Sorry we missed you ★☆☆☆

Ricky et Abby vivent à Newcastle dans un logement dont ils n’ont pas les moyens de devenir propriétaires. Ils ont deux enfants. Si leur fille est encore jeune, leur garçon , en pleine crise d’adolescence, leur donne bien du souci. Working poors, Ricky et Abby travaillent du matin au soir. Abby est aide à domicile. Ricky, après avoir enchaîné les petits emplois, veut se mettre à son compte. Il décide de vendre la voiture d’Abby, d’acheter un camion à crédit et de travailler pour une société de livraison.

Bienvenue dans le monde moderne. Le Conseil d’État avait consacré son étude annuelle à l’ubérisation en 2017. C’est le thème du dernier film de Ken Loach, réalisateur bi-palmé (Le vent se lève en 2006, Moi, Daniel Blake en 2016), militant engagé des luttes sociales pour le droit des travailleurs et la dignité des plus fragiles. Les deux œuvres ne s’adressaient pas au même public … et n’auront pas le même retentissement.

Comme à chaque fois, Ken Loach émeut aux larmes en mettant en scène la dignité de la working class bafouée par l’inhumanité de la société telle qu’elle est. Dès que Nick prend ses fonctions, on anticipe déjà les avanies qu’il ne manquera pas de rencontrer : livraisons en retard, embouteillages, adresses mal renseignées, contremaître intransigeant… Idem pour son épouse qui n’a pas le temps de prodiguer aux personnes dépendantes dont elle a la charge les soins élémentaires que leur état exige. Sans oublier le fils aîné en pleine rupture scolaire. Ne manquerait plus qu’on annonce que la cadette souffre d’une leucémie…

Dans la critique – enthousiaste – que je faisais il y a trois ans de Moi, Daniel Blake, je pointais un bémol : le risque d’épuisement du cinéma de Ken Loach. À chacun de ses films, ce sont les mêmes recettes qui sont utilisées qu’il s’agisse de dénoncer l’ubérisation façon Amazon, le démantèlement des services sociaux (Moi, Daniel Blake), la guerre américaine en Irak (Route Irish), la privatisation des chemins de fer (The Navigators), l’exploitation de la main d’œuvre chicano en Californie (Bread and Roses) ou d’exalter la mémoire des luttes dans l’Espagne républicaine (Le vent se lève) ou au Nicaragua (Carla’s Song).

Jusqu’alors la recette marchait car Ken Loach réussissait à trouver un équilibre. Il dénonçait une situation indigne mais esquissait les moyens d’y remédier (la mobilisation collective, la solidarité humaine…). Moi, Daniel Blake montrait que la solidarité d’un Daniel pour une Katie permettait de survivre dans une société déshumanisée.

Rien de tel dans le dernier film de Ken Loach – sinon peut-être la famille nucléaire douloureusement mise à mal elle aussi. Pendant une heure et quarante minutes, les coups du sort se succèdent métronomiquement les uns après les autres, sans que brille l’espoir d’une rémission ou d’une solution. À force de pleurer, nos yeux deviennent secs.

La bande-annonce

Un commentaire sur “Sorry we missed you ★☆☆☆

  1. Ping Gloria mundi ★☆☆☆ | Un film, un jour

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