Sirāt ★★★☆

Une rave se déroule au milieu du désert marocain. Un homme (Sergi Lopez) se faufile au milieu des participants, à la recherche de sa fille, disparue quelques semaines plus tôt. Son fils l’accompagne. Lorsque la rave est interrompue par la police, Luis et son fils suivent une bande de ravers et leurs deux camping-cars qui traversent le désert pour rejoindre le lieu de leur prochaine teuf.

Sirāt nous vient de Cannes avec une réputation écrasante. Il y a remporté le Prix du jury et y a raté d’un cheveu, dit-on, la Palme d’or décernée au film iranien de Jafar Panahi, actualité politique oblige.

Son sujet est diablement original. Sirāt commence comme un documentaire musical sur une rave party filmée au milieu du désert. Un petit film français passé inaperçu s’y était essayé l’an dernier, After d’Anthony Lapia. Gaspar Noé l’avait fait également dans Climax. Oliver Laxe, qui connaît bien son sujet, y réussit très bien filmant les corps en transe des raveurs (le raveur rêve-t-il ?!) qui s’abandonnent au rythme pulsatile de la musique techno.

Mais le documentaire musical façon Woodstock prend au bout d’une demi-heure une autre direction en se focalisant sur Esteban, son fils et la bande de teufeurs qui traversent le désert en caravane vers le sud. Les paysages sont majestueux et rappellent ceux de Cent mille dollars au soleil. Les allusions cinématographiques sont d’ailleurs (trop ?) nombreuses, la troupe bohème à laquelle Esteban s’est agrégé évoquant, elle, les monstres de Freaks.

Le film menace de s’enliser dans les sables du désert et dans la pesante métaphore métaphysique que son titre ésotérique appelle (le Sirāt est dans l’Islam un pont sur l’enfer qui mène au paradis). Mais il est sauvé par deux scènes scotchantes. La première est aussi inattendue que brutale. Rien dans le scénario ne la laissait escompter. Elle leste le film d’une gravité qu’il ne parvenait pas à atteindre jusque là. La seconde est au contraire beaucoup plus longue. Elle place les personnages, et les spectateurs avec eux, au cœur d’un suspens irrespirable. Elle a vocation à devenir anthologique. À elle seule elle donne au film une valeur qu’il n’aurait pas eue sinon.

La bande-annonce

La Voie du serpent ★☆☆☆

Albert (Damien Bonnard) a été totalement dévasté par le kidnapping et la mort atroce de sa fille, huit ans. Il a décidé de se venger lui-même de ses meurtriers. Une psychiatre japonaise installée en France lui sert de complice. Ensemble, ils kidnappent l’ancien comptable d’une fondation mêlée à un trafic d’organes.

Voici le troisième film de Kiyoshi Kurosawa sorti cette année, après Chime fin mai et Cloud début juin. Ils n’ont aucun lien les uns avec les autres même si on reconnaît quelques traits communs : des histoires aux confins de la science-fiction, du thriller et du slasher, des scénarios à l’équerre, filmés à l’os, sans fioritures, des ambiances glauques…

On peut aimer… ou pas. J’appartiens plutôt à la seconde catégorie. Je reconnais volontiers au cinéma de Kiyoshi Kurosawa ses qualités, sa bizarrerie ; mais je le trouve plus dérangeant qu’autre chose. En soi, être dérangeant n’est pas un défaut pour un film. C’est même souvent une qualité. Le cinéma n’a pas pour fonction de nous conforter dans nos certitudes mais de nous dé-ranger, de nous ranger ailleurs, hors de notre cercle de confort.

La Voie du serpent est un film sur la vengeance. Il met en scène deux « victimes » qui, au nom de la justice, vont administrer aux auteurs présumés des sévices infligés à leurs enfants des souffrances plus cruelles encore. Cette loi du talion, qui n’a plus cours depuis l’Ancien Testament sinon dans quelques théocraties rétrogrades, est barbare. La voir à l’écran met mal à l’aise. Le film est d’ailleurs, à bon droit, interdit aux moins de douze ans. Une interdiction aux moins de seize ans, eu égard à la cruauté de certaines situations et de l’atteinte à la dignité humaine, n’aurait pas été selon moi disproportionnée.

Le problème de ce film-là – et au-delà des autres réalisations de Kiyoshi Kurosawa – est que cette immoralité n’est mise au service de rien, sinon d’un sombre nihilisme. Elle se conclut inévitablement dans un hangar désaffecté par une ultime course poursuite. C’est le défaut de sortir trois films par an : s’ils ne se renouvellent pas un tant soit peu, ils donnent vite l’impression de se répéter.

La bande-annonce

Fils de ★☆☆☆

Anne Chalamond (Karin Viard), l’influente conseillère stratégique du Président de la République (Karin Viard) a décidé de propulser à Matignon le sénateur Lionel Perrin (Lionel Cluzel), suite à la disqualification de la favorite pour le poste. Mais plusieurs éléments contrecarrent ce plan : l’hostilité de Patrick Schuffenecker (Alex Lutz), le futur ministre de l’intérieur, et les réticences de Lionel Perrin lui-même. Aussi Chalamond missionne-t-elle le fils de Perrin, Nino (Jean Chevalier), attaché parlementaire, en couple avec une jeune et ambitieuse journaliste de France Inter pour convaincre son père d’accepter cette nomination.

Premier long-métrage d’un jeune réalisateur biberonné à la politique, Fils de se revendique d’un genre, le film politique et d’un sous-genre, la comédie politique. On entend souvent dire que ce genre est typiquement américain et qu’il ne s’est guère exporté en France. L’affirmation est largement erronée : depuis toujours, on a vu de ce côté de l’Atlantique des films qui décrivent les coulisses du pouvoir que ce soit Le Président avec Jean Gabin ou Le Bon Plaisir qui, en pleine ère mitterrandienne, imaginait l’existence d’une fille adultérine à l’Elysée. Plus récemment, on peut citer L’Exercice de l’Etat – qu’il est de bon ton de vanter mais que j’ai toujours trouvé surcoté – La Conquête sur l’élection de Sarkozy, Bernadette, Quai d’Orsay, Président ou Second Tour que j’ai franchement détesté… sans oublier de prestigieuses séries (Baron Noir, L’État de GraceLes Hommes de l’ombre…).

Fils de m’a fait penser à un film injustement oublié qui se revendiquait aussi de ce genre : Le Poulain avec Finnegan Oldfield et Alexandra Lamy. Mais hélas, il n’en a ni l’acuité ni la saveur.

Fils de voudrait être drôle, mais ne l’ai guère sinon dans les deux répliques que la bande annonce diffusée ad nauseam tout le mois dernier, a déjà éventées. Il prétend nous dévoiler les dessous de la politique mais se réduit à une mascarade dans laquelle tous les politiciens ont un compte en Suisse ou à Singapour et une seule obsession : salir leurs adversaires pour obtenir une nomination.

Il nous entraîne l’espace d’une journée dans une folle course poursuite entre Paris et Bruxelles dépourvue de toute crédibilité. Si le parti retenu avait été celui de la satire, alors on aurait pu accepter ces débordements. Mais, en revendiquant celui du film politique, il se trompe de cible voire crée le malaise.

La bande-annonce

Chroniques d’Haïfa – Histoires palestiniennes ★★☆☆

Une famille arabe aisée d’Haïfa a bien des soucis. La société d’assurances que dirige le père est au bord de la faillite. La mère est plongée dans les préparatifs du mariage de sa fille aînée et aimerait que ses deux autres enfants prennent exemple sur elle. Mais ni l’un ni l’autre n’en prennent le chemin. Son fils, Rami, entretient une liaison avec une hôtesse de l’air juive qui lui annonce qu’elle est enceinte. La benjamine, Fifi, étudie à Jérusalem mais donne du fil à retordre à sa mère.

Scandar Copti avait co-réalisé en 2009 un portrait en creux de la ville de Jaffa, au sud de Tel-Aviv. Seize ans après ce film unique, il récidive cette fois ci dans le nord du pays, à Haïfa, la troisième ville d’Israël, réputée pour son multi-confessionnalisme : la ville abrite une importante population arabe et est la capitale spirituelle du baha’isme.

Scandar Copti n’épargne rien ni personne. Il a la dent dure avec les fondamentalistes juifs qui se battent contre les unions mixtes. Il l’a tout autant avec le patriarcat qui prévaut au sein des familles palestiniennes et qui dicte aux jeunes filles le choix de leur époux ou, pire, leur interdit toute relation sexuelle avant le mariage. Le portrait qu’il dresse de la famille de Fifi n’est pas tendre sinon pour la benjamine, campée par une jeune actrice solaire, Manar Shehab.

Prix Orizzonti du meilleur scénario à la Mostra 2024, Chroniques d’Haïfa vaut surtout par sa construction. Il est organisé en quatre chapitres, chacun offrant des mêmes faits une version légèrement décalée dans le temps et différente, façon Rashomon. Cet entrelacs particulièrement subtil stimule l’intelligence du spectateur et lui interdit de relâcher son attention. Chaque détail compte qui, mystérieux ici, s’éclairera plus tard à travers la narration d’un autre protagoniste. Ainsi de l’accident de voiture dont est victime Fifi dans la première scène du film.

On aurait aimé dire que Chroniques d’Haïfa esquisse la possibilité d’un vivre-ensemble en Israël comme le font les films d’Amos Gitaï, un natif de cette ville. Hélas, Scandar Copti ne cède pas à l’irénisme.

La bande-annonce

7 jours ★☆☆☆

Myriam (Vishka Asayesh) est une militante féministe incarcérée depuis six ans en Iran. Son mari et ses deux enfants se sont exilés en Allemagne. Myriam bénéficie d’une permission exceptionnelle de sept jours pour raison de santé. Son frère, à son insu, a organisé sa fuite pour lui permettre de rejoindre sa famille qui l’attend, en Turquie, de l’autre côté de la frontière.

Le cinéma iranien affiche décidément une remarquable vitalité. Jafar Panahi s’est vu décerer la Palme d’or pour Un simple accident dont on attend la sortie avec impatience le 1er octobre. Ces derniers mois, je me suis enthousiasmé pour Les Graines du figuier sauvage, TatamiChroniques de Téhéran, le diptyque The WastelandThe WastetownL’Odeur du vent… Pas plus tard que la semaine dernière, j’exprimais quasiment au mot près les mêmes réserves devant La Femme qui en savait trop.

Cette surabondance a hélas ses défauts. Elle prive les films iraniens, désormais monnaie courante, du parfum d’exotisme que les premiers, si rares, exhalaient. Elle va même parfois jusqu’à créer un effet de redite.

C’est le cas de 7 jours dont j’ai scrupule à dire qu’il m’a semblé redondant avec d’autres déjà vus, tant son héroïne qui emprunte certains traits à Narges Mohammadi, militante des droits civiques, Prix Nobel de la paix en 2023, est admirable. Mohammad Rasoulof, le réalisateur des Graines du figuier sauvage, du Diable n’existe pas et surtout de Un homme intègre en a cosigné le scénario. Condamné à la prison, il a quitté l’Iran pour l’Allemagne. C’est là où vit également le réalisateur Ali Samadi Ahadi. Autre exilée : l’actrice Vishka Asayesh vit depuis peu en France.

L’exil est le sujet du film. Son héroïne est tiraillée entre deux impératifs contradictoires. Le premier est la lutte qu’elle mène dans son pays, depuis la prison. Elle estime que quitter l’Iran, même en poursuivant le combat depuis l’étranger, serait trahir ses engagements et donner raison aux mollahs. Le second est la douleur que lui cause la séparation d’avec son mari et ses enfants, douleur exacerbée par la parenthèse miraculeuse que constitueront leurs brèves retrouvailles dans un petit village turc enseveli sous la neige, douleur encore accrue par l’injonction patriarcale qui lui est adressée de ne pas trahir son rôle d’épouse et de mère.

Partira ? partira pas ? On sait par avance le choix qu’opèrera Myriam même si le film repose sur ce faux suspense. La seule hypothèque est son état de santé dont on se demande, s’il se détériore, s’il ne résoudra pas le dilemme qui se pose à Myriam sans qu’elle ait à le trancher.

La bande-annonce

Alpha ★★☆☆

À une époque indéterminée qui pourrait être la nôtre ou quarante ans plus tôt, un virus dangereux se répand. Il calcifie lentement ses victimes les transformant inexorablement en statue de marbre. Il se transmet par le sang.
Alpha (Melissa Boros) a treize ans. Sa mère (Golshifteh Farahani) panique le jour où Alpha revient d’une soirée un tatouage sur le bras, peut-être dessiné avec une aiguille infectée. L’oncle d’Alpha (Tahar Rahim) toxicomane est rongé par la terrible maladie.

Alpha a fait beaucoup parler de lui. C’est le troisième long-métrage de Julia Ducournau dont Grave, le premier, avait suscité un grand vent d’air frais dans le cinéma gore et dont le deuxième, Titane, avait remporté la Palme d’or en 2021. Autant dire qu’Alpha, en sélection en mai dernier à Cannes, était attendu au tournant. Les festivaliers ont eu la dent dure qui l’ont taillé en pièces.

Ils n’avaient pas totalement tort. Alpha a beaucoup de défauts. Des défauts qu’on aurait passés à un premier film d’un réalisateur inconnu mais qu’on ne pardonne pas au film qui suit immédiatement une Palme d’or. D’autant qu’il s’agit de défauts réparables : une musique envahissante, des effets spéciaux ratés, des scènes mal filmées (celle par exemple où la mère d’Alpha essaie d’endiguer la foule de patients qui se pressent devant l’hôpital). Le principal est peut-être d’avoir voulu trop en mettre : la maladie et la peur de l’épidémie, le harcèlement scolaire, la toxicodépendance, la monoparentalité, l’homosexualité et l’homophobie…. C’est beaucoup. C’est trop pour un film qui trop embrasse et mal étreint.

Mais ils n’avaient qu’à moitié raison. Alpha n’en a pas moins en effet plusieurs qualités. Le premier est l’originalité de son scénario qui, sans l’identifier clairement, reconstitue la chromatique marronnasse des années SIDA, en y laissant planer, avec cette poussière rouge omniprésente, des airs de fin du monde. Il vaut aussi par sa direction d’acteurs. Il faut saluer la révélation Melissa Boros, mais surtout l’interprétation incroyable de Tahar Rahim, méconnaissable, qui a perdu vingt kilos pour le rôle. Il mérite haut la main le prochain César du meilleur rôle masculin.

Sans doute Alpha n’est-il pas au niveau de Grave ou de Titane. Mais il n’en est pas moins un film (d)étonnant qui mérite d’être vu… en attendant le prochain de Julia Ducournau.

La bande-annonce

Fantôme utile ★☆☆☆

Pour nettoyer la poussière qui s’accumule dans son appartement un homme achète un aspirateur qui lui joue bientôt des tours. Le SAV lui envoie un réparateur qui lui raconte une incroyable histoire, celle de Nat l’épouse d’un veuf inconsolable, qui s’est réincarnée… en aspirateur.

Le pitch de ce film thaï et sa bande-annonce déjantée pourraient laisser augurer une loufoquerie bizarre façon Rubber de Dupieux, où un pneu semait la terreur. C’est d’ailleurs ce créneau-là qu’explore Fantôme utile pendant sa première moitié. Elle contient quelques scènes franchement drôles où le mari de Nat enlace sensuellement son aspirateur de femme sous les yeux de sa famille consternée.

Mais le film, après un long ventre mou dans lequel il manque de s’enliser, prend dans sa seconde partie un autre tour, nettement moins cocasse. Il devient politique, convoquant les âmes errantes des manifestants torturés en 2010 par la dictature thaïe dont la mémoire continue à hanter à la fois leurs tortionnaires et leurs proches éplorés.

On reconnaît chez Ratchapoom Boonbunchakoke les mêmes influences que son aîné Apichatpong Weerasethakul (sic !). Les fantômes de Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, Palme d’or 2010, sont les cousins de ceux de Fantôme utile. Je ne connais pas assez la culture thaïe pour savoir si elle est particulièrement perméable aux esprits et à l’au-delà. Tout au plus puis-je déduire de ces films que cette thématique est très présente dans son cinéma.

Autre similarité entre ces deux réalisateurs dont j’ignore si elle peut être généralisée : leur lenteur. Une lenteur pour moi rédhibitoire qui a failli me conduire à déserter la salle tant je sombrais dans un ennui cataleptique. J’ai un souvenir physiquement douloureux des films de Weerasethakul qui, en dépit de toutes les qualités qu’on veut bien y trouver, m’ennuient à périr.

Une amie toulonnaise a adoré Fantôme utile et me l’a chaleureusement recommandé. J’aimerais vous le conseiller avec le même enthousiasme qu’elle. Car c’est un film profondément original, comme on n’en a jamais vu, qui, au-delà de sa superficialité affichée, de sa bouffonnerie revendiquée, développe un message profondément politique. Mais j’y ai trouvé le temps tellement long que j’ai scrupule à vous imposer ce pensum.

La bande-annonce

F1® le film ★★☆☆

Sonny Hayes (Brad Pitt) fut dans sa jeunesse un espoir de la F1, en route vers un titre mondial, avant qu’un accident ne vienne briser sa carrière. Mais il est revenu à l’anonymat, vit dans son van et ne participe plus guère qu’à quelques courses quand Ruben (Javier Bardem), son équipier du temps jadis, vient le convaincre de rempiler pour aider l’écurie qu’il dirige, classée bonne dernière, et mettre le pied à l’étrier de son jeune rookie (Damson Idris).

F1 aura été le blockbuster de l’été 2025, dépassant les six cents millions de dollars de recettes dans le monde et les trois millions de spectateurs en France.

Cet engouement était-il justifié ? À mon avis, oui et non.

F1 nous en donne pour notre argent. Le tycoon hollywoodien Jerry Bruckheimer a obtenu une wild card pour filmer directement de l’intérieur les grands prix de Silverstone et d’Abu Dhabi. Il s’est adjoint un faiseur consciencieux, Joseph Kosinski (Tron: Heritage, Oblivion, Top Gun: Maverick…), un musicien de légende, Hans Zimmer (en fermant les yeux, on se croit parfois dans Gladiator !) et un casting cosmopolite pour mettre en valeur « l’homme le plus sexy du monde ».

J’ai nommé Brad Pitt, 61 ans au compteur, mais pas un poil de graisse, des tatouages de bad boy et un sourire à faire fondre la ménagère de l’Iowa et de la Creuse. Il cabotine délicieusement pendant les 2h35 du film

Les principales limites de F1 tiennent à son cahier des charges corseté. On en sait dès le début chacune des étapes – même si je n’avais pas prévu le vainqueur du dernier Grand Prix. On sait par avance que Brad Pitt soldera les comptes de son passé et pavera pour son coéquipier le chemin de l’avenir… sans oublier de conquérir le cœur de la directrice technique de l’écurie (on notera pour s’en féliciter qu’elle a quand même la quarantaine). Ses partenaires sont réduits à de pâles caricatures : le coéquipier encore un peu tendre, le vieil ami fidèle, le traître de comédie ourdissant les plus veules trahisons, la directrice technique susmentionnée qui a pour le héros tellement séduisant les yeux de Chimène…

F1 est un film hyper-testostéroné, portant aux nues les valeurs virilistes, qui échouerait lamentablement au test de Bechdel. Sans doute ce catalogue de défauts devrait-il conduire logiquement à sa plate condamnation. Pour autant, il serait malhonnête de nier le plaisir qu’on a pris à le regarder. le scénario bien rythmé tient la durée avec une alternance de scènes de circuits fast and furious et de scènes plus intimistes ; ses images immersives à 300 km/h au ras du macadam sont à couper le souffle ; les caméos des meilleurs conducteurs du circuit sont autant de clins d’œil – à condition, ce qui n’est pas toujours mon cas, de savoir reconnaître Verstatten, Hamilton ou Leclerc. Bref un film old school où on ne s’ennuie pas.

La bande-annonce

En boucle ★★☆☆

À Kibune, au cœur des Alpes japonaises, à quelques kilomètres au nord de Kyoto, se trouve un ryokan, une auberge traditionnelle, où s’affaire un personnel nombreux et dévoué au bien-être des clients. Mais soudain, à 13h56 précisément, le temps bégaie comme un disque rayé condamnant tous les locataires de ce ryokan à revivre perpétuellement les mêmes deux minutes.

Depuis le cultissime Un jour sans fin, un genre est né : le film en boucle temporelle. Il est d’ailleurs étonnant que n’ait pas été forgé à ma connaissance, en français ou en anglais, un néologisme pour le désigner. Il a diffusé dans tous les genres : la comédie romantique (Il était temps), la science-fiction (Edge of Tomorrow, Looper…), le thriller (Source Code), le slasher (Triangle), etc.

La boucle temporelle constitue une mine pour les scénaristes. Le temps ne s’y déroule plus linéairement comme nous en avons l’habitude, mais bégaie, nous ramenant en arrière. Le même moment nous est donné à vivre plusieurs fois, fort de l’expérience acquise lors de ses précédentes occurrences. Opportunité inespérée d’arrêter le temps qui file trop vite ? de réparer les erreurs passées ? ou condamnation nietzschéenne à l’éternel retour ?

Les boucles temporelles sont plus ou moins longues. Chez Sam Raimi, elle durait, on s’en souvient, une seule journée. Dans un récent film japonais, Comme un lundi, elle durait une semaine. L’idée ingénieuse de Junta Yamaguchi, qui lui avait déjà consacré un autre film intitulé Beyond the Infinite Two Minutes (2020), inédit en France, est de ne la faire que deux minutes.

L’idée est brillante d’un point de vue cinématographique car elle conduit à un résultat quasiment en temps réel d’une trentaine de boucles successives (je m’amuserais volontiers à les chronométrer pour vérifier qu’elles ont bien la même longueur, suspectant le réalisateur d’avoir pris quelque liberté avec leurs durées). Chaque boucle commence donc deux minutes après la fin de la précédente ; mais les protagonistes – et les spectateurs avec eux – se souviennent de ce qui vient de se passer dans la précédente et l’histoire peut ainsi avancer.

Le risque est celui de la répétition et de la monotonie. D’ailleurs En boucle (River dans son titre international) n’y échappe pas totalement. Heureusement le scénario alterne les scènes de folle cavalcade avec des dialogues plus intimistes, par exemple entre l’héroïne Mikoto et le cuisinier pour lequel elle se languit qui rêve d’aller se former en France.

Le film pourrait s’étirer indéfiniment et explorer la psychologie de chaque personnage. Pour éviter ce travers, il se donne un but : échapper de cette boucle temporelle dans laquelle les protagonistes semblent être coincés. La résolution de cette énigme réservera son lot de déception et de surprise, quitte à frôler le grand-n’importe-quoi.

La bande-annonce

Le Roi soleil ★★☆☆

« Le Roi soleil », c’est le nom d’un rade banal à Versailles à une encablure du château, tenu comme beaucoup de cafés franciliens par un gérant chinois assisté d’une serveuse (Lucie Zhang), où se retrouvent à l’ouverture quelques clients de passage : deux flics fatigués après une nuit de service difficile (Pio Marmaï et Sofiane Zermani), un urgentiste (Panayotis Pascot), un trader sous substances, une gouape fébrile et un vieux monsieur qui, comme chaque semaine vient vérifier les numéros gagnants du Loto. Quand il découvre, stupéfait, qu’il a gagné le gros lot, tout dérape….

Trois semaines seulement après Last Stop: Yuma County, sort un film français qui lui ressemble. Soit une demi-douzaine de personnages coincés dans un lieu clos qui essaient, quasiment en temps réel, de s’en sortir, si possible en sauvant leur peau et si possible encore en dérobant quelques millions de dollars/d’euros.

Sept personnages se retrouvent par la force des choses réunis dans un bar avec un cadavre sur les bras et cherchent ensemble l’histoire qu’ils raconteront à la police pour pouvoir se partager un magot de plusieurs centaines de millions d’euros. Le pitch est alléchant. Il est sacrément ambitieux. Il ressemble à un puzzle, à une équation à sept (et bientôt huit avec l’arrivée inopinée de la patronne) inconnus. J’ai dit dans ma critique de Last Stop le plaisir communicatif offert aux spectateurs à participer, en même temps que les acteurs, à l’écriture du scénario.

Il faut des scénaristes sacrément malins pour relever une telle gageure. Ceux de ce Roi soleil le sont plus souvent qu’à leur tour. D’autant qu’ils jouent avec les temporalités pour explorer les diverses alternatives possibles. Ils auraient dû le faire à mon avis encore plus, pour nous donner notamment notre revanche contre tous ces films qu’on a envie d’interrompre pour dire au réalisateur : « Stop ! si la femme de la victime reçoit cet appel téléphonique, c’est la première chose qu’elle ira raconter à la police ! ».

Puisqu’il faut bien choisir et avancer, le scénario fait donc des choix. C’est là peut-être que le bât blesse. Car le scénario [spoiler] prend une direction malvenue : celle du défouraillage tarantinesque façon Reservoir Dogs, celle aussi de Last Stop, qui voit l’élimination métronomique d’un personnage après l’autre, laissant comme seul suspense au spectateur l’identité du dernier survivant.

La bande-annonce