Jony, un pêcheur du Boulonnais, élève avec l’aide de sa mère son gamin, Freddy. Il n’a pas conscience que le bambin doté de pouvoirs surnaturels est appelé à gouverner le monde et que sa présence va provoquer la bataille titanesque des forces du Bien, dirigées par la Reine (Camille Cottin), et du Mal entraînées par Belzébuth en personne (Fabrice Luchini).
Le space opera est un genre cinématographique à part entière qui a acquis avec La Guerre des étoiles ses lettres de noblesse. Le genre appelait sa caricature : Mel Brooks s’y est essayé avec plus ou moins de succès dans La Folle Histoire de l’espace. À voir l’affiche de L’Empire, le rictus et le déguisement de Luchini, le visage éthéré de Camille Cottin – méconnaissable à force d’avoir été photoshopé – les deux flics inséparables du P’tit Quinquin, les vaches et les paisibles percherons qui les entourent, on s’imagine que L’Empire s’inscrit dans le même registre parodique et burlesque.
Mais c’est mal connaître le cinéma de Bruno Dumont qui ignore le second degré. Aussi délirant que cela puisse paraître, son film est à prendre au premier degré : Tatooine serait un petit port de la Côte d’Opale, Anakin serait né dans un pavillon rurbain à la lisière des champs d’orge des Hauts-de-France, Palpatine aurait les traits de Fabrice Luchini et Joda ceux de Camille Cottin, etc.
Un tel menu excite la curiosité. Il a excité la mienne et celle des spectateurs nombreux, qui se pressaient dans la salle quasi-comble des Halles où j’ai vu hier soir L’Empire. Il faut dire que la distribution est alléchante – dont s’est retirée Adèle Haenel qui a considéré que le film, parce qu’il n’incluait que des acteurs blancs, était « raciste ». Virginie Efira et Lily-Rose Depp étaient également pressenties ; mais le report du tournage, à cause du Covid, a entraîné leur défection. Adèle Haenel a été remplacée par Anamaria Vartolomei, meilleur espoir féminin 2022 pour L’Evénement, Lily-Rose Depp par Lyna Khoudri, méconnaissable en cagole perruquée.
Le résultat est pour le moins déconcertant. L’Empire ne fait pas rire – manifestement tel n’est pas l’objectif de Bruno Dumont – alors qu’il contient tous les ingrédients pour y parvenir. Naît un décalage malaisant entre ses ingrédients parodiques et son effet plus absurde que comique. Car Bruno Dumont, dans ce film comme dans tous les précédents, ne peut se retenir de brasser des questions majuscules sur le Bien, le Mal, l’Apocalypse, l’origine et la fin du Monde, l’Amour….
Quand les lumières se rallument, les spectateurs se regardent, déconcertés devant cet Ovni (c’est le cas de le dire !) cinématographique : sidérante (ou sidérale ?) mise en abyme métaphysique ? ou parodie ratée de space opera ? Je ne suis pas certain de ma propre opinion et je n’exclus pas d’ici quelques années de parler de L’Empire avec enthousiasme. Mais sur le coup, devant le jeu volontairement bredouillant des acteurs non professionnels, devant un scénario qui s’étire interminablement avant l’Armageddon final, devant les effets spéciaux kitschs et les décalages absurdes, c’est la consternation qui l’a emporté.