The Climb ★★☆☆

The Climb raconte sur plusieurs années, à travers sept chapitres tournés en plans séquences, l’amitié chaotique de Mike et Kyle. Les deux hommes, la petite quarantaine, ont grandi ensemble, mais ne se ressemblent guère. Kyle, un peu rondouillard, est bon comme le pain ; Mike, plus sportif (le vélo est sa passion avant de devenir son métier) est plus dépressif.
Le film s’ouvre par leur ascension en vélo du col de Vence au cours de laquelle Mike annonce à Kyle qu’il a eu une liaison avec Ava, la femme que Kyle est sur le point d’épouser.

Voilà plus d’un an, depuis sa projection à Cannes en 2019 où il a reçu le Coup de cœur du jury de la section Un certain regard qu’on attendait la sortie en salles de The Climb. La bande-annonce a été largement diffusée en février pour une sortie annoncée le 25 mars. On connaît la suite de l’histoire : le confinement la repoussait de quatre mois au 29 juillet. Le film le plus attendu du mois (de mars) devenait le film le plus attendu du mois (de juillet)

On évoquait un nouveau Woody Allen, aussi caustique que brillamment dialogué. C’est peut-être parce que je suis allé le voir avec trop d’attente que j’en ai été déçu.

J’ai trouvé The Climb bien prétentieux dans sa mise en scène. On a l’impression que le plan séquence est devenu depuis quelques années le Graal de réalisateurs en mal de reconnaissance. Ils y sont encouragés par des critiques et des spectateurs qui s’ébaubissent devant leur complexité. Autant son recours se justifie pour faire revivre en temps réel l’hystérie haletante de la survie dans les tranchées (1917 de Sam Mendes), autant on voit mal son intérêt pour raconter l’amitié entre deux Américains moyens.

Et surtout, je n’ai pas trouvé The Climb très convaincant dans l’histoire qu’il raconte.
Quel en est le sujet ? L’amitié. Quelle en est la morale ? L’amitié résiste à tout, même aux trahisons les plus radicales. Car l’amitié de Mike et Kyle va traverser bien des tempêtes. Je ne les raconterai pas pour ne pas en éventer les rebondissements – passablement crédibles. Mais j’avouerai que cette accumulation un peu répétitive de saynètes sur le même thème – la complicité oblative qui unit deux amis les oblige à une franchise destructrice – ne m’a pas conquis.

La bande-annonce

India Song (1975) ☆☆☆☆

Anne-Marie Stretter (Delphine Seyrig) est morte et enterrée aux Indes. Elle était l’épouse de l’ambassadeur de France. Un soir, lors d’une réception, le vice-consul de France à Lahore, sous le coup d’une mutation disciplinaire, lui avait crié son amour.

En 1966, Marguerite Duras avait écrit un roman, Le Vice-Consul. En 1972, elle en avait signé l’adaptation pour le théâtre sous le titre d’India Song. La pièce était jouée à la radio en 1974 et devenait en 1975 un film. La mort de Michael Lonsdale est l’occasion de sa reprise dans quelques salles d’art et d’essai juste avant le reconfinement.

India Song est filmé selon un protocole bien particulier qui est, dit la légende, non pas le produit d’un choix délibéré mais de l’inexpérience de Marguerite Duras qui, le premier jour du tournage, voulait enregistrer en même temps la musique et les dialogues. Elle sacrifia les seconds à la première. Si bien que India Song offre l’image déconcertante de longs plans-séquence (le film de deux heures n’en compte que soixante-quatorze) désynchronisés : la voix off des acteurs ou des narratrices – au nombre desquelles on reconnaît celle de Marguerite Duras elle-même – est désynchronisée des images.

Comme les œuvres de Robbe-Grillet, comme celles de Resnais avant qu’il prenne un tournant plus léger, India Song est un film qui provoque soit la fascination, soit l’exaspération. Certes la musique omniprésente de Carlos d’Alessio est hypnotisante. Mais le ton languissant des voix off, la lenteur des longs travelings, les poses artificieuses des acteurs, les voiles de mystère qui entourent une histoire qui, tout bien considéré, se réduit à peau de chagrin, m’ont plus exaspéré que fasciné. C’est le signe décidément que je ne suis ni l’esthète ni l’intellectuel que je prétends être.

La bande-annonce

Kaboul Kitchen ★★★☆

Kaboul, 2005. Après les attentats du 11-Septembre, une coalition alliée a renversé le régime des talibans et occupé l’Afghanistan pour en chasser Ben Laden. Jacky (Gilbert Melki), un ancien journaliste, a ouvert un restaurant où se retrouve la communauté expatriée. Autour de sa piscine, l’alcool coule à flots dans un des pays les plus violents et les plus rigoristes au monde.

Kaboul Kitchen est une création originale de Canal Plus diffusée à partir de 2012. Elle est inspirée de l’expérience vécue d’un ancien journaliste de RFI, Marc Victor, qui a tenu pendant six ans un restaurant à Kaboul.

À mi-chemin du Bureau des Légendes et de Au service de la France, Kaboul Kitchen veut traiter d’un sujet sérieux – l’occupation étrangère d’un pays et les fossés interculturels qu’elle révèle – avec humour. Les trois saisons de la série, de douze épisodes chacune, y parviennent suivant un rythme très formaté, qui semble être devenu la norme dans la production française : chaque épisode de trente minutes est divisé en une demi-douzaine de saynètes de cinq minutes chacune environ.

L’efficacité de la série tient à la qualité des personnages et à leur interprétation. Le rôle principal du propriétaire bougon écrasé sous la masse des difficultés quotidiennes est tenu par Gilbert Melki. Le succès de Kaboul Kitchen repose sur ses épaules et, quand il l’abandonne à la fin de la saison 2, elle périclite avec son pâle successeur, le belge Stéphane De Groodt.

Mais l’acteur qui tire le mieux sa ficelle du jeu est Simon Abkarian dans le rôle du colonel Amanullah, un moudjahid reconverti dans le narcotrafic en mal de légitimité qui a pris sous son aile le Kaboul Kitchen et écrase de son amitié embarrassante son patron. L’acteur, qui inspire plus le rire que la terreur, parle un français haut en couleurs et quelques-unes de ses réparties sont devenues cultes. On en trouve même les meilleures sur YouTube.

Kaboul Kitchen est excellent tant qu’il s’inscrit dans le registre de la comédie, multipliant les historiettes toutes plus cocasses les unes que les autres. En revanche, il perd en qualité quand il s’essaie au thriller dans la saison 3. Faute de moyens, faute de rythme, faute de tension narrative, la série, boudée par le public, ne sera d’ailleurs pas renouvelée à la fin de cette saison.

Kaboul Kitchen s’est heurté à une limite qu’il n’a pas réussi à dépasser : l’authenticité. Si l’équipe est allée filmer quelques plans extérieurs  à Kaboul, intercalés au montage, la série a été tournée au Maroc, dans des décors beaucoup trop touristiques pour rendre crédible un récit en état de siège. Pire : tous les acteurs y parlent le français, y compris ceux censés interpréter des personnages afghans. Du coup, un des obstacles majeurs au dialogue interculturel, la barrière de la langue, est gommée comme par miracle.

La bande-annonce

Kung-Fu Master (1988) ★★★☆

Séparée de son conjoint, Mary-Jane (Jane Birkin), la quarantaine, élève seule deux filles, la petite Lou (Lou Doillon) et Lucy (Charlotte Gainsbourg), une collégienne timide. À l’occasion de la boum organisée pour l’anniversaire de Lucy, Mary-Jane fait la connaissance de Julien (Matthieu Demy), un camarade de classe de Lucy. Le garçonnet l’émeut. Elle éprouve pour lui des sentiments troubles.

Kung-Fu Master est sorti en salles en mars 1988. À l’époque, je passais mon bac, commençais à aller au cinéma et avais reçu un abonnement à Première comme cadeau d’anniversaire. J’avais remarqué ce film-là mais n’avais pas réussi à le voir, faute qu’il fût diffusé sur les écrans de ma lointaine province. La liste de ces films-à-voir est longue de The Kitchen Toto à Pola X en passant par Les Rebelles du dieu Néon, Ariel, Nénette et Boni, Slacker, Le Festin nu, Garçon d’honneur ou Devarim. Mais je ne désespère pas, un jour, de finir par les voir d’une façon ou d’une autre.

Agnès Varda avait tourné un documentaire sur Jane Birkin, Jane B. par Agnès V., au cours duquel l’actrice lui confessait avoir écrit l’ébauche d’un scénario. Ni une ni deux, la réalisatrice décidait de le mettre en scène. Le résultat arrivait sur les écrans six mois plus tard avec un petit film, modeste et mineur, tourné en famille, avec les enfants des uns et des autres, chez les uns et chez les autres (une partie de l’action se déroule à Londres, chez les parents de Jane Birkin).

Aussi mineur soit-il, Kung-Fu Master est un film profondément touchant.
Son sujet pourrait mettre mal à l’aise : il y est tout de même question de la relation amoureuse d’une quadragénaire avec un collégien. On tremble d’ailleurs à l’idée des difficultés que la bien-pensance contemporaine opposerait peut-être aujourd’hui à sa réalisation.

Mais le malaise que le sujet inspire est miraculeusement évacué. Évacué par les ellipses d’un scénario qui laisse planer un doute sur la nature de la relation qui unit Mary-Jane à Martin. Évacué par la douceur de Jane Birkin, dont les sourires et les sentiments pour le jeune Martin n’ont rien de sale. Évacué enfin par l’identité du jeune acteur interprétant Martin, Mathieu Demy, le fils d’Agnès Varda, dont on n’imagine pas un instant qu’elle lui aurait fait jouer un rôle malsain.

Kung-Fu Master est un bijou que j’ai bien fait de ne pas avoir vu à sa sortie. Je n’aurais éprouvé aucune nostalgie à revoir le Paris des années 80, ses vieilles Renault 5, sa mode hideuse (ah ! ces choucroutes !). Je n’aurais pas été ému par le visage poupin de la jeune Charlotte, à peine sortie de l’enfance – pourtant déjà auréolée deux ans plus tôt par le César du meilleur espoir féminin pour L’Effrontée. Je n’aurais pas compris la tendresse du regard que Agnès Varda porte sur ces jeunes adolescents, ni le trouble qu’ils inspirent au personnage joué par Jane Birkin.

La bande-annonce

Au-dessous du volcan (1984) ★★★☆

L’action d’Au-dessous du volcan respecte l’unité de temps et de lieu. Elle se déroule le 2 novembre 1938, le Jour des morts, à Cuernavaca au Mexique. Elle a pour héros un consul britannique dont l’alcoolisme pathologique a causé la perte de sa charge. Geoffrey Firmin (Albert Finney) a sombré dans la boisson parce que sa femme Yvonne (Jacqueline Bisset) l’a quitté, parce qu’aussi il a vécu durant la Première guerre mondiale un traumatisme jamais cicatrisé.

J’avais lu le roman de Malcom Lowry. Je ne l’avais pas aimé. J’avais vu il y a dix ans l’adaptation qu’en avait faite Guy Cassiers au Théâtre de la ville. Je ne l’avais pas aimé non plus. Logiquement, je n’aurais pas dû aimer le film de John Huston – que je suis pourtant allé voir, mû par je ne sais quel masochisme teinté d’encyclopédisme. Divine surprise ! je l’ai aimé !

Pour  deux raisons.

La première est la brièveté du film. En moins de deux heures, John Huston – dont c’est l’antépénultième film avant L’Honneur des Prizzi et Gens de Dublin – condense un roman de près de quatre cents pages qui m’avait semblé interminable. Les divagations d’un ivrogne sont un matériau romanesque difficile à manier. Le risque est qu’elles deviennent vite répétitives et lassantes.

Ce risque est évité grâce à l’incroyable prestation de Albert Finney. C’est la seconde qualité du film à mes yeux. L’immense acteur shakespearien est magistral dans le rôle du consul éthylique. Sa démarche vacillante, son smoking sale forment une des images inoubliables du cinéma d’Hollywood. L’Oscar du meilleur acteur lui a échappé de peu. Il fut décerné cette année là à F. Murray Abraham pour son rôle dans Amadeus.

La bande-annonce

La Possibilité d’une île (2007) ☆☆☆☆

Daniel1 (Benoît Magimel) est le fils d’un gourou d’une secte minable proche du charlatanisme. À la mort de son père, il décide de partir à Lanzarote pour pénétrer une autre secte lancée dans un projet prométhéen de clonage de l’espèce humaine.
Plusieurs siècles plus tard, le monde ravagé par une succession de guerres et d’épidémies, Daniel25 vit seul dans une grotte et lit le journal de son lointain ancêtre avant de partir à la recherche d’éventuels survivants au milieu des ruines.

Comme The Fountain que j’ai chroniqué hier, La Possibilité d’une île fait partie de ces films à la réputation sulfureuse dont j’avais raté la sortie dans les années 2000. Le confinement – soyons positif – est l’occasion d’une séance de rattrapage.

Si The Fountain divisa le public et la critique, La Possibilité d’une île reçut un accueil unanime et sans appel : de l’avis général, c’était un film prétentieux et raté.

Force est d’admettre que le public et la critique avaient raison.

La Possibilité d’une île fut pourtant un roman réussi. Pas le meilleur de Houellebecq dont l’œuvre maîtresse aura été Les Particules élémentaires, le plus magistral, le plus audacieux, le plus novateur. Pas mon préféré non plus, Extension du domaine de la lutte restant celui par lequel j’ai découvert Houellebecq au milieu des années 90 et avec lequel il m’a définitivement conquis (une adaptation cinématographique méconnue et pourtant très réussie en fut tirée en 1999 avec José Garcia et Philippe Harel). Pas celui que couronna le Goncourt non plus, cette distinction étant finalement attribué à La Carte et le Territoire en 2010. Pas celui enfin qui causa le plus de polémiques, Soumission, dont la sortie en janvier 2015, on s’en souvient, coïncida avec l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo.

La Possibilité d’une île est un roman touffu de près de cinq cent pages qui brasse quelques uns des thèmes de prédilection de Houellebecq : la déshumanisation de nos sociétés contemporaines dont les moindres aspects, y compris l’amour et le sexe, s’inscrivent inexorablement dans des logiques marchandes, les possibilités infinies ouvertes par la science et par la biologie, un pessimisme radical sur l’avenir de l’humanité…

Mais un roman réussi peut donner lieu à un film raté – la réciproque étant en revanche plus rare. Surtout quand on a la mauvaise idée d’en confier la réalisation à son auteur qui n’a manifestement pas la moindre expérience de la caméra. Houellebecq a le défaut des novices. Il tourne des plans splendides, sans la moindre idée de leur agencement. Du coup, son film, qui saute du coq à l’âne, manque cruellement de rythme. Ses meilleures scènes sont les moins spectaculaires, lorsqu’il dénonce les tares de nos sociétés contemporaines, avec une ironie grinçante façon Kervern-Delépine. En revanche, dès qu’il verse dans la S-F, le résultat est si calamiteux qu’il en devient drôle. Le malheureux Benoît Magimel semble vite aussi perdu que nous.

La seule qualité de ce film est son étonnante brièveté : quatre-vingt cinq minutes à peine alors que le roman laissait augurer une durée nettement plus languide. Comme si, à mi-parcours, l’écrivain s’était lassé de son nouveau joujou à six millions d’euros et avait laissé tomber la caméra.

La bande-annonce

The Fountain (2006) ★★★☆

Au XVIème siècle, un conquistador part aux Amériques à la recherche de la Fontaine de jouvence.
De nos jours, un cancérologue cherche frénétiquement un remède au cancer qui va emporter sa femme.
Au XXVIème siècle, un sage lévite, près d’un arbre qu’il espère ramener à la vie, dans une bulle qui navigue dans l’espace, hanté par le souvenir de la femme qu’il a aimée.

Auréolé du succès de ses deux premiers films, Pi et Requiem of a Dream, le réalisateur Darren Aronofsky a mis plus de six ans à tourner The Fountain, son œuvre la plus ambitieuse. Brad Pitt et Kate Blanchett auraient dû en interpréter les rôles principaux. Ils furent remplacés en cours de production par Hugh Jackman et par Rachel Weisz qui, à l’époque, partageait la vie du réalisateur (elle partage désormais celle de Daniel Craig… soupirs). Le budget de quatre vingt dix millions de dollars fut raboté des deux tiers. Et le film fut finalement un échec commercial cinglant.

Depuis sa sortie en 2006, The Fountain est devenu un film-culte. Pour les uns, c’est un salmigondis métaphysique prétentieux noyé dans une esthétique tape-à-l’œil. Pour les autres, c’est une magistrale réflexion sur la mort sublimée par des images et une musique renversantes.

C’est avec cette somme d’a priori que j’ai enfin découvert un film que mon expatriation au Sénégal m’avait empêché de voir à sa sortie. Je craignais que le sens ne m’en échappe. Crainte injuste : si le film joue à saute-moutons entre ses trois temporalités, son scénario très fluide se laisse toujours parfaitement comprendre. Je craignais plus encore sa fatuité. Là encore, ma méfiance était infondée. Certes The Fountain se prend au sérieux au risque de parfois verser dans l’emphase. Certes il se coltine un sujet qui pèse des tonnes au risque là encore de sembler sentencieux. Mais il le fait dans un style si extraordinaire que, sans crier comme certains au chef d’œuvre, on se dit finalement que The Fountain méritait d’être vu.

La bande-annonce

Dernier Caprice (1961) ★★★☆

M. Kohayagawa dirige une petite brasserie à Osaka, menacée par la concurrence. Il a eu trois enfants. Son fils est mort laissant une veuve, Akiko, qui hésite à se remarier. Sa fille aînée, Fumiko, est mariée à Hisao, qui travaille dans la brasserie de son beau-père et s’inquiète de son devenir. Sa cadette, Noriko, est secrètement amoureuse d’un ancien collègue et refuse les partis qu’on lui propose.
L’âge de M. Kohayagawa et sa santé déclinante laissent augurer sa fin prochaine. Mais avant de mourir, le vieil homme veut s’autoriser un « dernier caprice » : retrouver Madame Sasaki, une ancienne maîtresse avec qui il a eu jadis un enfant illégitime.

Dernier Caprice – aussi connu sous son titre plus littéral L’Automne de la famille Kohayagawa – est l’un des tout derniers films de Ozu. Son sujet testamentaire résonne avec le destin du grand réalisateur qui est sur le point de clôturer son œuvre avec Le Goût du saké. La mort rode ; mais cette perspective n’a rien de lugubre. Comme toujours chez Ozu, ses personnages se montrent d’une infinie délicatesse.

Le plus emblématique est Akiko, la belle-fille de Kohayagawa, interprétée par Setsuko Hara, qui refuse de se remarier. Le personnage fait écho à la relation secrète qui unissait le réalisateur et son interprète fétiche : elle arrêta sa carrière à la mort d’Ozu et vécut retirée, refusant la moindre interview pendant plus de cinquante ans.

Autour d’elle on retrouve, dans des rôles mineurs, les acteurs dont Ozu s’est entouré dans tous ses films : Chishu Ryu, Haruko Sugimura. On y retrouve sa manière de filmer, si reconnaissable : de longs plans fixes soigneusement cadrés tournés à ras du tatami, des champs-contrechamps filmés dans l’axe donnant presque l’impression que les protagonistes s’adressent à la caméra. Et surtout on y retrouve la légèreté et la tendresse dont sont emprunts chacun de ses films.

Je revois très rarement les films que j’ai déjà vus. Pourquoi le ferais-je ? Soit je les ai aimés et je risque de moins les aimer en les revoyant. Soit je ne les ai pas aimés et pourquoi les aimerais-je à leur seconde vision ? Mais néanmoins, l’âge aidant, quand la fin approchera, je consacrerai les six mois de répit que m’offrira mon cancer fulgurant à revoir les films d’Ozu. Je n’imagine guère de baume plus efficace aux chagrins de la vie.

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Hotel by the river ☆☆☆☆

Unité de temps, unité de lieu. Toute « l’action » de Hotel by the River se déroule, comme son titre l’annonce, dans un hôtel au bord d’une rivière glacée, en l’espace de vingt-quatre heures.
Un vieil homme y réside. C’est un poète au crépuscule de sa vie qui a été invité par le propriétaire de l’hôtel. Ses deux fils le rejoignent, qui ne cessent de se chamailler, pour passer une journée avec lui. Dans une chambre voisine, une femme seule tente de se remettre d’une récente rupture amoureuse. Une amie est venue l’épauler.

Hong Sangsoo tourne deux ou trois films par an. Celui-ci, sorti l’été dernier en France, a été bouclé en quinze jours, durant l’hiver 2018 et il vient s’ajouter à la liste déjà longue de ceux que j’ai chroniqués ici et que je continuerai à chroniquer.

Car, ma foi, comme on lit les romans de Modiano, on va voir les films de Hong Sangsoo. On va les voir parce qu’ils sont toujours précédés d’une critique élogieuse. On va les voir parce que Hong Sangsoo fait figure d’immense réalisateur coréen. Et enfin on va les voir parce qu’ils ne sont pas bien longs et que, s’ils ne nous plaisent pas, on les aura vite terminés.

Le problème est qu’on a parfois l’impression que Hong Sangsoo se fiche un peu du monde. Sans doute son noir et blanc est-il d’une grande élégance et la silhouette de ces femmes longilignes dans leur grand manteau noir sur la rivière gelée est-elle d’une infinie poésie. Sans doute aussi, la maturité approchant, Hong Sangsoo s’éloigne-t-il de ces sujets de prédilection et signe-t-il pour la première fois une réflexion sur la mort. Mais, ce film qui ne prend même pas la peine de s’éloigner de l’hôtel où ces cinq acteurs et son équipe technique étaient probablement installés, filmant à tour de rôle ses chambres sans attrait, son hall d’entrée, sa terrasse et le restaurant qui le jouxte, n’en donne pas moins l’impression d’avoir été bouclé à la va-vite histoire de tenir le rythme stakhanoviste que ce réalisateur trop prolifique s’est imposé.

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Le Bon Grain et l’Ivraie ★☆☆☆

Pendant un an, à Annecy et dans ses environs, la réalisatrice Manuela Frésil, déjà remarquée pour le documentaire qu’elle avait consacré en 2013 aux conditions de travail dans un abattoir industriel (Entrée du personnel), a suivi des familles de demandeurs d’asile kosovars. Elle s’est surtout attachée à leurs enfants, à leurs joies, à leurs peines.

Filmer à hauteur d’enfants la terrible condition des demandeurs d’asile. Il suffit de regarder la bande-annonce de ce documentaire, d’y voir des angelots blondinets, grelottants de froid, obligés à dormir à la rue quand ils ne sont pas transbahutés d’un lieu d’accueil à un autre, dont le moins qu’on puisse en dire est que le confort n’y est pas excessif, pour avoir le cœur qui se brise et pour prendre fait et cause pour eux et contre les lois iniques qui leur imposent cette situation.

Un instant de raison devrait toutefois nous inciter à plus de lucidité et à prendre le recul que le documentaire ne nous permet pas. Sans doute, entend-on en voix off les témoignages, déchirants, que des demandeurs d’asiles kosovars produisent devant l’Ofpra (l’établissement public qui instruit les demandes d’asile) ou devant la CNDA (la juridiction administrative spécialisée qui connaît des requêtes dirigées contre les refus de titres d’asile par l’Ofpra) : les demandeurs y semblent de bonne foi, qui invoquent les persécutions qu’ils ont subies dans leur pays en raison notamment d’unions mixtes mal tolérées ou de vendettas. Ces témoignages sont scrutés à la loupe par les agents qui les reçoivent et qui en apprécient le sérieux. Les demandeurs kosovars sont souvent hélas des réfugiés économiques (le Kosovo est le pays le plus pauvre d’Europe avec un taux de chômage estimé à 30 %) qui ne remplissent pas les critères leur permettant de bénéficier de l’asile en France.

Au-delà du débat passionnant qu’il soulève sur la situation des demandeurs d’asile en France, Le Bon Grain et l’Ivraie ne brille pas par ses qualités cinématographiques. Un jour ça ira, qui sur un mode similaire, suivait les enfants des locataires de L’Archipel, un centre d’hébergement d’urgence à Paris, souffrait déjà des mêmes défauts. Étaient autrement convaincants les documentaires sur l’accueil en Cada (Les Arrivants, 2008) et sur l’apprentissage du français à des jeunes étrangers (La Cour de Babel, 2013).

La bande-annonce