien qu’on en dit et les Oscars qu’on lui promet après ceux qu’a déjà emportés son réalisateur Martin McDonagh pour Three Billboards.