J’veux du soleil ! ★★★☆

En décembre 2018, François Ruffin, député de La France insoumise, et Gilles Perret, le documentariste qui a signé le making off de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon en 2017, décident d’aller filmer les Gilets jaunes. À bord du break Picasso Citroën de François Ruffin – une voiture familiale que sa compagne l’avait poussé à acheter pour y véhiculer leurs deux enfants, deux jours avant leur rupture – les deux comparses sillonnent la France du nord au sud à leur rencontre pour combattre un préjugé : les Gilets Jaunes seraient un rassemblement de « fachos radicalisés »

Il est difficile de se débarrasser des préjugés qui précèdent la vision de J’veux du soleil. Préjugés à l’égard des deux coréalisateurs dont on a tout lieu de suspecter que le timing de la sortie de leur documentaire, en pleine campagne européenne, est lesté d’arrières-pensées politiciennes. Préjugés à l’égard du mouvement des Gilets jaunes au sujet desquels chaque spectateur s’est progressivement forgé son opinion personnelle, plus ou moins bonne, de moins en moins bonne en fait, au fur à mesure que les samedis égrenaient leur lot de violences inutiles.

C’est à cause de ces préjugés que j’ai bien failli rater J’veux du soleil, ayant bêtement décrété que je n’irais pas le voir mais me laissant finalement convaincre du contraire par un ami persuasif. Et force m’est de reconnaître que mes préjugés étaient – comme souvent les préjugés – bien mal fondés.

Car il faut voir J’veux du soleil. Quoi qu’on pense de Ruffin et de La France insoumise. Quoi qu’on pense des Gilets jaunes.

Son message est simple : les Gilets jaunes expriment une souffrance trop longtemps tue. Loïc, Cindy, Marie, que les coréalisateurs ont croisés sur les ronds-points de l’Oise, de l’Ardèche et de l’Hérault sont les visages d’une France digne, dure à la peine, en mal de lien social, minée par la misère financière, morale, esthétique.

François Ruffin et Gilles Perret pourraient en faire un prétexte à un tract électoral. Ils ont la décence de s’en abstenir. Certes, ils ne résistent pas à mettre en regard la souffrance des plus démunis et l’insolente richesse des plus nantis. Ils ne résistent pas à décocher quelques piques bien senties à Emmanuel Macron. Mais ces images, rajoutées au montage, ne retirent rien à l’intérêt du documentaire.

Les Gilets jaunes ne portent pas un programme politique. L’évolution du mouvement, sa fuite tragique dans une violence gratuite, l’a amplement démontré. Les Gilets jaunes témoignent d’une détresse sociale. Elle touche tout particulièrement cette « France périphérique », révélée par les travaux du géographe Christophe Guilluy : des Français qui peinent à boucler leurs fins de mois et à faire le plein d’une automobile qu’un logement rurbain excentré les condamne à utiliser. On les voit autour des braseros retrouver un peu de chaleur humaine. François Ruffin et Gilles Pierret ne viennent ni les endoctriner ni les instrumentaliser. Ils les filment avec délicatesse. Ce n’est pas grand-chose. Mais c’est déjà beaucoup.

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Ray & Liz ★☆☆☆

Richard Billingham est un photographe britannique reconnu. Son champ d’exploration est d’abord autobiographique. Il doit sa renommée à ses clichés réalistes sinon trash qui mettent en scène sa famille dans l’album Ray’s Laugh publié en 1996. Les protagonistes : son père alcoolique et sa mère obèse et tatouée, entourés de leurs nombreux animaux de compagnie. L’autre sujet de prédilection de l’artiste est l’étude des animaux (il a photographié les zoos du monde entier) : ceux qui sont domestiqués et acceptent leur servitude, ceux qui sont encagés et perdent leur raison d’être.
Dans ce premier film, construit en trois épisodes ( 1- un après midi où les deux jeunes enfants du couple, Jason et Richard, sont gardés par un oncle débile et alcoolique 2- quelques années plus tard, la fugue du jeune Jason qui manque mourir de froid sous l’appentis d’un voisin 3- la déchéance du père, Ray qui, quitté par sa femme, vit enfermé dans une chambre et ne se nourrit plus que de la bière “ faite maison” apportée par un proche), on retrouve les thèmes obsessionnels du photographe qui donne à deux acteurs professionnels le rôle ingrat de ses parents au milieu de l’Angleterre des années quatre-vingts.

Richard Billingham explore l’animalité de cette humanité déchue. La misère est autant physique (corps abîmés par l’alcool, la nourriture bon marché, le mauvais tabac, les tatouages, le manque d’hygiène) que morale (ennui, absence totale d’éthique, d’amour, d’autorité parentale, de projets de réinsertion sociale).
Les protagonistes comme les animaux du zoo ( Liz ressemble à un pachyderme) sont mis en cage. Ils sont enfermés dans un appartement sale dont ils ne sortent plus par honte, découragement, peur d’affronter le réel.
Leurs réactions finissent par ne plus être emprises d’aucune humanité: ainsi la joie sadique de Liz à taper à coups de chaussures à talons sur la tête de son beau-frère vautré dans son vomi.

Le film est brutal, violent, déroutant, outrancier, repoussant et même grand-guignolesque dans l’excès de ses représentations.
Si l’on comprend parfaitement les intentions de l’auteur, elles ne suffisent pas à lui pardonner les errances ni les longueurs insupportables des prises de vue. Encore moins une complaisance certaine à répéter certains plans comme ceux des mouches à bière mises sous verre, métaphore appuyée de ces humains prises au piège. Certes ces belles images symboliques sont là pour forcer la réflexion et l’imagination du spectateur. La bande sonore avec notamment “ Pass the Dutchie” du groupe reggae Musical Youth l’empêche de sombrer dans une profonde léthargie. Néanmoins, il ne faudrait pas trop lui demander : ce n’est pas à lui de transformer ce riche galimatias en un scénario qui tienne la route.

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Synonymes ★☆☆☆

À la fin de son service militaire, Yoav (Tom Mercier, révélation du film) a quitté Israël pour s’installer en France. Il y fait la connaissance d’un jeune couple, Émile (Quentin Dolmaire découvert chez Desplechin) et Caroline (Louise Chevillotte, remarquée chez Garrel), qui prend le jeune homme sous sa coupe. Yoav tire le diable par la queue dans un minuscule studio situé près de la place de la République. Il pose pour des photos X, trouve un emploi au consulat général d’Israël, tente de fuir son père venu le ramener en Israël.

Synonymes est inspiré de la vie de Nadav Lapid, enfant terrible du cinéma israélien, qui, en rupture de ban avec son pays, est venu vivre en France au début des années 2000. Synonymes est un film sur l’exil, sur la haine de soi, sur le désir d’ailleurs. C’est un film profondément français, au point parfois de reproduire les tocs d’un certain auteurisme germanopratin, tourné par un étranger à Paris. C’est une œuvre d’une incroyable énergie, qui divisera les spectateurs : on l’adorera ou on le détestera.

J’appartiens hélas à la seconde catégorie. Si, bien sûr, j’ai été impressionné par la puissance du jeu de Tom Mercier que la caméra ne quitte pas d’une semelle de tout le film, j’ai trouvé assez vaine la surenchère de saynètes, pas toujours crédibles censées résumer son exil parisien. On le voit successivement manquer mourir de froid dans un immense appartement de la rue Saint-Dominique après le vol de son sac à dos (sic), ouvrir grand les portes du consulat d’Israël au nom d’une idéologie sans-frontiériste, se mettre les doigts dans l’anus et mimer un orgasme en hébreu (re-sic) pour satisfaire les fantasmes d’un photographe lubrique. C’est beaucoup. C’est trop. Et au bout d’un moment, tandis que le scénario fait du sur place, on décroche sans attendre la scène suivante, qu’on imagine déjà plus audacieuse, plus scabreuse – ce sera un compatriote de Yoav qui remonte une rame de métro, kippa vissée sur la tête en fredonnant la Hatkiva devant des voyageurs tétanisés (dénonciation de l’antisémitisme ambiant ? critique du sionisme ?).

Le plus gênant peut-être est qu’à aucun moment Yoav ne nous touche. Il nous impressionne. Il nous dérange. Mais il ne nous touche jamais. Ce manque d’empathie nous interdit définitivement de partager sa douleur et d’en comprendre les motifs.

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Les Estivants ★☆☆☆

Anna (Valeria Bruni-Tedeschi) est réalisatrice de cinéma. Elle travaille à son quatrième film pour lequel elle demande au CNC l’avance sur recettes. Son conjoint lui annonce qu’il la quitte. C’est donc seule qu’elle part en vacances dans la luxueuse villa familiale sur la Côte d’Azur. Servie par une abondante domesticité, elle y retrouve sa mère (Marisa Borini), sa sœur (Valeria Golino) et le mari de celle-ci (Pierre Arditi). Passe le fantôme de son frère mort.

Valeria Bruni-Tedeschi réalise son quatrième film. Comme dans les trois précédents (Il est plus facile pour un chameau…, Actrices, Un château en Italie), elle met en scène son double impulsif et hystérique. Elle s’entoure des membres de sa propre famille : sa mère joue sa mère, sa fille Oumy, une Sénégalaise adoptée en 2009 avec Louis Garrel, joue le rôle de sa fille. Elle évoque – sans jamais le nommer directement – sa rupture avec l’acteur français qu’elle avait rencontré sur le tournage d’Actrices. Elle n’a pas poussé l’ironie jusqu’à proposer à son beau-frère, Nicolas Sarkozy, d’interpréter son propre rôle mais a confié ce soin à Pierre Arditi qui, aux bras d’une femme plus jeune que lui, campe un ancien patron de droite acculé à la faillite et réduit à une oisiveté forcée (sic).

Après avoir raconté sa vie parisienne, Valeria Bruni-Tedeschi translate ses proches sur les bords de la Méditerranée, dans une villa dont le luxe et la localisation sont sans doute comparables à ceux de la maison de sa mère, près du cap Bénat, à une encablure du fort de Brégançon. Ses occupants n’ont rien à y faire, sinon à y lézarder au soleil, à se baigner dans la piscine ou dans la mer toute proche, à s’attabler pour d’interminables repas. Pendant que les riches devisent, la domesticité cancane. Rien n’a changé depuis La Règle du jeu.

Il y a de la part de sa réalisatrice/interprète/co-scénariste un certain culot dans cette « autobiographie imaginaire ». On imagine volontiers les rires jaunes et les grimaces qui ont accompagné son visionnage autour de la table familiale. On paierait cher pour connaître la réaction de Nicolas Sarkozy.

Mais jeter les masques n’est ni nécessaire ni suffisant pour réaliser un bon film. Même s’il est inspiré d’une pièce de Gorky et s’il a fallu pas moins de quatre co-scénaristes pour écrire son histoire (dont Noémie Lvovsky qui interprète le rôle… d’un script doctor qui vient aider l’héroïne à écrire le scénario de son prochain film), Les Estivants ne réussit pas à maîtriser son sujet. Étiré sur plus de deux heures, il se noie dans une succession de saynètes théâtrales. Chacun des trop nombreux acteurs a successivement droit à sa scène et s’en sort plus ou moins bien. Si Pierre Arditi cabotine et Yolande Moreau campe le rôle qu’elle a déjà trop joué d’une gouvernante amoureuse, Vincent Perez, censé interpréter un acteur suisse auquel est confié le rôle du frère dans l’autobiographie que l’héroïne s’apprête à filmer, n’est paradoxalement pas le plus mauvais.

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Boy Erased ★★☆☆

Jared Eamons (Lucas Hedges propulsé ado à problèmes depuis Manchester by the sea) est le fils unique d’un couple aimant. Son père (Russell Crowe lesté – ou pas – de trente kilos supplémentaires) est un prêcheur baptiste. Sa mère (Nicole Kidman joue sans maquillage le rôle d’une épouse botoxée) accepte sans mot dire les oukases de son mari.
Lorsque ses parents découvrent l’homosexualité de leur fils, ils envoient Jared suivre une thérapie de conversion dans l’espoir de l’en « guérir ».

Inspiré de l’autobiographie de Garrard Conley, Boy Erased est construit autour d’un ressort simple sinon simpliste : nous révolter face à ces cures de réorientation sexuelle, mélange improbable de croyance mystique et de psychologie new age. Elles étaient déjà le sujet de Come As You Are sorti l’été dernier. On pense dans le même registre au stupéfiant documentaire Jesus Camp sorti en 2007 sur l’endoctrinement des enfants dès leur plus jeune âge dans des colonies de vacances évangéliques.

Le problème de Boy Erased est que son ressort dramatique est faible : Jared entre en cure… et en sort. Du coup, le scénario est obligé de chercher désespérément les moyens de nourrir ce squelette : en multipliant les flash-back pour découvrir les rencontres qui ont émaillé la prise de conscience par Jared de son homosexualité, en donnant sa minute de célébrité à chacun de ses compagnons de cure (l’obèse, le rebelle, la lesbienne…) et au directeur de l’institut Love In Action (interprété par le réalisateur) dont un carton final nous révèle l’étonnant destin, etc.

Le plus intéressant est ailleurs : dans le triangle familial magnifiquement résumé dans la photo qui fait l’affiche. Joel Edgerton joue sur du velours avec deux acteurs hors pair. Nicole Kidman et Russell Crowe sont l’un comme l’autre impressionnants, chacun dans son registre. Et Lucas Hedges est décidément un solide comédien pour réussir à ne pas se faire voler la vedette par ces deux monstres sacrés.

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Comme si de rien n’était ★★★☆

Janne (Aenne Schwarz) la petite trentaine vit avec Piet (Andreas Döhler). Le couple, très investi dans son travail, a fondé une maison d’édition qui bat de l’aile après le départ de leur associé. Il prend la décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne dans une maison que leur cède un proche.
À l’occasion d’une réunion d’anciens élèves bien arrosée, Janne croise Martin (Hans Löw). Mais la situation dérape…

Pour une fois, le titre français est au moins aussi pertinent que le titre original. « Alles ist gut » (« tout va bien ») a été traduit par « comme si de rien n’était ». Le titre annonce la couleur au risque de réduire le film à une seule thèse : Janne veut ignorer le viol dont elle vient d’être la victime. Au point de refuser de le nommer : le mot « viol » ne sera pas prononcé une seule fois. Elle le considère – et on nous le montre – comme un accident de fin de soirée, minable, pathétique. Et on imagine déjà la suite : aucun viol n’est anodin, qui laisse durablement une trace indélébile même si sa victime aimerait le nier.

Par bonheur, Comme si de rien n’était évite de sombrer dans cette pesante démonstration. C’est moins un film sur le viol et son impossible dénégation que sur une femme. Aenne Schwarz – qu’on avait déjà vue, sans vraiment la remarquer, dans le rôle de la femme de Stefan Zweig  – est de tous les plans. Elle est bouleversante.

Le viol dont elle est victime cristallise plusieurs syndromes : les relations avec son fiancé, avec sa mère, avec son nouvel employeur. Elle est brutalement submergée par une succession d’ennuis, de tracas, qui lui interdisent de revendiquer sa propre souffrance. Le procédé pourrait sembler artificiel. Il ne l’est pas.

Comme si de rien n’était se termine en queue de poisson. On pourrait être frustré par cette conclusion qui laisse bien des questions en suspens. Mais, à la réflexion, elle n’est pas sans qualités, qui laisse le personnage principal, et nous avec elle, dans le désarroi dont elle n’est pas prête d’émerger.

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Le Vent de la liberté ★★☆☆

En 1979, le communisme impose sa loi d’airain en Allemagne de l’Est, claquemurée derrière un mur infranchissable. Quelques esprits rebelles rivalisent d’ingéniosité pour le franchir. Les Strelzyk et les Wetzel imaginent de le faire par la voie des airs, en montgolfière. Une première tentative échoue de justesse.

Les films sur l’Allemagne de l’est communiste constituent un genre à part entière. Good Bye Lenin ! et La Vie des autres en constituent les deux modèles les plus réussis, le premier exploitant la veine douce amère de l’Ostalgie, le second constituant au contraire une critique au scalpel d’un régime construit sur l’espionnage systématique de tous par tous. Mais ils ne sont pas les seuls : Barbara (2012), De l’autre côté du mur (2014), La Révolution silencieuse (2018) examinent toutes les modalités de la résistance à un ordre communiste implacable.

Inspiré de faits réels – qui avaient déjà fait l’objet dès 1982 d’une adaptation hollywoodienne oubliable avec John Hurt dans le rôle principal – Le Vent de la liberté a le même potentiel dramatique que ces films là. Sans craindre de verser dans le manichéisme, il met en scène des héros positifs en sécession face à un ordre liberticide. Il reconstitue une évasion éminemment cinématographique.

Mais, pour donner plus de piment à la narration, les scénaristes ont été contraints d’accumuler les invraisemblances. Dans la réalité, les Strelzyk et les Wetzel ont construit une montgolfière, y sont montés et ont volé jusqu’en RFA. Dans le film, cette évasion, certes héroïque et dangereuse, mais chiche en rebondissements, se transforme en thriller – auquel on juxtapose pour faire bonne mesure une histoire d’amour superflue entre l’aîné des Strelzyk et la fille du chef de la Stasi locale. On peine à croire que l’armée est-allemande placée en état d’alerte n’arrive pas à repérer une montgolfière dans le ciel et que son aviation échoue à l’abattre. C’est pourtant le cas pour ménager l’happy end couru d’avance.

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Santiago, Italia ★★☆☆

En 1973, lorsque la junte de Augusto Pinochet renverse le gouvernement de Salvador Allende et arrête en masse ses supporters, des réfugiés politiques affluent dans les ambassades étrangères de Santiago en quête de protection. L’ambassade d’Italie leur a ouvert ses portes.
Nanni Moretti revient sur cette page méconnue de l’histoire italienne à la résonance particulière à l’heure de l’arrivée au pouvoir à Rome d’une coalition de partis extrémistes et xénophobes.

Santiago, Italia est un documentaire à la facture très classique. Il pose lentement le cadre de son sujet : l’élection surprise de Salvador Allende à la tête du Chili en septembre 1970 et l’enthousiasme qu’elle suscite dans la population, le programme socialiste qu’il met en œuvre (nationalisation de l’industrie, augmentation des salaires, réforme agraire…) et l’hostilité qu’il rencontre de la part de la haute bourgeoisie, de l’armée et des États-Unis, le coup d’État militaire ourdi par le général Pinochet et la mort mystérieuse (suicide ? assassinat ?) de Salvador Allende.

C’est seulement dans sa seconde partie que Santiago, Italia en vient au cœur de son sujet. Au centre de Santiago, la résidence de l’ambassadeur d’Italie offre un havre inespéré aux opposants poursuivis par la junte. Alors que les autres ambassades referment leurs portes les unes après les autres, Rome, qui refuse de reconnaître le pouvoir chilien, leur accorde l’asile politique. Escortés jusqu’à l’aéroport, ils obtiennent un billet pour l’Italie où ils sont allés faire leur vie.

Ce documentaire passerait inaperçu s’il n’était l’œuvre d’un des réalisateurs italiens les plus célèbres, Nanni Moretti, dont la juste colère contre les errements de son pays ont jusqu’à présent emprunté la voie de la fiction : ainsi du Caïman, satire mordante du régime ubuesque de Silvio Berlusconi.

Santiago, Italia n’aurait guère qu’un intérêt historique s’il ne trouvait un écho particulier dans la situation actuelle de l’Italie. Après l’élection en mars 2018 d’un parlement sans majorité claire, une coalition est formée entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles, deux partis extrémistes qui n’ont guère en commun que leur hostilité au « système ». L’hospitalité dont fit preuve la représentation italienne au Chili en 1973 contraste douloureusement avec la xénophobie généralisée actuelle. Elle contraste aussi avec l’image sombre et violente qui s’est progressivement formée dans les mémoires de l’Italie des années soixante-dix engluée dans les « années de plomb ».

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Tel Aviv on Fire ★★☆☆

Salam (Kais Nashif) est un Arabe israélien de Jérusalem. Chaque jour, il va travailler à Ramallah avec son oncle à une série télévisée à succès Tel Aviv on Fire dont le rôle principal est interprété par une vedette française (Lubna Azabal). Il se retrouve bientôt en charge de rédiger le scénario des derniers épisodes.
L’officier israélien qui dirige le check point par lequel Salam transite (Yaniv Biton) fait pression sur lui pour en modifier le dénouement et impressionner sa femme qui en est une spectatrice assidue.

Comme Elia Suleiman avant lui, Sameh Zoabi veut traiter par l’humour d’un sujet sérieux : l’impossible réconciliation israélo-palestinienne. Il le fait en prenant comme sujet le tournage d’une télénovela au succès fédérateur, regardée aussi bien dans les Territoires palestiniens qu’en Israël. Il le fait en prenant pour héros un Arabe d’Israël, à cheval entre deux identités, contraint à de pénibles trajets pendulaires de part et d’autre de la frontière. Il le fait sans jamais se départir d’une ironie douce, sans jamais céder à la tentation du didactisme démonstratif.

Le scénario de Tel Aviv on Fire est particulièrement sophistiqué. Il entrelace les épisodes de la vie de Salam – qui voit dans le travail qui lui est proposé la double occasion de sauver sa carrière professionnelle encalminée et de reconquérir la fiancée qui l’a quitté – et les épisodes joyeusement kitsch tournés avec trois bouts de ficelle de la série censée se dérouler en 1967 à la veille de la Guerre des six jours.

Pour autant, le spectateur scrogneugneu y trouvera à redire. Il ne résistera pas à l’assoupissement suscité par un scénario trop lent à se mettre en place. Il ne se déridera pas face à des gags pas vraiment drôles. Il trouvera bien paresseux une histoire aussi fade que celle du soap opera dont elle est censée reconstituer la genèse.

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We the Animals ★★☆☆

Jonah a dix ans à peine. C’est le cadet d’une fratrie de trois garçons. Sa mère d’origine italienne et son père portoricain se sont rencontrés à Brooklyn et ont laissé derrière eux des familles, qu’on imagine volontiers hostiles à leur rapprochement, pour vivre à la campagne dans le nord de l’État de New York.
Dans la torpeur de l’été américain, les trois garçons sont quasiment abandonnés à eux-mêmes par deux adultes absents, trop occupés à s’aimer passionnément et à se déchirer violemment. Le jeune Jonah a une passion : le dessin.

We the Animals est l’adaptation d’un court roman autobiographique de Justin Torres publié en français sous le titre Vie animale. Comme le livre, le film raconte l’histoire de cette famille atypique du point de vue de son cadet, témoin involontaire des disputes qui opposent ses parents et acteur inconscient d’une lente maturation qui l’amène à découvrir son homosexualité.

We the Animals est à cheval entre plusieurs genres : le documentaire, le drame familial, l’onirisme poétique des belles séquences animées inspirées des dessins au Crayola du jeune Jonah. Censé se dérouler dans les années quatre vingts, il est filmé, comme l’étaient les œuvres de l’époque, dans un beau 16mm qui rompt agréablement avec les tics de cadrage à l’épaule qui affectent la plupart des films américains indépendants.

Les distributeurs du film l’inscrivent dans la filiation écrasante de quelques chefs d’œuvre : Moonlight (pour la douceur de filmer des réalités violentes), Les Bêtes du sud sauvage (pour la description de jeunes enfants élevés en quasi liberté dans une nature complice), The Tree of Life (pour les envolées panthéistes de Terrence Malick). C’est sans doute lui faire trop d’honneur et nourrir de trop hautes espérances.

We the animals, s’il peine à trouver son rythme et manque parfois de plonger le spectateur dans l’ennui, réussit toutefois à le toucher par sa grâce, son élégance. Il sera sensible à son refus du misérabilisme. La dernière scène le marquera immanquablement.

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