Pendant deux années, Marie-Francine Le Jalu a filmé les étudiants de la clinique juridique créée à la faculté de droit de Paris-Saint-Denis. Ils reçoivent des justiciables qui leur exposent leurs difficultés : certains sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, d’autres réfléchissent à leur succession, d’autres encore veulent s’assurer, avant de postuler à un emploi, de l’effacement de leur casier judiciaire de peines auxquelles ils ont été condamnés. Sous le contrôle de leurs professeurs, les étudiants fournissent à leurs interlocuteurs des conseils juridiques.
Accompagnée de deux d’entre eux, la réalisatrice est venue présenter son film à l’Escurial dimanche dernier et a débattu avec la salle.
Quel joli titre. Droit dans les yeux parle de regards – même si sa curieuse affiche ne permet pas de comprendre qui les lance. Il est constitué essentiellement de gros plans sur les visages des deux étudiant.e.s qui reçoivent des administrés et qui essaient, le plus impassiblement possible, et tout en essayant de mettre leurs interlocuteurs à l’aise, de consigner les faits utiles à l’instruction de leurs requêtes.
Mais Droit dans les yeux parle surtout de droit. De droit et de justice et du fossé qui parfois les sépare. Il le fait sans manichéisme, sans tomber dans les chausse-trappes de la bien-pensance. Si un avocat parisien franchit le périphérique pour une intervention devant les étudiants de Saint-Denis dans laquelle, croyant les caresser dans le sens du poil, il entonne l’air bien connu « La banlieue a du talent », le montage montre la réaction d’un étudiant qui n’apprécie guère cette démagogie. Lorsqu’une enseignante tient des propos (d)étonnants sur le droit des étrangers, le même pointe à juste titre son militantisme et son absence de neutralité.
Droit dans les yeux est particulièrement touchant parce qu’il met face à face des étudiants et des justiciables qui viennent des mêmes milieux. Les premiers sont d’autant plus enclins à aider les seconds, d’autant plus enclins aussi à prendre fait et cause pour eux qu’ils se sentent proches d’eux. Au risque parfois de brouiller leur discernement.
Tel est le sujet central du documentaire qui, à mon sens, est un peu trop envahissant car il se résout dans la pratique quotidienne assez simplement : quelle est la bonne distance entre l’avocat et son client ? Récemment, Maîtres l’évoquait aussi, qui filmait le travail de trois avocates strasbourgeoises spécialisées en droit des étrangers.
Le cas de la mère d’Ilhame, une étudiante en licence, qui réclame une pension de réversion après la mort de son mari, sert de fil rouge au documentaire. Cette pension lui est refusée au motif que son père avait une autre épouse au Maroc. Il l’avait certes répudiée ; mais cette répudiation vaut-elle divorce en droit français ? Ce cas très concret éclaire deux aspects essentiels de ce documentaire. Ilhame, qui s’était saisie du cas de sa mère, réalise qu’elle a besoin de prendre de la distance avec cette affaire qui lui est trop intime et demande à ses camarades de la recevoir comme n’importe quel usager. Leur analyse approfondie révèlera, à rebours de la réaction spontanée que l’injustice de ce refus de pension suscite, que l’affaire est plus compliquée qu’il ne semblait – même si la mère d’Ilhame finira par gagner le procès qui l’oppose à la Sécurité sociale et à obtenir le versement de sa pension.
Droit dans les yeux n’a qu’un défaut : mal distribué, mal promu, il est passé inaperçu.