Pendant douze années, de sa rentrée en première année de médecine à Besançon jusqu’à la soutenance de sa thèse en 2021 à la Timone à Marseille, Antoine Page a filmé son frère cadet.
On pourrait croire le sujet ultra balisé. Il l’est. L’hôpital en général, la formation des jeunes médecins en particulier ont fait l’objet d’une palanquée de fictions et de documentaires. Il suffit de citer Hippocrate ou Première Année. Le réalisateur Thomas Lilti semble s’être même fait une spécialité de ce sujet au point de l’ériger en nouveau genre cinématographique.
Pour autant, ce Toubib réussit à surprendre et à émouvoir.
On ne peut d’abord qu’être admiratif devant l’ambition de ce projet au long cours mené sur plus de dix années. On imagine les écueils qu’il a rencontrés, les aléas qu’il a subis. Combien de fois le réalisateur ou son frère ont-ils failli y renoncer avant de finalement le mener à bien et lui conserver, grâce à un montage intelligent, son unité ?
Toubib nous parle de médecine. Il interroge la formation des futurs médecins, obligés, durant la première année, à un bourrage de crâne qui sollicite moins leur intelligence que leur mémoire et leur endurance. À rebours des valeurs portées par la profession, la sélection ne retient pas les plus humains ni les plus altruistes, mais les plus endurants et les plus déterminés. Toubib interroge aussi le sens du soin, l’attention portée à l’autre, à sa souffrance, l’écoute nécessaire… Comme en a la révélation le jeune étudiant « la médecine, c’est très simple : ce sont quelques connaissances et beaucoup d’observation ».
Le propos est politique. Soigner les corps ne sert à rien dans une société malade. « Voter à gauche est le meilleur service à rendre à la santé publique » nous dit-il en riant lors d’un remplacement dans le désert médical des monts des Cévennes.
Mais Toubib est aussi un Bildungsroman. C’est la formation, de dix-huit à trente ans, d’un homme qu’on voit murir sous nos yeux en moins de deux heures. Toubib est servi par son héros : Angel , non content d’être très intelligent et diablement séduisant, est profondément sympathique. Le documentaire nous apprend qu’il a perdu son père dans son enfance et qu’il marche sur ses traces en devenant, comme lui, médecin généraliste. Mais sa vocation n’est pas purement le produit de l’hérédité. Elle s’affine avec l’expérience. Sous nos yeux, Angel devient médecin social, façon Bardamu, dans les quartiers nord de Marseille.
Cette évolution est d’autant plus émouvante qu’elle a été filmée par son propre frère. On s’imagine ce qui s’est noué entre eux pendant le tournage, le lien fraternel qui a utilisé ce prétexte pour se prolonger et peut-être se renforcer après la fin de l’enfance. La pudeur avec laquelle il est suggéré ne le rend que plus touchant.