Diplômé de la Fémis, Florent Gouëlou est tombé dans le drag en rencontrant Romain Eck alias Cookie Kunty. Il lui a demandé de jouer dans son court-métrage de fin d’études puis dans son premier long, Trois nuits par semaine, sorti en 2022. Florent Gouëlou a franchi le pas et se produit lui-même sur scène sous les traits de Javel Habibi, une créature aussi élégante qu’accueillante. Monsieur (ou madame ?) Loyal, Javel anime les soirées Habibi avec quatre autres drag-queens une fois par mois à la Flèche d’or, un lieu culturel installé dans l’ancienne gare de Charonne dans le 20ème arrondissement parisien.
Habibi raconte une triple histoire : celle de ce lieu hors normes, un café-concert mais aussi un lieu de vie qui propose des repas solidaires, un café associatif et assure des maraudes, celle du spectacle présenté par Florent/Javel, Les Soirées Habibi et celle des drag-queens qui y performent.
Sa distribution est originale. Le film ne sortira pas en salles mais fera uniquement l’objet de séances spéciales animées par son réalisateur accompagné par quelques un.e.s de ses ami.e.s. J’ai eu la chance d’assister à l’une d’elles, avant de partir en vacances, à Paris, dans une salle archi comble qui, à ma grande surprise, comptait un public très jeune de vingtenaires/trentenaires. Le plaisir que j’ai pris à ce documentaire doit beaucoup à la chaleureuse ambiance qui régnait dans la salle, à la joie communicative des acteurs venus débattre avec les spectateurs et à l’intelligence de leurs réponses aux questions qui leur ont été posées.
Les cinq drag queens des Soirées Habibi ne paient pas de mine. Les croiseriez-vous dans la rue en « civil » vous ne vous retourneriez pas sur eux/elles. Mais après une heure (ou plutôt deux) de patiente préparation, elles sont méconnaissables et transfigurées. Juchées sur des hauts talons improbables, gainées dans des corsets moulants, parées d’un maquillage extravagant, elles sont à couper le souffle.
Comme l’avait fait fin 2019 un autre documentaire remarquable, Les Reines de la nuit, Habibi dévoile les coulisses du drag, raconte l’obsession voire l’addiction de ces performeuses, qui consacrent leur temps libre et dépensent des fortunes, à acheter, dessiner, coudre, bricoler des tenues et des accessoires. On les voit aussi répéter leurs numéros et les interpréter avec un étonnant professionnalisme. Florent Gouëlou , qui se pose à lui-même la question, interroge leur schizophrénie : leur personnage de scène est-il un autre Moi ?
Habibi est une ode à la liberté – liberté d’être celui/celle que l’on veut – et à l’amitié. C’est aussi un film étonnamment pudique qui ne dit rien de la vie amoureuse et sexuelle de ses personnages. Sont-ils hétéro ? homo ? bi ? on n’en saura rien car tel n’est pas le sujet du film… et tant pis pour notre curiosité déplacée !