The Crown – saison 4 ★★★★

The Crown est de retour. Un an après sa troisième saison, voici la quatrième dont la sortie en France a fort opportunément coïncidé avec le deuxième confinement.

On y retrouve tous les personnages qu’on connaissait déjà : la reine bien sûr, impeccablement interprétée par Olivia Colman, son mari, le duc d’Édinbourg, que les réalisateurs n’ont pas voulu dépeindre aussi réac qu’on le dit être, sa sœur Margaret, de plus en plus alcoolique, ses enfants, Anne, la préférée de son père, Charles, le mal aimé, etc.

La saison 4 raconte les années 80, dont les vieux quinquagénaires de mon espèce ont gardé un souvenir vibrant. Elles voient apparaître autour de la reine – comme l’illustre l’affiche de la saison 4 – deux personnalités importantes. D’un côté Margaret Thatcher, Premier ministre de 1979 à 1990, qui engagea le pays dans une révolution libérale qui le guérit de la récession dans laquelle il était englué mais qui en aggrava ses inégalités sociales. L’actrice américaine Gillian Anderson prend un plaisir communicatif à caricaturer la Dame de fer dont l’image sort sérieusement écornée de cet étrillage en règle. Un épisode est consacré au conflit frontal qui l’oppose à la Reine au sujet des sanctions décidées par le Commonwealth contre le régime sud-africain d’apartheid.

L’autre personnalité dont on attendait impatiemment l’arrivée est bien entendu Lady Di. Le parti a été pris de pousser la ressemblance à son paroxysme – comme d’ailleurs pour quasiment tous les personnages de la série. La jeune Emma Corrin s’en sort avec les honneurs, qui réussit à dresser le portrait d’une jeune fille névrosée, projetée trop jeune dans un milieu hostile qui réussit fort bien ses débuts à Balmoral où Philippe l’adoube. Mais elle souffrit bien vite de la froideur de son époux qui ne l’aimait pas et ne l’aimera jamais – même si une visite officielle en Australie laisse apercevoir l’espoir d’une trop courte réconciliation. On assiste à son éclosion et à son accession inattendue – et fort peu méritée – au statut de star planétaire.

Le Prince Charles est sans doute le personnage qui s’en sort le plus mal. D’ailleurs son personnage est devenu un sujet politique outre-Manche. Il faut saluer la prestation de Josh O’Connor dans ce rôle ingrat qui réussit à rendre le prince de Galles à la fois attachant et horripilant. Déjà dans la saison 3, on avait touché du doigt le besoin éperdu d’amour et de reconnaissance dont l’héritier du trône était sevré. Dans la saison 4, on le retrouve indéfectiblement lié à Camilla Parker-Bowles qui fut tour à tour sa première amante puis sa maîtresse – et qui deviendra, on le sait, son épouse après la mort de Lady Di. Marié trop hâtivement à la jeune Diana, de treize ans sa cadette, pour le seule motif qu’il devait à tout prix, à trente ans bien sonnés, convoler en justes noces et donner à la Couronne un héritier, Charles ne connut aucune félicité avec son épouse. Pire, il revécut auprès de Lady Di ce qu’il vivait depuis sa naissance dans l’ombre de sa mère : le douloureux sentiment d’être éclipsé par plus brillant que lui.

Deux saisons restent à tourner dont la diffusion pourrait avoir lieu dès 2021. Le casting en sera entièrement renouvelé. On annonce Imelda Staunton dans le rôle d’une Elizabeth II vieillissante, Dominic West (The Wire, The Affair) dans celui du Prince Charles et la vertigineuse Elizabeth Debicki dans celui de Diana. On en salive d’avance…

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Le Blues de Ma Rainey ★☆☆☆

À Chicago, pendant l’été 1927. « Ma » Rainey (Viola Davies), surnommée, « la mère du blues » est au sommet de sa gloire. Elle doit enregistrer un disque dans le studio de son producteur. Ses musiciens l’attendent en discutant. Parmi eux, Levee (Chadwick Boseman) affiche fièrement ses rêves d’émancipation. Quand la diva arrive enfin, flanquée de son neveu bègue dont elle exige qu’il participe à l’enregistrement et d’une débutante à laquelle Levee fait du rentre-dedans, la tension est à son comble.

Le Blues de Ma Rainey est un produit Netflix à haute valeur ajoutée. C’est l’adaptation d’une pièce du grand dramaturge August Wilson, dont l’œuvre décrit les conditions de vie des Noirs en Amérique au XXème siècle. Fences, prix Pulitzer, avait été adapté par Denzel Washington en 2016 et avait valu à Viola Davis l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. On ne change pas une équipe qui gagne : c’est Denzel Washington qui produit Le Blues de Ma Railey et c’est Viola Davis qui en interprète le rôle principal.

Le Blues… a les mêmes qualités et les mêmes défauts que Fences. Fences était une radioscopie des années cinquante ; Le Blues… documente les années vingt, le Cotton Club, la Harlem Renaissance qui voient une bourgeoisie noire en pleine ascension sociale s’installer avec sa musique (le blues, le jazz, le charleston, le black bottom…) dans les États du Nord des Etats-Unis. Cette aisance matérielle fraîchement acquise n’occulte pas les traumatismes encore récents que cette minorité a vécus. C’est au personnage de Levee de le rappeler dans la scène la plus poignante du film où il raconte l’agression subie par sa mère quelques années plus tôt dans le Sud.

Le problème du Blues – comme celui de Fences – est d’être trop fidèle à la pièce dont il est tiré et d’en respecter scrupuleusement l’ordonnancement figé. La conséquence  est de nous infliger d’interminables dialogues auxquels des mouvements de caméra certes virtuoses ne parviennent pas à donner un peu de vie. On comprend vite qu’on ne sortira guère de ce studio confiné à l’atmosphère surchauffée et on n’a d’autre alternative que de prendre son mal en patience en attendant que des personnages stéréotypées (la diva toquée, le trompettiste révolté, l’impresario mielleux, la starlette allumeuse…) aillent au bout de leur rôle. Le film/la pièce se conclue par un coup de théâtre dramatique assez peu plausible dont le seul intérêt semble être d’avoir essayé de lui donner le piment qui lui manque.

Le Blues de Ma Rainey est le dernier film de Chadwick Bosmean, le héros de Black Panther, mort à quarante-trois ans seulement d’un cancer de colon qui y fait une ultime apparition, les traits défigurés par la maladie.

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Mort à 2020 ★★☆☆

Pour fêter – si l’on ose dire – la fin de l’année 2020, bien vite consacrée la « pire de l’histoire  » – en oubliant les deux guerres mondiales et leurs cohortes de fléaux – les créateurs de Black Mirror, Charlie Brooker et Annabel Jones, ont réalisé pour Netflix un vrai-faux documentaire. On y trouve, comme c’est la règle dans ce genre de documentaires, une alternance d’images d’archives et d’interviews d’experts ou de grands témoins. Les premières sont vraies qui, comme le font les meilleures rétrospectives (et les meilleurs bêtisiers) nous permettent, durant les fêtes, de revisiter devant un feu de bois les moments les plus marquants de l’année. Mais les secondes sont jouées par des acteurs : on reconnaît Hugh Grant dans le rôle d’un historien britannique imbu de lui-même parsemant ses commentaires de références à Game of Thrones ou au Retour du Jedi, Samuel Jackson dans celui d’un journaliste d’investigation d’un grand quotidien new yorkais, Lisa Kudrow dans celui d’une porte-parole de Trump qui profère les pire contre-vérités sans se laisser démonter, etc.

Death to 2020 vaut par ce qu’il nous montre et par ce qu’il ne nous montre pas.
Il se focalise sur trois événements : la pandémie du Covid-19, le mouvement Black Lives Matter et les élections américaines. Death to 2020 ne se prive pas de tourner en ridicule Donald Trump, qu’il s’agisse de ses décisions face au Covid-19, dont il a longtemps sous-estimé la dangerosité, ou de son entêtement à nier contre toute raison le résultat des urnes. Mais il décoche aussi quelques flèches à Joe Biden dont il se moque de l’âge. Tous ces événements sont racontés sur le même mode sarcastique qui deviendrait répétitif si Death to 2020 durait plus de soixante-dix minutes.

Death to 2020 vaut aussi par ce qu’il ne nous montre pas. Il est emblématique d’une vision extrêmement américano-centrée du monde. Rien de ce qui se passe hors d’Amérique ne semble retenir l’attention des réalisateurs, si ce n’est la coiffure en pétard de Boris Johnson. Si on y voit l’énorme déflagration de Beyrouth du 4 août, c’est plus pour illustrer le chaos du monde que la situation du Liban. Rien sur la Chine de Xi Jinping, la Russie de Poutine et l’empoisonnement de Navalny, rien sur la guerre au Haut-Karabagh, l’Allemagne de Merkel, la France de Macron….

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Jane B. par Agnès V. (1988) ★★★☆

Séduite par sa fragilité et par sa douceur, Agnès Varda, la soixantaine, a consacré un documentaire à Jane Birkin, sa cadette. Dans la foulée elle a tourné la fiction dont l’actrice avait rédigé l’ébauche du scénario, Kung-fu Master. Les deux films sortaient en même temps, à une semaine d’intervalle à la fin de l’hiver 1988.

Jane pourrait être la petite sœur d’Agnès, ou sa grande fille. Entre les deux femmes, on sent une complicité chaleureuse, une sororité émouvante. Jane Birkin, dont le statut de nymphette acquis aux côtés de Gainsbourg dans les 70ies, avait donné l’image d’une starlette scandaleuse, se révèle une femme pudique, secrète. Agnès V. lui demande de vaincre cette pudeur, de regarder la caméra dans les yeux et de se livrer. Jane B. l’accepte avec un bel abandon. Les mots qu’elle a pour ses compagnons, pour ses trois filles sont profondément touchants.

Jane B. par Agnès V. n’est pas un documentaire classique, une biographie sage passant chronologiquement en revue la carrière d’une actrice. D’Agnès Varda, on pouvait attendre autre chose. Et on n’est pas déçu.

Agnès V. entrelarde son documentaire de séquences fictionnelles pas toujours convaincantes. On y voit Jane Birkin jouer de petites saynètes avec Jean-Pierre Léaud, Philippe Léotard, Farid Chopel ou Alain Souchon… et on se sent bien vieux.

Les moments les plus réussis du documentaire sont ceux qui nous font pénétrer dans l’intimité de Jane B.. Elle nous ouvre les portes de sa maison, dans une paisible arrière-cour parisienne, choisie, on l’imagine, pour se protéger du tumulte urbain. Jane y déambule de pièce en pièce, en décrivant les objets qui les remplissent, en racontant leurs histoires. Ces riens pourraient être insignifiants ; ils sont bouleversants.

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Les Espions (1957) ★☆☆☆

Le docteur Malic (Gérard Séty) dirige une clinique psychiatrique menacée par la faillite à Maisons-Laffitte. Un homme mystérieux, qui se prétend colonel de l’armée américaine, lui demande, en échange d’une somme coquette, d’y accueillir pendant quelques jours un patient. L’arrivée d’Alex (Curd Jürgens), dont on apprend qu’il s’agit peut-être d’un atomiste est-allemand passé à l’Ouest, hystérise les services secrets du monde entier qui dépêchent leurs espions dans la clinique du docteur Malic, vite dépassé par les événements.

Henri-Georges Clouzot fut une figure marquante du cinéma français qui réalisa quelques chefs d’œuvre : L’assassin habite au 21, Le Corbeau, Le Salaire de la peur, Les DiaboliquesLes Espions sorti en 1957 est tombé dans l’oubli. Car c’est loin d’être son meilleur film.

Adapté d’un roman d’un écrivain tchèque passé à l’Ouest, Les Espions joue sur deux tableaux sans qu’on parvienne jamais à le prendre au sérieux. Il se présente comme un film d’espionnage classique avec sa cohorte de barbouzes, de kidnappings, de coups de feu. Mais, sans qu’on sache si c’était dans l’intention de son réalisateur ou si c’est l’effet de la maladresse du jeu outré de ses acteurs (Peter Ustinov et Curd Jürgens y sont comme d’habitude calamiteux), il se double d’une ironie qui frise avec la loufoquerie.

Mais, faute d’assumer ce parti pris, comme le fera sept ans plus tard Les Barbouzes de Lautner, Les Espions reste dans un inconfortable entre-deux qui égare le spectateur.

Une curiosité : Les Espions est l’un des premiers films de Patrick Dewaere, âgé de dix ans à peine, qui y interprète un gamin malicieux. Il est crédité au générique sous le nom de Patrick Maurin, son nom de scène

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Petite Fille ★★☆☆

Sasha, sept ans, est une petite fille née dans un corps de garçon. Ses parents l’ont vite compris. Ils vont se battre pour que la société accepte Sasha et sa différence.

Après avoir consacré en 2013 un documentaire à Bambi, une célèbre meneuse de revue transgenre, Sébastien Lifshitz creuse le sujet de la transidentité en plantant sa caméra près de Reims dans la maison d’une famille aimante dont l’un des quatre enfants souffre de dysphorie de genre.

Petite fille est autant sinon plus un documentaire sur Sasha que sur sa mère. On y découvre une femme passionnément attachée à son enfant qui mettra tout en œuvre pour lui donner une vie heureuse. On la sent rongée par le venin de la culpabilité : qu’elle ait durant sa grossesse ardemment désirée une fille a-t-il influencé le développement de Sasha ? Mais la pédopsychiatre qu’elle consulte a tôt fait de la rassurer : si la médecine ignore les causes de la dysphorie de genre, elle a quelque certitude sur ce qui n’en est pas la cause, notamment les désirs, conscients ou inconscients des parents.

Petite fille nous montre une cellule familiale profondément aimante et soudée. Karine, la mère, est la plus pugnace dans le combat qu’elle mène contre le directeur de l’école qui refuse que Sasha soit considéré comme une fille, ou contre la directrice du cours du danse qui l’en bannit purement et simplement. Mais son mari, quoique plus mutique, est tout aussi solidaire ainsi que la fratrie de Sasha, à commencer par sa sœur aînée et son grand frère, un petit gars qui comprend sans s’en plaindre que sa mère lui consacre moins de temps qu’à Sasha.

Tant de sollicitude, tant d’amour autour de Sasha attendrirait un cœur de pierre. Mais pour autant, quitte à paraître plus insensible que je ne suis, j’émettrais deux réserves.
La première concerne la structure du documentaire qui, une fois présentés Sasha et ses parents, n’a pas grand chose d’autre à dire au risque d’en faire très vite retomber l’intérêt.
La seconde est une forme de malaise que j’hésite à articuler tant je crains d’être accusé de transphobie. Il concerne la capacité de Sasha, si jeune, à comprendre les enjeux de sa réattribution de genre et surtout la lucidité de sa mère dont on se demande parfois si l’amour si absolu qu’elle porte à Sasha et la passion qu’elle met dans son combat ne l’aveuglent pas.

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Sacco et Vanzetti (1971) ★★☆☆

Accusés d’un braquage à main armée et d’un double homicide,  Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti ont été condamnés à mort et exécutés en 1927 aux Etats-Unis. Leur procès et leur exécution avaient suscité une immense mobilisation mondiale.

Près de cinquante ans après les faits, un film italien revient sur les faits. Présenté à Cannes en 1971, Sacco et Vanzetti est surtout connu pour la chanson de Joan Baez composée par Ennio Morricone.

Le film instruit à décharge le procès des deux anarchistes, officiellement réhabilités en 1977 par le gouverneur du Massachussetts mais dont les historiens débattent toujours de la culpabilité. Il s’inscrit dans son époque, celle du cinéma politique d’Elio Pietri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, La classe ouvrière va au paradis), de Mauro Bolognoni (Chronique d’un homicide) ou de Francesco Rosi (L’Affaire Mattei) ou du théâtre engagé de Dario Fo (Mort accidentelle d’un anarchiste). D’ailleurs, Gian Maria Volonte, qui interprète Vanzetti, justifie son engagement politique par la colère suscitée par la défenestration de l’anarchiste Andrea Salasado à New York.

Sacco et Vanzetti souffre d’un défaut rédhibitoire. Tous ses personnages parlent italien, même les acteurs américains et irlandais, horriblement post-synchronisés. C’est une trahison grossière des faits, les difficultés de communication entre l’accusation et les prévenus, qui comprenaient mal l’anglais et le parlaient plus mal encore, ayant joué une large part dans leur lourde condamnation.

Il souffre de deux autres : son absence de suspense et son manichéisme. En effet, on sait, dès le départ, le sort funeste des deux accusés. Et du coup, on assiste sans surprise à un face-à-face caricatural entre deux partis : d’un côté l’innocence bafouée de deux immigrés condamnés non pas pour le crime qu’ils auraient soi-disant commis mais pour les idées qu’ils professaient, de l’autre une parodie de justice incarnée par des représentants sans cœur de l’Amérique Wasp.

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Laëtitia ★★★☆

Toute sa vie durant, la jeune Laëtitia Perrais a été victime de la violence des hommes. Son père formait avec sa mère une famille dysfonctionnelle. Condamné à cinq ans de prison pour viol aggravé sur sa compagne, il ne sut jamais prendre soin de Laëtitia et de sa sœur Jessica. Les deux jumelles, confiées à l’Aide sociale à l’enfance, furent prises en charge par une famille d’adoption. Gilles Patron, leur tuteur, fut reconnu coupable d’agressions sexuelles sur Jessica. Mais avant sa condamnation en 2014, Laëtitia fut victime d’un meurtre horrible qui scandalisa la France. Le 18 janvier 2011, âgée de dix-huit ans seulement, alors que la vie semblait enfin lui sourire, elle avait croisé un monstre : Tony Meilhon.

Laëtitia est l’adaptation en six épisodes de quarante-cinq minutes chacun du « roman vrai » écrit en 2016 par Ivan Jablonka. Couronné par le Prix Médicis, il avait rencontré un vif succès. je me souviens encore de l’émotion qui m’avait saisi à sa lecture. Le visionnage de la série, diffusé en septembre sur France 2, accessible à tous en replay sur France.tv, en a ravivé le souvenir douloureux.

Laëtitia raconte un fait divers sordide, un homicide comme il s’en produit hélas tant. Laëtitia n’est pas un polar ; l’identité du meurtrier, arrêté deux jours après la disparition de la jeune fille, ne fait rapidement guère de doute, même s’il balade les gendarmes en évoquant la présence fantasmée d’un complice. Même la recherche du corps – qu’on retrouvera démembré en deux parties dans deux étangs distants de plus de cinquante kilomètres l’un de l’autre – ne suffit pas à elle seule à entretenir le suspense.

L’intérêt de Laëtitia est ailleurs.
Ivan Jablonka n’est pas un romancier. Il est historien. Il avait consacré son doctorat aux enfants de l’Assistance publique sous la Troisième République et c’est par ce prisme là qu’il est arrivé à l’affaire Laëtitia.
Pour lui et pour nous, le destin de Laëtitia est celui, sordide et funeste, d’une enfant abandonnée.

Les avanies qu’elle traverse aux côtés de sa sœur sont déchirantes. Mais ni Ivan Jablonka dans son livre, ni Jean-Xavier de Lestrade (qui vient du documentaire et avait déjà signé pour Arte 3 x Manon, une mini-série sur une adolescente en rupture de ban) dans sa réalisation ne verse dans le misérabilisme. Tout y est d’une pudeur, d’une retenue, d’une délicatesse d’autant plus bouleversantes que les faits racontés sont désespérants.

Les acteurs sont tous parfaits, à commencer par les hommes qui n’ont pourtant pas le bon rôle. On reconnaît Kevin Azais dans celui du père biologique des jumelles, incapable de contrôler la violence qui l’habite et qui pollue l’amour qu’il porte à ses enfants. Sam Karmann joue le rôle de Gilles Patron qui se scandalisa haut et fort contre la soi-disant impunité des délinquants sexuels avant de se révéler lui-même en être un. Noam Morgenzstern est le plus impressionnant dans le rôle monstrueux d’un psychopathe aux cheveux gras et au rire diabolique.

Le personnage qui m’a le plus touché est secondaire. Il s’agit de Béatrice Prieur, l’assistante sociale impeccablement interprétée par Alix Poisson, une actrice dans la quarantaine aux faux airs de Chantal Lauby. Elle a rencontré les jumelles quand elles avaient huit ans et les a suivies d’abord en foyer, puis dans leur famille d’accueil chez Gilles et Michelle Patron. Elle a essayé de créer avec elles un lien, de percer leurs silences sans toujours y parvenir. Elle n’a pas réussi à sauver la vie de Laëtitia, assassinée, ni celle de Jessica, agressée, et s’en estime responsable. Elle m’a rappelé les personnages de Pupille, ce film, lui aussi si touchant, aux frontières de la fiction et du documentaire.

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La Jeune Fille à l’écho (1964) ★☆☆☆

C’est le dernier jour des vacances pour Vika. la fillette a passé tout l’été au bord de la mer avec son grand-père, un modeste pêcheur. Son père vient la chercher ce soir pour la ramener à la ville. La fillette profite de ses derniers moments de liberté pour marcher sur la grève et pour se baigner. Elle croise Romas, un garçonnet de son âge, et l’entraîne au pied du Doigt du diable, une falaise basaltique qui renvoie un angoissant écho.

Arunas Žebriūnas est un réalisateur lituanien longtemps inconnu en France. La Belle, tourné en 1969, n’est sorti en France qu’en 2018. Filmé cinq ans plus tôt, La Jeune fille à l’écho sort à présent sur nos écrans sans qu’on comprenne très bien ni la séquence de ces deux distributions, ni au fond leur raison d’être.

Car ces deux films au charme suranné ne me semblent guère susceptibles d’éveiller aujourd’hui le moindre écho. Ils se ressemblent : ils suivent tous les deux pas à pas une fillette (sans doute l’actrice de La Jeune fille… était-elle trop âgée pour jouer cinq ans plus tard dans La Belle). Ils la suivent l’espace d’une courte journée dans ses déambulations hasardeuses et ses découvertes poétiques. La Belle se passait à la ville – et donnait l’occasion de voir des plans de la Vilnius des années soixante ; La Jeune Fille à l’écho se déroule au bord de la mer – et a été tourné en Crimée loin des rives de la Baltique.

La Jeune fille à l’écho avait été tourné en russe. Il a été post-synchronisé en lituanien. C’est l’occasion d’entendre cette langue rare, même si la prise de son en studio crée un effet de distance.

La Jeune fille à l’écho dure une heure seulement. Dans cette durée, il a à peine le temps de nouer une vague intrigue. Il le fait avec une innocence désarmante, exhumant les sentiments les plus enfouis de l’enfance : la fraîcheur d’un bain de mer, la  cruauté des jeux enfantins, le prix de l’amitié…

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Le Jeu de la dame ★★☆☆

À la mort de sa mère, la jeune Beth, neuf ans à peine, est placée dans un orphelinat. C’est là qu’elle apprendra à jouer aux échecs avec un vieux concierge taiseux. C’est là aussi qu’elle développera une accoutumance aux médicaments dont elle ne se sevrera jamais.
À quinze ans, Beth est adoptée. Elle peut désormais participer à des tournois d’échecs qu’elle remporte avec une insolente facilité. Elle a tôt fait de surpasser les meilleurs joueurs américains avant de se lancer à l’assaut des champions incontestés du jeu : les grands maîtres soviétiques. Rien ne semble l’arrêter sinon peut-être ses démons intérieurs.

Le Jeu de la dame (bien boiteuse traduction de The Queen’s Gambit) est diffusé depuis le 23 octobre sur Netflix. Sa sortie a coïncidé avec le second confinement en France et a bien vite suscité l’unanimité à l’instar de Unorthodox au début du premier. Même si j’en ai binge-watché les sept épisodes d’une petite heure chacun pendant un long dimanche pluvieux, j’avoue ne pas y avoir pris le plaisir que j’y attendais.

Le Jeu de la dame est l’adaptation du roman éponyme écrit en 1983 par un auteur américain – et traduit en France en 1990. Que cette série ait mis près de quarante ans à se faire devrait nous mettre la puce à l’oreille : si le roman – que je n’ai pas lu –  avait été un chef d’œuvre, on n’aurait certainement pas attendu si longtemps son adaptation.

Le Jeu de la dame suit un schéma très classique. Trop peut-être. Premièrement, l’ascension d’un génie en herbe avec la révélation presque providentielle de ses talents innés et l’accumulation inattendue et enivrante des premières victoires. Deuxièmement, la chute inévitable pour pimenter une action qui aurait été, sans elle, trop linéaire. Troisièmement, la rédemption dans un épilogue certes euphorisant mais ô combien prévisible.

À la différence des séries traditionnelles dont le mode d’emploi est le tissage de plusieurs histoires entre elles, Le Jeu de la dame est construit selon un principe plus simple. Tout s’organise autour de son héroïne, interprétée par la jeune Anya Taylor-Joy, une quasi-inconnue désormais promise à un brillant avenir. Les personnages qui l’entourent – sa meilleure amie au pensionnat, sa mère adoptive, son premier rival aux échecs, le grand maître soviétique dont elle convoite la place – ne sont que des faire-valoir destinés à la mettre en valeur. On notera d’ailleurs l’absence d’un vrai « méchant », les hommes se montrant tous unanimement, dans ce récit féministe, d’une douce et surprenante délicatesse.

Le Jeu de la dame lit-on partout a une vertu : il peut être aussi bien vu par les passionnés d’échecs que par ceux qui n’en connaissent pas les règles. Là encore, je ne partagerais pas cet avis. Les parties – ou du moins ce que j’en ai saisi tant les plans sont trop rapides pour en apprécier chaque coup – m’ont semblé bien tarabiscotées. Un peu comme si on avait réduit un match de football à une série de coups francs dans la lucarne ou de retournés acrobatiques. La réalité en est autrement moins spectaculaire.

Le Jeu de la dame a certes une qualité à laquelle je suis tout particulièrement sensible : nous ramener façon Mad Men dans ces années soixante si photogéniques, si élégantes. La gracieuse Anya Taylor-Joy, qui a débuté à dix-sept ans dans le mannequinat, est habillée, maquillée, coiffée, comme un top modèle. Chacune de ses toilettes, à partir du troisième épisode, est un enchantement pour l’œil. Qui aurait l’ingratitude de relever qu’elle est censée jouer une péquenaude du Kentucky ?

J’ai certes la dent dure. Le Jeu de la dame est un excellent moment de télévision. Mais ce n’est pas le chef d’œuvre dont on rebat nos oreilles confinées.

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