Assistante de production dans une agence de publicité, Angela sillonne interminablement Bucarest au volant de sa voiture pour trouver une victime d’un accident du travail qui interviendra dans la publicité commandée par une multinationale autrichienne.
Radu Jude n’est pas adepte de la concision. Ses films sont aussi longs que leurs titres : Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares (2018) durait déjà deux heures vingt, Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), Ours d’or à Berlin, était certes moins long, mais N’attendez pas trop de la fin du monde, Prix spécial du jury au dernier festival de Locarno, tangente les trois heures.
C’est cette durée obèse qui, à mes yeux, constitue le défaut rédhibitoire de ce film. Je le dis souvent, au risque de me répéter. Mais l’attention du spectateur, comme sa vessie, a ses limites qu’il est dangereux de tangenter. Certains films hors normes ont besoin d’une durée exceptionnelle : Autant en emporte le vent, Ben Hur, Lawrence d’Arabie, La Liste Schindler…. Mais cela doit rester l’exception. Étirer un film pendant trois heures pour venir à bout de la résistance du spectateur, comme certains réalisateurs arty s’y sentent désormais obligés, relève plus du geste faussement transgressif que d’une réelle nécessité cinématographique.
Aurait-il duré une heure de moins, j’aurais eu un jugement moins sévère sur N’attendez pas…. Car, comme le relèvent les critiques dithyrambiques qui l’encensent – lesquels, décidément, doivent avoir une attention et une vessie mieux adaptées que les miennes – sa transgression est sacrément culottée. Comme dans ses précédents films, au risque d’ailleurs d’épuiser une formule dont il s’est déjà servi, Radu Jude met en scène les tares qu’il entend dénoncer : c’était l’antisémitisme dans Peu m’importe…, la bigoterie dans Bad Luck Banging…, c’est le libéralisme effréné dans N’attendez pas…
Il m’a fait penser à Toni Erdman, sans doute parce qu’il se déroule en Roumanie, mais surtout parce qu’il décrit de la même façon, avec le même mélange d’humour et de cynisme, la logique déshumanisante du capitalisme. Son héroïne, essorée par son travail, taillable et corvéable à merci, est au bord du burn out ; la société de pub pour laquelle elle travaille traite avec le plus parfait mépris les handicapés qu’elle doit recruter pour son tournage et leur droit à l’image ; la multinationale tourne une pub sur les accidents du travail moins par humanisme que pour ripoliner son image…
Angela, l’héroïne, s’est construit une soupape de sécurité pour évacuer les mauvaises ondes qui menacent de l’engloutir, un double diabolique et barbichu qu’elle met en scène sur Tik Tok grâce à un filtre numérique et à qui elle fait débiter les pires obscénités masculinistes.
Autre mise en abyme : Radu Jude a rajouté au montage de longs extraits d’un film roumain du début des 80ies, Angela merge mai departe de Lucian Bratu, dont l’héroïne, également appelée Angela, conduit un taxi et traverse les mêmes expériences que son double contemporain. L’idée sans doute est de montrer que la Roumanie n’a finalement pas tant changé depuis quarante ans, la dictature de Ceaucescu ayant laissé place à une autre dictature, plus insidieuse, ultra-libérale.
Le film se termine par un plan-fixe de quarante-cinq minutes (oui ! vous avez bien lu) qui concentre à lui seul ses qualités et ses défauts. Il s’agit du tournage de la pub avec le travailleur paraplégique que la production a finalement retenu. Dans un joyeux et bruyant désordre, le réalisateur lui fait répéter plusieurs fois son texte, en supprimant progressivement tout ce qui risque d’écorner l’image de son commanditaire, au point de dénaturer la réalité des faits. On comprend vite le sens de la scène. Pourquoi l’étirer pendant quarante-cinq minutes interminables ?