Lorsque l’exploitation pétrolière débuta en Oklahoma au début du XXième siècle, les Indiens Osage, propriétaires des terres arides qui leur avaient été concédées, devinrent du jour au lendemain immensément riches. Cette manne attira immédiatement des Blancs cupides. Cette page méconnue de l’histoire américaine a constitué la matière du livre de David Grann (auteur de The Lost City of Z) que Martin Scorsese porte à l’écran.
L’automne du cinéma est aussi celui des réalisateurs. Après ceux de Roman Polanski (90 ans), de Frederick Wiseman (93 ans), de Nani Moretti (70 ans), de Woody Allen (87 ans), de Wim Wenders (78 ans) et de Ken Loach (87 ans) ces dernières semaines, sortent en salles ce mois-ci des films de fringants octogénaires : Hayao Miyazaki (82 ans), Ridley Scoot (85 ans), Denys Arcand (82 ans), Barbet Schroeder (82 ans)…. Si Clint Eastwood, James Ivory et Costa-Gavras s’en mêlaient, on pourrait créer un EPHAD de luxe baptisé l’Ancienne Vague, rassemblant les gloires toujours sacrément créatives du septième art.
Martin Scorsese (80 ans) en serait probablement le capo dei tutti capi, le parrain des parrains. L’ancien séminariste new-yorkais tourne des films depuis plus de cinquante ans, avec son alter ego, Robert De Niro, qui interprète ici William Hale, un riche éleveur de bétail qui passe pour le meilleur ami des Osages alors qu’il complote secrètement à leur perte. L’autre acteur fétiche de Scorsese depuis une vingtaine d’années, son fils d’adoption, Leonardo DiCaprio joue le deuxième rôle titre. Il interprète le neveu de William Hale, démobilisé après la Première Guerre mondiale, devenu le complice plus ou moins lucide des manoeuvres du patriarche. Comme souvent dans les films hyper-virils de Scorsese, les femmes y sont réduites à la portion congrue. La prestation de Lily Gladstone, découverte chez Kelly Reichardt, n’en est que plus admirable. Dans le rôle de Mollie, la riche Indienne que William Hale pousse son neveu à épouser et dont celui-ci tombera amoureux, elle en impose par son hiératisme, par ses silences, par son sourire en demi-teinte.
On a beaucoup glosé sur la durée indigeste de Killers of the Flower Moon : 3h26. Force m’est de reconnaître que c’est par sa faute que j’ai mis près de deux semaines à le voir, soit que je n’en trouvais pas le temps dans un agenda un peu chargé, soit que je n’estimais pas disposer du « temps de cerveau disponible » pour m’y plonger dans de bonnes conditions. Pour autant, vu l’ambition du film, une telle durée n’a rien de disproportionnée. Les plus grands films dépassent allègrement les quatre-vingt-dix minutes canoniques : Autant en emporte le vent, Ben-Hur, Lawrence d’Arabie, 2001, Odyssée de l’espace, La Liste Schindler…
Sa durée est d’autant moins pesante qu’on ne regarde jamais sa montre, happé par la fluidité d’un scénario qui ne ménage aucun temps mort. On est loin pour autant du rythme frénétique de certains des films de Scorsese, tournés sous acide, épuisants à force d’accélérations. C’est Jacques Morice dans Télérama qui écrit très intelligemment que le cinéma de Scorsese se rapproche du classicisme d’un Eastwood, sans effet de manche, sans tentation du spectaculaire. Par exemple, une course de vieilles automobiles rutilantes dans les rues de Fairfax, dont on imagine en frémissant le prix que sa reconstitution a coûté, est pliée en quelques plans à peine alors que les scènes clés du film sont des face-à-face en champ-contrechamp filmés dans une salle de séjour sans apprêt.
Killers of the Flower Moon s’inscrit à la croisée des genres. Son sujet fait penser aux westerns ; mais il louche aussi vers la saga historique, le film noir, le film de mafia, le polar… Il se noue et se dénoue avec une (trop ?) parfaite maîtrise dans sa dernière demi-heure, alors que la lassitude aurait pu commencer à se faire sentir. Du grand oeuvre, maestro !
Merci de nous avoir encouragé à aller voir ce film malgré sa longueur. Il y a une dimension authentiquement tragique dans ce film où la brutalité des débuts de l’histoire des États-Unis est exposée dans toute sa cupidité masquée par des simulacres de « justice » et de « morale ». Je vois chez Hale (intelligent et cynique) des similitudes avec Trump ainsi que chez Ernest bien sûr (crétin utile). La dernière scène à la radio, réalisée avec grande habileté, m’a semblé être une forme de mea culpa de la part de Scorsese sur la façon dont l’histoire capitaliste et mafieuse a été traitée à Hollywood et par lui notamment. J’ai aussi beaucoup aimé la musique du film sombre et intense. C’est un grand film profondément désenchantée et magnifique, à l’image du visage de Lili Gladstone.
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