À l’automne 2022, Bernard-Henri Lévy s’est rendu dans l’est de l’Ukraine, sur la ligne de front. Il en ramène des images qui montrent la résistance des fiers soldats ukrainiens et les souffrances endurées par la population civile.
L’infatigable philosophe à la chemise blanche, tous cheveux au vent, nous livre le deuxième volet de ses carnets ukrainiens, après le premier, Pourquoi l’Ukraine, diffusé directement sur Arte. Si la guerre perdure, il est à craindre qu’un troisième vienne bientôt dont on peut par avance imaginer le titre : Ukraine, demain l’Europe ou encore La Bataille de Kherson.
Il faut reconnaître à ce septuagénaire toujours ingambe et qui porte beau, un certain courage. Sans doute n’a-t-il pas risqué sa vie, protégé par un long convoi de 4×4 superpuissantes et une troupe de bodyguards surentraînés. Mais il n’a pas dormi non plus dans des palaces cinq étoiles durant son équipée ukrainienne. Il aurait pu se contenter, comme tant d’autres philosophes de salon, de commenter à distance la guerre en Ukraine, en lançant depuis les chaînes d’information en direct quelques sentences définitives. À soixante-dix ans bien sonnés, il a le mérite de se colleter avec la réalité et « d’aller y voir ».
Qu’a-t-il vu à Kiev, à Kharkiv, à Kherson ? Des images tristement banales qui ne nous surprennent plus, nous autres, téléspectateurs tristement mithridatisés par le spectacle de la guerre : immeubles bombardés, infrastructures détruites, militaires lourdement armés, civils frileusement emmitouflés…
Avec une infinie prudence – tant il devient difficile d’oser une opinion nuancée qui immédiatement sera suspectée de pencher en faveur du Kremlin – on pourrait lui reprocher son parti-pris revendiqué en faveur de l’Ukraine, victime innocente d’une guerre d’agression (ce qui est incontestable), défense avancée de l’Occident contre l’ogre russe (ce qui l’est déjà un peu plus), abandonnée à son sort par un Occident calfeutré dans son confort égoïste et aveugle à son héroïsme (ce qui l’est totalement eu égard à l’aide massive déployée par les Etats-Unis et par l’Union européenne). J’ai retrouvé le même parti pris dans la lecture récente de Z comme zombie d’Iegor Gran dont je me demande si elle sert la cause ukrainienne ou bien si, à force d’outrances russophobes, elle finit par la desservir.
Plus objectivement, on peut lui reprocher son manque de recul. Slava Ukraini ne remet pas la guerre dans son contexte, n’en explique pas les causes, n’en détaille pas les enjeux. Tel n’est pas son sujet : on n’y verra que les choses que BHL a vues, ou du moins celles qu’il veut nous en montrer. Si vous cherchez à vous renseigner sur la guerre, passez votre chemin : ce documentaire n’est pas pour vous.
Mais il y a pire. Le principal reproche qu’on peut adresser à Slava Ukraini est le narcissisme de son héros/héraut. J’ai longtemps défendu BHL, reprochant à ceux qui le moquaient de ne pas l’avoir lu et les exhortant de le faire, tant ses écrits m’ont longtemps semblé lumineux et éclairants. Mais je dois me résoudre à renoncer à ce combat perdu d’avance. À force de se caricaturer, BHL est devenu indéfendable. En gilet pare-balles, le casque sur la tête, ou négligemment à la main, voguant sur le Dniepr, à portée de tir des snipers russes, ou s’enfonçant dans les tranchées du front à Lyman, la chemise toujours immaculée et largement ouverte sur un poitrail prêt à arrêter à lui seul un bataillon entier de chars russes, BHL est insupportable de vanité.