L’action se déroule dans une petite ville de province japonaise et débute le soir où un incendie, dont on découvrira plus tard l’origine criminelle, dévaste un immeuble abritant un bar pour hôtesses. Élève en classe de CM2, le jeune Minato est orphelin de père. Sa mère, qui l’élève seule, note des détails troublants qui la conduisent à mettre en cause son école, et notamment son professeur, M. Hori. Mais, la vérité se révèlera tout autre.
Dans la filiation revendiquée de Ozu, l’oeuvre pleine d’humanisme de Hirokazu Kore-Eda compte parmi les plus significatives du cinéma japonais contemporain. Elle a été consacrée par la Palme d’or à Cannes en 2018 pour Une affaire de famille. Mais son film le plus marquant est à mes yeux Nobody Knows en 2004 dont le sujet traumatisant – quatre jeunes enfants sont abandonnés pendant plusieurs mois par leur mère défaillante et se débrouillent pour survivre – m’avait durablement marqué.
Comme dans ses films précédents, L’Innocence interroge la famille et la figure du père absent – ou, dans le cas de Hoshikawa, défaillant. Il le fait avec une infinie délicatesse, mais aussi – comme c’était déjà le cas dans Une affaire de famille – en égratignant les faux-semblants de la société japonaise, son formalisme excessif, son illusion à vouloir résoudre le moindre différend par la présentation théâtralisée d’excuses outrées.
Le jeune Minato est-il la victime innocente de son professeur ? ou est-il au contraire le tourmenteur de son camarade de classe, Hoshikawa ? ou bien la réalité est-elle encore plus complexe ? Le sujet est déjà, en soi, passionnant. Mais Kore-Eda a l’intelligence – ou la rouerie – de le rendre plus passionnant encore en en sophistiquant le montage. Selon la technique dite Rashomon – du nom du film de 1950 de Akira Kurosawa qui l’utilisa le premier – les mêmes faits sont successivement revisités selon trois perspectives différentes : celle de la mère de Minato, celle de son professeur, celle enfin de Minato lui-même. Chacune ajoute à la précédente une couche de sens, révélant in fine une « vérité » autrement plus subtile que celle, binaire, qu’on avait pu imaginer.