Derrière nos écrans de fumée ★☆☆☆

Derrière nos écrans de fumée (traduction besogneuse de The Social Dilemma) est un réquisitoire à charge contre les réseaux sociaux. Certes, il ne verse pas dans le complotisme : il n’accuse pas les dirigeants de Facebook, Instagram Twitter, YouTube ou Google de nourrir un projet criminel de manipulation universelle. Mais il montre comment la logique purement entrepreneuriale de ces sociétés, leur désir de capter et de retenir une audience toujours plus large, sont lourds de menaces.

La charge semble d’autant plus légitime qu’elle vient d’anciens dirigeants de ces plateformes qui, comme des mafieux italiens tentant d’obtenir une réduction de peines, comparaissent les uns après les autres devant la caméra de Jeff Orlowski. Pour enfoncer le clou, cette succession d’interviews est entrecoupée par une fiction mettant en scène une famille américaine ordinaire dont les enfants souffrent d’une dépendance accrue aux écrans : la cadette perd confiance en elle après avoir reçu une remarque sur son physique, l’aîné se laisse séduire par les thèses complotistes.

Le sujet est grave : exploitation des données personnelles, dépendance aux réseaux sociaux, propagation de la désinformation, haine en ligne…. Il nous concerne tous – qu’il s’agisse de moi qui suis en train d’écrire cette critique pour la poster sur les réseaux sociaux, ou vous qui êtes en train de la lire alors que vous pourriez consacrer ce temps précieux à de vrais échanges avec de vrais gens dans la vraie vie !

Mais ce documentaire a trop de défauts pour convaincre. Son plus cocasse est d’être produit et distribué par Netflix, une plateforme qui utilise elle aussi les algorithmes pour influencer le choix de ses clients. Ses séquences fictionnelles, qui rappellent un mauvais épisode de Black Mirror, sont particulièrement balourdes. Il ne donne pas la parole à la défense, qui aurait pu souligner par exemple les récents efforts déployés pour lutter contre la désinformation. Enfin, et c’est peut-être le défaut le plus rédhibitoire, il ne contient guère d’informations qu’on ne connaissait déjà sur les réseaux sociaux et les addictions qu’ils suscitent.

Basta ! J’ai piscine ! Zut…. elle est fermée.

La bande-annonce

Vénus et Fleur (2003) ★★☆☆

Fleur (Isabelle Pirès) est une timide jeune femme venue passer quelques jours d’été à Marseille dans la villa que lui prêtent son oncle et sa tante. Elle y croise Vénus (Veroushka Knoge), une exubérante Russe, qui tombe amoureuse aussi vite qu’elle se lasse de ses amants successifs. Les deux jeunes femmes sympathisent et passent quelques jours ensemble à déambuler dans la cité phocéenne et à y faire des rencontres plus ou moins réussies.

Emmanuel Mouret est devenu récemment un réalisateur reconnu. Mademoiselle de Joncquières en 2018, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait en 2020 sont autant de succès critiques et publics. Avant d’atteindre la célébrité, le jeune réalisateur marseillais a tourné une demi-douzaine de petits films charmants où il met élégamment en scène les jeux de l’amour et du hasard. Ces films, souvent tournés au bord de la Méditerranée dans la ville natale de Mouret, adoptent volontiers un point de vue féminin : c’est à travers les yeux de ses héroïnes que sont analysées les rencontres amoureuses qui émaillent ses films et les sentiments qu’elles provoquent. Très écrits, les films rohmériens de Mouret frisent parfois la préciosité et provoquent selon les spectateurs deux réactions radicalement opposées : soit on adore, soit on déteste.

Vénus et Fleur, son deuxième long métrage après Laissons Lucie faire !, a l’ensemble de ses caractéristiques. Il a le charme des marivaudages rohmériens d’Emmanuel Mouret.  Il en a à la fois la spontanéité rafraîchissante et l’artificialité parfois horripilante. Il en a la légèreté apparente qui, plus le film avance, se leste d’une étonnante gravité. Il a néanmoins un défaut si on le compare aux autres films d’Emmanuel Mouret : ni Isabelle Pirès, ni Veroushka Knoge n’ont le charme et le talent des actrices dont Emmanuel Mouret a eu la bonne idée de s’entourer dans ses autres films (Frédérique Bel, Judith Godrèche, Julie Gayet, Virginie Ledoyen, Déborah François, Anaïs Demoustier…).

La bande-annonce

Les Affamés ★☆☆☆

La campagne québécoise est dévastée par des hordes de zombies. Quelques survivants tentent tant bien que mal de les éviter : Bonin (Marc-Antoine Grondin), Tania (Mona Chokri), Zoé, la gamine qu’ils recueillent, Pauline et Thérèse, deux femmes d’âge mur qui les abritent un temps dans leur maison, Céline (Brigitte Poupart), que la mort de son enfant a durcie à jamais, Réal, un vendeur d’assurances mordu mais pas encore contaminé et Ti-Cul, l’ado qui l’accompagne fidèlement….

Si La Nuit des morts-vivants (1968) de George Romero constitue l’œuvre la plus emblématique du genre, le film de zombies est presqu’aussi vieux que le cinéma. Il connaît son âge d’or dans les années soixante-dix, traverse dans les années quatre-vingt-dix une décennie d’oubli avant de revenir à la mode depuis une vingtaine d’années. 28 jours plus tard (2002) et sa première demi-heure d’anthologie lui redonnent ses lettres de noblesse. L’hilarant Shawn of the Dead (2004) crée un sous-genre : la comédie de zombies. World War Z (2013) est le premier blockbuster à leur ouvrir ses portes. À partir de 2010, la série Walking Dead tient en haleine des téléspectateurs, petits ou grands, en mal d’émotions fortes.

Tabarnak d’ostie d’crisse de calisse ! Les Affamés est une nouvelle déclinaison de ce genre désormais bien balisé. Il n’a guère d’originalité, sinon l’accent à couper au couteau de ses personnages qui rend indispensable le secours des sous-titres. Il a remporté un grand succès au Québec, raflant pas moins de sept Iris, l’équivalent des Césars, dont celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du « film s’étant le plus illustré à l’extérieur du Québec » (sic). Pour autant, il n’est jamais sorti en salles en Europe où Netflix le diffuse depuis mars 2018.

Ce succès laisse rêveur. Car, à regarder Les Affamés, la déception est grande. On n’y trouve rien qui justifie une telle moisson de récompenses. Le scénario voit s’enchaîner, sans originalité, quelques rebondissements attendus. Les personnages incarnent les différentes facettes de la résilience dans une atmosphère estivale et champêtre, aux antipodes de l’image qu’on se fait de la Belle province sous la neige. Grosse déception.

La bande-annonce

Vacances à Venise (1955) ★★☆☆

Jane Hudson (Katharine Hepburn) passe seule des vacances à Venise. Le nez au vent, l’appareil photo en bandoulière, escortée du seul Mauro, un jeune Gavroche vénitien, Jane déambule dans la Cité des doges. Elle croise quelques compatriotes dans la pension de famille qui l’héberge : un couple de vieux touristes caricaturaux, un artiste infidèle et sa femme…
Même si elle refuse de l’admettre, Jane, célibataire endurcie, se sent seule. Elle est du coup sensible au charme de Renato (Rossano Brazzi), un bel Italien aperçu à la terrasse d’un café qui tient une boutique d’antiquités.

Vacances à Venise est un film étonnant dont on se demande s’il a horriblement mal vieilli ou si, au contraire, ses défauts le font échapper à l’outrage du temps.

C’est un film de 1955 en Technicolor à une époque où le procédé était encore exceptionnel. Si David Lean l’utilise, c’est pour magnifier la beauté de Venise décrite comme une ville de carte postale. La Cité des doges, filmée en plein été, brille de mille feux – alors que beaucoup de réalisateurs la filmeront l’hiver dans une brume qui la nimbe de mystère (Le Casanova de Fellini, Mort à Venise…)

Dans cet écrin magique, on s’attache aux pas de Jane. L’héroïne est interprétée par l’une des plus grandes actrices du temps – voire de tous les temps. La cinquantaine approchant, on pouvait croire que Katharine Hepburn, qui venait de tourner African Queen avec Humphrey Bogart,  était au sommet de sa gloire. Pourtant, elle gagnera encore trois Oscars (en 1968, en 1969 et en 1982) et mourra en 2003 à quatre-vingt-seize ans, panthéonisée de son vivant.

Le rôle qu’elle joue ici manque toutefois cruellement de profondeur. Elle interprète une vieille fille au mitan de sa vie. La sensualité des chaudes nuits vénitiennes et la conscience angoissée du temps qui passe la pressent de faire une rencontre amoureuse. Elle se laisse séduire par le premier bellâtre venu tout en ayant conscience du caractère éphémère de cette liaison. Quand la vérité éclatera – le bellâtre est marié et père de famille – la déception sera rude.

La conclusion de Vacances à Venise s’avère beaucoup moins frivole, beaucoup plus sombre que ses débuts ne le laissaient imaginer. On y reconnaît la patte du réalisateur de Brève Rencontre, un des films d’amour les plus poignants et les plus tristes que j’aie jamais vu.

La bande-annonce

La Maladie du dimanche ★★★☆

Anabel (Susi Sanchez) est une grande bourgeoise de la haute société espagnole. Rien ne peut laisser imaginer qu’elle a eu une jeunesse rebelle et qu’elle a abandonné sa fille, Chiara (Barbara Lennie), qui la retrouve trente ans plus tard. Contre toute attente, Chiara ne lui demande pas d’argent, mais du temps : passer dix jours avec elle dans sa maison natale, perdue au cœur des Pyrénées françaises. Anabel accepte, non sans réticence cet étrange contrat.

Sortie début 2018 en Espagne, La Enfermedad del Domingo a remporté le Grand prix du festival du film espagnol de Nantes. Il a valu à Susi Sanchez le Goya – l’équivalent du César – de la meilleure actrice. Hélas, il n’a jamais trouvé le chemin des salles en France et est sorti directement sur Netflix.

C’est un film poignant sur un duo improbable : la blonde Anabel semble avoir réussi sa vie, à force d’ambition et de sacrifices, la brune Chiara a raté la sienne et le reconnaît sans regrets. La cinquantaine bien sonnée, Anabel entretient son corps avec application, s’habille avec élégance. Les cheveux gras, la clope au bec, la flasque d’alcool à portée de main, Chiara a renoncé à entretenir le sien qui se venge. Tout les sépare sauf ce lien de filiation que la mère a nié trente ans plus tôt par un geste dont on attend qu’elle nous révèle la cause.

Le film est construit sur un suspens. Que veut Chiara ? A-t-elle attiré Anabel dans cette ferme pour se venger d’elle, pour lui faire payer (par la torture ? par le meurtre ? par l’obtention d’un impossible pardon ?) le prix de l’impardonnable abandon qui l’a privé de sa mère sans explication alors qu’elle avait huit ans à peine ?

Le film est long. Trop long. Près de deux heures. Il est peuplé de silences, entrecoupé d’ellipses. Le réalisateur Ramon Salazar a pris le parti radical de l’hyper-stylisation. Il a donné à son héroïne la froideur glaciale des grandes héroïnes hitchcockiennes. Sa façon de filmer les Pyrénées l’hiver flirte avec le fantastique. La dernière scène du film, d’une logique implacable, qu’on a hélas sentie venir un peu trop tôt pour en être surpris, ne s’oublie pas facilement.

La bande-annonce

Safari (2009) ★★☆☆

Pour rembourser une dette de jeu contractée auprès d’un dangereux mafieux sud-africain, Richard Dacier (Kad Merad), qui n’a pas remis les pieds dans la brousse depuis des années et a une peur bleue des bêtes fauves, doit cornaquer un groupe de cinq touristes français jusqu’à la frontière mozambicaine. Le safari sera riche en péripéties.

J’ai regardé hier soir Safari pour deux (bonnes ?) raisons. La première : j’avais cité sans l’avoir vu ce titre dans la filmographie de mon livre La France et l’Afrique où je prétendais recenser l’ensemble des films mettant en scène la présence française en Afrique depuis La Croisière noire (1924) jusqu’à ce Safari sorti au moment de mettre sous presse en passant par La Victoire en chantant (1976), Les Bronzés (1978) et Coup de torchon (1981). La seconde : après m’être enquillé la veille un film finlandais sous Tranxène, j’avais bêtement envie de passer une bonne soirée.

Pourtant l’affiche de Safari a de quoi faire fuir. La bande-annonce laisse augurer une succession de gags beaufs vaguement reliés entre eux par un scénario inconsistant. Et le gros succès au box-office – Safari a réalisé près de deux millions d’entrées – fait naître le soupçon snob d’un film plébéien.

Les hoquets de rire que Safari m’a arrachés m’ont fait ravaler mon mépris de classe. Quelques scènes sont franchement cocasses, comme celle avec Omar Sy en putschiste à l’accent québécois ou avec Yannick Noah en chef de village faussement authentique. Quelques répliques sont très drôles : « Un homme de fer, Dacier » « C’est mon fils, ma bataille », « Personne d’autre que moi n’urinera sur cette femme »…

Olivier Baroux, le complice de toujours de Kad Merad, a le chic pour faire vibrer la corde de l’humour populaire. Safari est son deuxième film seulement après une longue carrière devant la caméra. Il n’en signera pas moins d’une dizaine pendant la décennie suivante, au nombre desquels Les Tuche et ses suites. Certes, on est loin de Bergman ou d’Antonioni. On est plutôt dans la veine de Zidi ou de Oury : un cinéma du dimanche soir, ou du dimanche après-midi, destiné à un large public familial, dont les gamins se gondolent en rejouant les scènes les plus drôles à la récré.

La bande-annonce

Ariel (1988) ★★★☆

Taisto Kasurinen travaillait au nord de la Finlande dans une mine qui vient de fermer. Avant de se suicider, son père lui fait don de sa rutilante décapotable américaine et l’incite à quitter la région. Taisto suit son conseil et gagne Helsinki. En chemin, deux voyous le délestent de ses économies. Sans le sou, Taisto survit tant bien que mal dans la capitale. Il y fait la connaissance d’Irmeli qui l’héberge. Il retrouve par hasard l’un de ses assaillants, le rosse, mais se fait arrêter pour violence et enfermer en prison. Avec l’aide de son compagnon de cellule, il réussit à s’évader et à quitter la Finlande pour le Mexique à bord du cargo Ariel.

Arte a le bon goût de programmer une rétrospective Kaurismäki. C’est l’occasion de voir ou de revoir les films du plus grand réalisateur finlandais – et du seul dont la renommée ait franchi les frontières. Lorsqu’il tourne Ariel en 1988, il est encore inconnu. La célébrité ne viendra que quelques années plus tard avec L’Homme sans passé, Grand Prix et prix d’interprétation féminine à Cannes en 2002, souvent considéré comme son meilleur film – que Arte a la bonne idée de rediffuser aussi.

Ariel est le deuxième volet d’une Trilogie du prolétariat que Kaurismâki consacre au petit peuple de Helsinki. Son cinéma possède déjà les caractéristiques qu’il n’abandonnera pas et constituent sa marque distinctive. Kaurismäki filme en plans fixes des scènes quasi muettes souvent caractérisées par leur humour noir. Ses personnages ne montrent aucun sentiment et échangent parfois d’une voix sans timbre quelques rares paroles : « – Marions nous et faisons des enfants – J’en ai déjà un – Ah bon… autant de temps de gagné ». La vie leur réserve bien des avanies ; mais ils montrent face à elles, avant que le mot devienne à la mode, une étonnante résilience.

Listé parmi les 1001 films à voir avant de mourir, Ariel est un film emblématique du cinéma de Kaurismäki. Il dure soixante-douze minutes à peine. Il a certes l’image poisseuse et le son grésillant des films qui ont mal vieilli. Mais il n’en reste pas moins l’une des meilleures portes d’entrée dans l’œuvre de ce réalisateur si particulier.

La bande-annonce (en allemand)

Palm Springs ★★☆☆

Nyles (Andy Samberg) est prisonnier d’une boucle temporelle. Il est condamné à revivre éternellement la journée du 9 novembre où il accompagne sa petite amie Misty (Meredith Hagner) à Palm Springs, dans le désert californien, au mariage de Abe et Tala dont Misty est la demoiselle d’honneur. Nyles y fait la connaissance de Sarah (Cristin Milioti), la sœur de la fiancée qui le rejoint, après bien des péripéties, dans ce « jour sans fin ».

Boucle temporelle + comédie romantique loufoque ? La recette est éprouvée et possède déjà son idéaltype : Groundhog Day (Un jour sans fin) avec Bill Murray et Andie McDowell. Palm Springs marche sur ses brisées et, inévitablement, laisse un goût de déjà-vu sans parvenir à dépasser son modèle indépassable.

Groundhog Day était bâti sur plusieurs ressorts irrésistibles. La boucle temporelle autorisait Bill Murray, comme elle autorise les personnages interprétés par Andy Samberg et Cristin Milioti, aux outrances les plus saugrenues, leur souvenir étant effacé le jour suivant. Autre ressort irrésistible : l’éternel recommencement de la même journée permettait à Bill Murray de tester toutes les stratégies de séduction possibles pour conquérir la belle Andie McDowell. Ce n’est pas le cas dans Palm Springs où s’installe entre les deux héros une relation sans amour – avant, hélas, bien sûr, de changer de nature.

Les personnages des deux films suivent la même évolution, évoluant peu à peu vers un épicurisme nihiliste : puisque rien n’a de sens, alors tout est permis. À la différence de Groundhog Day – ou du moins du souvenir que j’en ai gardé – Palm Springs se fait lentement plus profond sinon métaphysique. Quel est le sens de la vie ? Quel est le sens de nos actes s’ils sont condamnés à un inéluctable effacement ? Comment construire une relation d’amour sur une journée éternellement recommencée ?

Groundhog Day dans sa dernière partie devenait une ode bien-pensante à l’altruisme et à la générosité façon Frank Capra : le ronchon Bill Murray, plein de mépris pour le provincialisme de la petite ville où il était condamné à vivre, s’amendait sous l’influence de Andie McDowell et rompait avec son nombrilisme cynique pour rendre meilleure la vie des autres. Rien de tel dans Palm Springs, ce qui dit peut-être quelque chose sur l’évolution de nos sociétés, qui reste focalisé sur le couple formé par nos deux héros. Resteront-ils prisonniers de leur boucle temporelle, où la vie est répétitive mais pas si désagréable ? réussiront-ils à en échapper ? C’est le seul suspens, bien mince, de ce film finalement moins réussi qu’on l’avait espéré.

La bande-annonce

I Care a Lot ★★☆☆

Marla Grayson (Rosamund Pike) a développé un business aussi immoral que juteux : avec la complicité d’un médecin véreux et d’un juge crédule, elle obtient la tutelle de personnes âgées qu’elle place en EHPAD et en siphonne les économies. Jennifer Peterson (Dianne Wiest) est sa dernière proie. Mais Marla va vite apprendre à ses dépens qu’un dangereux baron du crime est prêt à tout pour reprendre la main sur la fragile septuagénaire.

I Care a Lot est la dernière production Netflix en date (Amazon Prime en a acquis les droits de diffusion pour le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie). Mis en ligne le 19 février, c’est le film le plus vu au monde le week-end dernier. Mérite-t-il une telle gloire ? Certainement pas. Est-ce pour autant un mauvais film ? Non.

I Care a Lot est une comédie noire qui met en scène deux héros également haïssables. D’un côté une femme dévorée de cupidité et prête à abuser de la faiblesse des seniors pour la satisfaire ; de l’autre un parrain de la mafia caricatural, entouré d’une horde de gros bras. Rosamund Pike interprète le premier de ces deux rôles avec une élégance folle et la froide détermination dont elle faisait déjà preuve dans Gone Girl, son meilleur film à ce jour. C’est Peter Dinklage, le nain chétif mais courageux de Game of Thrones, qui interprète le second.

Le choix de ces deux acteurs est troublant. Il suscite une confusion chez le spectateur habitué à prendre spontanément parti pour le Gentil face au Méchant (sauf chez les spectateurs particulièrement vicieux qui prennent systématiquement parti pour les Méchants !). I Care a Lot met face à face deux Méchants entre lesquels on ne sait pas qui soutenir – sauf à considérer qu’il n’y a rien de bon ni chez l’un ni chez l’autre et à rejeter le film en bloc. Marla Grayson est profondément immorale ; mais la détermination que manifeste cette lesbienne revendiquée face au patriarcat et la résilience dont elle fait preuve dans les épreuves la rendent sympathique. Symétriquement, le personnage interprété par Peter Dinklage a beau être un dangereux sociopathe, la sympathie suscitée par l’interprète de Tyrion Lannister est si universellement spontanée qu’on a du mal à haïr son personnage ici.

I Care a Lot n’est jamais ennuyeux et ses presque deux heures se regardent sans loucher vers l’horloge. Ses rebondissements invraisemblables et le virage qu’il prend à mi-parcours vers le pur cinéma d’action en gâtent la valeur. Mais sa délicieuse amoralité en font un produit original qui mérite le détour.

La bande-annonce

Clueless (1995) ★☆☆☆

Cher Horowitz (Alicia Silverstone) a seize ans. Elle habite seule avec son père une immense villa luxueuse de Beverly Hills. Avec son inséparable amie Di (Stacey Dash), elle est la coqueluche de son lycée. Quand arrive en milieu d’année une nouvelle élève, Tai (Britanny Murphy), Cher et Di la prennent sous leurs ailes et tentent de lui trouver un petit ami. Si Di a un copain, la vie sentimentale de Cher est plus compliquée : Cher rejette Elton qui la courtise, essaie de séduire Christian, qui s’avère être homo. Trouvera-t-elle le bonheur avec Josh (Paul Rudd), le fils d’un premier lit de la nouvelle épouse de son père ?

Sorti en 1995, Clueless est un film d’anthologie au point de figurer parmi les « 1001 films à voir avant de mourir ». Il est considéré parfois comme le film ayant lancé la mode des teen movies, parfois comme le meilleur jamais réalisé. Ces deux affirmations sont sujettes à caution.

Le genre des teen movies n’est pas né avec Clueless. Il lui était préexistant. Sans en faire remonter la naissance aux années cinquante et considérer que L’Équipée sauvage avec Marlon Brando ou La Fureur de vivre avec James Dean en constitue les premières manifestations, le genre émerge dans les années soixante-dix avec American Graffiti. Il connaît un premier âge d’or dans les années quatre-vingts avec les comédies de John Hughes (Seize bougies pour SamThe Breakfast ClubUne créature de rêve, La Folle Journée de Ferris Bueller…) et l’émergence de sous-genres musicaux (Grease), d’horreur (Carrie) ou de science-fiction (Retour vers le futur et ses suites) . Si Clueless marque l’histoire des teen movies, c’est en en relançant la mode et, par son humour gentiment ironique, en ouvrant la voie à toute une série de films similaires (Lolita malgré moi, La Revanche d’une blonde, etc.) ainsi qu’aux délirantes comédies de Judd Apatow de la décennie suivante.

À défaut d’être le film qui a initié le genre des teen movies, Clueless est-il le meilleur film du genre ? Je ne suis pas de cet avis. Loin s’en faut. Peut-être, comme pour Jet Set il y a quelques jours, Clueless a-t-il mal résisté à l’épreuve du temps et m’aurait-il paru plus aimable si je l’avais vu à sa sortie. Peut-être aussi étais-je meilleur public pour ce genre de films-là à vingt-cinq ans qu’à cinquante. Pour autant, je n’ai rien trouvé de drôle ni d’intelligent à cette laborieuse adaptation du Emma de Jane Austen, qui transpose dans un lycée ultra-chic de Californie les délicieux marivaudages géorgiens de l’auteure pleine d’ironie de Orgueil et préjugés. Sans doute Alicia Silverstone y est-elle délicieuse – même si je la confonds toujours avec Reese Witherspoon – et ses tenues, même si la mode a changé en vingt-cinq ans, sont-elles incroyables. Mais ce sont bien là les seuls atouts de ce film étonnamment surcoté.

La bande-annonce