Le Feu follet (1963) ★★☆☆

Alain Leroy (Maurice Ronet)  vient de passer une nuit avec sa maîtresse. Il est séparé de sa femme Dorothy qui vit aux États-Unis. Alcoolique repenti, il achève une cure de désintoxication dans une clinique versaillaise. Agité de pensées suicidaires, il va passer une dernière journée à Paris. Les rencontres qu’il va y faire – un ami passionné d’égyptologie, marié et père de famille, deux camarades de régiment pervertis par l’OAS, une ancienne maîtresse (Jeanne Moreau à laquelle Louis Malle venait de donner le rôle principal d’Ascenseur pour l’échafaud) – ne parviennent pas à le détourner de son macabre projet.

Le film de Louis Malle, sorti en 1963, est l’adaptation du roman de Pierre Drieu la Rochelle écrit trente ans plus tôt. Il lui est très fidèle même s’il transpose son action dans le Paris des années soixante, dont on revoit avec nostalgie les rues incroyablement embouteillées de l’époque, et s’il évoque la guerre d’Algérie et ses répliques dans la société française.

Il ne quitte pas d’une semelle Maurice Ronet, qui habite le rôle de ce trentenaire désabusé, rongé par ses démons intérieurs. Trop tôt disparu en 1983, l’acteur allait connaître son heure de gloire dans les années soixante. À l’époque sa renommée égalait celle d’un Belmondo ou d’un Delon, avec lequel il partagea d’ailleurs l’affiche de Plein soleil ou de La Piscine.

J’avais lu Le Feu follet il y a quelques années. J’en étais curieux d’en voir l’adaptation. Le film comme le livre ont fait sur moi la même impression. J’ai trouvé qu’ils souffraient l’un comme l’autre d’un défaut de construction et d’un manque de rythme, les rencontres qu’Alain Leroy fait à Paris durant sa déambulation s’accumulant sans ordre ni logique. Mais j’ai été surtout mortellement déprimé par ce sujet plombant qui m’a laissé hagard et atone.

Si vous hésitez encore à vous suicider, cher lecteur, courrez voir Le Feu follet et n’oubliez pas la corde pour vous pendre !

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Plein sud (2009) ★☆☆☆

Au volant d’une Ford hors d’âge, Sam (Yannick Rénier) a pris la route du Sud et la direction de l’Espagne pour y retrouver sa mère (Nicole Garcia) et solder avec elle un lourd passif familial. Il a pris en stop Léa (Léa Seydoux) et son frère Mathieu. Un quatrième passager, Jérémie, se joint bientôt à eux.

Sébastien Lifshitz est un des réalisateurs les plus intéressants de sa génération. Très investi dans la cause LGBT, il a réalisé ces dix dernières années, quatre documentaires marquants : Les Invisibles (2012) sur les couples homosexuels menant une vie ultra-normale, loin des caricatures qu’on en fait trop souvent, Bambi (2013) sur la vie d’une célèbre artiste transgenre de cabaret, Adolescentes (2019) sur deux jeunes filles de province qui cherchent leur voie et enfin Petite fille (2020) sur le combat d’une mère dont le fils souhaite changer de genre.

Mais avant de se fixer définitivement sur le documentaire, Sébastien Lifshitz s’était frotté à la fiction. Il avait tourné Wild Side en 2004 autour d’un trio de marginaux prostitués et transgenres. Cinq ans plus tard, il réalisait Plein sud, avec un scénario plus mainstream et des acteurs plus bankables : Léa Seydoux, icône de l’hyperféminité, Nicole Garcia toujours magnétique, Yannick Rénier dont le talent de son demi-frère, Jérémie, a hélas occulté la carrière.

Malheureusement la sauce ne prend pas. Les combinaisons amoureuses du quatuor (Mathieu aime Sam, Léa couche avec Jérémie) se déploient dans le huis clos de la voiture puis sur les plages atlantiques battues par le vent sans qu’on s’y intéresse ni s’en émeuve.
Plus intéressant serait le trauma familial de Sam qui se révèle par une série de flashbacks et dont la résolution constitue le point d’orgue du film. Mais, son manque de lien avec le road movie des quatre jeunes donne la fâcheuse impression d’un scénario mal ficelé à partir de deux sujets sans lien entre eux.

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Captive ★★★☆

Au milieu du dix-neuvième siècle, au Canada, dans la province de l’Ontario, Grace Marks et James McDermott furent accusés du double meurtre de leur employeur, Thomas Kinnear, et de sa gouvernante, Nancy Montgomery. Si McDermott fut pendu, la peine de Grace Marks fut commuée en prison à vie. Quelques années après son procès, un jeune psychiatre obtient le droit de l’interroger. Captive raconte leur face-à-face.

Diffusé sur Netflix en 2017, Captive est une mini-série en six épisodes adaptée du roman Alias Grace de Margaret Atwood publié en 1996, Sans doute ce livre n’a-t-il pas la même renommée que La Servante écarlate, qui valut à la romancière canadienne une célébrité mondiale. Sans doute cette série n’a-t-elle pas le même prestige que celle qui vient d’être tirée de sa glaçante dystopie. Sans doute enfin la jeune Sarah Gadon – qui a pourtant joué dans plusieurs films de David Cronenberg – n’est elle pas aussi connue qu’Elisabeth Moss.

Pour autant, Captive est une œuvre exceptionnelle qui séduira non seulement les inconditionnels, déjà nombreux, de La Servante écarlate, mais aussi tous ceux, s’il en existe encore, qui n’ont jamais rien lu ni vu de Margaret Atwood. La soigneuse adaptation qu’en signe Mary Harron lui rend honneur

Alias Grace n’a, à première vue, rien de commun avec The Handmaid’s Tale. Il ne s’agit pas d’une dystopie mais d’un roman historique dont l’action se déroule dans le Canada du milieu du dix-neuvième siècle. Mais les deux romans sont traversés par le même féminisme brûlant qui caractérise toute l’œuvre de Margaret Atwood. Si The Handmaid’s Tale évoque, dans un futur cauchemardesque mais hélas crédible, la possibilité de l’asservissement de la femme, Alias Grace documente l’asservissement bien réel qui caractérisa sa condition il y a moins de deux siècles.

Grace est la victime des hommes. Elle est la victime de son père alcoolique, joueur, voire incestueux, qui lui fait traverser l’Atlantique, avec sa mère, ses frères et ses sœurs, avant de la placer comme domestique dans une maison. Elle est la victime de George Parkinson, le fils de ses premiers employeurs, qui cause la mort de Mary Whitney, sa meilleure amie, avant de provoquer son renvoi. Elle est enfin la victime de James McDermott, le garçon de ferme de Thomas Kinnear, qui l’entraîne dans ses délires criminels.

Sera-t-elle sauvée par le docteur Jordan qui veut tester sur elle les premières ébauches d’une psychiatrie freudienne avant l’heure ? Tel est l’enjeu du roman qui alterne les rencontres entre les deux protagonistes et les longs flashbacks. La série suit la même structure avec la même efficacité.

Captive est construit autour d’un mystère : Grace est-elle une innocente jeune femme qui, traumatisée par tous les drames qu’elle a vécus depuis son enfance, ne saurait être tenue pour responsable des crimes qu’elle a commis ? Ou est-elle au contraire, une dangereuse criminelle qui a tué de sang froid ? L’immense qualité du livre – et de la série – est de laisser planer le doute jusqu’au bout, laissant en suspens la question de la duplicité et donc de l’identité profonde de Grace. Le paradoxe de sa construction est d’entourer Grace de personnes bienveillantes : son psychiatre, le Dr Jordan, dont l’attirance pour la jeune femme le prive de sa lucidité, le pasteur de la société de tempérance qui œuvre pour son amnistie (interprété par David Cronenberg himself). Paradoxalement, c’est Grace elle-même qui semble la moins désireuse d’être blanchie. Et c’est avec un plaisir sournois qu’elle humilie le Dr Jordan et discrédite son protocole – faisant écho à la défiance de certaines branches du féminisme contemporain pour la méthode freudienne.

La vie de Grace est un patchwork (Marie Delord, “A Textual Quilt: Margaret Atwood’s Alias Grace” in Études Canadiennes / Canadian Studies, n° 46, 1999, pp. 111-121). Chacun des quinze chapitres qui compose le livre a pour titre un motif de courtepointe. La série ne pousse pas la fidélité jusqu’à leur emprunter les titres de ses épisodes. Mais elle prend soin de commencer par des images de ces superbes broderies et s’achève avec celle que Grace réalise au crépuscule de sa vie, enfin réconciliée avec elle-même.

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La Cabane dans les bois (2011) ☆☆☆☆

Dana, Curt, Jules, Marty et Holden sont cinq jeunes étudiants américains insouciants qui partent passer un week-end dans un chalet au fond des bois. Ils ignorent qu’ils sont l’objet d’une minutieuse surveillance d’une mystérieuse organisation qui a truffé le chalet de caméras cachées et qui s’apprête à déchaîner contre eux les forces de l’enfer.

Le slasher est un genre essoré. On a trop souvent vu des jeunes se perdre dans les bois où, en T-shirt mouillés pour les filles, couverts de sangs pour les garçons, ils sont l’un après l’autre cruellement éviscérés par des loups-garous/ des zombies / des sorcières, pour ne pas attendre un dépassement du genre. Ce renouvellement est longtemps passé par le rire : Scream, Shaun of the dead, Bienvenue à Zombieland

La Cabane dans les bois s’inscrit dans cette veine. Il s’agit d’une parodie des films gore qui se voudrait non seulement drôle mais aussi intelligente, un croisement improbable entre The Truman Show (voire Westworld qui à l’époque n’était pas encore sorti) et Scary Movie. Josh Whedon, le créateur de Buffy contre les vampires en est le producteur et le co-scénariste. Je ne l’avais pas vu à sa sortie début 2012 ; mais ses bonnes critiques, son succès public et les loisirs que laisse (hélas) le couvre-feu m’ont incité à une séance de rattrapage.

Las ! Je n’ai rien aimé dans ce film. Je n’y ai trouvé rien de drôle (alors que Shaun of the Dead par exemple m’avait fait rire aux larmes). Rien d’intelligent non plus. Très vite, tuant tout suspens, on comprend l’intrigue qui se déploie mollement jusqu’à une conclusion inutilement grandiloquente – et l’apparition en guest star de Sigourney Weaver qui, la pauvre, doit avoir des impôts à payer. Deux consolations pour les cochon.nes qui sommeillent en chacun.e d’entre nous : et les pectoraux bodybuildés de Jesse Williams à 18′ et le chemisier de l’héroïne qu’elle a le bon goût d’ôter à 41′.

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Motherland ★☆☆☆

1992. Kovas a douze ans. Sa mère Viktorija a fui l’URSS vingt ans plus tôt pour les États-Unis sans espoir de retour. L’indépendance récemment acquise lui permet de faire un voyage en Lituanie et d’y retrouver sa famille. Viktorija rêve de remettre la main sur le grand domaine dont sa famille avait été expropriée. Mais pour faire reconnaître ses droits, il lui faut démarcher une administration corrompue et se débarrasser des occupants sans titre qui se sont installés sur son terrain.

Un joli titre. Gimtine en lituanien signifie patrie, pays d’origine. Les distributeurs internationaux du film ont eu la riche idée de le traduire par Motherland, un néologisme forgé à partir de « fatherland », qu’on pourrait traduire par « la patrie de la mère » voire la « matrie » ce que Arte qui le diffuse n’a pas eu l’audace de faire.

C’est en effet dans le pays de sa mère que revient Kovas. Ou plutôt qu’il y vient car tout porte à croire qu’il n’y a jamais mis les pieds depuis sa naissance, bien que sa mère l’ait élevé dans sa langue. Pour ce petit Américain, qui est né et a grandi à Boston, tout est étrange et déconcertant dans ce « pays natal » filmé à travers ses yeux.

Ce presque-« retour au pays natal » aurait pu donner lieu à de stimulantes réflexions sur le post-soviétisme ou l’indépendance fraîchement acquise de la Lituanie. Mais ce n’est pas ce terrain qui intéresse Tomas Vengris qui, comme Kovas a grandi aux États-Unis de parents lituaniens. Il préfère la piste du roman d’apprentissage comme on en a hélas déjà vu treize à la douzaine, s’attardant, sans qu’ils présentent grand intérêt, sur les premiers émois adolescents du jeune homme, notamment en compagnie de Marija qui l’initie à la conduite automobile.

Sauf à nourrir pour les pays baltes et pour leur timide cinématographie un intérêt suspect, Motherland ne présente guère d’intérêt.

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Stavisky (1974) ★☆☆☆

« L’affaire Stavisky » défraya l’histoire de la IIIème République. Cet escroc au bras long avait réussi à éviter les poursuites grâce à ses relations dans la politique et la justice. La faillite du crédit municipal de Bayonne puis sa mort, dans des conditions obscures, à Chamonix, le 8 janvier 1934, entraînent une série de révélations qui provoquent la chute du Gouvernement et suscitent une flambée d’antiparlementarisme. Le 6 février 1934, une foule de manifestants manque d’envahir le palais-Bourbon et de renverser le régime.

En 1974, « Bébel » vient de fêter ses quarante ans. Il atteindra le sommet de sa gloire quelques années plus tard avec L’As des as et les films de Lautner qui lui confèrent une gloire qu’aucun acteur français ne connaîtra plus après lui. « Belmondo » deviendra une marque sur laquelle repose, à elle seule, la publicité des films dont il tient désormais la tête d’affiche. Mais, en 1974, Belmondo est déjà un acteur célèbre. Il tourne depuis presque vingt ans, d’abord avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague (Jean-Luc Godard, François Truffaut), puis pour des réalisateurs plus grand public (Henri Verneuil, Philippe de Broca, Gérard Oury). Stavisky est le premier film – et le dernier – qu’il joue avec Alain Resnais. L’écrivain célèbre Jorge Semprun est au scénario et aux dialogues. Il est projeté à Cannes en compétition officielle mais n’y rencontre aucun succès. Belmondo dira qu’il fut l’une de ses plus grandes déceptions qui le décida à opter définitivement pour le cinéma de divertissement.

Il faut bien reconnaître que ce Stavisky est une cote mal taillée qui a mal résisté à l’épreuve du temps. Le choix revendiqué de Resnais, qui lui a été beaucoup reproché, est d’avoir négligé le contexte historique pour se focaliser sur le bel escroc et sa folie des grandeurs. Le problème est que le scénario, du coup, perd vite tout intérêt, dont on aura compris, puisqu’on connaît déjà la fin de l’histoire, qu’il nous racontera une chute inexorable.

L’autre problème est Belmondo lui-même qui écrase le film de son omniprésence. Bebel a dans Stavisky exactement le même bagout, le même sourire inoxydable, la même énergie inépuisable, la même gouaille sympathique que dans tous ses autres films. Si Photoshop avait existé à l’époque, on aurait pu utiliser tels quels des plans de Stavisky pour L’Homme de Rio ou Les Tribulations d’un Chinois en Chine. Le ban et l’arrière ban du cinéma français de l’époque l’entourent : Anny Duperey en vamp glamourissime, Charles Boyer vieillissant en baron d’un autre âge, Michael Lonsdale en médecin complaisant, François Périer en bras droit, Claude Rich en policier retors et même Gérard Depardieu dans un petit rôle et Niels Arestrup, mince et méconnaissable, dans un plus petit rôle encore.

À l’histoire de Stavisky a été bizarrement greffée celle de Trotski qui, à la même époque, bénéficie brièvement de l’asile politique en France, à Cassis où il débarque d’abord, à Saint-Palais près de Royan, à Barbizon et enfin à Domène près de Grenoble. Il faut sans doute y voir l’obsession de Semprun pour le fondateur de la Quatrième internationale qu’il évoque dans plusieurs de ses romans. Mais, sans lien avec celle de Stavisky, on voit mal ce qu’elle lui apporte.

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The Dig ★★☆☆

Edith Pretty (Carey Mulligan) est une jeune veuve qui élève seule son fils unique dans le vaste domaine que lui a légué son mari. Pour faire des fouilles sur son terrain, elle embauche Basil Brown (Ralph Fiennes), un vieil archéologue autodidacte qui y fait bientôt une découverte étonnante : un immense tumulus funéraire renfermant une tombe saxonne et son trésor. La découverte suscite l’intérêt immédiat des experts du British Museum qui entendent se l’approprier.

Le tout dernier film Netflix est arrivé sur les (petits) écrans hier et suscite des critiques mitigées. Certains y voient un mélo anglais ennuyeux. D’autres y voient au contraire une émouvante allégorie sur la mort qui vient et la vie qu’il faut croquer à pleines dents d’ici là.

Les deux critiques, aussi contradictoires soient-elles, me semblent aussi pertinentes l’une que l’autre. La première partie du film, qui s’étire sur près de deux heures et aurait pu faire l’économie d’une bonne vingtaine de minutes, est en effet particulièrement ennuyeuse. On y plonge dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, dans des paysages et des situations qui ne sont pas sans rappeler Downton Abbey. Cette partie se focalise sur Basil Brown. Le jeu, parfait comme toujours, de Ralph Fiennes, tout en retenue, tourne vite court : on comprend rapidement les ressorts qui animent ce personnage silencieux et dur à la tâche. On sent venir inexorablement l’idylle convenue qui rapprochera ces deux cœurs solitaires, unis dans la même entreprise.

Mais le film réussit dans sa seconde partie à se sortir de l’ornière dans laquelle il semblait devoir s’encalminer. Il y réussit grâce à l’arrivée de nouveaux personnages qui donnent un peu d’oxygène à un récit qui s’étouffe dans un duo asthénique : un cousin photographe beau comme le jour (Johnny Flynn) et la femme mal mariée d’un archéologue venu de Londres (Lily James qui ne cesse, depuis sa première apparition dans Downton Abbey d’illuminer tous les films où elle apparaît). Il y réussit car le vrai sujet du film, jusque là invisible, apparaît de mieux en mieux.

Il est terriblement métaphysique au risque d’écraser le film tout entier sous son poids – comme s’écrasent sur Basil Brown les mottes de terre mal étayées qui manquent l’ensevelir au début de ses travaux. Dans l’Angleterre de 1939 qui va basculer dans la guerre, on comprend qu’il s’agit, dans l’excavation de cette tombe saxonne vieille d’une douzaine de siècles, dans l’entêtement de cette riche propriétaire à mener à bien cette tâche avant une mort qu’elle sait imminente, de retrouver les traces vacillantes de quelques vies enfouies qu’on croyait définitivement enterrées mais qui conservent, aussi vaines fussent-elles, leur sens et leur dignité par delà les siècles.

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Guillermo Vilas : Un classement contesté ★☆☆☆

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, Guillermo Vilas comptait parmi les meilleurs du tennis mondial avec Jimmy Connors et Björn Borg. Vainqueur de quatre tournois du Grand Chelem (Roland Garros et l’US Open en 1977, l’Open d’Australie en 1978 et en 1979), champion incontesté de la terre battue, il ne fut jamais consacré numéro un mondial par le classement de l’ATP. Quarante ans plus tard, un journaliste argentin décide de reprendre à zéro les calculs de l’ATP et de rendre à Vilas la reconnaissance dont il a été frustré.

Il y avait bien des façons de parler de Guillermo Vilas, le célèbre tennisman au physique de playboy argentin, séducteur impénitent, poète et guitariste à ses heures perdues. Son service-volée et son incroyable endurance galvanisaient les foules. Il a inventé le lift. Il livra face à Nastase en finale des Masters de 1974 un combat d’anthologie qu’il gagna en cinq sets. C’est grâce à lui notamment que le tennis, jusqu’alors un sport d’amateur et de gentleman, devint à cette époque un show médiatique.

Pourtant, c’est par un angle bien particulier que Mathias Gueilburt aborde pour Netflix la carrière de Vilas : celui de son classement ATP. À l’époque, avant l’informatique, ce classement, lancé depuis 1973 seulement, était encore artisanal et entaché d’erreurs. Eduardo Puppo, un journaliste sportif, tenta sans succès d’en reprendre les calculs. Débordé par l’ampleur de la tâche, il dut s’adjoindre le concours d’un mathématicien roumain, Marian Culpian. Leur travail herculéen démontre que Vilas aurait mérité la place de numéro 1 pendant cinq semaines en 1975 et pendant deux autres début 1976.
L’ATP fut saisie d’une demande de requalification. Elle la rejeta en 2015. le documentaire laisse entendre que ce rejet était arbitraire et n’était guère motivé que par la crainte de voir surgir d’autres contestations. La raison en est en fait plus simple – et moins flatteuse pour Vilas : si le classement des têtes de séries n’avait pas été le même à l’époque, répond l’ATP, les joueurs auraient affronté d’autres adversaires et eu d’autres résultats qu’on ne saurait rétrospectivement reconstituer. Pour le dire autrement : il est impossible de modifier rétroactivement le classement mondial car cette modification aurait empêché les matches qui ont eu lieu de se tenir.

Cette querelle de chiffres et d’historien n’est pas inintéressante. Elle révèle la frustration d’un tennisman qui, faute d’avoir jamais accédé à la première marche du podium, a nourri toute sa vie durant une rancœur poulidorienne. Elle a permis aussi que se noue entre le journaliste don quichottesque et le champion vieillissant (frappé d’une maladie dégénérative, Vilas s’est retiré à Monaco) une amitié attendrissante. Mais elle nous prive d’une enquête qui aurait été autrement plus stimulante sur le tennisman, son jeu, ses matches, sa vie, ses frasques, comme le documentaire L’Empire de la perfection nous en avait fournie sur McEnroe ou la fiction Borg/McEnroe injustement critiquée.

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Le Roi ★★☆☆

Le roi d’Angleterre Henry IV (Ben Mendelsohn) est mourant. Son fils aîné (Timothée Chalamet) n’a aucune aspiration à régner car il sait que le trône l’obligera à mener des guerres auxquelles il répugne et à être entouré de conseillers dont il ne peut se fier. Pourtant, quand la mort emporte enfin le vieux roi, Henry V assume bravement sa succession. Les humiliations répétées que le roi de France lui envoie le décident à lui déclarer la guerre et à franchir la Manche. Après le siège d’Harfleur, les deux armées se font face à Azincourt. Pour vaincre, Henry V peut compter sur son vieil ami, Sir John Falstaff (Joel Edgerton)

Fallait-il oser aller se frotter aux pièces les plus intimidantes du répertoire shakespearien ? Les épaules du jeune Timothée Chalamet, la coqueluche des jeunes filles en fleurs, n’étaient-elles pas trop frêles pour endosser l’armure jadis revêtue par Laurence Olivier (en 1944) et par Kenneth Branagh (en 1989) ? Jon Edgerton serait-il aussi truculent – et aussi obèse – qu’Orson Welles dans le rôle de Falstaff ?

Si l’on mesure la réussite du Roi à ces aunes-là, la comparaison, jouée d’avance, ne pourra que tourner à son désavantage. Mais si on ignore ces précédents écrasants, le réalisateur David Michôd, dont les précédents films ne laissaient pas augurer qu’il s’aventure dans ces eaux-là, s’en sort avec les honneurs.

Sans doute, Le Roi, qui s’étire pendant cent-quarante minutes, dure-t-il une demie heure de trop et comporte-t-il un ventre mou. Sans doute sa fin à rebondissement manque-t-elle de rythme – même si le rebondissement final est inattendu et donne tout son sens au film. Sans doute enfin peut-on critiquer la prestation de ces deux principaux acteurs – ce que les réseaux sociaux se sont empressés de faire avec une joie méchante : Timothée Chalamet qui ne quitte pas de tout le film le même rictus concentré et Robert Pattinson qui pousse la caricature trop loin, avec un accent outré, dans le rôle du Dauphin de France.

Mais Le Roi réussit superbement à faire ce que ses illustres prédécesseurs focalisés sur le texte de Shakespeare et le jeu des acteurs, négligeaient : restituer les sensations d’une époque. Quand on regarde Le Roi, on entend les bruits de ripaille et de bataille du XVème siècle, on respire ses odeurs de sueur et de merde, on sent presque la boue d’Azincourt nous coller sous les pieds et le poids de ses armures monstrueuses, censées transformer les cavaliers qui les portaient en tanks invincibles au risque de les réduire à des scarabées impotents, peser sur nos épaules.

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Le Diable, tout le temps ★★★☆

Aux confins de l’Ohio et de la Virginie occidentale, de la Seconde guerre mondiale aux années soixante, le destin de plusieurs personnages se croise. Parmi eux, Alvin Russell (Tom Holland). Sa mère (Haley Bennett) est morte d’un cancer pendant son enfance. Son père (Bill Skarsgård), déjà traumatisé par les atrocités qu’il a vécues dans le Pacifique sud pendant la Seconde guerre mondiale, ne s’est pas remis du décès de sa femme. Le jeune Alvin est élevé par sa grand-mère auprès d’une autre orpheline, Lenora (Eliza Scanlen), dont la mère (Mia Wasikowska) a été sauvagement assassinée. Lenora, profondément pieuse, tombe sous l’emprise d’un pasteur pervers (Robert Pattinson) dont Alvin jure de se venger. Mais il croise bientôt la route de deux amants meurtriers protégé par un shérif véreux.

Le résumé que je viens de faire du Diable, tout le temps – au risque d’en révéler quelques uns des ressorts – est passablement confus ? Oui, aussi grands furent les efforts que j’ai déployés pour le simplifier.
Cela signifie-t-il pour autant que le film soit incompréhensible ? Non. Il réussit le miracle de rendre très fluide une narration pourtant passablement emberlificotée.

Il est l’adaptation fidèle d’un roman à succès de Donald Ray Pollock sorti en 2012 et immédiatement salué par la critique. Le roman emprunte au style dit du « Country noir ». Il s’agit d’un sous-genre du roman noir dont l’action se déroule dans l’Amérique profonde, celle des rednecks, des white trash. Faulkner en fut l’inspirateur avant l’heure. Le style a traversé l’Atlantique et on en retrouve la trace dans les « polars ruraux » qui rencontrent depuis quelques années en France un grand succès, signés par Franck Bouysse (Né d’aucune femme, Buveurs de vent), Cécile Coulon (Une bête au paradis) ou Colin Niel (Seules les bêtes brillamment porté à l’écran l’été dernier).

Le Diable, tout le temps s’inscrit dans une riche généalogie cinématographique. Tourné dans les Appalaches, il utilise les mêmes décors que Délivrance. Le couple d’amants criminels interprété par Jason Clarke (abonné au rôle de méchant) et Riley Keough (la petit-fille de Elvis Presley révélée dans Mad Max: Fury Road) semble tout droit sorti d’un roman noir de James Ellroy ou des Tueurs de la lune de miel. Mais ce sont peut-être les références à la religion, à la bigoterie, au charlatanisme qui sont les plus frappantes et qui évoquent les rôles immenses tenus par Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur, Burt Lancaster dans Elmer Gantry ou, plus près de nous, Daniel Day-Lewis dans There Will Be Blood. Il n’y a pas un mais deux prédicateurs torturés dans Le Diable tout le temps : Harry Melling (le cousin d’Harry Potter) et Robert Pattinson qui ont le courage l’un et l’autre d’endosser des rôles terriblement antipathiques.

Mais il n’est nul besoin d’avoir vu tous ces films – ni d’en faire l’étalage – pour apprécier Le Diable, tout le temps. Il faut simplement avoir le cœur bien accroché et se laisser emporter dans cette histoire à la fois terriblement lyrique et atrocement cruelle.

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