Downton Abbey ★☆☆☆

Le roi et la reine d’Angleterre, en visite dans le Yorkshire, s’invitent pour une journée à Downton Abbey. L’annonce bouleverse tout autant Lord Grantham, sa femme et ses filles que leur nombreuse domesticité. Upstairs et downstairs, tous s’activent dans la perspective de la visite royale.

Downton Abbey a connu au Royaume-Uni d’abord, dans le reste du monde ensuite un succès universel. Succès universel ? Peut-être une analyse sociologique un peu fine révèlerait-elle un biais dans la population Wasp, blanche, urbaine et CSP+ – à laquelle j’appartiens et dont j’ai trop hâtivement tendance à généraliser les préférences socioculturelles. Mais ne nous arrêtons pas à ce point et posons cette prémisse : les 52 épisodes, les sept saisons de la série anglaise ont obtenu un succès universel. Qu’en faire ? Une huitième saison alors qu’on avait annoncé que la septième serait la dernière ? Délicat ? Une préquelle située dans le New York des années 1880 ? Julian Fellowes s’y est essayé dans l’indifférence générale : Downton Abbey loin de Downton Abbey, ce n’est plus Downton Abbey ! Du coup, la réponse s’est imposée aux producteurs : ils ont décidé de faire un film.
Ce n’est certes pas la première fois qu’une série télévisée est portée à l’écran : Chapeau melon et bottes de cuir, Charlie et ses drôles de dames, Starsky et Hutch ont connu (hélas) leurs adaptations cinématographiques. Mais ce Downton Abbey, qui arrive cinq ans seulement après l’ultime épisode d’une série unanimement saluée, constitue un cas différent que les producteurs de Game of Thrones, Breaking Bad ou Les Sopranos ont certainement examiné à la loupe.

Bien sûr, ce film offre le plaisir régressif de ressusciter les personnages avec lesquels on a passé de si longues heures devant sa télé ou son ordinateur. C’est bien le moins qu’on pouvait en escompter. On se rengorgera de bonheur et de nostalgie devant les sentences vipérines de Lady Violet, les toilettes sublimes de Mary Crawley, les irritations frisant l’apoplexie de Carson, le bon sens paysan de Mrs Patmore et les maladresses de Molesley. Quiconque n’aurait pas vu la série serait perdu ; mais peu importe : elle a eu un tel succès que les producteurs du film peuvent compter sur des millions de spectateurs.

Mais le scénario souffre d’un double défaut.
D’un part il est trop dense. Comme dans la série, plusieurs fils narratifs, principaux et secondaires, s’entrelacent : tandis que la visite royale se déroule et que les domestiques de Downton complotent pour ne pas en être tenus à l’écart, on suit les pas d’une camériste kleptomane, d’un plombier dragueur, d’un maître d’hôtel homosexuel et d’un terroriste irlandais. C’est beaucoup. C’est trop. Toutes ces histoires auraient pu fournir la matière d’une nouvelle saison de plusieurs épisodes. Mais , pressé par le temps, le réalisateur se voit obligé de les compresser en deux heures.
D’autre part, et c’est sans doute le plus grave, ces mini-histoires aux coutures trop visibles ne sont guère intéressantes, voire sombrent dans la mièvrerie. On attendait mieux de Julian Fellowes et ses acolytes qui, assurés par avance d’un public acquis à leur cause, n’ont guère forcé leur talent pour leur paresseuse coda.

La bande-annonce

Nous, le peuple ★★☆☆

Début 2018. Tandis que le projet de loi constitutionnelle est discuté au Parlement, trois groupes de citoyens réunis par l’association d’éducation populaire « Les Lucioles du Doc » – des prisonniers de Fleury-Mérogis, des lycéens de Sarcelles et des femmes de Villeneuve Saint-Georges – entreprennent de réécrire la Constitution française.

J’avais adoré les deux précédents documentaires de Claudine Bories et Patrice Chagnard : Les Arrivants (2010) sur l’accueil des demandeurs d’asile dans le vingtième arrondissement et Les Règles du jeu (2014) sur la réinsertion professionnelle de jeunes chômeurs dans le Nord-Pas-de-Calais.

Nous, le peuple s’inscrit dans la même veine. Il s’attache à des groupes sociaux défavorisés et les suit dans leur tentative de retrouver une voix. Il s’agit, comme les constituants à Philadelphie en 1776, comme les députés du Tiers État réunis dans la salle du Jeu de paume en 1789, de refonder la République. Cette revendication, on la sentait sourdre place de la République quelques mois plus tôt, dans des agoras qu’était allée filmer Maria Otero (L’Assemblée). On la retrouvera quelques mois plus tard sur les ronds-points occupés par les Gilets jaunes (J’veux du soleil).

Pendant six mois, on suit les ateliers animés par les deux bénévoles des Lucioles du Doc qui aident les participants de ces trois groupes à rédiger une Constitution et, pour communiquer entre eux, à réaliser de courtes vidéos. Le processus est laborieux. Le travail de groupe n’est pas toujours fluide. Mais l’objectif est atteint : permettre à des individus sans voix de recouvrer une parole.

Le problème est que cette parole, aussi sympathique soit-elle, ne sera pas entendue. Comment pourrait-elle l’être ? Il y a un gouffre infranchissable entre les travaux de ces hommes et de ces femmes (qui évoquent en vrac les violences policières, la mixité sociale et le droit à une seconde chance) et la réalité d’une réforme constitutionnelle telle qu’elle se débat au Parlement. Lorsque les groupes demandent à l’Assemblée nationale d’y présenter leurs conclusions, ils se heurtent à une fin de non-recevoir. La présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, leur adresse un courrier qui les blesse profondément. Ils se sentent humiliés, renvoyés à leur insignifiance et à leur invisibilité.

Ce courrier, qu’avait rédigé un fonctionnaire parlementaire et que la députée a à peine lu avant de le signer, comme elle a signé probablement des dizaines de courriers similaires pour refuser les demandes identiques reçues d’une foultitude d’associations de France et de Navarre qui lui demandaient de soutenir la « kermesse de la démocratie » à Chef-Boutonne ou le voyage scolaire des Terminales B de Saint Jean Pied de Port au Palais-Bourbon, n’a pourtant rien d’outrageant. On en voit dans l’administration de semblables chaque jour, soit qu’on les signe soi-même, soit qu’on les prépare pour son supérieur hiérarchique. Ces courriers répondent (car il est une règle dans l’administration de répondre à tous les courriers) à une requête embarrassante. On ne veut pas, on ne peut pas l’accueillir ; mais on ne veut pas non plus insulter son auteur. On enrobe son refus dans beaucoup d’hypocrisie : « votre initiative est extrêmement stimulante… mais vraiment… les caisses sont vides et nous n’avons pas l’argent pour la soutenir ».

Nous, le peuple est construit sur un malentendu. On pourrait, en se payant de mots, le considérer comme la radioscopie d’une démocratie en crise. On pourrait plus modestement, pour marcher sur les pas de Frederick Wiseman, y voir le portrait de quelques oubliés de la République. Il ne s’agit en fait que de filmer une démarche maladroite, condamnée d’avance et qui se clôturera par une lettre d’une page.

La bande-annonce

Deux moi ★★★☆

Mélanie (Ana Girardot) et Rémy (François Civil) ont trente ans. Ils habitent le dix-huitième arrondissement. Ils sont voisins, ne se sont jamais adressés la parole mais ont des vies parallèles. La solitude les broie, le stress les ronge : elle parce qu’elle doit faire une présentation au comité directeur de son laboratoire, lui parce qu’il vient d’être reclassé dans son entreprise de vente en ligne. Elle est hypersomniaque ; le sommeil le fuit. Ils décident de consulter un psychothérapeute.

Depuis bientôt trente ans, Cédric Klapisch s’est fait une spécialité de croquer notre époque. Mieux que de pesants traités de sociologie, prenant le parti d’en rire plutôt que d’en pleurer, il en sent l’humeur, en retranscrit les interrogations. Son cinéma est modeste, qui n’ambitionne pas de raconter des drames poignants ou des amours lyriques, ni de prendre à bras le corps d’écrasants « sujets de société ». Mais il est toujours juste.

Le Péril jeune, Chacun cherche son chat, L’Auberge espagnole (et ses suites dispensables) : la recette est éprouvée. Et on pouvait légitimement craindre qu’elle se soit usée dans cette énième comédie de « l’ultra-moderne solitude ». Le titre, l’affiche, aussi lourdingues l’un que l’autre, l’histoire prévisible de deux solitaires qui finiront inéluctablement par se rencontrer laissaient craindre que le réalisateur ait perdu sa délicatesse.

Le scénario n’est pas le point fort du film dont on connaît dès la bande annonce le dénouement. Mais Klapisch a l’honnêteté de l’assumer. L’intérêt de Deux moi est ailleurs : dans la richesse des seconds rôles et dans la cocasserie des saynètes qui parsèment la vie des deux héros sur le chemin de leur rencontre.

C’est un feu d’artifice filmé avec une joie communicative. Il y a de tout : le burlesque pur avec Pierre Niney en volubile copain d’avant et Paul Hamy en amant défoncé. L’ironie avec Simon Abkarian en Arabe du coin (pas arabe pour un sou). La tendresse avec François Berléand et Camille Cottin en psys mutiques, cryptiques (« Pour que les deux moi fassent un nous, il faut que les deux moi soient soi ») mais aidants.

Et il y a tous ces clins d’œil que les trentenaires ne saisiront pas toujours avec Chacun cherche son chat. L’intrigue est presque identique – même si son cadre s’est déplacé du 11ème au 18ème arrondissement. Les personnages du film de 1994 font des caméos émouvants : Garance Clavel, Zinedine Soualem et même la centenaire Renée Le Calm (décédée en juin dernier). Ne manque que Romain Duris même si François Civil – dont c’est le quatrième film sorti cette année – lui ressemble décidément beaucoup…

La bande-annonce

Le Chardonneret ★★★☆

Le jeune Theo vient de rencontrer Pipa et son oncle dans la salle 32 du Metropolitan Museum lorsqu’une explosion (dont on ne saura jamais la cause) renverse son monde. La mère de Theo est tuée et l’oncle de Pipa, au moment de mourir, lui confie la garde du Chardonneret, une petite toile peinte en 1654 par un peintre néerlandais.
Theo est confié aux bons soins des riches parents d’un camarade de classe. Il part à la recherche de Pipa qui a été grièvement blessée dans l’explosion. C’est le moment que choisit le père de Theo pour réapparaître et emmener son fils au Nevada.

Le Chardonneret est l’adaptation fidèle du roman de Donna Tartt, prix Pulitzer 2014. Le livre est un chef-d’œuvre salué comme tel par la critique et par le public. Il brasse des thèmes universels : le deuil, la culpabilité, la filiation, l’amitié, l’art…

L’adaptation qu’en fait John Crowley a beau durer 2h30, elle est trop courte pour retranscrire la richesse de ses huit cents pages bien tassées. L’admiration révérencieuse qu’il suscite a interdit au realisateur d’en simplifier l’intrigue foisonnante ou d’en abréger certains développements. Du coup, le résultat manque de nerf et de rhythme : ainsi du dénouement, particulièrement mou, de l’intrigue à Amsterdam.

Mais dans le vieux match du livre contre le film (« Avez vous préféré le livre ou son adaptation ? ») que la plupart des gens tranchent en faveur du livre (« parce qu’il est plus riche » « parce qu’il laisse plus de place à l’imagination »), Le Chardonneret a constitué pour moi une expérience troublante.
Je n’avais pas adoré le livre dont on m’avait fait si grand cas que j’en attendais monts et merveilles. Sa construction trop riche m’avait ennuyé – avec ce long ventre mou au Nevada à son mitan. Je n’avais pas compris le personnage de son héros,orphelin traumatisé ou affairiste cynique. J’avais étiré sa lecture sur plusieurs semaines au risque d’en perdre le fil.

Malgré tous ses défauts, l’adaptation à l’écran du Chardonneret m’a permis d’en retrouver le sens, l’unité. Je me souviens d’avoir eu un sentiment similaire devant Docteur Jivago – dont j’ai de loin préféré le film au livre, trop long, trop touffu, en un mot trop slave. C’est un avantage paradoxal du cinéma sur la littérature : son format l’oblige à sabrer dans un texte foisonnant au risque de l’appauvrir mais il lui offre du début jusqu’à la fin l’attention exclusive du spectateur que la lecture de plusieurs centaines de pages égare parfois avec le temps.

La bande-annonce

Portrait de la jeune fille en feu ★★★☆

À la fin du dix-huitième siècle, en dépit des obstacles opposés à son sexe, Marianne (Noémie Merlant) exerce la profession de peintre. Elle enseigne son art à quelques étudiantes. Un tableau lui rappelle des souvenirs.
Quelques années plus tôt, une comtesse (Valeria Golino) l’avait fait venir sur une île bretonne battue par les vents. La mission de Marianne : faire le portrait de la fille de la comtesse, Héloïse (Adèle Haenel), pour l’envoyer à un riche Milanais qui envisage d’épouser la jeune fille. Mais Héloïse, qui répugne à ce mariage, refuse de se laisser peindre. Sophie (Luàna Bajrami), la servante, veille à l’entretien de la maison.

Portrait de la jeune fille en feu n’arrive pas vierge sur les écrans. Sélectionné à Cannes, il a raté de justesse la Palme, se voyant, on ne comprend guère pourquoi, attribuer un Prix du scénario qui sonne comme un lot de consolation. Il est l’œuvre de Céline Sciamma, dont chacune des œuvres de sa trop rare filmographie ont été des succès : Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles… Céline Sciamma découvrit Adèle Haenel en 2007 et vécut en couple avec elle pendant dix ans, formant un des couples les plus glamours du cinéma français et lestant leurs retrouvailles d’un parfum de soufre (on se demande ce que la nouvelle conjointe de l’actrice en a pensé).

La barre est donc placée très haut. Et on redoute, un temps, que le film ne parvienne à la franchir. Il prend son temps pour se mettre en place. Il s’installe dans une certaine froideur : des personnages réduits au strict minimum, des dialogues laconiques, pas de musique.

Et tout s’embrase avec l’apparition de Héloïse après vingt minutes. Elle est filmée de dos, encapuchonnée, marchant à grands pas dans la lande. Sa capuche tombe révélant sa folle coiffure blonde – qui contraste avec la noirceur des cheveux de Marianne. Elle se dirige droit vers le bord de la falaise d’où sa sœur aînée s’est suicidée. Veut-elle elle aussi mourir ? Non, elle veut courir après être restée trop longtemps cloîtrée.

Cette scène donne le la. Elle place la relation entre Marianne et Héloïse sous le signe de l’incandescence mais en pose d’ores et déjà les limites. Les jeunes femmes vont se séduire et s’aimer ; mais, conscientes des règles que leur temps leur fixe, elles ne pourront en transgresser les interdits.

Cette fatalité donne au film la tonalité d’une tragédie grecque. Le mythe d’Orphée et d’Euridyce est convoqué. La métaphore est lourdement soulignée : Marianne, tel Orphée, est allée chercher sa bien-aimée aux Enfers (où la guettait la perspective sans joie d’une union qu’elle n’avait pas approuvée) mais au moment de l’en libérer se retourne (en peignant le portrait qui scellera ce mariage) et la condamne.

Portrait de la jeune fille en feu réussit avec une infinie delicatesse à filmer simultanément les deux temps d’une histoire d’amour : l’excitation d’une passion naissante et la mélancolie d’une passion passée. Ces deux temps sont scandés par deux interludes musicaux déchirants, les seuls moments où ce film volontiers janséniste s’autorise de telles fioritures : un choeur polyphonique de femmes et L’été de Vivaldi.

Portrait de la jeune fille en feu est un film profondément joyeux qui raconte la parenthèse enchantée que vivent Marianne et Héloïse, le temps de l’absence de la comtesse, en compagnie de Sophie dont l’état justifie que les barrières de classe cèdent (Héloïse fera la cuisine tandis que Sophie s’adonnera à la broderie, un loisir de dame). C’est en même temps un film terriblement triste sur la marque indélébile que laisse, en chacun d’entre nous, et sans doute en Céline Sciamma qui filme sa muse, la nostalgie d’un amour révolu. C’est un film aussi intelligent que sensible, aussi délicat qu’envoûtant.

La bande-annonce

Mjólk, La Guerre du lait ★☆☆☆

Inga et son mari sont agriculteurs. L’entretien de leurs vaches occupe tout leur temps.
Quand son mari décède, Inga doit assurer seule toutes les tâches du ménage. Elle découvre dans quelle dépendance la tient la coopérative du village. Elle décide de s’en affranchir.

Après les polars islandais, ce sont les films venus d’Islande qui deviennent à la mode. On en a jamais vu autant que ces dernières années. Bel exploit pour ce petit pays de 230.000 habitants, moins peuplé que la Corse ou le Limousin.

Grímur Hákonarson n’en est pas à son coup d’essai. En 2015, il avait réalisé Béliers, une comédie dramatique qui avait déjà pour cadre l’austère campagne islandaise. Le décor est le même. Et le sujet n’est guère éloigné. Il s’agit encore d’une petite exploitation agricole confrontée à la crise.

Dans Béliers, les héros étaient deux frères aussi proches qu’opposés. Dans Mjólk (dont le redondant sous-titre français nous permet d’enrichir notre vocabulaire d’un mot islandais), l’héroïne est une femme courageuse qui n’est pas sans rappeler celle de Woman at War.

En décrivant la lutte d’une femme contre un système inique, Mjólk marche sur les pas de Ken Loach. Mais il prône un libéralisme économique dans lequel Ken Loach et ses épigones ne se reconnaîtraient pas : c’est le libre marché et la concurrence qui sont présentés comme l’alternative salutaire à un système collectiviste dévoyé.

Ces précédents islandais récents privent Mjólk du parfum de nouveauté duquel ils étaient nimbés. Beau portrait de femme émancipée qui entre en guerre contre un système corrompu, Mjólk est un film sympathique mais pas assez original pour retenir l’attention.

La bande-annonce

Jeanne ☆☆☆☆

Il y a deux façons de recevoir le dernier film de Bruno Dumont. La première est de crier au génie. La seconde à l’imposture.

J’ai vu le film il y a trois jours et, dérogeant aux règles que je m’impose, ne suis pas arrivé à en faire la critique immédiatement. J’hésitais, j’oscillais, j’atermoyais… Je lui a mis successivement quatre étoiles (je criais au génie). Puis zéro (je criais à l’imposture). J’ai même failli renoncer à en parler – ce qui en aurait fait un cas unique depuis le 6 janvier 2016, ayant systématiquement depuis cette date historique chroniqué tous les films, hollywoodiens ou moldo-slovaques que je vois.

Bruno Dumont est un réalisateur intrigant. Je l’ai découvert avec La Vie de Jésus et L’Humanité, ses premiers films, à la fin des années quatre-vingt-dix, tournés dans ce Nord dont il est originaire, filmant une réalité sociale au scalpel. Puis lentement, Dumont m’a perdu. Son cinéma a pris avec Hors Satan et Camille Claudel 1915 un tour de plus en plus élégiaque. Le mysticisme dans lequel baignaient ses œuvres m’impressionnait autant qu’il me rebutait. « Pas mon kiff » comme le disent les jeunes d’aujourd’hui. Le divorce était consommé avec Ma Loute dont les bouffonneries outrées ont achevé de m’en détourner.

Vaguement masochiste, je suis allé voir Jeanne. J’étais curieux de découvrir ce que Dumont ferait de cette figure iconique qui a tant inspiré le cinéma de Georges Méliès à Luc Besson, tour à tour vierge sacrificielle, résistante nationale ou ado punk. J’avais raté Jeannette, sorti deux ans plus tôt, mal distribué et quasi invisible.

Dès les premières minutes, le décor est planté.
C’est bien simple : il n’y en a pas ! Le siège de Paris est filmé… sur une dune du nord de la France. C’est dans le même décor, dans un bunker allemand (sic), qu’on retrouvera deux heures plus tard la Pucelle emprisonnée avant son exécution. Entre les deux, son procès sera filmé, à rebours de toute crédibilité historique, dans la majestueuse cathédrale d’Amiens.

S’agit-il, comme on l’a déjà vu avec Roméo et Juliette ou Richard III d’une transposition à l’époque moderne d’un sujet dont on souligne de la sorte l’actualité ? Pas du tout. Dumont ne se revendique d’aucune modernité. Au contraire. On a l’impression que le décor a été choisi faute de mieux, parce que la production n’avait pas les moyens de reconstituer la place du marché de Rouen.

Dans ce décor incongru, les acteurs jouent. Mais s’agit-il vraiment d’acteurs ? Jouent-ils ? Bruno Dumont utilise des amateurs – et on se demande bien ce que Fabrice Lucchini (né en 1951) vient faire dans le rôle du roi de France Charles VII censé avoir vingt-six ans lors de sa dernière rencontre avec Jeanne d’Arc après son sacre à Reims.
Dans le rôle de la Pucelle, Bruno Dumont a choisi une gamine de dix ans. La jeune Lise Leplat Prudhomme est filmée en longs plans fixes, souvent en contre-plongée – pour la rapetisser ou pour suggérer qu’elle dialogue avec les cieux ? Elle n’affiche qu’une seule expression : le refus irréductible de plier devant ses interrogateurs. À force de répéter « cela ne vous regarde pas », elle nous fait passer l’envie de la regarder.
L’acteur qui interprète Gilles de Rais – entré dans la légende pour les crimes raffinés dont il s’est rendu coupable – n’est guère plus âgé.

La direction d’acteurs laisse perplexe. Elle vise en général à améliorer le jeu des comédiens, à le rendre plus naturel. Celle de Bruno Dumont semble-t-il vise le contraire : les rendre le plus ampoulé, le plus artificiel possible. Dans quel but ?

Et il y a Christophe. Oui. Christophe. Le chanteur septuagénaire dont le dernier tube remonte à 1967. Il interprète le rôle d’un moine encapuchonné dont les chansons illustrent pachydermiquement l’action qui se déroule. Mon amie Caroline Vié dans 20 minutes évoque un « soupir de surprise charmée » au moment de son apparition. Moins bienveillant qu’elle, j’ai surtout entendu dans la salle des ricanements sardoniques.

Je lis dans les Cahiers du cinéma que Bruno Dumont manie une « langue étrangère inouïe à l’intérieur du cinéma français ». Inouïe ou inaudible ?

La bande-annonce

Trois jours et une vie ★★★☆

Antoine a douze ans. Il vit seul avec sa mère (Sandrine Bonnaire) dans un petit village des Ardennes belges. Un jour en forêt, il tue accidentellement Rémi, le fils de ses voisins. Paniqué, il dissimule le corps.
Michel (Charles Berling), le père de Rémi alerte immédiatement la police. Une battue est organisée dont Rémi craint qu’elle permette de retrouver le cadavre de l’enfant et de révéler son crime.
Mais un évènement inattendu survient. Quinze ans passent.

Trois jours et une vie annonce son sujet dans son titre. Ce sont les 22, 23 et 24 décembre 1999 qui vont décider de la vie d’Antoine. Coupable d’homicide involontaire, l’enfant ne se résout pas à en faire l’aveu. Ni à sa mère, ni à ce médecin de famille (Philippe Torreton) qui se doute pourtant de quelque chose. Il portera le poids de cette culpabilité toute sa vie.

Les polars sont normalement construits autour d’un crime à élucider. Ils débutent par un meurtre. Ils se poursuivent par une enquête. Ils se terminent par sa résolution. Ils sont tendus par un fil narratif : qui a tué ?

Aussi efficace soit-elle la bande-annonce de Trois jours et une vie nous laisse augurer un polar construit sur ce schéma banal. Or, sa structure est différente. Sans s’embarrasser de flash-back compliqués, il suit le fil de la chronologie. On commence – un peu besogneusement – par suivre pendant une journée les faits et gestes des habitants d’Olloy, cette petite ville belge, encore traumatisée par les meurtres de Dutroux, qu’on ne quittera pas de tout le film. On y découvre Antoine et sa mère, Rémi, le petit voisin, Émilie, sa sœur aînée dont Antoine est secrètement amoureux, et leurs parents.

Et puis c’est l’accident. Et le sujet du film se dévoile. Il ne s’agit pas de savoir qui a tué Rémi. On le sait déjà. Il s’agit de montrer comment Antoine va survivre avec ce secret. Pour soutenir l’attention – et créer la tension – le scénario imagine que le cadavre de Rémi est sur le point d’être retrouvé, rendant le dilemme d’Antoine d’autant plus cornélien.

Mais la seconde partie du film est encore plus réussie que la première. On y voit Antoine, désormais interprété par Pablo Pauly (découvert dans Patients), revenir à Olloy et y redécouvrir tous les personnages vieillis d’une quinzaine d’années. Un épilogue ? Non. C’est bien plus compliqué. On n’en dira pas plus. On en a déjà trop dit. Mais le dernier quart d’heure, aussi peu crédible soit-il, est une horlogerie machiavélique qui broie Antoine et l’enferme jusqu’à l’ultime scène, dans une famille aussi oppressante que l’aurait été la prison.

La bande-annonce

Un jour de pluie à New York ★★☆☆

Gatsby (Timothée Chalumet) et sa fiancée Ashleigh (Elle Fanning) se sont rencontrés sur le campus d’une faculté. Prenant prétexte de l’interview que Ashleigh a décroché avec le grand réalisateur Roland Pollard (Liev Schreiber), le couple passe le week-end à New York. Pour Ashleigh, originaire de l’Arizona, tout est sujet à émerveillement.
Mais rien ne se passe comme prévu.

Un jour de pluie à New York a bien failli ne pas parvenir jusqu’à nous. Il a été interdit de sortie aux États-Unis par son producteur, Amazon Studios, suite à la polémique dans laquelle est prise Woody Allen, accusé d’abus sexuels sur sa fille. Mais, fort de la popularité dont il jouit encore hors de ses frontières, Mars Films, son distributeur en France, n’a pas reculé. Et c’est tant mieux.

On y retrouve, dès son générique jazzy, tous les ingrédients des films du réalisateur new yorkais. C’est sa principale qualité. C’est aussi sa principale faiblesse.

Comme d’habitude, Woody Allen filme New York et adresse une déclaration d’amour à sa ville. Comme d’habitude, il trousse des dialogues débités à la mitraillette qui font souvent mouche. Comme d’habitude, il a recruté, dans la garde montante du cinéma américain, ses jeunes acteurs les plus talentueux pour leur donner des rôles en or dans lesquels ils se coulent avec un plaisir communicatif. Évidemment, il faut saluer le jeu d’Elle Fanning, en ravissante idiote, dont Woody Allen filme mieux que personne l’ingénuité. Mais Selena Gomez à la voix si craquante mérite une mention spéciale.

Le problème est que cette recette sent le déjà-vu. Woody Allen tourne ad nauseam le même film, dans les mêmes décors, avec les mêmes dialogues et les mêmes situations.

Les acteurs changent. C’est vrai. Mais ils se coulent dans les rôles joués par leurs prédécesseurs. Timothée Chalamet reprend à l’identique les personnages de jeunes premiers jadis interprétés par Jesse Eisenberg (Cafe Society), Jason Biggs (Anything Else) ou Leonardo Di Caprio (Celebrity). Elle Fanning minaude comme Emma Stone dans Magic in the Moonlight ou L’Homme irrationnel. Il n’y a pas jusqu’au rôle de l’escort pleine d’esprit interprétée par Kelly Rohrbach qui ne rappelle celui interprété par Mira Sorvino dans Maudite Aphrodite.

Les films de Woody Allen ressemblent à cette vieille veste en tweed aux coudes renforcés qu’on a tant aimée, à la coupe aujourd’hui démodée et qui sent désormais l’antimite. On ne se résout pas à s’en débarrasser par nostalgie mais on n’ose plus vraiment la porter.

La bande-annonce

Tu mérites un amour ★☆☆☆

Lila (Hafsia Herzi) vit très mal sa rupture avec Rémi. Colère et abattement, désir et répulsion, jalousie et indifférence, ses sentiments sont aussi excessifs que douloureux.
Ses amis l’entourent et lui prodiguent des conseils. Oublier Rémi. Tourner la page. Vivre d’autres histoires d’amour.

On aurait aimé aimer ce film. Pour son titre si romantique – tiré d’un poème de Frida Kahlo. Pour son affiche si sensuelle. Pour son actrice-réalisatrice Hafsia Herzi qu’on avait découverte en 2007 dans La Graine et le Mulet et suivie dans la quasi totalité de ses films : L’Apollonide, La Source des femmes, Fleuve noir, L’Amour des hommes, etc. Et pour son sujet indémodable : le désamour et les remèdes pour en guérir.

Hélas, on n’a rien aimé. Ni l’héroïne, plus vulgaire qu’attachante. Ni la caméra plus artisanale qu’arty avec ses cadrages flous et ses lumières moches. Ni les rencontres répétitives et vite caricaturales de Lila avec un dragueur au cœur tendre (et aux oreilles décollées), un couple échangiste et un photographe sensible.

Hafsia Herzi aurait dû nous ravir avec son charme et son naturel. Elle nous horripile.

La bande-annonce