Football infini ★☆☆☆

Marre du foot à la télé ? Allez en voir au cinéma !

Laurentiu Ginghina habite Vaslui, en Roumanie près de la frontière de la Moldavie. Considérant que le football est trop violent, la circulation du ballon pas assez « libre », il propose d’en modifier les règles.

Depuis que Cristian Mungiu a décroché la Palme d’or à Cannes en 2007 pour Quatre mois, trois semaines, deux jours, le cinéma roumain ne cesse de nous étonner.
Parmi les réalisateurs de cette Nouvelle vague, Corneliu Porumboiu ne nous est pas inconnu. Son premier film, 12h08 à l’est de Bucarest, aux frontières du documentaire et de la fiction, disséquait les réactions des Roumains à l’annonce de la chute de Ceaucescu. Son dernier, Le Trésor, était un modèle d’humour noir, raillant les travers d’une société gangrenée par la corruption.

Fils d’un ancien arbitre professionnel, Corneliu Porumboiu avait consacré un documentaire à un match opposant les deux équipes de Bucarest durant les dernières heures du communisme sous la neige. C’est à nouveau au football qu’il s’intéresse avec un documentaire au format court (soixante-dix minutes seulement) dont la sortie coïncide avec la Coupe du Monde 2018.

Laurentiu Ginghina fut victime durant son adolescence sur un terrain de football d’un tacle meurtrier qui lui fractura le péroné et compromit son avenir professionnel. Faute d’avoir entrepris des études de sylviculture, faute d’avoir réussi à s’installer durablement aux Etats-Unis, Ginghina a pris un obscur poste de bureaucrate dans l’administration de Vaslui. On le voit, encravaté derrière son bureau, tentant sans conviction de démêler les tracas administratifs d’une vieille babouchka.

Ginghina se rêve en super-héros dont le train-train ennuyeux serait en fait une couverture. Ginghina aspire à une autre vie, dans laquelle il ne croupirait pas derrière un bureau. Ginghina imagine d’autres règles au football comme il fantasme d’autres règles à sa vie.

Du coup, après avoir écouté un temps avec amusement ses propositions, d’ailleurs pas si saugrenues, on s’en désintéresse vite pour se focaliser sur celui qui les énonce. On comprend que le sujet du film n’est pas le football mais la folie douce d’un homme plein d’imagination.

La bande-annonce

How To Talk To Girls At Parties ★★★☆

En 1977. À Croydon dans la banlieue de Londres. Enn (Alex Sharp) étouffe chez sa mère et ne vit que par le punk avec ses deux inséparables amis.
Après un concert organisé par Boadicea (Nicole Kidman), le trio débarque dans une soirée organisée par des hôtes à la tenue et au comportement déroutants. Il s’agit en fait d’une colonie d’extraterrestres venus étudier les mœurs des humains avant de sacrifier à un funeste rite de passage.
Enn tombe sous le charme de Zan (Elle Fanning), une extra-terrestre qui se révolte contre le sort qui lui est promis.

John Cameron Mitchell s’est taillé la réputation d’une icône gay par quelques films devenus cultes : Hedwig and the angry inch, Shortbus, Rabbit Hole… À cinquante ans passés, il revient avec un film assagi qui n’en garde pas moins un zeste de folie qui en fait le charme.

How to talk to girls at parties pourrait être une gentille bluette punk, l’histoire du déniaisement d’un ado londonien dans les années 70. C’est ce que le titre et l’affiche laissent croire.

Mais il ne faut s’arrêter à cette première impression. Il s’agit en fait de l’adaptation d’une courte nouvelle de Neil Gaiman, un célèbre auteur de sciences fiction. Il y raconte comment Enn et son ami Vic (le duo du livre est devenu trio dans le film) débarquent dans une soirée et y draguent des filles dont on comprend progressivement la bizarrerie. La nouvelle se termine lorsque Enn et Vic fuient la soirée, horrifiés de leur découverte. Mais le film va plus loin avec le personnage de Zan, absent du livre, ses rêves de révolte qui recoupent ceux de Enn.

How to talk to girls at parties emprunte à plusieurs sources. Son héros, fou de musique rappelle John Cusack dans High Fidelity ou le jeune groopie de Almost Famous. Les scènes de concert évoquent celles que John Cameron Mitchell avait filmées dans Hedwig… ou celles du biopic consacré au leader du groupe Joy Division, Control. L’ambiance décalée qui règne dans la demeure des extraterrestres évoque les décors du tournage de Moonwalkers. Le personnage de Zan et de ses congénères n’est pas sans évoquer Scarlett Johansson dans Under the skin. Mais nul besoin pour apprécier How to talk… de connaître ces références qu’un critique prétentieux égrène comme d’autres enfilent des perles…

Car Elle Fanning mérite à elle seule le déplacement. Le rôle de Zan lui va comme un gant : un peu d’ici, un peu d’ailleurs, encore enfant, déjà adulte. Sa beauté laisse pantois, qui a quelque chose de surnaturel : sa blondeur, sa peau translucide, son cou interminable. À vingt ans à peine, Elle Fanning a déjà une filmographie qui force l’admiration. Dès ses tout premiers films (Somewhere en 2010, Super 8 en 2011), l’acteur-enfant impressionnait par son aisance face à la caméra sans jamais sombrer dans le cabotinage qui gâte si souvent le jeu des plus jeunes stars. Avec The Neon Demon, elle se révélait dans un rôle adulte, avec quelle troublante efficacité. Si besoin était How To Talk… le confirme : le bébé-star est devenue une grande star.

La bande-annonce

Les Funérailles des roses ★★☆☆

L’action se déroule à Tokyo, dans la communauté homosexuelle autour du bar gay Genet dont Leda, une travestie sur le retour, assure la gérance. Gonda en est le propriétaire. En cachette de Leda, il a une liaison avec un jeune travesti Eddie.

Longtemps inédit en France, Les Funérailles des roses ressortira  sur nos écrans le 29 août mais était diffusé hier soir au Reflet Médicis en avant-première dans le cadre du réjouissant Festival du film de fesses.

C’est une œuvre expérimentale, à mi-chemin du documentaire et de la fiction. Il s’agit d’abord d’une plongée quasi-ethnologique dans la communauté homosexuelle de Tokyo. Cette dimension-là est peut-être la plus intéressante du film et on regrette qu’elle n’ait pas été plus développée. On y constate une mondialisation avant l’heure : celle qui caractérisa les années soixante partout dans le monde, qu’il s’agisse de la musique, des vêtements ou de la libération sexuelle. Mais on y découvre aussi combien le regard sur les homosexuels a changé : les questions posées aux travestis naturalisent l’homosexualité en en faisant une maladie dont on pourrait se soigner voire une tare dont on devrait s’affranchir.

Les Funérailles des roses est par ailleurs une œuvre expérimentale – qui aurait dit-on inspiré Kubrick pour tourner Orange mécanique deux ans plus tard. Une œuvre en noir et blanc qui mélange l’humour et le trash. Une œuvre qui entend cultiver avec le spectateur une distanciation toute brechtienne grâce à des inserts de textes ou d’images. Une œuvre qui ne se soucie pas de linéarité, mélangeant les scènes, effectuant des flashbacks inattendus – et volontiers incompréhensibles. Une œuvre qui, s’il fallait lui trouver un thème, modernise pour mieux le travestir le mythe d’Œdipe dans ses toutes dernières minutes, particulièrement impressionnantes.

L’expérience, trop longue d’une vingtaine de minutes, peut décontenancer. Le cinéma de l’époque cherchait volontiers à le faire à force de surenchères esthétiques et narratives. Il y arrivait souvent ; il y arrive encore.

Rétrospective Dario Argento ★★☆☆

A l’initiative du distributeur Les Films du Camélia, six films de Dario Argento ressortent en salles le 27 juin. C’est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir sur grand écran l’œuvre du maître italien de l’épouvante peu ou mal distribué – ainsi Opéra (1987) était-il jusqu’à ce jour inédit.

Né en 1940, Dario Argento est le maître incontesté du giallo, ce genre italien inimitable qui doit son nom à la couverture jaune des polars. À la frontière du film policier, du film érotique et du film d’horreur, le giallo transcende les genres. Les Frissons de l’angoisse (1975) en constitue sans doute l’apogée. Le personnage principal est un pianiste de jazz à la poursuite d’un mystérieux assassin. Le film bluffe par ses audaces visuelles, ses scènes gore, ses mouvements de caméra renversants, sa musique angoissante signée par le groupe de rock progressif Goblin. Mais sa durée excessive et l’accumulation de scènes sanglantes risquent de lasser même les plus endurants.

Dario Argento a tiré le giallo vers le fantastique. C’est le cas dans Suspiria (1977), considéré parfois comme son meilleur film. 1001 Movies You Must See Before You Die le classe d’ailleurs dans son anthologie. C’est un film d’une grande violence visuelle et sonore dont l’action se déroule dans une école de danse allemande où une jeune ballerine enquête sur une succession de crimes atroces. Un remake vient d’en être tourné par le réalisateur de Call me by your name et A bigger splash avec Dakota Johnson, Chloë Grace Moretz et Tilda Swinton, excusez du peu, au casting. Il sortira sur nos écrans à l’automne.

Opéra (1987) est le film le plus récent distribué dans cette rétrospective. La violence y est plus moderne, plus impressionnante. Dario Argento y laisse parler son goût pour la musique lyrique, imaginant des crimes en série autour d’une représentation de Macbeth à la Scala de Milan. Comme dans les deux films précédents, l’intrigue ne brille pas par son originalité. Une fois encore, il s’agit d’une série de crimes, tous plus violents les uns que les autres. Le film est gâché par son dernier quart d’heure où le scénario en roue libre perd toute crédibilité, provoquant des fous rires dans la salle au lieu des cris d’horreur qu’il est censé susciter.

Dario Argento suscitera l’enthousiasme ou la détestation. Musique stridante, effets de caméras étourdissants, jeu outré des acteurs, hémoglobine grossièrement artificielle, fétichisme… On pourra lui reprocher ses outrances. On ne saurait critiquer sa cohérence.

La bande-annonce

Les Affamés ☆☆☆☆

Zoé a vingt-et-un ans, un copain photographe, une licence en poche et des rêves plein la tête. Mais son copain la trompe, le marché du travail est bouché, le logement à Paris hors de prix.
Avec ses nouveaux colocataires, Zoé décide de faire bouger les lignes.

La bande-annonce des Affamés m’avait mis l’eau à la bouche. J’en escomptais l’histoire pleine d’allant et d’humour d’une bande d’amis unis autour de Louane Emera (la révélation de La Famille Bélier) dans un combat politique, celui d’une jeunesse prenant conscience de son identité de classe et bien décidée à changer son statut dans la société.

Las ! Les comptes n’y sont pas. Sur le terrain de la comédie comme sur celui du militantisme, là où par exemple Problemos réussissait à faire coup double, Les Affamés nous laissent sur notre faim.

Les Affamés est d’abord l’histoire d’une atterrante platitude d’une bande de potes. On se souvient avec quel brio, quelle tendresse et quelle intelligence, Cédric Klapisch avait réussi sur cette base à croquer le portrait-chorale de la jeunesse des années 2000 dans L’Auberge espagnole – dont le succès allait provoquer deux suites dispensables, Les Poupées russes et Casse-tête chinois.
Louane Emera a une belle énergie. Mais elle n’a hélas ni le charisme ni le charme de Romain Duris. Sa romance avec François Deblock ne fonctionne pas. Ses autres colocataires sont réduits à des caricatures : le rebeu dragueur, le geek à lunettes, la renoi lesbienne (sic)…

Mais c’est surtout sur le terrain du combat politique que j’attendais Les Affamés. Au départ, Léa Frédeval avait écrit non pas une fiction mais un essai, témoignant de la rage d’une génération sacrifiée. Ce témoignage largement autobiographique frappait juste. Il décrivait une jeunesse sans illusions, touchée par un chômage de masse contre lequel aucun diplôme ne l’immunise plus, surexploitée dans des stages ou des CDD, constamment renvoyée par des aînés volontiers paternalistes à son inexpérience.

Le passage à la fiction ne fonctionne pas. Car une fois que les « affamés » prennent conscience de leur état et parviennent à articuler des revendications, plus rien ne se passe. Le film s’arrête, faute d’enjeu dramatique. La dernière demie-heure, privée d’enjeu, est un naufrage embarrassant.

Les Affamés n’a pas été projeté à la presse. On comprend pourquoi.

La bande-annonce

Sicario La Guerre des Cartels ★☆☆☆

Pour désorganiser les cartels mexicains, qui font régner leur loi à la frontière mexicaine, le gouvernement américain décide de lancer une opération undercover. Il s’agit de kidnapper la fille de Carlos Reyes, l’un de ses chefs les plus puissants, en faisant croire que l’enlèvement est l’œuvre d’un cartel ennemi, afin de déclencher une vendetta fratricide.
L’agent Matt Graver (Josh Brolin) en est chargé. Il fait appel au mystérieux Alejandro (Benicio Del Toro), un ancien sicaire travaillant désormais pour les États-Unis.

J’avais adoré Sicario, à mes yeux l’un des meilleurs films de 2015. Aussi me suis-je précipité pour voir la suite. Et du coup en ai-je été d’autant plus déçu.

Car ce deuxième épisode copie, sans l’égaler, le premier. Même affiche, mêmes couleurs, même typographie. Même têtes d’affiche.  Même violoncelle oppressant de Hildur Guðnadóttir.
Sauf que manque à l’appel Emily Blunt dont le personnage donnait au film tout son intérêt. Sauf que manque derrière la caméra Denis Villeneuve, sans doute l’un des réalisateurs les plus intéressants de sa génération, qu’Hollywood a eu raison d’exfiltrer du Canada, qui réussissait à nous clouer sur notre siège par quelques scènes restées dans ma mémoire : une exfiltration qui tourne mal au poste-frontière, un tunnel traversé en vision nocturne, un repas familial qui tourne au carnage…

Dans Sicario La Guerre des Cartels, les mêmes recettes sont ré-utilisées mais tournent à vide. Elles ont le goût fade et aseptisé du réchauffé.

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Un couteau dans le cœur ★☆☆☆

À Paris, en 1979 Anne (Vanessa Paris) est productrice de films pornos gays. La rupture avec Loïs (Kate Moran), sa projectionniste, lui brise le cœur. Mais la vie continue avec les tournages qui s’enchaînent. Anne confie la production de son nouveau film à Archibald (Nicolas Maury)
Bientôt un mystérieux tueur masqué prend pour cible ses acteurs et les assassine l’un après l’autre. Son arme : un couteau dissimulé dans un godemiché noir (sic).

Yann Gonzalez réinvente le giallo, aux confins du polar, du slasher et du porno. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’il filme son histoire à la fin des années 70, au temps de l’apogée de ce sous-genre italien dont Dario Argento fut le réalisateur le plus célèbre. Ce retour dans le temps lui donne l’occasion de filmer un cinéma artisanal, en train de se faire, avec un équipement qui apparaît aujourd’hui délicieusement vintage.

Comme Bertrand Mandico – qui joue un petit rôle – Yann Gonzalez s’affirme dans le paysage cinématographique français sur un créneau bien particulier : celui du cinéma queer, underground, une sorte de Jean-Jacques Beneix gay, de Patrick Chéreau esthétisant, de Robin Campillo maniériste. Son premier film, Les Rencontres d’après minuit, l’histoire très théâtrale d’une partouze contrariée avec Béatrice Dalle, Eric Cantona (sic) et Fabienne Babe, annonçait la couleur. Un couteau dans le cœur continue dans la même veine.

L’audace transgressive de son réalisateur, sa réputation scandaleuse lui a ouvert les portes de la sélection officielle. Il a été projeté en compétition officielle à Cannes le mois dernier. Il n’y a même pas fait scandale, signe que les mœurs ont évolué et que les festivaliers en ont vu d’autres. Il en est revenu bredouille, preuve qu’il ne mérite guère qu’on s’y arrête.

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Una Questione Privata ★☆☆☆

Piémont. 1944. La guerre bat son plein entre les partisans et les fascistes de Salo. Un an plus tôt Milton était encore un étudiant insouciant qui passait l’été dans la résidence de la belle Fulvia que lui avait présentée son ami Giorgio.
Mais les révélations d’une domestique lui font douter de la fidélité de Fulvia et suspecter une liaison avec Giorgio. Celui-ci vient d’être pris par les fascistes. Milton va remuer ciel et terre pour le faire libérer.

Una question privata est l’adaptation d’une nouvelle de Beppe Fenoglio, un des écrivains italiens les plus célèbres de l’après-guerre, aujourd’hui tombé dans l’oubli de ce côté-ci des Alpes. Il a consacré son oeuvre aux partisans dans les rangs desquels il avait combattu pendant la Seconde guerre mondiale. Cette époque a aussi marqué les frères Taviani qui lui consacrèrent notamment La Nuit de San Lorenzo, leur chef d’oeuvre et Padre padrone, Palme d’or à Cannes en 1977.

Ce qui intéresse les frères Taviani c’est la petite histoire qui rencontre la grande, la collision des histoires individuelles et collectives. Ici, c’est Milton qu’on ne lâche pas d’une semelle, qui bat la campagne piémontaise, agité de sentiments contradictoires : il veut sauver son ami Giorgio qui mourra aux mains des fascistes si son ami ne réussit pas à l’échanger contre un prisonnier mais Milton veut aussi étouffer la jalousie qui lui broie le cœur.

Una questione privata est le dernier film tourné par Vitorio Taviani, décédé en avril dernier. On peut le regarder, avec la déférence et le respect de rigueur, comme l’ultime réalisation d’un des plus grands duos de notre temps. On peut aussi, si on fait un instant abstraction de ses auteurs, y voir une œuvre un peu vieillotte, tournée en 2017 comme on tournait vingt ou trente ans plus tôt, sur un sujet qui n’a plus guère de résonance avec notre époque, et dans un style (ah ! ce brouillard artificiel !) bien désuet.

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Madame Fang ★☆☆☆

À soixante ans, Mme Fang, une modeste paysanne du Zhejiang a été frappée d’une forme rare de la maladie d’Alzheimer.
Le documentariste Wang Bing filme sa longue agonie et sa famille qui la veille.

Ne vous fiez pas à l’affiche du film qui campe une vieille femme aux cheveux argentés, aux joues rebondies et au port altier. C’est la seule image du film qui sauve la dignité de la mourante. Car l’essentiel du documentaire se passera près de son lit de mort où elle agonise en silence, le regard vitreux, le visage émacié.

Wang Bing filme la mort. Frontalement. Sans fard. Avec une transparence qui mettra mal à l’aise tous ceux qui ont fait l’éprouvante expérience du deuil d’un parent qui, la vieillesse venue, voit la vie peu à peu lui échapper jusqu’à l’instant ultime.

Wang Bing filme l’agonie d’une vieille femme – à laquelle on donnerait presque vingt ans de plus que son âge. Toute sa vie semble lui avoir échappé mais elle n’est pas encore morte. Sa mort est à la fois redoutée et espérée, qui la délivrera de ses souffrances et délivrera ses proches d’une interminable attente sans espoir.

Madame Fang meurt chez elle, entourée d’une bruyante famille, son fils, sa fille, ses beaux-enfants. Manque à l’appel un petit-fils dont l’absence fait l’objet de longs débats incompréhensibles. Mais tout le monde est là. Pas l’ombre d’un médecin ni de médicaments au chevet de la malade. Que signifie une telle absence ? La famille n’a pas l’air si pauvre au point de ne pouvoir en supporter le coût.

Le documentariste se fait anthropologue en filmant les Chinois face à la mort. Un Occidental sera frappé par l’indolence des protagonistes, qui discutent bruyamment au chevet de madame Fang, sans se soucier d’elle, comme si elle était déjà morte. Le chagrin n’est visible qu’à la mort de l’aïeule. Pudeur du cameraman de ne pas l’avoir filmé plus tôt ? Ou indifférence des proches de la défunte ?

Wang Bing est habitué des documentaires écrasants. À l’ouest des rails, qui l’a fait connaître en Occident, durait 9h11 ; À la folie 3h47 ; Les Âmes mortes, son prochain film, dont la sortie est prévue à l’automne, 8h15. Madame Fang avec ses 1h26 fait figure de court métrage. Pour autant, Wang Bing a toujours la même façon de filmer, en interminables plans séquences, au chevet de la mourante, ou sur les chemins de halage du village où elle habite, en suivant des cousins partis pêcher. Ces scènes insignifiantes, dont seule l’accumulation fait sens, sont interminables et viennent à bout de l’endurance des spectateurs les plus résistants.

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Have a Nice Day ★★★☆

Une nuit pluvieuse dans une petite ville de Chine méridionale. Xiao Zhang, un modeste chauffeur employé par le patron de la mafia locale, lui dérobe une sacoche remplie de billets de banque pour payer à sa fiancée une opération chirurgicale.
Tandis qu’un dangereux tueur à gages est lancé aux trousses de Xiao Zhang, son butin lui est bientôt subtilisé par un couple de commerçants.

Have a Nice Day nous arrive de Chine avec une réputation sulfureuse. Après avoir été projeté en compétition officielle à la Berlinale, les autorités chinoises l’avaient retiré de la programmation du festival d’Annecy 2017. C’est que ce film d’animation donne de la Chine une image délétère : des paysages urbains sans âme noyés sous la pluie, une corruption galopante, des personnages sans foi ni loi uniquement mus par l’appât du gain.

Le film de Liu Jian louche sans vergogne vers Pulp Fiction de Tarantino, sa violence omniprésente, ses longues digressions philosophiques (deux gardiens de chantier dissertent sur la liberté humaine), son MacGuffin (la sacoche de billets qui passe de main en main), son tueur à gages cool (qui ici ne récite pas l’Ecclésiaste mais sirote un soda). Mais il a aussi ses qualités propres.

La première, évidente, est d’être un film d’animation à l’esthétique originale. Contrairement aux usages, Liu Jian privilégie les décors aux personnages. Ceux-là sont dessinés comme des enluminures modernes, dans un cadre millimétrique. Ceux-ci au contraire sont hiératiques, quasiment dépourvus d’expression faciale. Mais, loin d’être un défaut, cette ligne claire colle bien avec la logique de l’action qui anime le film et des personnages archétypaux qui se définissent par ce qu’ils font plus que par ce qu’ils sont.

La seconde est la richesse du scénario, d’une telle complexité qu’une seconde d’inattention risque d’en faire perdre le fil. On a d’abord l’impression qu’il part dans tous les sens, à l’instar du Pulp Fiction de Tarantino, se contentant de multiplier à l’envi les personnages. Mais on comprend bientôt son extrême cohérence jusqu’à une scène finale qui rassemble la quasi-totalité des protagonistes – là où Tarantino ne s’était pas imposé cette contrainte me laissant de Pulp Fiction le souvenir d’un exercice de style brillant mais désinvolte.

La bande-annonce