Nat a décidé de tout quitter. Elle ne supporte plus son travail d’interprète à l’OAR et les récits traumatisants des demandeurs d’asile. Elle se réfugie dans un minuscule village de la Rioja dans le nord de l’Espagne. Elle y loue à un propriétaire sans scrupule une bâtisse en ruines dont le toit prend l’eau. Ses voisins lui portent une attention mielleuse aux relents troubles. L’un d’entre eux, Andreas, lui met entre les mains un marché.
Isabel Coixet en a marre d’être sans cesse renvoyée à ses premiers films. Cette réalisatrice catalane, aujourd’hui âgée de 64 ans, a eu le tort de signer au début des années 2000 deux bijoux : Ma vie sans moi (2003), où Sarah Polley interprète le rôle d’une jeune mère qui choisit de ne pas dire à sa famille qu’elle souffre d’un cancer incurable, m’avait arraché des sanglots ; The Secret Life of Words (2005), qui met face à face sur une plate-forme pétrolière une infirmière malentendante et un homme rendu aveugle par un grave accident, était poignant. Cette autodidacte volcanique, à l’humour décapant, a touché à tous les genres : la publicité, les clips, les séries, les courts et les longs métrages, pas toujours distribués en France.
Présenté au festival international de San Sebastian en septembre 2023, sorti dans la foulée dans les salles espagnoles, sept fois nominé aux Goyas, Un Amor a mis près d’un an à traverser les Pyrénées. Une salle pleine à craquer des amis, nombreux, de la réalisatrice et de son conjoint, l’avocat des droits de l’homme Reed Brody, l’a chaleureusement applaudi lors de sa projection en avant-première au Grand Action lundi dernier.
Isabel nous avait prévenus avant la projection : « le film gratte ». Le fameux marché qu’Andreas met entre les mains de Nat, et dont on dira rien pour ne pas le divulgâcher, est sacrément surprenant, pour ne pas dire qu’il manque de crédibilité. Un Amor évoque irrésistiblement As Bestas, les paysages pluvieux du nord de l’Espagne, la dureté des relations de voisinage qui règnent entre les néo-ruraux, venus y chercher un second départ, et les habitants du cru. L’interprétation de Hovak Keuchkerian, un ancien boxeur, champion d’Espagne poids lourds, à la stature de colosse et aux poignes de bûcheron, m’a rappelé Denis Ménochet, Gregory Gadebois ou Raphaël Thiery dans L’Homme d’argile. La sensualité animale du film évoque enfin celle de L’Amant de Lady Chatterley.
Loin de crouler sous toutes ces références écrasantes, Un Amor trouve sa voie bien à lui. Il le doit à l’interprétation fiévreuse de Laia Costa. La jeune actrice espagnole crevait l’écran dans Victoria, le film berlinois tourné en un seul plan-séquence. Un Amor repose tout entier sur ses (pas si) frêles épaules. C’est à travers ses yeux qu’on découvre ce bout du monde reculé. C’est à travers les errances de son désir qu’on l’accompagne jusqu’à la séquence libératrice finale.
Quelle magistrale présentation et critique ! Je suis d’accord : Il y a des résonances d’univers, d’ambiance avec As Bestas et sur le plan sensuel, beaucoup de ressemblance superficielle avec l’Homme d’argile. Mais c’est vrai que le film suit sa propre voie et que l’amour n’est pas là où l’on aurait pu le croire !