Edouard Limonov (1943-2020) est l’enfant maudit des lettres russes. Tour à tour poète, romancier, biographe de sa propre vie, couturier, clochard, majordome, exilé aux Etats-Unis, en France, avant de revenir en Russie, d’y fonder un parti ultranationaliste avant d’être enfermé par Poutine au Goulag, il aura placé sa vie sous le signe de l’excès, à vomir la médiocrité du monde et à défendre l’indéfendable, dans une surenchère de provocation gratuite. Emmanuel Carrère lui avait consacré un livre brillant et ambigu en 2011. Kirill Serebrennikov le porte à l’écran.
Le biopic est un genre frelaté, qui joue trop souvent sur la popularité de son héros, plus que sur un réel désir de cinéma. Un tel reproche ne saurait être adressé à Limonov, la ballade qui, au contraire, constitue la rencontre parfaitement logique et attendue entre deux artistes qui se ressemblent : Serebrennikov (Leto, La Fièvre de Petrov, La Femme de Tchaïkovski), un réalisateur russe exilé, qui entretient avec son pays une relation d’amour-haine et dont le cinéma enfiévré déborde d’une énergie toxique, et Limonov, le dandy punk et misanthrope, croisement ultra-contemporain de Drieu la Rochelle et de Mick Jagger.
Cette rencontre explosive fait-elle pschitt ? Je lis des critiques tièdes voire amères. Première lui reproche d’être trop sage, trop aseptisé, Télérama déplore le cynisme de son héros, Le Monde regrette que le film consacre trop de temps à l’épisode américain et passe trop vite sur le retour à en Russie et la dérive indéfendable de Limonov dans l’ultra-nationalisme, le fascisme et l’antisémitisme – comme le faisait le roman de Carrère, plus balancé dans l’appréciation du personnage et la fascination empoisonnée qu’il suscite.
Ces critiques me semblent néanmoins bien sévères. Limonov, la ballade déborde d’une énergie punk et destructrice. Le travail de l’image est étonnant, qui donne à voir le héros dans des Super-8 tremblotants et jaunâtres qu’on dirait d’époque. Mené tambour battant, il dure plus de deux heures alors qu’on ne voit pas le temps passer. Les transitions d’une époque à l’autre sont filmées par des plans séquences semblables à ceux que Serebrennikov avait déjà tournés dans ses précédents films, d’une maîtrise bluffante. Atout de poids, l’interprétation inspirée de Ben Whishaw (Le Parfum, Bright Star, Cloud Atlas…) qui, avec un aplomb déconcertant, promène sa silhouette dégingandée d’une maigreur maladive, ses cheveux en pétard et ses lunettes intello.