River of Grass ★☆☆☆

Cozy s’ennuie. Elle est née et a grandi en Floride, s’y est mariée, a eu des enfants. Mais cela ne suffit pas à faire son bonheur.
Un beau jour, elle prend la poudre d’escampette avec Lee, un jeune tocard croisé dans un bar qui vient de trouver un revolver. Le propriétaire dudit revolver est à sa recherche. C’est Jimmy, le père de Cozy, qui travaille à la police.

Lorsqu’un auteur atteint un certain niveau de célébrité, on exhume ses œuvres de jeunesse. Il est de bon ton de s’en extasier. Soit qu’on les considère déjà comme des œuvres de génie injustement négligées. Soit qu’on y décèle, malgré leurs défauts évidents, les prémices d’un génie en éclosion. C’est le cas des carnets de dessins de Van Gogh, des nouvelles inédites de Proust… et du premier film de Kelly Reichardt qui avait fait sensation à Sundance en 1994 mais qui n’avait pas trouvé de distributeur en France.

La réalisatrice s’est fait un nom dans le cinéma indé américain pour ses films minimalistes et réalistes, prenant souvent pour objet des vies minuscules dans les étendues désertes de l’Oregon : Certaines femmes (dont l’action se déroule au Montana), Night Moves, Wendy & Lucy, Old Joy…. Elle est née au début des années soixante en Floride où se déroule le très autobiographique River of Grass. Son héroïne a le même âge que la réalisatrice. Comme Jimmy dans le film, le père de Kelly Reichardt travaillait à l’identification criminelle.

Le problème est que River of Grass est couturé des défauts qui lestent les œuvres de jeunesse. Filmé à l’arrache (son son est à peine audible, son image est granuleuse), ce petit film d’une heure et quatorze minutes n’a guère d’autres qualités que sa modestie. Le couple formé par Cozy et Lee n’est ni drôle ni attachant. Ses infortunes peinent à retenir l’attention.

River of Grass n’intéressera guère que les fans de Kelly Reichardt attachés à pouvoir prétendre, sans être contredits, qu’ils ont vu tous ses films. Je ne suis pas certain qu’ils soient si nombreux et si prétentieux…

Le Mariage de Verida ★☆☆☆

Verida va se marier. Ses parents en ont décidé. Son mariage aura lieu dans trois mois. Mais d’ici là, il lui faut prendre du poids : vingt kilos au moins pour atteindre les canons de beauté exigés par la société. Sa mère surveille son « gavage » et prépare à toute heure de la journée les viandes et les laitages que Verida doit ingurgiter.

La réalisatrice Michela Occhipinti vient du documentaire. C’est d’ailleurs un documentaire qu’elle projetait de réaliser à l’origine sur le gavage en Mauritanie. Le Mariage de Verida en porte la trace, qui a été tourné avec des acteurs amateurs et qui documente avec un souci quasi ethnographique la réaction des femmes à cette pratique d’un autre temps.

Le gavage des fiancées mauritaniennes est paradoxal dans un monde qui valorise plutôt la minceur des femmes que leur obésité. C’est le même paradoxe qui est à l’œuvre dans plusieurs régions du monde, et notamment en Mauritanie où les femmes noires sont minorisées par rapport à la majorité maure, où certaines cherchent à s’éclaircir la peau, alors que les femmes occidentales sont obsédées par leur bronzage.
Dans tous les cas, il s’agit d’une alinéation du corps des femmes, obligées à se soumettre à un diktat qu’elles n’ont pas choisi. L’aliénation dont est victime Verida ne concerne d’ailleurs pas son seul corps – qu’elle est contrainte de couvrir même la nuit « afin que les anges ne la voient pas » lui dit sa mère. Lui est dénié le droit de choisir son mari, quand bien même elle n’est pas insensible au charme du jeune homme qui, chaque matin, lui amène le pèse-personnes censé enregistrer ses progrès.
Michela Occhipinti ne situe pas son histoire dans une bourgade provinciale aux mœurs arriérés mais au cœur d’une grande ville, dans la classe moyenne (Verida travaille dans le cabinet d’esthéticienne de sa grand-mère et fréquente sans contrainte des amies libérées). Histoire de montrer que le gavage ne relève pas d’un folklore tribal mais bien d’une pratique usuelle.

Le titre original du film est plus évocateur encore : Il corpo della sposa (« Le Corps de l’épouse ») en italien et Flesh out (littéralement « toutes chairs dehors ») dans sa version destinée à l’export. Spectateurs nauséeux s’abstenir ! Les platées de nourriture que doit avaler la malheureuse Verida ont de quoi soulever le cœur.

Le sujet du film fera donc l’unanimité et émouvra les femmes et les hommes, les féministes et les autres. Mais son traitement laisse à désirer. La mise en scène voit alterner métronomiquement les scènes où Verida mange et celles où elle discute avec ses amies. Le suspense est tendu par une question binaire : se rebellera-t-elle ou pas ? Quand la réponse arrive, après une heure et trente-quatre minutes, on s’en est désintéressé. Désolé…

La bande-annonce

Les Hirondelles de Kaboul ★★★☆

Kaboul. 1998. Les talibans tiennent la ville et imposent leur loi d’airain.
Mohsen et Zunaira se sont rencontrés à l’université avant que Kaboul tombe aux mains des talibans. Il se destinait à enseigner l’histoire, elle le dessin. Mais l’ordre nouveau caparaçonne Zunaira derrière son tchadri opaque et étouffant et interdit à Mohsen d’enseigner l’histoire sans l’accommoder aux préceptes de l’islam.
Atiq et Mussarat forment un autre couple, plus âgé. Atiq est un ancien moudjahid qui a combattu l’URSS et qui est devenu gardien de prison. Sa femme se meurt d’un cancer.

Kaboul est donc la capitale de l’Afghanistan. Les talibans en ont été délogés en octobre 2001 pour avoir prêté main forte aux attentats du 11-septembre.  Bizarrement, le cinéma a tardé à s’emparer de leur histoire, souvent en adaptant des romans écrits quelques ans plus tôt : Les Cerfs-volants de Kaboul (sorti en 2007 et adapté du best-seller de Khaled Hosseini), Syngue Sabour (sorti en 2012 et tiré du Goncourt 2008 de Atiq Rahimi), Parvana (sorti en 2018 et inspiré du roman pour la jeunesse de Deborah Ellis). Ce dernier, un dessin animé lui aussi, qui met en scène une jeune fille obligée de se travestir pour faire survivre sa famille dans les rues de Kaboul, n’est d’ailleurs pas sans ressemblance avec le film d’animation co-signé par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec.

Les Hirondelles de Kaboul est l’adaptation d’un roman de Yasmina Khadra sorti en 2002. Je l’avais lu en son temps et n’en avais pas gardé un souvenir impérissable. Les romans de Yasmina Khadra, bien qu’ils jouissent d’une grande popularité, ne m’ont jamais enthousiasmé : je les trouve excessifs, boursouflés de bons sentiments, frisant la démagogie à force de tire-larmisme.

Il a fallu plus de quinze ans pour le porter à l’écran. Zabou Breitman avait, au départ, l’idée d’en faire un film. Elle y a renoncé devant l’ampleur du projet (on imagine aisément que filmer une exécution capitale dans un stade de football ne doit pas être simple). Bien lui en prit ; car les aquarelles de Eléa Gobbé-Mévellec, qui avait déjà signé celles de Ernest et Célestine, font justice au texte. Mais elle a filmé les acteurs en costumes pour en tirer des cartons. On retrouve non seulement la voix de Swann Arlaud (Mohsen), de Zita Hanrot (Zunaira) de Simon Abkarian (Atiq) et de Hiam Abbass (Mussarat ) mais aussi leurs traits étonnamment fidèles.

L’histoire des Hirondelles, réduite à son squelette, a l’épaisseur d’une longue nouvelle. Le film, qui dure 1h20 à peine, en a aussi la durée. Il en a aussi la puissance, même si on en devine un peu trop vite le ressort. Si on craint dans la première moitié du film l’ennui, l’émotion nous prend dans la seconde jusqu’à un épilogue, mélodramatique et inéluctable, que le dernier plan nimbe d’une lueur d’espoir.

La bande-annonce

Je promets d’être sage ★★☆☆

Dramaturge au bord du burn out, Franck (Pio Marmai) décide de changer radicalement de vie. Il s’installe à Dijon, près de sa sœur et trouve un emploi de gardien au musée des Beaux-arts. La fréquentation des œuvres, la routine de son travail vont, pense-t-il, lui rendre la sérénité qui l’avait quitté. Mais c’est sans compter sur ses collègues de travail et notamment sur Sibylle (Léa Drucker) qui l’accueille froidement et refuse, pour des raisons qui s’éclaireront bientôt, de participer à l’inventaire des pièces du musée.

Je promets d’être sage s’ouvre par une scène hilarante. On y voit Pio MarmaI dans le rôle d’un directeur de troupe au bord de la crise de nerfs péter les plombs devant un public médusé et des acteurs tétanisés, dans une mise en scène à la Ian Fabre, toute de bruit et de fureur.
Mais la suite hélas n’est pas au diapason. On quitte les planches du théâtre pour les lambris du musée – un décor que le cinéma n’avait jamais investi à ma connaissance. On y retrouve Pio Marmai, joyeusement neurasthénique, dont on se dit qu’il est décidément l’un des acteurs les plus intéressants de sa génération. Le rejoint bientôt Léa Drucker, auréolée de son récent César, dans un registre comique qu’on ne lui connaissait pas et qui, tout compte fait, ne lui convient guère.

Non que le duo ne fasse pas mouche. On rit volontiers à ses tentatives plus ou moins maladroites de fourguer les pièces de l’inventaire qu’ils subtilisent. Mais le scénario n’est pas assez riche pour soutenir durablement l’intérêt. Cousu de fil de blanc, il se traîne vers un dénouement connu d’avance.

Je promets d’être sage ne parvient pas à se hisser au-delà de son cahier des charges : une comédie gentillette dans un cadre original bien servie par son duo d’acteurs. C’est déjà ça… mais ce n’est guère plus.

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Les Baronnes ★☆☆☆

New York. 1978. La mafia irlandaise tient Hell’s Kitchen, le quartier populaire de Midtown Manhattan.
Mais quand Kevin, Jimmy et Bob sont arrêtés, le pouvoir devient vacant et leurs épouses n’ont d’autres solutions que de le reprendre, quitte à passer une alliance avec les Italiens de Brooklyn. C’est pour chacune un défi différent : Claire (Elisabeth Moss sans sa cape écarlate ni sa cornette blanche) est une femme battue, Ruby (Tiffany Haddish) est noire dans un milieu qui ne l’a jamais acceptée, Kathy (Melissa McCarthy qu’on vient de saluer dans Les Faussaires de Manhattan) est certes heureuse en mariage mais n’a jamais réussi à s’émanciper d’une famille trop encombrante.

Les Baronnes pâtit de la comparaison avec Les Veuves de Steve McQueen sorti sur les écrans il y a moins d’un an et dont il reprend le même sujet : des femmes minorisées qui s’unissent pour reprendre le flambeau abandonné par leur mari. La recette n’est pas mauvaise, qui mélange film de mafia et féminisme #metoo. Les Veuves étaient toutefois meilleur, en raison de la patte de son réalisateur et des rebondissements de son scénario.

Les Baronnes, plus classique dans sa narration, est moins riche, qui n’a d’autre intérêt que sa reconstitution soignée d’une époque où Hells’Kitchen n’avait pas encore été gentrifié. Entre comédie façon Drôles de dames et polar, Les Baronnes ne sait malheureusement pas sur quel pied danser.
Il est sorti au cœur de l’été sans quasiment de publicité ni de projections de presse. Signe que Warner France ne croyait pas vraiment à son potentiel.

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Roubaix, une lumière ★★☆☆

Roubaix, une des villes les plus pauvres de France. Entre Noël et Nouvel An, on y suit le commissaire Daoud (Roschdy Zem) et le jeune lieutenant Louis Coterelle (Antoine Reinartz) dans leurs enquêtes : une arnaque à l’assurance, un incendie criminel, un viol sur mineure, une adolescente en fugue et deux jeunes marginales (Léa Seydoux et Sara Forestier, pétrifiée et passionnée) accusées du meurtre de leur voisine.

En compétition pour la dixième (!) fois à Cannes, Arnaud Desplechin surprend. Chef de file du cinéma français post-Nouvelle Vague, il a longtemps fait de la cellule familiale la matrice névrotique de ses films et s’est complu dans un cinéma intellectualisant qui ne m’a jamais convaincu alors même que je me situe probablement dans le cœur de cible de son public. Il abandonne cette veine pour réaliser un polar, à la frontière du documentaire et de la fiction. Il s’est inspiré de faits réels qui se sont déroulés en 2002 à Roubaix, sa ville natale et qui furent relatés dans un documentaire qu’il a vu par hasard sur France 3 en 2008.

Le film d’Arnaud Desplechin respecte scrupuleusement la trame définie par ce documentaire. À travers lui, c’est la radioscopie d’une ville entre chien et loup, lessivée par un crachin sournois, qui se dessine. Le risque est de laisser le spectateur sur sa faim en esquissant des histoires dont on ne nous livre pas le fin mot : pourquoi la famille de Daoud est-elle repartie en Algérie ? pourquoi son neveu emprisonné lui voue-t-il une telle rage ? pourquoi la jeune Sophie a-t-elle fugué ? D’ailleurs les deux personnages principaux, le commissaire et le lieutenant, restent-ils l’un comme l’autre opaques à toute analyse psychologique.

Mais il y a plus grave.  Roubaix, une lumière souffre d’un déséquilibre rédhibitoire.
Il est écartelé entre deux parties et deux partis. Le premier est de raconter, au fil de l’eau, ces historiettes – comme l’avait très bien fait en son temps Polisse. Le second est de se focaliser sur Claude et Marie. En confiant ces rôles à deux stars, Desplechin ne pouvait pas ne pas leur laisser la part du lion. L’enquête menée par les policiers sur leur crime [dans des conditions dont je m’interroge sur le réalisme et la violence] occupe toute la seconde partie du film. Le rythme du film en est brisé. On passe de la chronique au huis-clos, du pluriel au singulier, du kaléidoscope au microscope.

Je ne dis pas que la première partie n’est pas intéressante. Je ne dis pas que la seconde ne l’est pas non plus. Mais je dis que leur attelage l’une à l’autre ne fonctionne pas.

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Frankie ★☆☆☆

Françoise Crémont alias Frankie (Isabelle Huppert) est une star internationale du cinéma. Atteinte d’un cancer incurable, elle sent sa fin s’approcher. Pour ses dernières vacances, à Cintra au Portugal, elle réunit tous ses proches : Michel, son premier mari (Pascal Greggory) qui a fait son coming out depuis qu’elle l’a quitté, Paul, le fils qu’elle a eu avec lui (Jérémie Rénier) qui va s’installer à New York après une énième déception amoureuse, Jimmy, son mari actuel (Brendan Gleeson), inconsolable du deuil à venir, Sylvia, la fille (Vinette Robinson) que celui-ci avait eu d’un premier lit, elle-même accompagnée de Ian, son mari, qu’elle s’apprête à quitter, et de Maya, sa fille en pleine crise d’adolescence. Complètent ce cercle strictement familial Ilene, l’ancienne coiffeuse de Frankie (Marisa Tomei) et Gary, son compagnon (Greg Kinnear), un chef opérateur qui a décidé de passer à la réalisation.

On attendait beaucoup, à Cannes, en compétition officielle, du nouveau film de Ira Sachs, le réalisateur new yorkais, remarqué pour ses précédents films : Brooklyn Village, Love is strange, Keep the Lights on… La déception a été grande.

Cet assemblage cosmopolite – un réalisateur new yorkais, une star française, des acteurs anglais, belge et irlandais, un tournage au Portugal – ne fonctionne pas. On dirait du Woody Allen pas drôle, du Rohmer sans élégance.

Le scénario se déroule en une seule journée du lever jusqu’au coucher du soleil (filmé dans un long plan fixe comme un tableau de maître qui sauverait presque à lui seul le film si on lui manifestait une indulgence coupable). Il se déroule dans les rues et les environs de Cintra où les personnages, rarement immobiles, sont filmés en pleine déambulation, au point d’en devenir un tic.
Chacun des neuf personnages est successivement montré en compagnie d’un autre. Les esprits mathématiques auront calculé que le nombre de possibilités s’élève  à trente-six et que le film aurait pu être très très long. Heureusement certains face-à-face nous sont épargnés tandis que d’autres sont élargis à un troisième participant.
Chaque dialogue est censé raconter une histoire : le coming out de Michel, le déménagement de Paul, le chagrin de Jimmy, la rupture de Sylvia, les amourettes de Maya, etc. Le récit est si kaléidoscopique qu’on ne s’attache à personne. Sinon peut-être à Isabelle Huppert qui – malgré le ras-le-bol que je ne manque pas d’exprimer à chacun de ses films – est impériale dans un film où, pour une fois, elle n’interprète pas le rôle d’une femme toxique.

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La Vie scolaire ★★★☆

« La Vie scolaire », c’est le nom qu’on donne à l’unité administrative d’un collège qui, sous l’autorité du CPE (conseiller principal d’éducation) et de quelques surveillants est chargée de faire respecter le règlement intérieur.
Sur un mode quasi-documentaire Grands Corps malade et Mehdi Idir – qui y usa ses fonds de culotte – sont retournés au collège des Francs-Moisins, en Seine-Saint-Denis, à une encablure du Stade de France, filmer une année scolaire d’une classe de troisième.
L’ensemble est fictionnalisé avec quelques acteurs professionnels – Zita Hanrot (qui creuse lentement, depuis Fatima qui lui valut le César du meilleur espoir féminin, son chemin dans le cinéma français) et Alban Ivanov (qui multiplie depuis Le Grand Bain les seconds rôles en or) – entourés d’amateurs recrutés sur place.

Le duo avait réalisé en 2017 Patients, sur l’univers hospitalier. Le film, aussi drôle que juste, avait remporté un succès critique et public légitime. Il figurait dans mon Top 10.
La Vie scolaire reprend les mêmes ingrédients avec la même réussite.

Dans une veine qui m’a rappelé l’autobiographie épatante de Kheiron Nous trois ou rien, La Vie scolaire maintient un équilibre fragile entre l’humour et la gravité. Chaque scène est drôle, qui se nourrit de la « tchatche » incroyable des jeunes face à laquelle l’autorité des adultes peine à ne pas se fissurer. Mais chaque scène est en même temps grave, qui souligne les failles d’une institution incapable d’offrir un avenir à ses élèves malgré l’humanité débordante des enseignants.
On frise souvent le pathos ; mais on n’y tombe jamais comme dans ce conseil de discipline où chaque argument, aussi pertinent soit-il (« L’institution n’est pas faite pour moi »), un contre-argument qui ne l’est pas moins (« Non, Yanis, ne renverse pas les responsabilités en mettant tes fautes sur le dos de l’institution »).
On rit franchement à quelques running jokes : l’élève mytho qui excuse ses retards avec des motifs toujours plus rocambolesques (la grève d’Air France, une antilope qui bloque le trafic…), le surveillant bas du front qui se bourre de chips, le prof d’EPS obèse qui pratique des sports improbables (le hockey à roulette, le foot-vélo…)

Bien sûr, La Vie scolaire n’est pas le premier film qui, avec plus ou moins de réussite, filme la classe. Il est difficile de dépasser le modèle du genre : Entre les murs, sans parler de succédanés moins marquants : La Vie en grand, Les Héritiers, Swagger
Le sujet n’a rien de novateur, le traitement n’a rien de révolutionnaire ; mais il y a une telle humanité, une telle énergie dans cette Vie scolaire, dans ses enseignants si empathiques, dans ses collégiens si attachants, qu’il serait dommage de la rater.

La bande-annonce

Une fille facile ★★★☆

C’est la fin des classes et le début de l’été à Cannes. Naïma (Mina Farid) vient de fêter ses seize ans. Elle tue l’ennui en compagnie de Dodo (Lakhdar Dridi), un copain homosexuel qui rêve de faire l’acteur quand débarque de Paris sa cousine Sofia (Zahia Dehar).
Sofia vit des cadeaux que lui font les hommes. Elle a un physique qui ne laisse pas indifférent. Elle attire bientôt l’attention de Andres, un milliardaire brésilien (Nuno Lopes) et de Philippe, son homme à tout faire (Benoît Magimel).

Il faut voir Une fille facile pour deux raisons. La première : c’est un film de Rebecca Zlotowski, une des réalisatrices les plus intéressantes de sa génération. Surdiplômée (ENS, agrégation de lettres, Fémis), elle a lancé la carrière de Léa Seydoux avec son premier film, Belle épine, qui lui valut le César du meilleur espoir féminin en 2011. Son troisième, Planétarium, lance celle de Lily-Rose Depp.
Mais, la seconde raison de voir Une fille facile, reconnaissons-le, c’est Zahia. La jeune femme, encore mineure, s’était acquise une renommée sulfureuse pour avoir tarifé ses services auprès de Franck Ribéry et de Karim Benzema. On était curieux de savoir ce qu’elle irait faire devant une caméra. Rebecca Zlotowski le sait qui a construit son film et sa bande-annonce – que je vous invite à regarder jusqu’au bout – autour d’elle.

Disons le sans ambages : elle joue comme un pied. Elle semble avoir déployé tant d’effort pour mémoriser ses deux lignes de textes que tout son naturel disparaît quand elle les ânonne avec des moues à la B.B.
Mais on ne lui demande pas d’être Sarah Bernhardt. Elle est là pour sa plastique, dégoulinante de sensualité. Elle est parfaite pour ce rôle, quasi autobiographique, d’une jeune fille qui flirte avec la prostitution sans y tomber.

On se tromperait en imaginant qu’Une fille facile tourne au mélodrame. La rencontre de Sofia et de Andres, sous les yeux de Naïma et de Philippe ne débouchera sur aucune tragédie. Sofia ne se révélera pas une dangereuse manipulatrice, pas plus que Andres un dangereux prédateur. Toute l’ambiguïté et tout l’intérêt de Une fille facile est de raconter une relation normale qui n’avait rien pour l’être. Il n’y a pas d’inégalité, de domination dans la relation entre le milliardaire et la belle de nuit malgré leurs différences de classes. Elle le séduit. Il la prend. Point.

Le caractère de Sofia se révèle dans une scène de repas. Invitée dans la résidence d’une riche collectionneuse (Clotilde Coureau) qui se pique d’exposer la bêtise de la jeune fille – qui venait de se vanter d’aimer Duras – Sofia lui oppose candidement sa gentillesse et désarme son opposante. Et en regardant cette scène, on réalise combien elle est proche de la réalité de ce que vit probablement chaque jour la vraie Zahia, réduite à son physique, rappelée à son passé de call girl.

La bande-annonce

Thalasso ★★★☆

Michel Houellebecq est en thalassothérapie à Cabourg. Le corps malingre de l’écrivain atrabilaire est soumis au dur règlement de la cure : soins intensifs, régime à l’eau, interdiction stricte de fumer dans et même hors de l’établissement…
Houellebecq rumine sa colère et croise le chemin d’un autre curiste : Gérard Depardieu, soumis aux mêmes règles que lui, mais bien décidé à les outrepasser.

Depardieu + Houellebecq. L’écrivain et l’acteur français les plus célèbres au monde. L’un est un monstre obèse, tutoyeur et bon vivant ; l’autre est dépressif jusqu’au bout des dents, enclin à des crises de mysticisme et à des fulgurances philosophiques.

En les voyant réunis à l’écran, sortes de Laurel et Hardy postmodernes, leur duo forme une évidence. Guillaume Nicloux les avait déjà fait tourner séparément. Dans Valley of Love pour le premier ; dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq pour le second. Thalasso s’annonce comme la suite de ce film-là. On y retrouve l’écrivain cinq ans après son enlèvement par une bande de pieds nickelés. La première scène du film – où l’on voit Houllebecq conduire un bolide à 250 khm/h sur une autoroute heureusement déserte – était la dernière de ce téléfilm diffusé en 2013 sur Arte.

La première heure du film est une pure jouissance. On y suit Houellebecq, d’abord seul, puis rejoint par Depardieu dans les couloirs du centre Thalazur de Cabourg – dont on se demande si la publicité négative qui lui est faite lui amènera des clients ou pas. On y rit volontiers devant leurs corps couverts de boue ou devant celui de Houellebecq caparaçonné dans une coque de cryogénisation – celui de Depardieu, trop gros peut-être, n’y entre pas. On les écoute discuter ensemble, sur des textes dont on s’interroge sur la part d’improvisation qu’ils contiennent. L’émotion affleure lorsque Houellebecq pleure en parlant de la mort de sa grand-mère et de la réincarnation des corps devant un Depardieu réduit à quia.

Malheureusement le film se perd dans sa dernière demi-heure. Le scénario ne pouvant se borner à filmer les deux acteurs, il se sent obligé de tisser une histoire. Pour ce faire, il convoque les acteurs de L’Enlèvement qui débarquent au centre de thalasso pour demander l’aide de Houellebecq afin de retrouver leur mère disparue. L’histoire n’a aucun intérêt. La bande bruyante qui rompt l’intimité du duo n’a rien à dire. Du grand n’importe quoi qui rappelle Bertrand Blier dans ses pires heures.

Mais cette demi-heure ratée n’éclipsera pas la joie provoquée par les deux précédentes. Le duo Houellebecq-Depardieu est de ces couples inattendus, à l’alchimie pourtant évidente, dont la rencontre produit des étincelles.

La bande-annonce