The Apprentice ★★☆☆

Comme son titre, emprunté à l’émission de téléréalité diffusée sur NBC en 2004, l’annonce, The Apprentice raconte les années de formation de Donald J Trump dans les décennies 70 et 80, sous la houlette de Roy Cohn (1927-1986), un avocat sans scrupules, venu de la droite républicaine (il fut le conseiller juridique de McCarthy et le procureur général qui envoya à la chaise électrique les époux Rosenberg).

Les Etats-Unis sont décidément un pays fascinant. Comment un tel film, sans concession pour son ancien (et futur ?) président, a-t-il pu s’écrire, se financer, se tourner, être distribué sans en être empêché par une armée d’avocats ? Si Kamala Harris avait besoin d’un clip de campagne, certes un peu long, The Apprentice en serait un tout trouvé.

À force de voir le septuagénaire, on avait oublié que Donal Trump, né en 1946, avait été jeune. Dans les années 70, il marche encore sur les traces de son père, un magnat de l’immobilier. Écrasé par la figure paternelle, il trouve en Roy Cohn une figure paternelle de substitution, qui l’introduit au gotha new yorkais et le sort de quelques mauvais pas. C’est auprès de lui qu’il se forge un mental de tueur, un cynisme à toute épreuve et une idéologie simpliste : le monde est composé de deux catégories d’individus, les winners et les losers.

The Apprentice ne reconnaît au futur 45ème président des Etats-Unis aucune circonstance atténuante. Donald Trump ne montre aucune compassion pour son frère aîné, qui mourra alcoolique en 1981. C’est un prédateur sexuel qui jette son dévolu sur une mannequin tchécoslovaque, Ivana Zelníčková, qui lui fera trois enfants avant d’être copieusement trompée et répudiée. C’est surtout un homme d’affaires sans scrupules à l’ego étourdissant. The Apprentice ne lui épargne rien, qui stigmatise son obésité, sa calvitie.

Le film est servi par l’interprétation impressionnante de ses deux héros. Sebastian Stan pousse la ressemblance avec son personnage à un point inouï. Mais Jeremy Strong n’est pas loin de lui voler la vedette dans le rôle, vénéneux à souhait, de Roy Cohn, tour à tour sublimement maléfique et pathétiquement pitoyable.

The Apprentice est remarquablement écrit. Son scénario, qui revisite l’histoire américaine des décennies 70 et 80, la chute de Nixon, la quasi-faillite de la ville de New York, les années disco et Sida, est mené à un rythme d’enfer. The Apprentice n’a qu’un seul défaut : son héros est tellement détestable qu’un film qui lui est tout entier consacré n’est franchement pas agréable à voir.

La bande-annonce

Lee Miller ★☆☆☆

Née aux Etats-Uni en 1907, Lee Miller émigre très jeune à Paris où elle fait la une de Vogue, devient la muse de Man Ray et sa maîtresse, participe au mouvement surréaliste. La Seconde Guerre mondiale la trouve à Londres où elle est devenue reporter pour Vogue. À la Libération elle est missionnée sur le continent. Elle accompagnera l’avancée des armées américaines en compagnie de David Sherman, photographe pour Life. Elle y prendra des clichés passés à la postérité.

Il y avait de quoi saliver à l’annonce de ce biopic mettant en scène l’une des plus célèbres photographes de guerre du siècle dernier interprétée par Kate Winslet, l’une des plus fameuses actrices du siècle présent. Sa réplique du tac au tac à la question sexiste que lui a posée Pierre Lescure la semaine dernière pendant la promotion du film lui a procuré une publicité supplémentaire.

La déception hélas est à la hauteur de l’attente suscitée. Malgré la débauche de moyens et d’effets spéciaux, Lee (Lee Miller dans sa version française) ne parvient pas à se hisser au-dessus du lot. La faute à un scénario qui, pour la millionième fois, recourt au flashback, mettant en scène l’héroïne au crépuscule de sa vie répondant aux questions du journaliste (Josh O’Connor) venu l’interviewer. La faute aux approximations d’une superproduction hollywoodienne qui horripile le spectateur français : un stagiaire de troisième n’aurait-il pas pu vérifier sur Google Maps que Mougins n’est pas une commune balnéaire ou qu’il est douteux qu’un panneau de signalisation à la frontière franco-allemande indique la destination de Leipzig ? La faute à une histoire qui coche un peu trop scrupuleusement les étapes de son reportage : la prise de Saint-Malo par la 83ème division aéroportée sous le napalm américain, l’ouverture des camps de la mort et bien sûr cette photo iconique prise dans la baignoire d’Hitler à Munich.

La faute surtout selon moi – mais j’ai conscience de m’aventurer sur un terrain dangereux – à un parti pris féministe qui, avant de considérer Lee Miller comme une photographe la considère comme une femme. Une femme en butte au sexisme ordinaire qui prévalait dans les années quarante et qui prévalait de plus fort dans les rangs de l’armée. Une femme qui sait se jouer de tous les obstacles à force d’intelligence, d’humour, d’aplomb ou d’entêtement. Une femme traumatisée dans sa petite enfance et qui en fait la confession au moment le plus incongru du film, comme si le scénariste avait été contraint de placer ce passage obligé quelque part et n’importe où.

On me dira que Lee Miller est le portrait d’une « femme puissante » – l’expression est à la mode – interprétée par une des actrices les plus représentatives de cet empowerment. Ce n’est pas faux. Mais je regrette que son biopic à l’êre #MeToo se réduise à la liste des obstacles qu’elle a dû franchir pour être reconnue. Comme l’avait montré l’excellent livre de Marc Lambron, L’Œil du silence (Flammarion, 1983), la principale qualité de Lee Miller, la raison pour laquelle elle est entrée dans la légende n’était pas son sexe, mais ses photos. Et on regrettera qu’il faille attendre le générique de fin pour les voir.

La bande-annonce

L’Histoire de Souleymane ★★★☆

Souleymane Bagaré a fui la Guinée à la recherche d’une vie meilleure pour lui et pour sa mère malade laissée au pays. Il a traversé le Sahara, la Méditerranée et a rejoint la France. À Paris, il tire le diable par la queue, dort au 115, sillonne la ville à vélo pour y livrer des repas, alors que son statut de demandeur d’asile lui interdit de travailler. Il comparaît dans deux jours à l’Ofpra qui statuera sur sa demande de titre. Son dossier est fragile : faute d’avoir lui-même subi des persécutions, Souleymane s’est procuré  auprès d’un compatriote moyennant finances un récit apocryphe qu’il peine à mémoriser.

L’Histoire de Souleymane nous vient de Cannes où il a obtenu le prix du jury et où Abou Sangaré a remporté le prix du meilleur acteur, alors même qu’il était sous le coup d’une OQTF. C’est le troisième film de Boris Lojkine, un normalien, agrégé de philo, passé par le documentaire, auteur de Hope et du remarquable Camille dont l’actrice principale, Nina Meurisse, illumine la dernière et la plus longue scène de ce film.

Le scénario de L’Histoire de Souleymane est étouffant. Son rythme haletant m’a rappelé celui d’À plein temps. Les héros de ces deux films doivent relever le même défi d’un quotidien en apparence anodin. On dira que Souleymane a la poisse. Mais ce n’est pas le cas. Sa vie n’est pas qu’une succession d’avanies. La quasi-totalité de ses livraisons se passent bien, les personnes qu’il croise font souvent preuve à son égard de gentillesse ; mais il suffit d’une chute à vélo, d’une altercation avec un restaurateur, d’une autre avec le titulaire de son compte Uber pour que tout dérape.

Le scénario manque d’être victime de cette facilité : ajouter à ce quotidien déjà bien chargé une déconvenue supplémentaire. Mais il n’y cède pas. Comme chez les frères Dardenne, il filme un héros qu’on qualifierait à tort de résilient : Souleymane a-t-il en effet le luxe de pouvoir ne pas l’être ? Quel choix a-t-il sinon encaisser les coups du sort en serrant les dents ?

Comme la Lily de Pierre Perret, venue vider les poubelles à Paris, Souleymane est politiquement correct. À l’image repoussoir de l’immigré, délinquant et/ou paresseux, il oppose celle, autrement vertueuse, du damné de la terre qui demande simplement à jouir des fruits de son travail honnêtement gagnés dans son pays d’accueil. Il serait bien cynique de s’en moquer.

La bande-annonce

Vivre, mourir, renaître ★★☆☆

Nous sommes à Paris au début des années 90. Emma (Lou Lampros) et Sammy (Théo Christine) vivent en couple et viennent d’avoir un petit garçon. Leur nouvel appartement est situé juste au dessus du studio de développement de Cyril (Victor Belmondo), un photographe talentueux en pleine ascension. Irrésistiblement attirés l’un par l’autre, Sammy et Cyril ont une liaison. Mais Cyril est séropositif.

Les tons de l’affiche de Vivre, mourir, renaître m’ont rappelé ceux des Nuits fauves de Cyril Collard. L’association d’idées doit sans doute beaucoup au sujet commun des deux films tournés à plus de trente ans de distance : les amours contrariées au temps du Sida, avec la mort qui rôde.

Que ce film-ci soit signé par Gaël Morel n’est pas anodin. Inconnu du grand public, Gaël Morel est né en 1972 et fut choisi en 1994 par André Téchiné pour jouer le rôle principal des Roseaux sauvages, le portrait largement autobiographique d’un adolescent faisant la découverte de son homosexualité sur fond de guerre d’Algérie. Gay lui aussi, Gaël Morel traversa les années Sida avant de se tourner avec succès vers la réalisation (À toute vitesse, Prendre le large…). Il reste très engagé dans le combat pour les droits LGBT.

Vivre, mourir, renaître pourrait être un marivaudage bisexuel, un Jules et Jim AC/DC (pour reprendre la jolie traduction croate de « à voile et à vapeur ») s’il n’était lesté de l’ombre portée par la menace du Sida. En voyant sa bande annonce, je maugréais in petto, lui faisant le procès de tout nous dévoiler du film. J’avais tort de ronchonner : l’histoire qui y est racontée n’est pas celle que j’avais présagée. Sa construction, ses rebondissements, ses bifurcations m’ont rappelé par leur richesse et les surprises qu’ils ménagent le dernier Ozon que j’avais vu juste avant.

Le trio d’acteurs qui porte le film m’inspire des sentiments contrastés. Ils sont tous plus beaux et plus séduisants les uns que les autres. Au point de soulever un questionnement métaphysique : le cinéma a-t-il le droit (ou le devoir) de filmer des acteurs aussi beaux ? Ne risque-t-il pas ainsi de se couper de la réalité ? Depuis que le cinéma existe, il a toujours mis sous les feux de la rampe les acteurs et plus encore les actrices les plus photogéniques. À cette aune, la stupéfiante Lou Lampros est à couper le souffle. Mais il faut reconnaître que Victor Belmondo, qui toute sa vie devra se battre pour faire oublier son patronyme, et Théo Christine, avec ou sans T-shirt, ne sont pas mal non plus….

La bande-annonce

Quand vient l’automne ★★★☆

Michelle (Hélène Vincent) est une grand-mère aimante, une vraie Mamie Nova. Elle se réjouit d’accueillir pour les vacances de la Toussaint, dans sa belle maison nivernaise sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) et son petit-fils Lucas. Tout près de chez elle réside sa vieille amie Marie-Claude (Josiane Balasko) qu’elle conduit régulièrement à la prison où son fils, Vincent (Pierre Lottin), purge une courte peine. Mais les apparences de ce quotidien banal sont trompeuses.

Depuis sa sortie mercredi dernier, je lis ici et là des commentaires souvent désagréables sur le vingt-troisième film de François Ozon. On reproche au réalisateur sa productivité trop élevée. On l’accuse d’avoir recyclé ses fonds de tiroir, de raconter une histoire sans intérêt au tempo trop mou.

Je trouve ces critiques bien injustes. Quand vient l’automne est, comme son titre l’indique, un film automnal. Ça tombe bien : il sort en salles le 2 octobre. François Ozon est beaucoup trop malin pour que son titre ne soit pas à double sens. L’automne, c’est la saison à laquelle commence l’intrigue, l’époque de la cueillette des champignons, qui, assaisonnés au beurre et à l’ail, peuvent constituer un plat délicieusement roboratif…. ou dangereusement toxique. L’automne, c’est aussi la période de la vie dans laquelle Michelle est entrée, lestée d’un lourd passé, avec comme seul horizon la mort qui vient et comme seul dérivatif l’amour qu’elle porte à sa fille, qui le lui rend bien mal, et à son petit-fils.

Si souvent le cinéma de Ozon cache une ironie féroce, il n’y a nul second degré ici. Son scénario diablement bien écrit rappelle Chabrol ou Simenon. Il ne paie pas de mine mais est lourd de sous-entendus. Il contient son lot de rebondissements et de bifurcations qui soutiennent l’attention et défient le pronostic. Bien malin qui aurait pu anticiper la direction que prend le récit et son épilogue.

François Ozon retrouve Ludivine Sagnier dont il avait lancé la carrière au tout début des années 2000. Il donne le premier rôle à Hélène Vincent, l’une des figures les plus attachantes du cinéma français, inoubliable Mme Le Quesnoy chez Chatiliez, et plus inoubliable encore selon moi dans Quelques jours au printemps, un de mes films préférés. Hélène Vincent, qui réside dans le Morvan et a soufflé ses quatre-vingts bougies, incarne à la perfection les personnages ambigus d’Ozon : on se demande toujours si leur mine avenante et leurs bonnes manières doivent être prises pour argent comptant ou si elles cachent de lourds secrets.

La bande-annonce

Megalopolis ★☆☆☆

Dans un futur (ou un passé ?) dystopique, la mégalopole de New Rome est au bord du chaos. Cesar Catilina (Adam Driver), un jeune architecte, nobélisé pour l’invention d’un nouveau matériau révolutionnaire, y est en charge de l’urbanisme. Ses projets disruptifs se heurtent au conservatisme du maire, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito). La fille de celui-ci, Julia Cicero, devient l’attachée de presse de Cesar Catalina et bientôt son amante.

Il l’a fait ! À quatre-vingts ans passés, Francis Ford Coppola a enfin réalisé le projet qu’il portait depuis plusieurs décennies. Pour rassembler la centaine de millions de dollars nécessaires à la production, il a dit-on puisé dans ses réserves personnelles et dans les profits générés par ses vignobles dans la Napa Valley. Le résultat est à l’image du personnage : gargantuesque.

On aurait aimé adorer Megalopolis, y voir le summum de la carrière d’un des plus grands réalisateurs contemporains, une œuvre à la démesure de son œuvre. Mais la vérité oblige à reconnaître, comme les festivaliers à Cannes et la critique quasi-unanime, que le résultat est raté. Megalopolis est un grand n’importe quoi foutraque. Les références à la Rome antique – et notamment à la conjuration de Catilina qui manqua renverser la république romaine, sauvée par Cicéron en 60 av. J.-C. – à Fritz Lang, à Shakespeare, au Dictateur de Chaplin, à Fellini, sont si nombreuses, si envahissantes qu’elles finissent par étouffer le film sous leur poids.

Les images sont certes envoûtantes. La bande-annonce nous avait mis l’eau à la bouche en en dévoilant quelques-unes. Mais cette débauche d’effets spéciaux tourne à vide. On décroche rapidement d’un scénario dont on ne comprend pas grand-chose sinon qu’il se résume, tout bien considéré, à opposer les rêves utopiques de César Catilina à la froideur conservatrice de Cicero et de sa clique. Quant aux acteurs, aussi prestigieux et nombreux soient-ils (Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne…), Coppola ne sait pas les diriger, les plus malaisants étant les rôles féminins (Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Talia Shire…) réduits au rang de faire-valoir.

La bande-annonce

Emmanuelle ☆☆☆☆

Après un vol intercontinental en classe affaires, agrémenté d’un passage aux toilettes, l’héroïne anonyme (Noémie Merlant) atterrit à Hong-Kong. Elle y loge dans un palace dont elle doit évaluer la qualité des prestations dans le but bientôt révélé d’en licencier la directrice (Naomi Watts).

Un Emmanuelle 2024 ? Soixante ans après la publication du roman d’Emmanuelle Arsan qui fit scandale et surtout cinquante après l’incroyable succès du film de Justin Jaeckin qui attira près de dix millions de spectateurs en salles et dont la légende affirme qu’il resta treize ans à l’affiche sur les Champs-Elysées ? Voilà un pari bien risqué. Mais un pari alléchant quand on voit le trio féminin et féministe qui l’a relevé. Audrey Diwan à la réalisation, auréolée du succès, ô combien mérité, de son précédent film, L’Evénément, Lion d’or à Venise en 2021, l’adaptation glaçante du roman autobiographique d’Annie Ernaux qui y racontait son avortement clandestin au début des années soixante à Rouen. Rebecca Zlotowski pour l’épauler au scénario, l’intello du cinéma français (Normale Sup, agrégation, Fémis), dont les films (Belle Épine, Une fille facile, Les Enfants des autres) peuvent se lire comme un projet de déconstruction des représentations genrées. Et enfin Noémie Merlant, la star qui, depuis son second rôle dans Portrait de la jeune fille en feu, enflamme tout sur son passage.

Emmanuelle 2024 courait le risque de décevoir tout le monde. Les vieux messieurs libidineux qui, comme moi, seraient allés le voir en espérant à tort y retrouver les émotions érotiques ressenties une cinquantaine d’années plus tôt. Et les jeunes Femen scandalisées par la réhabilitation de cette figure honnie de femme-objet.

Avec 44.000 entrées en première semaine, il a fait un bide retentissant. J’aurais pourtant imaginé qu’il suscite, au moins en première semaine, la curiosité d’un public plus nombreux.
La raison en est tout simplement que c’est un film calamiteux. On dirait une longue pub pour un parfum de luxe, ou pour une compagnie aérienne extrême-orientale. À chaque plan, on se demande si Charlize Theron ne va pas surgir d’une piscine dorée ou si une hôtesse en talons hauts ne va pas nous tendre un oshibori.

Audrey Diwan fait du neuf avec du vieux et voudrait nous faire penser que les choses ont changé. L’Emmanuelle de 1974 était une épouse oisive. Celle de 2024 (mais s’appelle-t-elle seulement Emmanuelle ?) est une cost killeuse célibataire. Sylvia Kristel évoluait à Bangkok, Noémie Merlant à Hong Kong, dans un hôtel dont elle ne franchit quasiment jamais les portes. La première était cornaquée par Alain Cuny ; la seconde court après un métis chinois, d’autant plus désirable qu’il se refuse obstinément à elle. Seul trait commun, tout bien considéré, entre les deux femmes : elles explorent leur sexualité à la recherche d’un impossible orgasme qu’elles finiront par atteindre dans un final explosif (spoiler !)

Je n’ai pas trouvé sensuelle le moins du monde l’esthétique léchée (sic) de ce film. Elle n’a suscité en moi aucun trouble. Aurais-je eu la même réaction si je l’avais vu à vingt ans, les hormones bouillonnantes ? En tout état de cause, hormones bouillonnantes ou pas, je n’y ai pas vu non plus une réflexion très stimulante sur la femme, son empowerment, son agency et la réappropriation de son plaisir.

La bande-annonce

Les Graines du figuier sauvage ★★★★

Iman vient d’obtenir une promotion dans l’appareil répressif iranien. Ce mari aimant, ce père dévoué va pouvoir offrir à sa femme Najmeh et à ses deux filles, l’aînée Rezvan étudiante et la cadette Sana encore lycéenne, de meilleures conditions de vie. Mais sa promotion fait désormais peser sur sa famille des obligations supplémentaires. Elle se doit d’être irréprochable alors que la mort brutale de Mahsa Amini, après son arrestation par la « police de la moralité » pour port du voile inapproprié jette la population iranienne à la rue au cri de « Femme, Vie, Liberté ».

Il est fréquent de filmer les dictatures du point de vue de ceux qu’elle opprime (Le Cercle rouge, La Jeune Fille et la Mort…) ou bien de celui de citoyens ordinaires insidieusement impactés par le cours des choses (Une journée particulière, L’Histoire officielle, Au revoir les enfants…). Il l’est moins d’embrasser le point de vue des oppresseurs, même si La Zone d’intérêt vient d’en donner un exemple magistral et glaçant.

Mohammad Rasoulof l’avait déjà fait dans le premier volet de Le diable n’existe pas, qui avait pour personnage principal un homme ordinaire dont on apprenait à la toute dernière image, inoubliable, qu’il officiait comme bourreau à la prison centrale de Téhéran. Son héros dans Les Graines… est un homme ordinaire, pas foncièrement antipathique, qui travaille comme enquêteur au ministère de la justice. Son travail est d’interroger les détenus et, si je l’ai bien compris, de requérir contre eux une peine. Et l’objet du film est de montrer comment cet homme peine à assumer ses fonctions face à sa famille qui les réprouve et dans une société en ébullition sur le point d’exploser contre cet ordre étouffant.

Déjà réalisateur de plusieurs films (Le diable n’existe pas, Un homme intègre) qui jouaient avec les limites de ce que la censure iranienne était capable d’accepter, Mohammad Rasoulof a tourné ce film en les transgressant sciemment. Il filme des femmes en cheveux. Plus grave : il entrecoupe son récit de videos diffusées sur les réseaux sociaux qui attestent des violences policières commises contre les manifestantes du mouvement « Femme, Vie, Liberté » Après avoir été emprisonné à plusieurs reprises, il quitte définitivement l’Iran à l’annonce d’une nouvelle condamnation à huit ans de prison en mai 2024 et s’exile en Allemagne.

Ce courage admirable est à lui seul digne d’éloges. Les réalisateurs qui ont accepté de risquer leur vie pour leur art sont suffisamment rares pour mériter notre respect. Cet engagement y est pour beaucoup dans ma critique élogieuse comme il explique sans doute en large partie le Prix spécial du jury qui lui a été décerné à Cannes. Mais il ne suffit pas. Un réalisateur courageux, aussi admirable soit-il n’est pas ipso facto un bon réalisateur.

Or Les Graines… est un grand film. Sa durée – 2h46 – peut intimider. Pourtant elle est supportable et surtout nécessaire au déroulement d’un récit qui, après un long huis clos dans l’appartement familial à Téhéran, prend le large pour une petite bourgade isolée à la campagne où le film dans son dernier quart prend des allures de thriller sinon de western.

Les Graines… est un grand film car l’histoire qu’il raconte est complexe et pleine de rebondissements, qui fait notamment intervenir une amie de Rezvan, éborgnée par la police, et où l’arme de service d’Iman mystérieusement disparue va jouer un rôle central. Les Graines… est un grand film parce que ses personnages ne sont pas monolithiques. Iman n’est pas seulement un bureaucrate, complice borné de la cruauté du régime. Najmeh n’est pas seulement une épouse aimante, aveuglément dévouée à son mari. Leurs deux filles ne se réduisent pas à la caricature d’une jeunesse remuante qui étouffe sous la chape de plomb imposée par le régime. Comme chez Renoir, les personnages sont complexes et chacun a ses raisons.

Les Graines... est un film qui nous élève. Il faut aller le voir. Pour rendre hommage au peuple iranien opprimé, au courage de ses manifestantes et de ses réalisateurs qui défient la censure. Mais il faut aller le voir surtout pour une raison simple : Les Graines… est un…..

La bande-annonce

Le Fil ★★☆☆

Convaincu de l’innocence de son client, maître Jean Monier (Daniel Auteuil) accepte de défendre Nicolas Milik (Grégory Gadebois) accusé d’avoir assassiné sa femme. Après trois ans d’instruction, le procès commence….

J’avais deux préventions à l’égard de ce film avant même de l’avoir vu.

La première était son parfum de naphtaline. Daniel Auteuil a vieilli. Il a 74 ans passés. Il a certes bien vieilli et, si j’en crois quelques amies enamourées, n’a rien perdu de son charme. Mais, depuis toujours, j’ai détesté son jeu, son timbre et ses rictus et ne comprends pas son succès. Le savoir derrière la caméra – après avoir signé trois remakes calamiteux de Pagnol – et le voir devant était plus que je n’en pouvais supporter.

La seconde était son suspens, son twist final que tous les critiques, que tous mes amis – y compris mon épouse et mon cadet qui, pour la première fois depuis au moins vingt-quatre ans, ont vu un film avant moi – évoquent et saluent. Savoir par avance qu’un film se conclura par un twist, c’est le regarder tout différemment. C’est aussi, sans être grand clerc, le prévoir. Et si le résumé du film nous dit que son héros est convaincu de l’innocence de son client, on a tôt fait d’imaginer la suite….

Je dois reconnaître que ces deux préventions-là n’étaient qu’en partie fondées.
Certes Daniel Auteuil a 74 ans et se donne le beau rôle dans un film où il est omniprésent. Certes, Le Fil est un film de procès qui respecte sans innover les règles canoniques de ce genre balisé. Pour autant, sa construction qui multiplie les flash-backs est astucieuse. Et si les rôles féminins m’ont semblé bien palots, la présence de Grégory Gadebois dans le box de l’accusé emporte tout.

Quant au twist final, aussi attendu et prévisible soit-il, il n’en reste pas moins glaçant.

Ce qui m’a dérangé peut-être le plus dans ce film est son point de vue. Il a été inspiré à Daniel Auteuil par l’une des histoires vraies racontées par Jean-Yves Moyart, alias maître Mô, un avocat pénaliste lillois devenu célèbre grâce à son blog. L’histoire, donc, est racontée du point de vue de l’avocat. Le problème est que sa perspective n’est pas la même que celle du juge. Le rôle de l’avocat – une profession que je n’ai jamais exercée mais que je connais un peu – n’est pas la recherche de la vérité. Il est de défendre son client, peu importe que celui-ci soit coupable ou innocent des faits qui lui sont reprochés. Or, Le Fil postule une position que son héros, celui du point de vue duquel l’histoire est censée être racontée, est le moins bien placé pour tenir. Autrement plus adroits étaient, dans cette mesure, La Nuit du 12, Anatomie d’une chute ou Les Choses humaines.

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All We Imagine as Light ★☆☆☆

Trois femmes travaillent ensemble à l’hôpital et vivent des amours empêchées. Le mari de Prabha est parti travailler en Allemagne et n’a plus donné signe de vie depuis un an. Celui de Parvaty vient de mourir, la laissant sans domicile. La jeune Anu, elle, n’est pas mariée. Elle entretient une relation clandestine avec un jeune homme, Shiaz, malgré leur différence de religion.

All We Imagine as Light nous arrive de Cannes tout auréolé de son succès. C’était le premier film indien en compétition officielle depuis trente ans et il y a remporté le Grand Prix, le lot de consolation pour la Palme d’or.

All We Imagine as Light a des airs de documentaire. Sa réalisatrice vient de ce genre-là, qui tourne caméra à l’épaule dans les rues de Mumbai noyées par la mousson pendant le festival de Ganapati. L’action aurait pu tout entière s’y dérouler. Mais le scénario nous entraîne dans son dernier tiers, loin de la ville, dans le sud du Maharashtra, sur la route de Goa.

J’avoue ne pas partager l’enthousiasme quasi-unanime que ce beau film suscite. On en vante la sensibilité. On en exalte la sororité. Je ne conteste nullement ces louanges. Mais j’avoue le rouge au front n’avoir pas réussi à entrer dans All We Imagine as Light – dont le titre m’est resté obscur. Dès les premières minutes je me suis senti accablé par un profond ennui devant ce trio de femmes qui, sans grande surprise, déclinent le mal-être féminin indien aux trois âges de la vie : la maturité pour Prabha, la vieillesse pour Parvaty et la jeunesse pour Anu.

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