Challengers ★☆☆☆

Deux tennismen, Patrick Zweig (Josh O’Connor, le prince Charles de The Crown) et Art Donaldson (Mike Faist découvert dans le West Side Story de Spielberg), formés dans la même académie de tennis, longtemps unis comme les deux doigts de la main, se retrouvent à trente ans passés pour une ultime confrontation. Depuis leur adolescence, de l’eau a coulé sous les ponts. Art est devenu une star mondiale du tennis alors que Patrick, pourtant plus doué, n’a pas concrétisé les espoirs placés en lui. La rencontre de Tisha Duncan (Zendaya), une jeune championne dont les deux tennismen étaient tombés simultanément amoureux et qui a vu sa carrière brutalement interrompue par une fracture du genou, les a séparés.

Challengers présentait sur le papier de nombreux atouts, mis en valeur par une bande-annonce sacrément alléchante. Si j’étais vulgaire – mais je ne le suis bien évidemment pas – j’oserais dire que rarement bande-annonce aura aussi bien mérité son nom.

Le premier, pour faire oublier la phrase qui précède, est de se dérouler dans le monde du tennis, un sport longtemps ignoré du cinéma, jusqu’à quelques films récents : 5ème Set avec l’excellent Alex Lutz,  Borg/McEnroe sur la rivalité qui opposa les deux stars au jeu si dissemblable, Battle of the Sexes sur la figure de Billie Jean King (interprétée par Emma Stone), le tennis féminin des 70ies et sa quête laborieuse de légitimité…

Le second, pour revenir au sujet sus-évoqué et à la désormais fameuse bande-annonce, est le triangle amoureux formé par nos trois jouvenceaux. Leur plastique avenante réjouira les spectateurs et spectatrices de tous genres et de toutes orientations sexuelles. Pour les uns, évoquons la vision trop brève de Zendaya au sortir de sa salle de bains ; pour les autres, celle des corps dénudés des deux tennismen, ruisselants de sueur dans un sauna caliente. Une scène en particulier, qui les réunit tous les trois, réussit la gageure d’être à la fois très chaste (le film est classé R aux Etats-Unis et tous publics en France) et d’un érotisme torride.

Le scénario de Challengers entrelace intelligemment plusieurs temporalités : celles de ce match de la dernière chance, celle de la rencontre des trois héros treize ans plus tôt, celle de l’évolution de leur relation agitée durant cette période. Le plus réussi sans doute est ce triangle amoureux quasiment équilatéral, puisqu’on a tôt fait de comprendre que l’attraction que les deux garçons éprouvent pour Tisha se double d’une troisième, inavouée et homosexuelle.

Hélas, n’est pas Jules et Jim qui veut. Dans son dernier set – j’aurais parlé de dernière ligne droite s’il s’était agi de cyclisme ou de Formule 1 – Challengers se prend les pieds dans le tapis – ou plutôt dans la terre battue. Et la dernière scène atteint des sommets de ridicule qui décrédibilisent le film tout entier.

La bande-annonce

La Planète des singes : Le Nouveau Royaume ★☆☆☆

Quelque trois cents ans se sont écoulés depuis la mort de César, le chimpanzé qui a conduit l’insurrection des singes et leur prise de pouvoir sur la Terre, au détriment des humains. Mais les singes sont désormais divisés et organisés en clans séparés les uns des autres. L’un d’entre eux, où vit, Noa, un jeune chimpanzé particulièrement intelligent, est décimé par un raid meurtrier lancé par Sylva et ses sbires. Les survivants deviennent les prisonniers de Proximus, qui entend reprendre à son compte l’héritage de César, créer un royaume dont Proximus prendrait la tête et utiliser les anciennes technologies humaines pour asseoir son pouvoir. Pour briser son hubris, Noa va s’allier à une humaine, Mae.

En 1963 le Français Pierre Boulle écrit un bref roman qui devient immédiatement un best-seller. Les droits sont achetés par Hollywood qui le porte à l’écran en 1968. Le film est un succès mondial. Sa scène finale – qui ne figurait pas dans le livre – est restée gravée dans les mémoires. Des suites, de plus en plus médiocres, sont tournées en 1970, 1971, 1972 et 1973. En 2001, Tim Burton en refait l’adaptation. Il est de bon ton d’en dire du mal.
En 2011, la Fox décide de redémarrer (« rebooter ») la franchise. Trois films sont prévus qui raconteront comment les singes sont devenus les maîtres de la Terre sous la direction de leur charismatique leader. Leurs titres ont manifestement désorienté leurs traducteurs français. Rise of the Planet of the Apes a été traduit La Planète des Singes : Les Origines. Dawn of the Planet of the Apes devient L’Affrontement. Et le troisième opus, War of the Planet of the Apes est traduit Suprématie.
En 2019, Disney rachète Fox propriétaire des droits et décide de lancer une nouvelle trilogie. La réalisation en est confiée à Wes Ball qui avait fait ses preuves aux commandes de la trilogie Le Labyrinthe.

Le film a coûté plus de 150 millions de dollars – soit le PIB d’un petit État micronésien. Le spectateur amateur de pop corn en aura pour son argent. Les décors sont stupéfiants ; les acteurs filmés en motion capture sont impressionnants de naturel, à tel point que Freya Allan, l’interprète de Mae, la seule actrice dont on voit le visage, semble moins réelle qu’eux.

Mais le problème est que, à son dixième (!) opus, la franchise n’a plus rien d’original à nous proposer. Ce Nouveau Royaume sent le réchauffé. Les thèmes du spécisme, du racisme, du droit des animaux, voire de l’écologie et de l’apocalypse nucléaire traversaient les épisodes précédents. Ils constituent ici plus un prétexte qu’un sous-texte, comme si les scénaristes avaient renoncé à toute ambition de les utiliser intelligemment. Le Nouveau Royaume se trouve réduit à un banal film d’aventures où le combat des gentils contre les méchants culmine dans une interminable bataille finale à l’issue prévisible. Reste à insérer dans cette scène finale un cliffhanger annonçant l’épisode prochain pour appâter les gogos comme moi qui viendront voir dans deux ou trois ans le onzième épisode.

La bande-annonce

Back to Black ★☆☆☆

Back to Black est le titre de l’album le plus vendu d’Amy Winehouse (1983-2011) ainsi que de l’un des singles qui le composent. C’est aussi le titre retenu par Sam Taylor-Johnson pour le biopic consacré à la célèbre chanteuse londonienne.

Amy Winehouse a traversé les années 2000 comme une météorite. Sa voix, unique, sa musique, mélange de jazz, de soul et de RnB, et son apparence, ses tatouages, ses coiffures vintage et son maquillage, ont fait d’elle instantanément une star. Son décès tragique à vingt-sept ans à peine a encore grandi son aura.

En 2015, Asif Kapadia lui a consacré un documentaire remarquable, sobrement intitulé Amy. Voguant sur la popularité de la « Marilyn brune », Sam Taylor-Johnson (qui avait signé le premier épisode de la trilogie Cinquante Nuances de Grey) lui consacre un biopic.

Il suit chronologiquement la vie de la chanteuse depuis ses premiers succès jusqu’à sa mort. Avec une méticulosité appliquée, chaque épisode de la vie d’Amy est illustré par une de ses chansons dont la chanteuse écrivait elle-même les paroles : par exemple Rehab raconte son refus de suivre une cure de désintoxication, Back to Black son désarroi quand son amoureux l’a quittée pour renouer avec son ex-fiancée.

Sa liaison fusionnelle avec Blake Fielder-Civil est l’autre sujet du film. Ses chansons portent le témoignage de cette liaison orageuse marquée par les ruptures et les réconciliations, caractéristiques d’une « co-dépendance toxique ».

Back to Black repose tout entier sur les – frêles – épaules de son héroïne, interprétée par Marisa Abela. L’actrice britannique de vingt-sept (!) ans, qui tenait un petit rôle dans Barbie, est particulièrement inspirée. Mais son interprétation, qui lui vaudra peut-être quelques récompenses méritées, ne suffit pas à sauver ce biopic auquel on préfèrera amplement le documentaire de Asif Kapadia.

La bande-annonce

Première Affaire ★★☆☆

Nora (Noée Abita) vit encore chez ses parents et n’a jamais eu de relation amoureuse. Elle travaille auprès d’un brillant avocat d’affaires parisien (François Morel à contre-emploi) qui l’envoie sans préavis à Arras assister un client en garde à vue bientôt accusé d’homicide. Pour la jeune avocate, dont c’est la première affaire, le bizutage est rude : la culpabilité de son client, dont elle était pourtant convaincue de l’innocence, se révèle peu à peu tandis que Nora se rapproche dangereusement, au risque de violer la procédure, du brigadier de police (Anders Danielsen Lie) chargé de l’enquête.

On voit ces temps-ci se multiplier les films mettant en scène des jeunes femmes qui, à l’heure de basculer dans l’âge adulte, font brutalement le double apprentissage de la vie professionnelle et amoureuse : Rebecca Marder dans De grandes espérances, Louise Chevillotte (qui fait une apparition trop brève ici) dans Le Tableau volé, Ella Rumpf dans Le Théorème de Marguerite, Suzanne Jouannet dans La Voie royale, Anaïs Demoustier dans Alice et le Maire, Nadia Tersezkiewicz dans Les Amandiers, Alice Isaaz dans Vivants…. au point de constituer un nouveau sous-genre.

Première Affaire a le défaut de se rajouter à cette liste déjà longue qui risque de devenir un peu répétitive. Mais il le fait avec un talent qu’il faut lui reconnaître. Sa réussite doit beaucoup à son actrice principale, Noée Abita, découverte dans Slalom. Sa voix melliflue et sa mine boudeuse peuvent certes irriter ; elle n’en incarne pas moins à la perfection cette jeune femme qui peine à trouver sa voie.

Le problème de Première Affaire est de brasser beaucoup (trop) de sujets. Le principal, qu’annonce son affiche, est vite délaissé. Il était pourtant passionnant. Mais Première Affaire ne se focalise pas sur ce sujet là. Il en explore bien d’autres. Le premier, dont il se délestera là aussi trop vite est le pur polar : le jeune Jordan Blesy (Alexis Neises, plus neuneu que nécessaire) est-il coupable du crime dont on l’accuse ? Le deuxième est l’histoire d’amour qui se noue entre l’avocate (naïve) et le (beau) policier : la « première affaire » évoquée par le titre renvoie peut-être à cette première passion amoureuse à laquelle Nora risque de se brûler les ailes en y compromettant sa carrière. Enfin, troisième registre narratif, le film évoque la famille de Nora – avec une mention spéciale à sa mère interprétée par Saadia Bentaïeb en immigrée algérienne obligée de fuir son pays pendant la décennie noire – et sa difficulté à couper le cordon ombilical.

C’est beaucoup, c’est trop pour un film dont j’aurais aimé, déformation professionnelle oblige, qu’il se concentre sur son sujet principal : les dilemmes moraux posés à l’avocat, le soutien inconditionnel qu’il doit à son client, la répugnance à le défendre quand sa culpabilité ne fait guère de doute, les risques de le faire libérer alors qu’il constitue un danger pour la société….

La bande-annonce

Border Line ★★☆☆

Diego est vénézuélien et urbaniste ; Elena est espagnole et danseuse. Ils quittent ensemble Barcelone pour Miami où ils ont décidé de s’installer et d’entamer une nouvelle vie. Leurs visas sont en règle. Pourtant, à l’escale de Newark, au moment de rentrer sur le territoire américain, le service de l’immigration les intercepte pour procéder à des « investigations complémentaires ».

Si vous avez déjà atterri aux Etats-Unis, peut-être avez-vous franchi la douane avec un frisson d’appréhension. Sans doute n’aviez-vous rien à vous reprocher et, dès lors, rien à craindre. Pour autant, les moyens impressionnants déployés, le manque d’amabilité des policiers, les questions aboyées dans un sabir incompréhensible, ajoutés à la fatigue du vol et du décalage horaire vous ont-ils mis mal à l’aise, voire vous ont-ils laissé craindre une détention arbitraire dans les sous-sols de JFK ou de LAX.

C’est sur ce sentiment-là, à la fois très commun et irrationnel, que Border Line prospère. Le titre original de ce film réalisé par deux Vénézuéliens installés en Espagne, qui disent s’être inspirés de témoignages réels, était La Llegada (l’arrivée) ou Upon Entry dans sa version internationale. Le titre français se veut polysémique même si on ne voit pas très bien lequel des personnages est atteint de troubles de la personnalité limite (borderline).

Je lis depuis quelques jours des critiques élogieuses, dans la presse et chez des amis : « huis clos aiguisé », « scénario diabolique », « petite pépite de suspense »…. Sans doute Border Line, qui a raflé plusieurs prix, notamment au festival international du film policier de Reims ou au festival Premiers Plans d’Angers n’a-t-il pas volé ces commentaires élogieux. C’est une belle mécanique de précision, aussi concise (soixante-dix-sept minutes à peine) qu’efficace.

Mais, la faute peut-être à ce bouche-à-oreille si dithyrambique, le film a été un chouïa en-dessous de mes attentes. J’ai trouvé en particulier qu’il usait et abusait d’un seul ressort répétitif – la toute-puissance que s’octroient les gardes-frontières les autorise aux questions les plus humiliantes – et qu’il était construit autour d’un enjeu finalement mal exploité : nos deux voyageurs ont peut-être plus à se reprocher qu’on ne l’aurait pensé si bien que l’agressivité des policiers n’est peut-être pas si disproportionnée qu’on l’aurait cru. J’escomptais plus de rebondissements d’un film qui finalement en compte fort peu.
Redoutant de trop en dire, je ne dirai rien de la dernière scène qui clôt magistralement ce huis clos oppressant.

La bande-annonce

Le Déserteur ★★☆☆

Shlomi a dix-huit ans et accomplit son service militaire. Sans l’avoir vraiment prémédité, il déserte l’unité combattante dans laquelle il est engagé à Gaza pour revenir à Tel Aviv y dire adieu à sa copine qui émigre au Canada le lendemain.

Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre et la guerre totale déclenchée à Gaza, ce film israélien, tourné par un jeune réalisateur qui ne cache rien de son hostilité viscérale à la politique menée par Benjamin Nétanyahou, prend un relief particulier.

Il témoigne d’abord de l’extraordinaire liberté d’expression qui prévaut en Israël : quel régime accepterait, en pleine guerre, un film dont le héros serait un déserteur ?

Il témoigne surtout d’une jeunesse prise en otage par une spirale guerrière qu’elle ne veut pas. Shlomi, incroyablement habité par le jeune acteur Ido Tako, n’est pas un militant pacifiste. C’est juste un fils, attaché à ses parents et à sa grand-mère, menacée par Alzheimer. C’est juste un gamin, amoureux de sa petite amie avec la folle déraison qui caractérise les gamins de cet âge. Il y a quelques pans cachés dans sa personnalité : il ne nourrit aucun projet professionnel, on ne lui voit pas d’amis. Ce personnage m’a déconcerté : il n’est pas tout entier défini par un trait de caractère comme le sont habituellement les héros hollywoodiens.

Le film, assez déroutant, repose sur un motif à la fois tragique et burlesque : Tsahal, persuadé que Shlomi a été kidnappé par le Hamas, lance une offensive de grande ampleur à Gaza pour le libérer. Aussi Shlomi se retrouve-t-il face à un dilemme : continuer à se cacher et laisser les combats faire rage ou se rendre et être sévèrement puni. J’ai eu peur un instant que le scénario faute de savoir se dépêtrer de cette alternative nous laisse en plan ; mais j’ai beaucoup aimé la manière astucieuse dont il s’en sort.

La bande-annonce

Une affaire de principe ★☆☆☆

En 2012, le commissaire européen à la santé, le Maltais John Dalli (Bernard Campan), démissionne de son poste suite à la publication d’un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) l’accusant de trafic d’influence. Suspectant un coup fourré de l’industrie du tabac, l’eurodéputé José Bové (Bouli Lanners), aidé de son assistant parlementaire (Thomas Vdb) et d’une jeune stagiaire débrouillarde (Céleste Brunnquell) va mener l’enquête et révéler que Dalli, qui s’apprêtait à faire voter une directive imposant le paquet de tabac neutre, a été victime d’un piège.

Une affaire de principe est l’adaptation du livre publié en 2015 par José Bové au titre révélateur Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe. Pour autant, comme l’annonce le carton placé au début du film, si le film s’inspire de faits réels, les situations et les dialogues y ont été fictionnalisés.

Et c’est bien là que le bât blesse. Tout au long du film, aussi réussi soit-il, une voix lancinante me murmurait à l’oreille : le propos n’aurait-il pas été plus efficace s’il avait été tourné sous la forme d’un documentaire ? quelle est la valeur ajoutée d’une fiction ?

Car Une affaire de principe a le défaut rédhibitoire de la fiction, formatée pour la télévision (et coproduit par France 3) : il lui faut des personnages charismatiques, quitte à les inventer de toutes pièces, comme cette improbable stagiaire qui, avec son ordinateur et une photocopieuse, va de révélation en révélation, une intrigue rebondissante, avec des scènes rocambolesques, comme celle pendant laquelle José Bové prend connaissance d’un accord secret entre la Commission et l’industrie du tabac, et un scénario suffisamment lisible pour ne pas perdre en chemin les spectateurs ignorants des arcanes bruxellois, au risque, pour ceux qui les connaissent un peu, de quelques raccourcis simplistes.

L’autre reproche que j’adresserais à Une affaire de principe – et que j’adresserai également à ces « thrillers de bureau » ou techno-thrillers qu’on voit fleurir depuis quelque temps (L’Ivresse du pouvoir, La Fille de Brest, La Syndicaliste, Enquête sur un scandale d’Etat, Les Algues vertes…) – est de nourrir le soupçon complotiste du « tous pourris », de l’existence d’une foultitude d' »affaires d’Etat » fomentées par des dirigeants corrompus, encouragées par une technocratie aux ordres et ignorées par une justice dépassée. À quelques jours d’un scrutin qui flatte les populismes de tous bords, l’Europe et ses institutions méritent mieux.

La bande-annonce

Agra ★☆☆☆

Guru a vingt-cinq ans. Tanguy malgré lui, il est coincé dans la maison familiale, entre son père, sa mère et sa tante – dont son père a fait sa seconde épouse au grand dam de la première. Il aimerait pouvoir gagner un peu d’indépendance en s’installant sur la terrasse ; mais une cousine l’a déjà préemptée qui souhaite en faire son cabinet dentaire. La seule solution pour Guru : se marier. Mais avec qui ?

Agra se déroule dans cette ville indienne surpeuplée située à deux heures de train de New Delhi, célèbre dans le monde entier pour le Taj Mahal. Hélas ou tant mieux, on n’en verra rien, dans ce film qui tourne le dos à la carte postale et qui reste tout entier concentré sur son sujet : la cohabitation forcée en Inde et les dégâts qu’elle cause.

Si le cinéma indien, loin des romances sucrées de Bollywood, est parfois zébré d’éclairs de violence, il reste toujours très chaste. Tel n’est pas le cas d’Agra qui n’a pas volé son interdiction aux moins de douze ans et l’avertissement qui l’accompagne. Les scènes de sexe, très crues, s’y succèdent, qui mettent en scène notre héros, érotomane pathologique, avec ses partenaires réelles ou fantasmées.

La maison où se pressent Guru et sa famille est une métaphore de l’Inde surpeuplée dont la cohabitation des habitants n’est pas toujours pacifique. Le jeune homme est représentatif des personnes de sa génération, tiraillées entre l’obéissance due aux aînés et le désir d’émancipation, le tout sur fond de frustration sexuelle qui s’épanche tant bien que mal grâce aux sites de rencontres et risquent parfois de dégénérer en violences sexuelles.

Le film est bizarrement construit, loin des standards auxquels le spectateur occidental est accoutumé. Il démarre très fort par une scène cauchemardesque qu’on n’est pas prêt d’oublier. Son scénario soulève des questions stimulantes : la maîtresse du père conspire-t-elle avec lui à l’éviction de la famille ? la femme que rencontre Guru accepte-t-elle uniquement de l’épouser par intérêt ? Et puis, bizarrement, il laisse ces questions en jachère, Agra se terminant en épingles à cheveux.

Agra vaut certes le détour par la vision originale qu’il donne de l’Inde, loin des images de carte postale ; mais son scénario est décevant qui nous plante au beau milieu sans répondre aux questions qu’il soulève.

La bande-annonce

Enys Men ★★☆☆

Une botaniste s’est installée seule dans une île déserte pour y observer des plantes rares. Nous sommes au large de la Cornouaille, en avril 1973. Rien ne vient troubler la morne répétition des jours. Mais ce train-train quotidien se dérègle mystérieusement.

Enys Men, une expression cornique (!) signifiant l’île de pierre, est un film étonnant. Tourné en 2022, son action est censée se dérouler une cinquantaine d’années plus tôt. Il emprunte la forme et les codes des films des années 70 : le grain de l’image a été désaturé et sa pigmentation volontairement altérée pour donner au spectateur l’illusion de redécouvrir en ciné-club un vieux film dégradé.

Enys Men utilise les codes du folk horror, un sous-genre du film d’épouvante dont l’action se déroule dans des communautés reculées aux mœurs mystérieuses. Les titres les plus emblématiques de ce genre sont The Wicker Man et, plus récemment, Midsommar, mon film préféré de 2019.

Enys Men n’est pas à proprement parler un film d’horreur. Il ne contient aucune scène horrifique. Mais y règne tout du long un climat inquiétant. Son héroïne et le spectateur avec elle pressentent quelque chose. Mais quoi ? Des figures fantomatiques surgissent : une jeune fille suicidaire, des sorcières en plein sabbat autour d’une mystérieuse formation géologique (ou bien s’agit-il d’une pierre dressée préhistorique ?), des mineurs couverts de suie revenus du passé… Le temps se dérègle. Les plantes connaissent de déconcertantes mutations que semble vivre en même temps le corps de l’héroïne, qui se couvre d’un douteux lichen.

Enys Men est une expérience déconcertante. Car si on pressent quelque chose, rien ne s’y passe sinon dans notre inconscient. Il faut accepter de lâcher prise et se laisser prendre à ce jeu hypnotisant. SInon on court le risque de trouver le temps long. Très long.

La bande-annonce

Smoke Sauna Sisterhood ★☆☆☆

Une petite cabane isolée au cœur de la forêt, au bord d’un lac minuscule. C’est un sauna à fumée au fin fond de l’Estonie. Les femmes s’y retrouvent, hiver comme été, à l’abri du regard des hommes. Elles s’y lavent, s’y soignent, s’y détendent. Elles y parlent aussi.

Anna Hints pénètre dans un sauna. C’est une ancienne tradition fennique, qui tient tout à la fois de coutume de sociabilité et de rituel chamanique de purification. Elle a su conquérir la confiance de ses habituées et recueillir leur parole.

Smoke Sauna Sisterhood est un documentaire d’une infinie retenue. Les corps y sont nus, luisants de sueur. Mais le regard que la réalisatrice porte sur eux, toujours bienveillant, ménage leur pudeur et cache leur visage si elles n’ont pas accepté de le montrer.

La même retenue préside au recueil de la parole. Des confidences sont échangées. Les femmes y parlent d’elles, de leur corps, de leur enfance, de la maternité, de la maladie, de la mort qui vient. Dans un long monologue poignant, une femme raconte le double viol qu’elle a subi dans sa jeunesse.

Smoke Sauna Sisterhood est aux antipodes de la publicité pour l’inscription du sauna à fumée au patrimoine de l’Unesco que son sujet aurait pu laisser craindre. C’est plutôt, comme son titre d’ailleurs l’annonce, un documentaire sur la sororité – où l’on ne verra pas l’ombre d’un mâle.

Primé au festival de Sundance, Smoke Sauna Sisterhood a néanmoins le défaut de ses qualités. Il est tout entier contenu dans son dispositif : la caméra ne quitte jamais les quatre murs du sauna, sinon pour plonger dans le petit lac mitoyen, et enchaîne à la file des monologues vite monotones. Il devient vite soporifique, même s’il a l’élégance de ne pas dépasser les quatre-vingt-dix minutes.

La bande-annonce