Akhnaten

Les cinémas Pathé Gaumont retransmettaient hier soir en direct la première de Akhnaten au Metropolitan Opera de New York. Cet opéra est l’oeuvre du compositeur américain de musique minimaliste Philip Glass. Il raconte en trois actes la vie du pharaon égyptien de la XVIIIème dynastie qui décida de créer une nouvelle religion monothéiste et de fonder à Amarna une nouvelle capitale.

Il n’est pas rare désormais de voir des opéras ou des ballets au cinéma. L’immarcescible Alain Duault a lancé pour les salles UGC le programme Viva l’opéra qui propose chaque année une quinzaine de représentations en direct. La haute technologie des salles garantit une qualité technique irréprochable, même si manque le frisson procuré par la proximité de la scène… et si, au moment du rideau, on se trouve un peu nigaud d’adresser à un écran inerte des applaudissements qu’il n’entendra pas. Les tarifs sont plus élevés qu’une place de cinéma (36€ pour Akhnaten hier soir) mais plus abordables que des places d’opéra qui ont, depuis longtemps, cessé de l’être. Pour les opéras, le bénéfice est évident : toucher, au-delà du millier de spectateurs que peut accueillir leur salle, des dizaines, des centaines de milliers de spectateurs à travers le monde (Akhnaten était diffusé dans soixante-dix pays ce qui explique peut-être l’horaire inhabituel de sa programmation à New York (13h)). Les cinémas quant à eux diversifient leur offre et attirent un auditoire peu versé dans les blockbusters. Le public, en tous cas, répond présent : la salle hier soir était quasi-pleine.

Je ne suis pas critique musical et ne prétends pas l’être.
Akhnaten n’est pas un film, à classer dans la même catégorie que The Joker ou Hors normes.
Aussi cette critique aura-t-elle un statut un peu à part. Je ne lui mettrai pas d’étoiles. L’aurais-je fait je lui en aurais mis quatre tant j’ai été enthousiasmé.

Je l’avoue le rouge au front. Je me suis si souvent endormi à l’opéra que j’appréhendais les 3h56 qu’allait durer le spectacle. Mais je ne me suis pas ennuyé une seconde. Mieux, j’en aurais volontiers redemandé au moment du baisser de rideau.

Tout dans Akhnaten m’a enthousiasmé. La musique sérielle de Philip Glass exerce une fascination hypnotique – même si on sent que l’ensemble du Met conduit par la chef (cheffe ?) Karen Kamensek est loin de ses classiques. La voix des solistes est incroyable à commencer par celle du contre-ténor Anthony Roth Costanzo dans le rôle-titre. Mais c’est surtout la mise en scène de Phelim McDermott qui touche au sublime. Le metteur en scène a eu l’idée de génie d’inviter une troupe de jongleurs. Leur ballet millimétré se marie à la perfection à la musique de Glass. Les personnages, dans des costumes d’une magnificence inouïe qui empruntent tout à la fois aux styles élisabéthain et chinois (la robe jaune d’Akhenaton m’a fait penser à celle de l’empereur Qianlong), se déplacent au ralenti dans des décors vertigineux. Le duo d’Akhenaton et de Nefertiti, revêtus d’un drap de lin rouge, la lente montée au ciel du pharaon sont des scènes qu’on n’oubliera pas.

Seul bémol peut-être : les entractes. Si, dans une salle d’opéra, c’est un temps mort obligé, rien n’obligeait à ce que ce soit le cas au cinéma. On aurait pu les utiliser intelligemment, par exemple avec de courtes séquences sur Philip Glass, son oeuvre, sa musique, les deux autres opéras de la trilogie que vient clore Akhnaten (Einstein on the Beach, Satyagraha). Au lieu de cela, la soprano Joyce Didonato ânonne des annonces publicitaires entre deux interviews sans intérêt des solistes.

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Kusama : Infinity ★★☆☆

Née en 1929 dans le Japon impérial, élevée dans un milieu très conservateur par une mère castratrice, Yayoi Kusama émigre aux États-Unis dans les années cinquante avant de percer sur la scène new-yorkaise malgré le sexisme et le racisme dont elle est victime. Profondément névrosée, l’art est pour elle une catharsis. Sa santé psychiatrique fragile l’oblige à rentrer au Japon au début des années soixante-dix et à être internée à sa demande.

L’humanité s’organise en deux catégories.

D’un côté, ceux qui, comme moi, ignorants mais pas fiers de l’être, ne connaissaient pas Yayoi Kusama avant de regarder ce documentaire ultra-classique dans sa facture. Il leur aura fait découvrir une artiste étonnante et son oeuvre immense.

Et de l’autre, il y a tous ceux, ultra-majoritaires, qui connaissaient déjà Kusama, ses sculptures, ses peintures, ses installations. La nonagénaire est devenue l’artiste contemporaine la plus chère au monde. Ses réalisations sont bluffantes. Entre interviews de l’artiste au regard fou, images d’archives et lents travelings sur ses oeuvres, le documentaire de Heather Lenz se regarde comme on feuillèterait un catalogue.

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Black Journal ★★☆☆

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Léa (Shelley Winters) rejoint son mari Rosario dans leur nouvelle demeure dans le Nord de l’Italie. Leurs fils unique Michele est fiancé à Sandra, une jeune professeure de danse.
Sous des dehors bourgeois, Léa cache une profonde instabilité. La cause en est dans la mort de ses douze premiers enfants, décédés à la naissance ou durant leurs premiers mois. Elle a reporté toute son affection sur son fils unique dont elle refuse qu’il la quitte pour se marier ou faire son service militaire.
Sombrant dans la folie, Léa va commettre trois crimes horribles sur trois femmes, trois amies proches, auxquelles elle reproche de ne jamais avoir eu d’enfant. Pour dissimuler ses méfaits, avec l’aide de Tina, une servante sourde et muette, elle démembre les cadavres, les fait bouillir et fabrique du savon à partir de leurs restes.

Black Journal (dont le titre original Gran Bollito « La Grande Bouillie » est plus parlant) est inspiré de faits réels : Leonarda Cianciulli, joliment surnommée la « saponificatrice de Correggio », avait, en 1939 et 1940, tué trois femmes puis les avait coupées en morceaux et transformées en savon. Ce fait divers macabre avait marqué le jeune Mauro Bolognini qui en fit près de quarante ans plus tard un film.

Le réalisateur italien est connu pour ses films des années soixante adaptés de la littérature italienne : Brancati (Le Bel Antonio), Moravia (Ca s’est passé à Rome), Svevo (Quand la chair succombe), et pour sa participation aux films à sketches qui avaient, à l’époque, un succès que plus rien, de nos jours, ne permet de comprendre.
Black Journal était resté inédit en France jusqu’à sa sortie par Les Films du camélia, la société de production de Ronald Chammah, le compagnon d’Isabelle Huppert.

Cette perle oubliée est caractéristique de la production italienne des années soixante-dix, à mi-chemin de Dino Risi pour la chronique mordante de la bourgeoisie italienne et de Dario Argento pour le gore sanguinolent. Participent à la satire trois acteurs masculins travestis (parmi lesquels on reconnaît Max von Sydow qui s’en donne à cœur joie) pour jouer les trois femmes qui mourront sous le couteau de la « saponificatrice ».

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Et puis nous danserons ★★☆☆

Merab vit avec son frère, sa mère et sa grand-mère dans un appartement exigu de Tbilissi. Il exerce un petit boulot alimentaire dans un restaurant. Il pratique depuis l’enfance la danse folklorique dans l’Ensemble national géorgien et n’a qu’un rêve, qu’il partage avec Mary sa partenaire : entrer au Ballet national.
La concurrence est rude entre les danseurs. Merab est bien placé pour être la prochaine recrue ; mais Irakli, une nouvelle recrue, rejoint la troupe et manifeste une maîtrise hors du commun.

Levan Akin est suédois (il a réalisé quatre épisodes de l’excellente série Real Humans diffusée sur Arte en 2013-2014). Ses parents sont géorgiens. Ses fréquentes visites en Géorgie lui ont fait toucher du doigt les paradoxes de ce pays dont les élites et la jeunesse sont aujourd’hui occidentalisées mais dont la majorité de la population reste profondément traditionaliste. La situation de la communauté LGBT est à cet égard emblématique : si en théorie, une législation très progressiste pénalise l’homophobie, cette communauté, obligée de vivre sous le manteau, est en proie à une réprobation quasi-unanime.

Les conditions du tournage de Et puis nous danserons n’ont pas été faciles. Le ballet national, arguant que l’homosexualité n’avait pas cours dans ses rangs, a refusé de l’accueillir. La troupe qui a finalement accepté de participer n’est pas citée au générique pour éviter de l’exposer. L’équipe de tournage a dû solliciter la protection de gardes du corps.

Ces circonstances pèsent incontestablement dans la réception de cette œuvre, programmée à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs. Les ignorer pourrait conduire à sous-évaluer ce film qui raconte la progressive prise de conscience de Merab de son attirance pour Irkali et de son homosexualité.

Pour autant, elles ne sauraient conditionner à elles seules l’opinion qu’on portera sur cette romance adolescente sans surprises. Les danses géorgiennes – qui exaltent la virilité des hommes et la « candeur virginale » des femmes – sont certes exotiques. Les deux héros – et tout particulièrement Bachi Valishvili auquel j’ai trouvé une ressemblance troublante avec … Roger Federer – sont certes très agréables à regarder. Mais cela ne suffit pas à épicer un scénario qui manque de piment.

Les surprises proviennent des réactions à la révélation par Merab de son homosexualité de deux personnages secondaires – Mary, la partenaire de ballet de Merab, et son frère David – et d’un épilogue audacieux qui surprend les pronostics et soulève l’enthousiasme.

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Les Misérables ★★☆☆

Stéphane (Damien Bonnard) est flic. Il vient de rejoindre le commissariat de Montfermeil. Affecté à la Brigade anti-criminelle (BAC), il maraude avec deux co-équipiers, Chris (Alexis Manenti), un Blanc bas du front (avec ou sans majuscule), et Gwada (Djebril Didier Zonga), Ivoirien de la deuxième génération, grandi dans le quartier.

Les Misérables fait le buzz. En compétition officielle à Cannes en mai dernier, il rate de peu la Palme d’Or et reçoit le Prix du jury. Il représentera la France aux prochains Oscars.

Son affiche, son prologue (une foule bigarrée célébrant aux accents de La Marseillaise la victoire de la France au Mondial de football de juillet 2018), son titre aux accents hugoliens – contrairement à ce qui est dit dans le film, Victor Hugo n’a pas écrit Les Misérables à Montfermeil, mais y a situé l’auberge des Thénardier où Cosette a été élevée : on imagine une ode à l’intégration républicaine. On fait fausse route.

Les Misérables est l’œuvre de Ladj Ly, un réalisateur venu du documentaire qui a grandi dans les quartiers qu’il filme. Comme l’adolescent de son film (un rôle interprété par son propre fils), il avait dans sa jeunesse, la caméra vissée à l’œil, enregistré les exactions policières commises autour de lui.  À partir de son expérience, il a réalisé Les Misérables, un court métrage de seize minutes avec le même trio d’acteurs, nommé aux Césars l’an passé. Il y racontait une journée dans la vie de la BAC de Montfermeil.

Son long métrage reprend la même trame. Unité de temps (si le scénario se déroule sur deux journées, il aurait pu tout aussi bien, et avec une efficacité accrue, se dérouler sur une seule), unité de lieu (la « banlieue » zone de non-droit), unité d’action (comment une bavure policière va mettre le feu aux poudres). La formule est efficace. Le scénario est rythmé. Les personnages sont bien campés.

Le réalisateur connaît son sujet. Et cela se voit. L’analyse qu’il fait des relations de pouvoir est particulièrement fine – et rejoint les conclusions des études sociologiques de Gilles Kepel (Banlieue de la République, Quatre-vingt-treize). Elles ne se réduisent pas à une guerre de tranchées entre les flics et les gangs. Les Misérables montre l’influence des Frères musulmans qui, au nom d’un Islam rigoriste, ont réussi à restaurer un ordre social que la police n’arrivait plus à faire respecter. Il documente leurs relations tendues avec la pègre qui contrôle les trafics de toutes sortes. Il en rajoute une couche avec l’arrivée d’un cirque yéniche dont la disparition d’un bébé lion met le feu aux poudres.

Comme La Haine en 1995, comme Divines en 2016, Les Misérables explique les motifs d’une violence sociale. Le malaise naît de ce qu’il la cautionne. Car Les Misérables n’est pas neutre. Certes, il faut lui reconnaître cette qualité, il ne caricature pas la police. Le trio de flics de la BAC à l’origine de la bavure qui enflamme la cité est équilibré : si Chris est un Blanc volontiers raciste, Gwada est, en raison de ses origines, tiraillé. Et Stéphane, plongé dès sa mutation au cœur de cette poudrière, essaie de garder le sang froid que ses coéquipiers ont depuis longtemps perdu.

Mais Les Misérables prend nettement le parti des jeunes de banlieue. Même si le plan final n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout de la logique du film, il est sans ambiguïté : la violence policière appelle en retour un déchainement de violence juvénile – qui touche tous les détenteurs d’autorité. Si jusque là, on avait volontiers suivi Ladj Ly, notre adhésion est stoppée net devant cette glorification à courte vue d’une loi du talion que rien ne saurait cautionner.

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Noura rêve ★☆☆☆

La vie n’a pas toujours été douce avec Noura. Son mari, Jamel, un petit malfrat, purge en prison une longue peine. Elle doit élever seule ses trois enfants.  Unique  rayon de soleil dans l’existence de Noura : son amant Lassad qu’elle espère épouser dès que son divorce aura été prononcé. Mais la libération anticipée de Jamel bouleverse tous ses plans. Son divorce devient impossible. Pire : elle tombera sous le coup de la loi pénale tunisienne qui punit l’adultère de cinq ans d’emprisonnement si Jamel la dénonce.

Noura rêve… à une Tunisie débarrassée d’une législation rétrograde qui pénalise l’adultère. Ce premier film se présente ouvertement comme un film à thèse sur la condition des femmes tunisiennes. Une telle approche kidnappe le spectateur dans une adhésion obligée. Non pas que les films à thèse soient systématiquement mauvais : La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania qui dénonçait la culture du viol en Tunisie ou Sofia sur les mariages arrangés au Maroc étaient des bijoux. Mais ils ne sont pas ipso facto des œuvres irréprochables.

En dépit d’une interprétation remarquable de son trio d’acteurs (l’épouse courageuse, l’amant transi d’amour, le mari psychopathe), Noura rêve pêche par les faiblesses de son scénario. Il hésite entre deux sujets : d’un côté la détestable pénalisation de l’adultère et le patriarcat qui la cautionne, de l’autre la violence d’un homme fraîchement libéré de prison. Sans doute les deux sujets sont-ils liés : Noura est obligée de supporter en serrant les dents le retour de son mari car la société tunisienne ne l’autorise pas à le quitter pour son amant. Mais il traite fort classiquement le second en oubliant en cours de route le premier qui est celui sur lequel paradoxalement le film fait sa publicité. La façon dont l’intrigue se résoud est trop brutale, trop artificielle pour constituer une solution satisfaisante à cette situation.

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Pavarotti ★☆☆☆

Luciano Pavarotti (1937-2005) est sans doute l’un des plus grands ténors contemporains. Cette qualité lui sera peut-être contestée du point de vue de la seule qualité de son chant ; mais ses concerts et ses disques lui ont gagné une célébrité inégalée depuis Caruso.
Le réalisateur américain Ron Howard documente sa vie en interviewant ses proches et en présentant des images d’archives.

Son documentaire est d’une facture très classique. Il raconte la vie du maestro depuis son enfance à Modène – où il pratique le chant avec son père dans une chorale – jusqu’à sa mort dans la même ville soixante-douze ans plus tard.

On n’y apprendra rien qu’on ne savait déjà du « maître des contre-ut ».
Ron Howard scrute sa vie amoureuse chaotique en donnant la parole à sa première femme, Adua Veroni, dont il a eu trois filles, puis à sa seconde, Nicoletta Mantavoni, dont la révélation de sa liaison avec Pavarotti avait fait scandale.

Il décrit surtout comment la star italienne a fait de l’opéra, pour le meilleur et pour le pire, un show business. Pavarotti a en effet sorti le champ lyrique de la salle pour se produire, en concert, dans des enceintes toujours plus monumentales. Les enregistrements des concerts qu’il a donnés avec Placido Domingo et José Carreras – dont la qualité musicale fait grimacer les puristes – sont entrés dans les hit parades. Au total, Pavarotti aurait vendu au cours de sa vie quelques cent millions de disques.

Il est assez étonnant de trouver Ron Howard, le réalisateur de Apollo 13 et Da Vinci Code, aux manettes de ce documentaire sans caractère. D’ailleurs il fait l’objet d’une exploitation cinématographique bien particulière : il aura été diffusé dans les salles pendant quatre jours seulement du 6 au 10 novembre avant de retrouver le chemin des bacs qu’il n’aurait jamais dû quitter.

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Adults in the Room ★☆☆☆

En 2015, la Grèce est enfoncée dans la pire crise économique de son histoire. Son surendettement a obligé le gouvernement à accepter un programme qui l’asphyxie. Les élections portent au pouvoir la coalition antisystème Syriza avec une promesse : en finir avec l’austérité. Un jeune et charismatique ministre des finances, l’économiste Yanis Varoufakis, est chargé de la mettre en œuvre. Mais la négociation avec les institutions européennes s’annonce délicate. Alexis Tsipras aura beau organiser un référendum au terme duquel le peuple grec refusera le MoU exigé par l’Europe, il devra aller à Canossa et se résoudre à le signer. Après cinq mois seulement au gouvernement, s’estimant désavoué par cette signature contre laquelle il avait bataillé sans relâche, Varoufakis démissionnera.

Adults in the room est l’adaptation fidèle des mémoires de Yanis Varoufakis. Le ministre des finances s’y donne le beau rôle. Le doute ne l’effleure pas. Il est sûr de ses choix : la charge de la dette grecque, héritée de ses prédécesseurs, asphyxie l’économie, le programme d’austérité imposé par la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) anémie le malade qu’il est censé soigner, seule une restructuration de la dette permettra de restaurer les marges de manœuvre budgétaires qui permettront à la Grèce de renouer avec la croissance.
Ce programme typiquement keynésien se heurte à la logique bornée et de courte vue des créanciers internationaux : une dette doit être remboursée, sauf à trahir la parole donnée et à s’exclure de l’Euro.

Adults in the room raconte en détail la succession des réunions qui se tiendront pendant le premier semestre 2015 à Bruxelles, à Athènes, à Paris ou à Berlin pour tenter de résoudre cette crise. Rien n’est moins dramaturgique que ces interminables réunions. Costa-Gavras fait le maximum pour leur donner du nerf, au risque parfois d’en caricaturer les personnages. Face à sa caméra les dirigeants européens forment une galerie de politiques veules et arrogants : le président de l’Eurogroupe, le président de la BCE, les ministres européens des finances. Tous sont costumés de gris, tous portent la cravate. Tous sauf Varoufakis dont le look bohême (chemise ouverte, sac à dos, casque de moto) est censé à lui seul caractériser son approche disruptive de l’économie internationale. Seule femme dans ce panel exclusivement masculin, la présidente du FMI, Christine Lagarde, qui, épuisée par les enfantillages de ses collègues, aurait lâché : « Y a-t-il un adulte dans cette salle ? ».

Les eurosceptiques de tous poils qui estiment que « Bruxelles » impose son diktat et ignore la volonté des peuples, les anticapitalistes de tous bords qui suspectent derrière chaque réunion de banquiers internationaux un complot pour enrichir les riches et appauvrir les pauvres, seront aux anges. Les autres, qui aspirent à un peu moins de simplisme et de parti-pris, iront voir ou revoir Inside Job sur la crise financière de 2008 et ses mécanismes.

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Rendre la justice ★☆☆☆

La Justice est une institution. La justice est une valeur. En interrogeant une vingtaine de magistrats, Robert Salis a cherché à comprendre comment l’institution, malgré ses procédures et ses lenteurs, servie par les hommes et les femmes qui la composent, réussissait au jour le jour à ne pas trahir ces valeurs.

Le titre est splendide – et on regrette qu’il ne soit à aucun moment commenté. On rend la justice, on ne la décrète pas, on ne l’assène pas depuis une position surplombante et omnipotente, on ne la forge pas ex nihilo. On la rend comme on la restitue à ceux et celles à qui elle revient.

Même si le ton est souvent pédagogique, même si les magistrats interrogés représentent une palette significative des fonctions de la magistrature, il ne s’agit pas à proprement parler d’une présentation de la Justice en France. Il y manquerait d’ailleurs des pans importants, notamment le juge d’instruction dont il n’est rien dit ou le juge administratif, grand absent (mais je confesse sur ce dernier point un parti pris coupable). Le documentaire fait un détour par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg – où le juge français André Potocki livre un témoignage très juste où il est d’ailleurs moins question de la CEDH que de la justice dans son ensemble ; mais il ne dit rien de la Cour de justice de l’Union européenne alors que le droit communautaire occupe dans notre ordonnancement juridique une part grandissante.

Son objet est ailleurs : nous montrer que la justice est rendue par des hommes et des femmes, avec leurs qualités et leurs défauts. Il y réussit parfaitement et on ressort de la salle touché par l’intelligence et l’humanité des témoignages recueillis. Car les magistrats interrogés ne se cachent pas derrière une quelconque langue de bois. Ils racontent l’immense défi de leur tâche et la difficulté qu’ils ont à l’assumer. Un défi bien résumé en une formule : « pour le plaignant, c’est l’affaire de sa vie, pour nous, c’est le dixième dossier de l’après-midi ».

Du coup, Rendre la justice se condamne à ne toucher qu’une cible très étroite. Il n’intéressera pas le grand public qui n’y apprendra pas grand chose. Mais il séduira les magistrats en formation – dont il y a fort à parier qu’il devienne un visionnage obligatoire lors de la formation (un peu comme Des dieux et des hommes au séminaire ou Au nom de la terre au Salon de l’agriculture).

N’est pas Depardon qui veut. Le plus grand documentariste français a consacré plusieurs documentaires à la justice : Délits flagrants en 1994, Muriel Leferle en 1999, 10ème chambre instants d’audience en 2004 et 12 jours en 2017. Il y montrait la justice en train de se faire. Robert Salis a choisi d’expliquer comment elle se faisait. Pas sûr que son choix soit le plus convaincant.

Ps : On notera à 1h47, au premier rang du public, dans la salle d’audience de la CEDH, la présence d’un conseiller d’État chauve et encravaté. Le début pour moi d’une grande carrière cinématographique ?!
PPS : Mon consentement n’ayant pas été recueilli pour apparaître dans ce documentaire, suis-je recevable à m’en plaindre ? Devant quelle juridiction ma requête peut-elle être déposée ? A-t-elle des chances de prospérer ? Vous avez deux heures…

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Le Mans 66 ★★★☆

Au début des années soixante, Ford décida d’investir la course automobile. Il essaya d’abord sans succès de racheter Ferrari. Puis il entreprit de se lancer seul dans l’aventure.
Le Mans 66 raconte comment Carroll Shelby (Matt Damon) construisit la Ford GT40 et comment Ken Miles (Christian Bale), un pilote britannique, la conduisit à la victoire lors des 24 heures du Mans de 1966.

Têtes d’affiche, Matt Damon et Christian Bale incarnent deux facettes du Bien. Le personnage joué par le premier est un ancien pilote (il a remporté Le Mans en 1959 sur Aston Martin) reconverti, par la faute d’une santé défaillante, en constructeur inspiré de voiture de courses qui réussit à défendre son intégrité face à la logique bureaucratique de Ford. À ses côtés, Christian Bale interprète un personnage plus fantasque, marqué à vie par sa participation à la Seconde guerre mondiale. Il a beau cabotiner, son interprétation impeccable le prémunit contre toute sortie de route. Ces deux stars sont entourées de personnages secondaires aux petits oignons, à commencer par Caitrionia Balfe dans le rôle de l’épouse du pilote britannique [« Un mot de toi, Caitrionia, si tu me lis, et je quitte ma mère » !!] et Ray McKinnon dans celui de son ingénieux second.

Leur principal ennemi n’est pas tant Ferrari et sa Scuderia, mais l’entreprise Ford dont les lourdes procédures se plient difficilement à la nécessaire flexibilité qu’exige la conception d’un bolide. Autour de Tracy Letts qui incarne le « Duc » Henry Ford II avec une contagieuse gourmandise, gravite une armée de cadres encravatés et serviles parmi lesquels Lee Iacocca – qui prendra la direction de la Ford Company quelques années plus tard avant d’en être brutalement évincé par Henry Ford II lui-même.

Le Mans 66 suscite un vrai plaisir de cinéma. Un plaisir régressif, presqu’enfantin, qui en appelle moins à l’intelligence qu’à l’émotion. L’émotion naît bien sûr de la course automobile elle-même, filmée au ras du bitume et à fond de caisse, dans le bruit, la pluie et la fatigue causée par les heures de conduite qui s’accumulent. Mais l’émotion naît plus encore des bons sentiments d’une galerie de personnages archétypaux comme le cinéma américain dans ce qu’il a de plus académique mais aussi de plus efficace sait créer.

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