Une jeune femme, la vingtaine, de retour du supermarché, est interpelée devant son domicile par deux agents du FBI, bientôt rejoints par une escouade de collègues qui ratissent au peigne fin le petit pavillon qu’elle loue à Augusta en Géorgie. Que lui reproche-t-on ?
Pas plus tard qu’hier, j’écrivais dans ma critique de Fermer les yeux, qu’il fallait avoir lu son dossier de presse avant de le voir. C’est la recommandation exactement inverse que je ferai aujourd’hui au sujet de Reality : allez le voir sans rien en lire… et surtout pas les lignes qui vont suivre. Sachez simplement, pour aiguiser votre curiosité, que les dialogues du film reproduisent quasi intégralement ceux de l’interrogatoire subi par Reality Winner à son domicile dans l’après-midi du 3 juin 2017 et que le film, qui transpose à l’écran la pièce de théâtre écrite dès 2018 par la dramaturge Tina Satter, se déroule quasiment en temps réel, le temps de cet interrogatoire qui dura un peu moins de deux heures.
C’est dans sa première moitié que Reality est le plus envoûtant, tant qu’on ignore les motifs de cet interrogatoire et les soupçons qui pèsent sur cette jeune femme en apparence si banale. Le film fait le même effet que Le Procès de Kafka et est construit sur le même ressort : la conscience anxieuse d’avoir quelque chose à se reprocher face à un pouvoir inquisiteur, omniscient et omnipotent, qui menace de nous enfermer pour une faute dont nous ignorons tout.
Au fur et à mesure que l’interrogatoire avance, des pans de la vie de Reality Winner se dévoilent : elle a travaillé pour l’US Airforce comme linguiste ; elle parle le farsi, le dari et le pachto ; elle possède chez elle un arsenal d’armes à feu. Et, parce qu’on a été biberonné aux séries américaines et qu’on est un enfant du 11-septembre, on imagine toutes sortes de choses : s’est-elle convertie à l’Islam le plus radical ? est-elle un agent dormant d’une cellule terroriste ? préparait-elle un attentat ?
La réalité est plus prosaïque et il faut bien, hélas, qu’on la découvre dans la seconde partie du film. Reality Winner a transmis à un site d’informations, The Intercept, un rapport classifié de la NSA sur les manoeuvres russes pour influencer l’élection présidentielle de 2016. Ces faits lui vaudront, après son arrestation, un procès et une condamnation à cinq ans de prison.
Lorsqu’on apprend la réalité (si j’ose dire), Reality se dégonfle et perd immédiatement tout l’intérêt qu’il avait fait naître dans sa première moitié. Sans doute, si on est un ardent défenseur de la liberté d’expression et hostile à Donald Trump – et nous le sommes quasiment tous – le personnage de Reality Winner, une lanceuse d’alerte qui a divulgué des informations confidentielles pour corroborer les accusations lancées par Hillary Clinton contre le candidat Donald Trump d’avoir bénéficié de la complicité des services russes pour remporter l’élection de 2016, nous devient-il alors sympathique. Mais il s’agit d’un autre film, sur la politique américaine, sur les élections de 2016, sur les dilemmes éthiques posés par les lanceurs d’alerte comme Snowden, Assange ou Manning. Un autre film qui n’est pas sans intérêt mais qui n’a plus grand chose à voir avec celui, envoûtant, vendu dans la première moitié de Reality.
Ping N° 10 ★★☆☆ | Un film, un jour