Dilili à Paris ★★★☆

Dilili, une jeune Kanake, arpente le Paris de la Belle époque dans le triporteur d’Orel, un jeune et beau livreur. Le duo est à la recherche des Mal-Maîtres, une organisation malfaisante qui kidnappe les petites filles. Leur chemin croisera celui de Louise Michel – dont Dilili fut l’élève en Nouvelle-Calédonie – de la cantatrice Emma Calvé, de Sarah Bernhardt, de Marie Curie, de Louis Pasteur, d’Erik Satie, de Toulouse-Lautrec, de Rodin, de Marcel Proust et de tant d’autres…

Vingt ans après Kirikou, douze ans après Azur et Asmar, Michel Ocelot est de retour. Son style est immédiatement reconnaissable : luxueuse palette chromatique, soin extrême apporté aux décors et aux arrières-plans, caractère chevaleresque de ses personnages, morale humaniste et hymne à la tolérance….

À la différence de ses précédentes réalisations, celle-ci se déroule en France, dans un décor de carte postale, le plus beau, le plus exubérant qu’il soit : le Paris de la Belle époque. Pour arriver à ce résultat, Ocelot a travaillé à partir de photos prises dans la capitale dont il a gommé les éléments trop contemporains. Le résultat est flamboyant, même s’il tourne parfois à la visite guidée pour touristes en goguette : la Tour Eiffel, Montmartre, les quais de Seine, tout y passe…

De même, la façon dont Dilili et son chevalier servant croisent les gloires de l’époque, même si elle offre aux parents et aux maîtres d’école un matériau utile à une initiation aux grands courants artistiques du début du siècle, est trop artificiel pour être convaincante. On a parfois l’impression de feuilleter un Who’s who plutôt que de regarder un film d’animation.

Plus grave peut-être : l’histoire d’enlèvement de fillettes par une secte maléfique est totalement imaginaire. Elle tire Dilili à Paris du côté du plaidoyer féministe anachronique, avec sa jeune héroïne – dont les origines kanakes ne sont jamais utilisées dans l’intrigue sinon pour donner à un casting uniformément blanc un peu de couleur – ses francs-maçons phallocrates et ses petites filles réduites à l’esclavage sous leur niqab.

Mais ne boudons pas notre plaisir et réjouissons nous que des produits d’une telle qualité soient proposés à nos jeunes têtes blondes.

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Cold War ★★☆☆

Dans la Pologne communiste de l’immédiat après-guerre, Wiktor (Tomasz Kot) est chargé de rassembler les trésors de la musique populaire et de créer une troupe folklorique. Il fait à cette occasion la rencontre de Zula (Joanna Kulig), une jeune femme récemment sortie de prison après avoir tenté de tuer son père. Entre le chef d’orchestre et la jeune femme, la passion éclate. Le couple vivra pendant une quinzaine d’années, de part et d’autre du Rideau de fer, une relation contrariée par les aléas de l’Histoire.

Après un premier film remarquable et pourtant passé inaperçu, My Summer of Love, Pawel Pawlikowski a connu la gloire grâce à Ida. Le film, qui racontait l’histoire d’une jeune novice en proie au doute à la veille de prononcer ses vœux dans la Pologne communiste des années cinquante, a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger, un BAFTA, un Goya. Il a fallu patienter près de cinq ans pour voir son film suivant – en attendant l’an prochain son adaptation du Limonov d’Emmanuel Carrère.

Pour écrire Cold War, Pawel Pawlikowski, né en 1957 à Varsovie, exilé en Occident à l’adolescence, en Allemagne, en Italie puis en Angleterre où il s’installe définitivement et effectue le début de sa carrière jusqu’à son retour en Pologne en 2013, s’est librement inspiré de l’histoire de ses parents. Ils étaient, dit le réalisateur, follement amoureux l’un de l’autre et incapables de vivre ensemble. Leur histoire d’amour fut mise à mal par l’exil, la séparation forcée, les retrouvailles retardées. Tel est le sujet de Cold War, un film au titre bien mal choisi ; car si la Guerre froide constitue en effet l’arrière-plan de cette histoire, c’est la relation entre Wiktor et Zula, qui n’a rien de belliqueuse, ni de froide, qui en constitue le centre.

Cold War ressemble à Ida. Même noir et blanc poétique. Même format carré de l’image. Même paysages enneigés et glacials. Même Pologne étouffant sous la chape de plomb du communisme. Même élégance de la mise en scène – qui méritait largement le prix reçu pour ce motif à Cannes en mai.

Alors pourquoi deux étoiles seulement et pas trois voire quatre ? Parce qu’à la différence de Ida qui m’avait bouleversé, Cold War ne m’a pas ému. Parce qu’à force de garder l’émotion à distance, le film de Pawel Pawlikowski m’a laissé sur le bord du chemin. Parce que la perfection de chaque plan, les traits parfaits de Joanna Kulig, l’âpre beauté des chants polyphoniques slaves m’ont sidéré plus qu’ils ne m’ont touché.

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Nos batailles ★★★☆

Olivier (Romain Duris) a la vie d’un Français qui se lève tôt. Il travaille dans un grand groupe de vente à distance et y montre, en qualité de représentant syndical, un engagement sans faille pour défendre les intérêts de ses camarades. Sa vie de famille, auprès de Laura et de leurs deux enfants, Eliott et Rose, semble sans nuage.
Mais tout s’effondre lorsque Laura quitte, sans une explication, le domicile conjugal.

Quand Olivier Adam et Stéphane Brizé se rencontrent.
On se souvient de Nos vents contraires, le livre d’Olivier Adam, adapté au cinéma en 2011 avec Benoît Magimel dans le rôle principal : l’histoire d’un père et de ses deux jeunes enfants, brisé par le départ de sa femme.
On se souvient également du dernier film de Stéphane Brizé, En guerre, où Vincent Lindon jouait le rôle d’un syndicaliste prêt à tout pour sauver l’emploi de ses camarades menacé par le dépôt de bilan de la PME qui les emploie.

Guillaume Senez, déjà remarqué en 2016 pour son premier film, l’excellent Keeper, traite avec une grande justesse un sujet qui aurait pu être casse-gueule et tire-larmes. Comme Gone Girl ou Je vais bien ne t’en fais pas, son film est construit autour d’un mystère : pourquoi Laura est-elle partie ? On attend une révélation coup de théâtre : elle a voulu épargner à ses proches sa mort annoncée d’un cancer foudroyant ou bien elle a été kidnappée par un serial killer. Je vous laisse découvrir la réponse à cette énigme.

Mais l’essentiel est ailleurs. Le film n’a pas Laura pour personnage principal mais bien Olivier. De chaque plan, c’est lui qu’on suit passant de l’incompréhension à la rage puis à l’accablement. C’est sur lui que repose désormais l’éducation de ses deux jeunes enfants dont il avait eu tendance à reporter la responsabilité sur sa femme.

Dans un rôle où on ne l’attendait pas, l’excellent Romain Duris a la colère rentrée du personnage de Vincent Lindon et le cœur brisé de celui d’Olivier Adam. Aussi excellente que soit sa composition, c’est celles de Laure Calamy et de Laetitia Dosch que je veux saluer. Dans le rôle de la camarade de lutte et de cœur, la première, souvent vue (notamment dans le récent Mademoiselle de Joncquières) est parfaite. Dans celui de la petite sœur appelée à la rescousse par son grand frère pour s’occuper de ses enfants, la rousse seconde confirme les espoirs placés en elle depuis Jeune femme.

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La Saveur des ramen ★☆☆☆

Le père de Masato vient de mourir. Depuis la mort de sa femme, il s’était muré dans le silence. Il tenait un restaurant de ramen au Japon. Son fils travaillait avec lui.
En rangeant les affaires de son père, Masato trouve le journal intime de sa mère, d’origine chinoise, rencontrée à Singapour. Cette découverte l’incite à partir à Singapour sur les traces de son passé.

Depuis Tampopo (1985) jusqu’aux Délices de Tokyo (2015), la gastronomie japonaise fait recette au cinéma. Eric Khoo, qu’on avait connu plus imaginatif, par exemple dans Apprentice (le portrait bouleversant d’un jeune garde pénitentiaire affecté auprès du bourreau chargé de procéder à une exécution capitale) ou dans Hôtel Singapura, en appelle autant à nos glandes salivaires que lacrymales.

L’histoire qu’il raconte n’a rien de très original. Elle est rythmée par des retrouvailles convenues : avec un oncle cuisinier, avec une grand-mère repentante. À quoi s’ajoute une vague bluette avec une guide gastronomique – qui, à vue de nez, semble avoir une bonne quinzaine d’années de plus que notre héros … mais bon …

Il y avait pourtant à cette histoire sino-japonaise se déroulant à Singapour une dimension historique voire géopolitique. L’occupation par le Japon impérial de la colonie britannique a ouvert des cicatrices qui ne sont pas toutes refermées. Comme le montre l’exposition que visite Masato, elle fut d’une particulière cruauté, entretenant parmi la population chinoise de l’État indépendant depuis 1965 un solide racisme anti-nippon. Aussi l’histoire de Masato et de ses parents se veut-elle une réponse à ces rancœurs ataviques, une lueur d’espoir annonçant une impossible réconciliation entre deux peuples que l’Histoire avait opposés. Le réalisateur préfère hélas filmer des nouilles en pleine cuisson. Dommage…

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Halloween ★☆☆☆

Quarante ans ont passé depuis la nuit d’Halloween où Michael Myers, un dangereux psychopathe échappé de l’hôpital psychiatrique où il était soigné depuis qu’il avait assassiné, à six ans seulement, sa propre sœur, a tenté d’assassiner Laurie Strode.
Laurie Strode (Jamie Lee Curtis) ne s’est jamais vraiment remise de cette nuit d’horreur. Elle a passé l’essentiel de sa vie à craindre d’être à nouveau face au mystérieux tueur. Elle a élevé sa fille dans cette hantise, provoquant sa brutale prise de distance à l’adolescence.

Le film mythique de John Carpenter, tourné en 1978, a initié un genre : le slasher, qui met en scène un tueur psychopathe et souvent masqué assassinant à l’arme blanche des jeunes gens. Il a connu bien des suites, même si John Carpenter a toujours refusé de repasser derrière la caméra.

Halloween 2018 prétend revenir aux sources de la franchise en ignorant tous les autres films existants. On y retrouve Jamie Lee Curtis, désormais grand-mère avec sa fille et sa petite fille – qui a désormais l’âge qu’avait Laurie Strode quarante ans plus tôt et se retrouvera bon an mal dans les mêmes situations qu’elle. La musique est composée par John Carpenter qui avait déjà signé celle de son film en 1978.

Le problème de Halloween 2018 est précisément d’arriver quarante ans après l’original et de vouloir en reproduire, sans y rien changer, les mêmes recettes. Ce qui était terriblement novateur en 1978 ne l’est plus guère en 2018. On a trop vu de slashers pour trembler devant un psychopathe masqué surgissant du placard en brandissant un couteau. On s’ennuie ferme d’autant que Jamie Lee Curtis semble trop invulnérable pour qu’on doute un seul instant qu’elle ne finira par prendre le dessus sur son atavique adversaire.

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Le Grand Bain ★★★★

Bertrand (Mathieu Amalric), Laurent (Guillaume Canet), Marcus (Benoît Poelvoorde), Simon (Jean-Hugues Anglade) et Thierry (Philippe Katerine) ont plusieurs points en commun : ils sont quadragénaires, dépressifs, bedonnants et… pratiquent la natation synchronisée sous la direction de Delphine (Virginie Efira), une ancienne championne.

Annoncé par un bouche-à-oreille élogieux et une campagne de presse menée tambour battant, voici le film français le plus populaire de l’année, qui ralliera toutes les classes d’âge et les catégories socio-professionnelles, Paris et la province, qui battra des records d’audience et récoltera une moisson de Césars en février prochain.

Le pari est audacieux ? Pas vraiment. Le Grand Bain rassemble tous les ingrédients du feel good movie à succès. C’est un film comique (on sourit à la quasi-totalité des dialogues et on se prend à rire plus souvent qu’à son tour) sur un sujet sérieux (la crise de la quarantaine, la dépression, le chômage, le manque d’amour). C’est un film triste (chaque personnage est à sa façon dérisoire) sur un sujet drôle (des mâles pas vraiment sexy qui jouent aux sirènes aquatiques). Comme Le Sens de la fête l’an passé, Le Grand Bain trouve le juste équilibre entre la comédie potache et le film à thèse.

Évidemment, on invoquera The Full Monty voire on criera au plagiat. Le film de Gilles Lellouche reproduit dans les moindres détails celui de Peter Cattenao qui voyait une troupe de chômeurs anglais jouer aux Chippendales. Mais est-ce si grave ? Quel mal y a-t-il à reprendre les recettes d’un film réussi, vieux de plus de vingt ans, que la majorité des spectateurs au demeurant n’ont peut-être pas vu ?

Le Grand Bain a sur The Full Monty un avantage. C’est un film français qui met en scène une brochette d’acteurs célèbres et familiers. Chacun campe à sa façon un personnage qui  ressemble à ceux qu’il a déjà campés, créant du coup chez le spectateur une familiarité attendrissante avec eux : Mathieu Amalric est asthénique, Guillaume Canet est hyperactif, Benoît Poelvorde est fanfaron. Le plus étonnant peut-être, celui à qui j’attribuerais sans hésitation le César du meilleur second rôle, est Philippe Katerine. En gardien de piscine, condamné au chômage par son imminente automatisation, il est pathétique, drôle et émouvant.

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L’Amour flou ★★★☆

Philippe Rebbot et Romane Bohringer se sont aimés et ne s’aiment plus. Les deux acteurs ont vécu ensemble pendant dix ans et ont fait deux enfants, Rose et Raoul. Mais le désamour est venu et la séparation semble inéluctable. Mais les deux parents n’arrivent pas à se séparer de leurs enfants et imaginent une solution immobilière innovante pour se quitter sans s’en éloigner : vivre dans deux appartements aux entrées distinctes, reliées entre eux par la chambre des enfants.
C’est cette histoire autobiographique que les deux acteurs mettent en scène et filment, en sollicitant leurs familles, leurs amis pour interpréter leurs propres rôles.

Il a fallu un sacré culot à Philippe Rebbot et à Romane Bohringer pour raconter sans fard la part intime de leur histoire. Ils le font avec une étonnante impudeur, sans jamais chercher à se donner le beau rôle, sans jamais pour autant verser dans le narcissisme ou l’exhibitionnisme. Lui est cet adolescent cinquantenaire, le cheveu en pétard, le poil mal rasé, tentant sans succès, avec sa casquette et son skate, de paraître plus jeune qu’il n’en a l’air. Elle a la tête sur les épaules, vit bien ses rides, mais n’a rien perdu de sa fougue juvénile.

Les anecdotes comiques s’enchaînent, dont on se demande quelle est la part d’histoires vécues ou imaginées. On voit passer Réda Kateb, hilarant en psychologue canin, Clémentine Autain, pas vraiment à l’aise devant la caméra, un proviseur à moumoute, deux voisins homos en quête de mère porteuse et des psys en pagaille.

Pour particulière que soit l’histoire de ces deux bobos, elle dit quelque chose de notre temps. Elle raconte une forme de post-soixante-huitardisme assumé. Cette génération entend vivre comme elle l’entend, sans les totems ni les tabous que ses aînés ont désacralisés, et opérer des choix de vie sans se les laisser dicter. Mais, à la différence de la génération précédente, autrement plus iconoclaste, elle fait de la famille, qu’elle soit nucléaire ou étendue, l’horizon indépassable de son bonheur : il n’y a pas d’amour plus grand que celui qu’elle nourrit pour ses bambins, pas de fidélité plus durable que celle qui la rapproche de ses parents.

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First Man – le premier homme sur la Lune ★★☆☆

L’homme derrière la légende. Neil Armstrong, on le sait, est le premier homme à avoir posé le pied sur la lune le 21 juillet 1969. First Man raconte son histoire.

Après le succès planétaire de La La land, on attendait impatiemment le nouveau film du duo Damien Chazelle / Ryan Gosling. On le retrouve dans un biopic hollywoodien, loin de la comédie musicale qui leur valut quatorze nominations – et six statuettes – aux derniers Oscars. Mais que ceux qui ont, comme moi, adoré La La land ou ceux qui, à mon plus grand étonnement, ne l’ont pas aimé aillent voir sans idées préconçues First Man : ce film-ci n’a pas grand chose à voir avec celui-là.

La conquête de l’espace a déjà donné lieu à plusieurs films remarquables. Le meilleur est sans doute L’Étoffe des héros de Philip Kaufman (1983) qui en raconte les premiers développements, avant le programme Apollo. Le plus patriotique est sans hésitation Apollo 13 de Ron Howard (1995). Le parti pris retenu par Damien Chazelle est tout autre, sans qu’il soit évident de le rattacher à notre époque et à l’image qu’elle porterait sur cette page glorieuse de l’histoire américaine : il est profondément anti-héroïque.

Ryan Gosling, comme à son habitude, affiche la mine renfrognée qui constitue sa marque de fabrique sans qu’on parvienne à décider s’il s’agit du degré zéro du jeu d’acteur ou au contraire de la preuve éclatante de son talent. Il ne sourit jamais, ne prononce pas un mot, vit sa vie à travers la visière de son casque d’astronaute ou de la vitre qui le sépare de son épouse – dont on apprendra, en allant chercher sur Wikipedia pour confirmer une intuition suscitée par la dernière scène du film, qu’il divorcera quelques années plus tard. Cette profonde mélancolie a une cause que les premières scènes du film éclairent : Neil a perdu sa petite fille, Karen, avant ses trois ans, victime d’une tumeur au cerveau.

Mais contrairement à son titre et à son affiche, First man raconte au moins autant la vie de Neil Armstrong qu’il ne fait l’histoire des programmes Gemini et Apollo. Il raconte trop rapidement la course que se livraient les États-Unis et l’URSS. Il ne dit pas un mot des enjeux scientifiques. Il évoque trop brièvement les critiques que ce programme dispendieux a suscitées, à l’heure où l’argent manquait pour assainir New York ou traiter efficacement la question raciale.

Son parti pris est de nous montrer, pour mieux nous les faire partager, les dangers et la précarité de ces expéditions. Filmées en caméra subjective, depuis l’intérieur de la carlingue effroyablement exigüe et terriblement claustrophobique, elles sont l’occasion des meilleures scènes du film, même si leur répétition finit par lasser. La fusée tremble, les aiguilles s’affolent, les commandes ne répondent plus, l’oxygène vient à manquer, la navette part en vrilles… what else ?

Le problème de ces séquences est qu’on sait par avance comment elles vont finir. Si Neil Armstrong est dans l’habitacle, on sait qu’il survivra. En revanche, s’il n’y est pas, ses camarades astronautes ont de quoi se faire du souci. Autre problème : la construction du film qui laisse la portion congrue à la mission Apollo 11. Elle est expédiée en une vingtaine de minutes, alors qu’on l’attendait depuis la première image. Et, si on nous a expliqué que l’opération la plus délicate de la mission serait, au retour, le rendez-vous en orbite lunaire du LEM et de Columbia, First man ne le filme même pas, faute d’avoir déjà épuisé tout son carburant.

On sort de First Man à moitié convaincu. On a eu pour son argent de sensations fortes et de paumes moites. Mais on est bien loin de l’enthousiasme suscité par La La Land et par L’Étoffe des héros.

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À la recherche de Ingmar Bergman / Bergman, une année dans une vie ★★☆☆

Ingmar Bergman aurait eu cent ans le 14 juillet 2018. À l’occasion du centenaire de sa naissance, deux documentaires sont sortis quasi-simultanément sur nos écrans.

Le premier, À la recherche d’Ingmar Bergman, est une œuvre de commande à la célèbre réalisatrice allemande Margareth von Trotta, qui n’hésite pas à se mettre en scène pour montrer comment elle découvrit l’œuvre de Bergman dans les cinémas d’art et d’essai de Paris où elle était venue faire ses études dans les années soixante.

Le second, Bergman, une année dans une vie, prend comme point de départ l’année 1957 où Bergman sort Le Septième Sceau et tourne Les Fraises sauvages tandis qu’il monte au théâtre Peer Gynt et Le Misanthrope.

Les deux documentaires se ressemblent – qui présentent d’ailleurs une affiche quasiment similaire où l’on voit Bergman de trois quarts dos coiffé du même béret. Ils décrivent un monstrueux génie et un monstre génial.

Durablement traumatisé par la stricte éducation qu’il avait reçue de son père, pasteur de l’Église réformée, Ingmar Bergman était affligé d’une série de troubles psychosomatiques : ulcères d’estomac, insomnies, syndrome des jambes sans repos… Il transcendait sa profonde angoisse existentielle par trois remèdes : le sexe, le travail…  et un régime alimentaire à base de yaourt et de biscuits. Sa vie sentimentale, sur laquelle chacun des documentaires revient longuement, fut chaotique : Bergman fut marié cinq fois et eut neuf enfants, légitimes ou naturels. Il négligea ses obligations familiales, ignora ses enfants et n’eut sa vie entière qu’une seule passion dévorante et narcissique : son œuvre créatrice au théâtre comme au cinéma.

Il est croustillant d’imaginer les réactions que susciteraient aujourd’hui une telle personnalité. Son comportement donjuanesque lui attirerait les foudres des féministes et sa nonchalance à l’égard de sa progéniture celle des associations familiales.. La discipline de fer qu’il faisait régner sur ses plateaux lui vaudrait des procès en harcèlement. Ses dérèglements morphologiques le forceraient à une cure stricte faute de quoi les assurances refuseraient de couvrir ses films.

Cet homme névrosé, déréglé, égoïste, en un mot profondément antipathique, a pourtant produit quelques uns des plus grands films du siècle passé. Les deux documentaires qui lui sont consacrés ont cette double vertu : ne rien taire des démons de l’homme, éclairer la grandeur de son œuvre.

La bande-annonce de À la recherche de Ingmar Bergman
La bande-annonce de Bergman – Une année dans une vie

Sans jamais le dire ★★☆☆

Lena est une jeune et jolie collégienne. Elle vit au sein d’un foyer uni, même si elle a le sentiment que ses parents consacrent plus de temps à son frère handicapé qu’à elle. Elle a une meilleure amie avec laquelle elle échange des confidences.
Tout bascule le jour où son professeur de mathématiques la viole.
Au lieu de parler, Lena se mure dans le silence et bascule bientôt dans la dépression. Après une tentative de suicide, elle est internée dans un établissement psychiatrique.

Nous vient de l’Est ce film dur, âpre, tranchant comme le couteau avec lequel Lena tente de se cisailler les veines.

On imagine volontiers ce que le sujet aurait donné aux États-Unis où l’asile psychiatrique a constitué le cadre de bien des scénarios. Un héros/une héroïne résiliente y aurait repris son destin en main, coalisant les autres malades contre une institution aveugle et sourde à leurs besoin réels. On pense à Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, Une vie volée de James Mangold ou, plus récemment, Paranoïa de Steven Soderbergh.

Mais le film de la jeune Slovaque Tereza Nvotova n’emprunte pas ces chemins tracés d’avance. Son personnage principal est une victime, pas une héroïne. Elle ne trouve autour d’elle aucune bouée de secours. Non pas qu’elle soit entourée d’ennemis ; mais simplement que personne, ni sa famille pourtant aimante, ni sa meilleure amie qui lui rend fidèlement visite, ni la malade dont elle partage la chambre à l’hôpital, ne lui tende la main.

Sans jamais le dire ne se contente pas de raconter ce lent étiolement. Le scénario, coupé d’ellipses qui en troublent parfois la compréhension, connaît quelques rebondissements. Pour autant, le film ne se termine pas par un happy end. La scène finale est ouverte à toutes les interprétations : Lena réussit-elle enfin à dire non à un garçon ? ou bien s’est-elle à jamais murée dans un silence dont elle ne sortira jamais ?

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