En 1942, Helena Citron a vingt ans à peine. Elle est belle comme un cœur, fraîche « comme une pêche » dira plus tard une de ses compagnes de captivité. Elle fait partie du premier convoi de femmes déportées de Slovaquie à Auschwitz. Elle y survivra près de trois ans grâce à un officier SS, Franz Wunsch, qui tombe éperdument amoureux d’elle, la prend sous son aile et parvient même à sauver in extremis la sœur de Helena de la chambre à gaz même s’il y laisse ses deux neveux. Trente ans plus tard, il sera jugé à Vienne et lui demandera de venir témoigner en sa faveur.
La documentariste israélienne Maya Serfaty consacra à Helena un court métrage, The Most Beautiful Woman in the World, qui remporta en 2016 un Oscar. Elle remet le métier sur l’ouvrage avec cette histoire monstrueuse, qu’on croirait droit sortie de l’imagination débordante d’un syndicat de scénaristes hollywoodiens en mal de sensationnel si elle n’était vraie. On pense bien sûr à Portier de nuit, à la relation sado-masochiste qu’il racontait entre Charlotte Rampling et Dirk Bogarde et au parfum de scandale qui continue à l’entourer cinquante après sa sortie en 1974.
Pour faire revivre cette histoire hors normes, Maya Serfaty utilise deux moyens. Le premier est original : elle a construit des dioramas en 3D et y a disposé les silhouettes des principaux protagonistes découpées à partir des rares photos de l’époque. Le second l’est beaucoup moins : elle a interviewé les compagnes de captivité de Helena. La plupart ont émigré en Israël. Elles ont quatre-vingts ans bien sonnés mais encore toute leur tête. Soigneusement coiffées, maquillées, apprêtées pour les besoins de l’interview, elles offrent toute une gamme de réactions. Certaines n’ont pas pardonné à Helena cette relation contre nature, d’autres au contraire lui reconnaissent que tout à Auschwitz était bon pour éviter la mort, le froid, la faim.
L’incroyable histoire de Helena Citron pose deux catégories de questions. Les premières sont purement pratiques : comment un officier SS et une prisonnière juive ont-ils pu s’aimer à Auschwitz ? La relation était-elle connue des autres gardiens qui fermaient les yeux ? Etait-elle connue des autres prisonnières et, dans l’affirmative, comment utilisaient-elles cette information : faisaient-elles chanter Helena en la menaçant de révéler son secret ? ou lui demandaient-elles d’intercéder pour elles auprès de son protecteur ?
Les secondes sont éthiques et indémêlables. Franz était-il sincèrement amoureux de Helena ou ne faisait-il qu’abuser d’une position qui lui donnait droit de vie et de mort sur ses prisonnières ? Helena était-elle sincèrement amoureuse de Franz ou profitait-elle machiavéliquement de l’engouement de son amant pour sauver sa peau ? Pouvait-elle et devait-elle utiliser sa situation pour améliorer les conditions de détention de ses congénères ? En 1972, lors du procès intenté à Franz Wunsch, doit-elle témoigner de la tendresse qu’il a manifestée pour elle au risque de le blanchir des crimes qu’il a commis ou du moins, s’il n’y a pas participé directement, auxquels il a collaboré ?
Le sujet est malaisant et fascinant. Il suffit à lui seul à faire l’intérêt de ce documentaire Libération regrette dans son traitement « une maladresse omniprésente », dénonçant « la musique sirupeuse qui baigne les transitions » et « la parole des survivantes (…) hachée menu par le montage ». Profondément ébranlé par cette histoire incroyable et les questions éthiques qu’elle soulève, je suis nettement plus indulgent sur la faiblesse formelle de ce documentaire pour n’en retenir que le sujet stupéfiant.