Fario ★☆☆☆

Léo (Finnegan Oldfield), jeune biologiste expatrié à Berlin, revient chez lui quelques jours dans le Doubs rendre visite à sa mère (Florence Loiret-Caille). Il a hérité de son père, récemment décédé dans de tragiques circonstances, des terres qu’il a décidé de vendre à une compagnie minière. Sa mère et ses amis sont hostiles au projet. L’observation par Léo des farios, les truites de rivière, et de la troublante évolution de leur comportement le conduit à la même conclusion.

L’an passé sortait Paula, un film dont Finnegan Oldfield partageait la tête d’affiche. Il y interprétait déjà le rôle d’un biologiste paranoïaque. Paula baignait dans une atmosphère très proche de celle de Fario, à la lisière du fantastique. C’est d’ailleurs un trait révélateur de l’évolution de nos sociétés. Le cinéma fantastique était hier un cinéma urbain, les monstres y naissaient dans les interstices des mégalopoles (sous-sols, égouts, catacombes…). Aujourd’hui de plus en plus le cinéma fantastique se déroule à la campagne où des dérèglements climatiques (pluies acides, nuées d’insectes…) mettent l’humanité en péril.

Mais Fario n’est pas seulement une fable fantastique. On comprend bientôt que le retour au pays natal de Léo est l’occasion pour lui de solder son passé familial et de se libérer du syndrome qui affecte insidieusement son équilibre (trouble de l’érection, état dépressif, addictions…).

Sur le papier, le scénario tient la route. Mais à l’image, le résultat n’est pas convaincant, malgré l’implication des deux acteurs principaux et des acteurs secondaires qui les entourent (Andranic Manet, Olivia Côte, Maxence Tual…). La faute à un scénario qui manque d’épaisseur.

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La Déposition ★★☆☆

En 1993, Emmanuel Siess, alors âgé de treize ans à peine, a été abusé par un prêtre à qui il vouait une confiance absolue. Ses parents n’ont pas cru leur enfant qui leur avait aussitôt rapporté les faits. Près de trente ans plus tard, après y avoir longuement réfléchi et contacté l’archevêque de Strasbourg, Emmanuel décide de porter plainte à la gendarmerie. Sa cousine, Claudia Marschal, une réalisatrice formée à l’école documentaire de Lussas (Ardèche), filme sa déposition.

Depuis l’admirable travail mené par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé, on en sait plus sur ce sujet longtemps tabou : son rapport estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de victimes, surtout de jeunes garçons, d’abus commis par quelque trois mille pédo-criminels au sein de l’Eglise catholique depuis les années 50.

Emmanuel fut l’un d’entre eux, dont l’histoire serait banale si elle n’était pas dramatique. Elle a pour cadre le Sundgau haut-rhinois, à la frontière de l’Allemagne et de la Suisse. Benjamin d’une fratrie de trois enfants, délaissé par ses parents que la gestion quotidienne de leur bar-restaurant accaparait, hypersensible, Emmanuel est très pieux depuis sa tendre enfance. Il devient servant de messe et se rapproche du nouveau curé de la paroisse. Emmanuel raconte comment, un jour d’orage, le prêtre prenant prétexte de la pluie, l’a dénudé et caressé. Les faits sont prescrits car ils constituent des agressions sexuelles. Y aurait-il eu viol, ils ne l’auraient pas été, la prescription s’étendant désormais trente ans après la majorité du mineur violé.

Le documentaire de Claudia Marschal utilise les vieilles photos et les films Super-8 tournés pendant l’enfance d’Emmanuel. On y voit une France profondément rurale, qui me rappelle celle de mon enfance dix ans plus tôt, avec ses fêtes familiales copieusement arrosées. Emmanuel est le héros du film. Il a aujourd’hui près de quarante ans. C’est un bel homme qui assume son homosexualité sans ambages et qui est toujours en quête spirituelle : il a quitté l’Eglise catholique pour l’Eglise évangélique. Le père d’Emmanuel est l’autre héros du film : c’est un homme fruste qui s’exprime avec un très fort accent, animé par une foi profonde, presqu’idolâtre. Il est taraudé par le remords d’avoir fait la sourde oreille au témoignage de son fils et voudrait maladroitement rattraper le temps perdu.

J’ai eu la chance d’assister au Saint-André-des-arts au débat qui a suivi la projection du film, le jour de sa sortie, en présence de sa réalisatrice. Claudia Marschal a expliqué sa démarche avec beaucoup d’intelligence, refusant d’en faire le film d’un thème – les abus sexuels dans l’Eglise – ou d’une cause – la condamnation du père Hubert qui continue, comme si de rien n’était, à officier dans la même Église, située juste à côté du domicile familial.

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Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde ★★☆☆

Adi, dix-sept ans, est pensionnaire à la ville. Son baccalauréat en poche, il passe les vacances dans le petit village de pêcheurs de ses parents, perdu dans un bras du delta du Danube. Une nuit, il y est sauvagement agressé. Le chef de la police locale identifie rapidement les deux auteurs de l’agression ; mais la découverte de leur mobile va le conduire à chercher à étouffer l’affaire, avec la complicité des propres parents d’Adi et du prêtre de la paroisse.

Le cinéma roumain filme décidément à l’os. Depuis la Palme d’or ô combien méritée de Christian Mungiu, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, nous viennent régulièrement de ce pays des films dérangeants qui dénoncent la corruption de l’administration et placent ses personnages face à des dilemmes moraux insolubles. Emanuel Parvu, un acteur dans la force de l’âge, a d’ailleurs joué dans plusieurs d’entre eux : Contes de l’âge d’or, Baccalauréat, Dédales… J’avais beaucoup aimé ces deux films-là : Baccalauréat racontait les compromissions d’un père déterminé à aider sa fille à décrocher le sésame qui lui ouvrirait la porte de ses études supérieures, Dédales la disparition d’une jeune moniale et l’enquête policière menée pour la retrouver.

Présenté en sélection officielle au dernier festival de Cannes, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde souffre, à mes yeux, du handicap de cette lourde généalogie. Je reconnais volontiers que ce défaut est excusable et qu’il ne vaudra pas pour ceux des spectateurs qui iront le voir sans avoir vu au préalable d’autres films roumains.

J’articulerai à l’égard de ce film, au demeurant remarquablement écrit et joué, deux autres griefs. Le premier est d’avoir pour mobile une situation qui, pour désolante qu’elle soit, est passablement banale et surtout politiquement très (trop ?) correcte : l’homophobie ordinaire d’une campagne reculée. Le second de se conclure par une fin prévisible, où tous les protagonistes trouvent leur compte, quitte à bafouer la Justice.

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Miséricorde ★★★☆

À la mort du boulanger dont il fut longtemps l’apprenti, avant de partir s’installer à la ville, Jérémie (Félix Kysyl) revient dans son village natal de l’Aveyron. Il y retrouve Martine (Catherine Frot), la veuve du boulanger, Vincent, son fils soupe-au-lait, et Walter, un ami d’enfance.

Alain Guiraudie est un réalisateur hors normes. Communiste, homosexuel, aveyronnais, il s’est fait connaître en 2013 avec L’Inconnu du lac. En 2016, Rester vertical divisait la critique. Zéro étoile pointé dans mon blog et un commentaire lapidaire :  » Rester vertical est peut-être un bon film. Mais je l’ai détesté. »

« J’imagine qu’aujourd’hui, un spectateur de mes films s’attend à quelques trucs de ma part. Il voit à peu près vers où je vais aller. J’ai bien conscience de travailler toujours un peu les mêmes questions., les mêmes motifs, et je joue avec ça, avec ce qu’on attend de moi. Mais j’ai aussi envie de surprendre, de me surprendre, de me renouveler » écrit-il fort intelligemment dans le dossier de presse.

Miséricorde – dont le titre m’est resté longtemps obscur et que je ne suis pas absolument certain d’avoir compris – se passe certes dans les mêmes paysages ruraux que Rester vertical. Mais il a une lueur automnale, presque crépusculaire, que n’avait pas L’Inconnu du lac, noyé dans la dionysiaque luminosité de l’été provençal.
Cette lumière et les hasards de la programmation m’ont évoqué Quand vient l’automne sorti deux semaines plus tôt. Les deux films se ressemblent. Même cadre rural, mêmes personnages lestés de lourds secrets, même intrigue policière autour d’un crime dont le spectateur est le seul à connaître l’auteur. Mais si le Ozon louche du côté de Chabrol, l’ironie transgressive de Guiraudie évoque plutôt Buñuel.

Car Miséricorde – et son titre aurait dû me mettre la puce à l’oreille – met en scène un homme d’Eglise peu habituel, Philippe, le curé du village qui surgit toujours quand on l’attend le moins, dans la cuisine de Martine ou dans le bois aux champignons. Le rôle qu’il va jouer dans l’enchaînement des mensonges dans lesquels Jérémie s’enferre est pour le moins surprenant. On n’en dira pas plus…

Un mot sur l’usage étonnant que Guiraudie fait de ses décors et de la manière dont il utilise sa caméra. Miséricorde, l’air de rien, est construit comme une pièce de théâtre avec un nombre très limité de décors que l’on revoie sans cesse, filmés sous des angles légèrement différents : l’appartement de Martine à côté de la boulangerie de son mari, sa cuisine où se retrouvent régulièrement les protagonistes, la maison de Walter, le sous-bois à champignons, la cure de Philippe….

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L’Amour ouf ★★★★

À Dunkerque dans les années 80, Jackie (Mallory Wanecque) et Clotaire (Malik Frikah) se rencontrent devant le lycée dont elle est une élève studieuse et qu’il a quitté prématurément. Orpheline de mère, Jackie est élevée par un père aimant (Alain Chabat) dans une banlieue bourgeoise. Aîné d’une nombreuse fratrie, Clotaire est issu d’un milieu ouvrier plus modeste.
Les deux adolescents tombent follement amoureux l’un de l’autre. Mais les mauvaises fréquentations de Clotaire, devenu l’un des hommes de main d’un mafieux, La Brosse (Benoît Poelvoorde), le conduisent en prison. À sa sortie, une dizaine d’années plus tard, Clotaire (François Civil) n’a qu’une seule obsession : retrouver Jackie (Adèle Exarchopoulos).

L’Amour ouf est le film du mois. Sa sortie a été précédée d’un battage publicitaire impressionnant et de l’omniprésence de ses acteurs sur les plateaux. Une foule nombreuse, étonnamment hétérogène, s’y presse. L’Amour ouf a fait l’un des meilleurs démarrages de l’année après Un p’tit truc en plus et Le Comte de Monte Cristo. Ce tohu-bohu m’avait un peu effrayé, et j’ai mis quelques jours à me décider à aller le voir, d’autant que la critique était très divisée, au sein même parfois de la même rédaction (Télérama) : parfois dithyrambique, souvent franchement mauvaise.

On connaît Gilles Lellouche, l’acteur au cœur gros comme ça, abonné aux rôles de vrais/faux durs. Il filme comme il joue : à la truelle ! L’Amour ouf n’est pas sa première réalisation. Il avait déjà signé en 2018 Le Grand Bain qui avait déjà engrangé un beau succès populaire – et que j’avais absolument adoré. Gilles Lellouche ne fait pas dans la dentelle. Fans de Rohmer et d’Antonioni, passez votre chemin ! Son cinéma déborde de partout : bluette adolescente façon La Boum, film de banlieue façon La Haine, gun fights façon John Woo, et même comédie musicale façon La la Land !

Mais si trop embrasse, Lellouche – un peu comme son homonyme Claude – bien étreint. L’Amour ouf dure 2h40, une durée obèse pour ce genre de film ; mais on n’y regarde pas sa montre une seule minute. Mieux : on ne souffle pas une seule seconde, embarqué dans une histoire qui nous tient en haleine de bout en bout, et qui se paie le luxe, après sa prolepse qui nous en raconte la fin, de jouer, comme dans Fight Club ou Memento, avec le pacte de vérité censé lier le narrateur au spectateur.

Il faut dire que Gilles Lellouche met tous les atouts de son côté. Il confie les quatre rôles principaux à un quatuor de jeunes acteurs éblouissants. On connaissait déjà Adèle Exarchopoulous et François Civil, aussi incandescents et sexy en diable l’un que l’autre. On avait aussi déjà remarqué Mallory Wanecque, la révélation de Les Pires. On découvre Malik Frikah, mélange de James Dean et de Marlon Brando pas encore sorti de l’enfance. Une pléiade de seconds rôles plaqués or les entoure dont l’énumération ressemble au Bottin mondain du cinéma français : Chabat, Poelvoorde, déjà mentionnés, Lacoste, Zadi, Quénard, Bajon (méconnaissable !), Leklou, Bouchez…. Et le tout est enrobé dans une b.o.f qu’on appréciera d’autant plus qu’on est né quasiment en même que le réalisateur et que son adolescence a été bercée des mêmes singles.

Je comprends volontiers qu’on puisse ne pas aimer L’Amour ouf, qu’on puisse y voir un fourre tout excessif, qu’on puisse même rire à certaines scènes maladroites (ah ! ce soleil couchant sur cette plage où Jackie et Clotaire s’embrassent fougueusement !). L’Amour ouf est un film binaire : on marche ou pas ! Moi j’ai couru à donf !

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Sauvages ★☆☆☆

Kéria, onze ans, a grandi seule avec son père à la ville. Sa mère faisait partie des Penan, une population nomade menacée par l’industrie de l’huile de palme. À l’occasion d’une expédition dans la jungle environnante, Kéria recueille Oshi, un bébé orang-outan dont la mère est abattue sous ses yeux par les garde-chasse. La fuite d’Oshi dans la jungle, avec Selaï, le cousin de Kéria, un Penan, , la conduit à renouer avec ses racines alors que les bulldozers de la multinationale qui emploie le père de Kéria continuent leur entreprise funeste de déforestation.

Claude Barras est de retour huit ans après Ma vie de Courgette, son premier film d’animation qui avait reçu un accueil enthousiaste et mérité. On retrouve sa technique : une animation artisanale en stop motion, avec du relief, des couleurs et un soin infini apporté au détail. On retrouve aussi ce qui avait fait le charme de son premier film : un scénario rebondissant et des personnages attachants.

Cette fois-ci, le réalisateur suisse nous propose un voyage dépaysant dans la jungle de Bornéo. L’enjeu nous en est connu : la survie des peuples primitifs face à l’appétit des multinationales qui exploitent leurs forêts pour en extraire la précieuse huile de palme nécessaire à la production de notre fameux Nutella (une fiction récente avec Alexandra Lamy utilisait déjà cette toile de fond, La Promesse verte).

Si l’effet de surprise provoqué par Ma vie de Courgette est nécessairement émoussé, Sauvages est tout aussi réussi. Il réjouira les enfants à partir de six ans et les parents, grands-parents, oncles et tantes, parrains et marraines qui cherchent pour les vacances de la Toussaint un film intelligent pour leurs chères têtes blondes. Mais, s’ils n’ont pas ce prétexte pour aller le voir, les adultes isolés ne trouveront guère de sel à ce film d’animation bien-pensant, sinon celui d’y reconnaître les voix reconnaissables entre mille de Benoît Poelvoorde et de Laetitia Dosch.

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Barbès, little Algérie ★☆☆☆

Algérien immigré de longue date à Paris, Malek (Sofiane Zermani (rappeur freestyle connu sous son nom de scène Sofiane ou Fianso) emménage à Barbès en plein Covid, dans l’attente de la réouverture imminente de sa petite entreprise de service informatique dans le 12ème. C’est le moment que choisit son neveu Riyad pour débarquer à Paris et s’installer chez lui.

Barbès Little Algérie est le premier film de Hassan Guerrar, un attaché de presse bien connu dans le monde du cinéma. On imagine volontiers la part de lui-même qu’il a mise dans le personnage de Malek, déchiré entre ses deux cultures, désormais enraciné en France où il a fait sa vie, mais une part du cœur restée en Algérie où il n’a pas soldé son lourd passé familial.

Hassan Guerra choisit de filmer un Barbès décadré, loin des clichés qu’il charrie souvent. Certes, la première séquence est filmée au pied du métro aérien, lieu de tous les trafics. Mais les suivants se déroulent devant l’église Saint-Bernard où Malek rejoint les volontaires qui se chargent de distribuer des biens de première nécessité aux indigents. On ne verra pas de rues bondées, d’appartements insalubres ou de prières publiques – la religion est étonnamment absente du film, sinon qu’il se déroule en partie durant le ramadan et est rythmé par ses ruptures – mais au contraire des espaces calmes, estivaux, presque méditerranéens.

Comme souvent les premiers films, surtout s’ils sont en partie autobiographiques, Barbès, Little Algérie veut trop en raconter. Il met en scène, façon comédie italienne, les amitiés chaleureuses que Malek noue, avec des amis du bled (Khaled Benaïssa et Adila Bendimerad ont un sacré abattage dans deux rôles forts en gueule) avec une voisine attirante (on reconnaît Eye Haïdara), avec la responsable des bénévoles de l’église Saint-Bernard (Clotilde Courau décidément abonnée aux rôles de dames patronnesses). Il laisse planer le suspense du dévoilement de lointains secrets de famille. Il prend brutalement la bifurcation d’un drame antique.

Barbès, Little Algérie n’est pas un film déplaisant. Au contraire. On ne saurait remettre en doute la sincérité de son réalisateur. Mais c’est un film sans relief, pénalisé par la médiocre prestation de son interprète principal, certes séduisant mais décidément piètre acteur. Il ne m’aura laissé aucune trace.

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The Outrun ★☆☆☆

Rona a bientôt trente ans. Elle est alcoolique. Son addiction a lentement gangréné sa vie professionnelle et personnelle, poussant à bout son compagnon Daynin, acculé à la rupture. En dernier ressort, Rona décide de quitter Londres et de rentrer chez elle, dans les îles Orcades, à l’extrême nord de l’Ecosse. Elle devra y solder ses traumas infantiles et y trouvera peut-être le chemin de la rédemption.

Adapté du roman autobiographique à succès de Amy Liptrot, qui a raconté son retour sur l’île minuscule de Papay dans l’archipel des Orcades, sa cure de désintoxication et son travail pour la société royale de protection des oiseaux (RSPB), The Outrun (le titre du film n’a pas été traduit alors que le livre éponyme a été publié en France sous celui de L’Ecart) repose sur les épaules de Saoirse Ronan. La bankable actrice irlandaise (Reviens-moi, Brooklyn, Lady Bird…) a acheté les droits du roman, produit son adaptation, choisi elle-même la réalisatrice allemande Nora Fingscheid, révélée par l’étonnant Benni, et annexé le rôle principal.

L’histoire compte deux volets nettement distincts : Londres, les nuits de plus en plus alcoolisées de Rona, les black out de plus en plus nombreux ; les Orcades, ses paysages sauvages, le sevrage, les rechutes et la lente désintoxication. Pour éviter une construction trop binaire, le scénario mélange les temporalités, montrant alternativement Rona ici ou là, avant ou après, au point parfois d’égarer le spectateur dans une chronologie confuse, la couleur de ses cheveux constituant un repère trop fragile.

Certes The Outrun bénéficie de l’impressionnant charisme de Saoirse Ronan. Mais l’histoire que ce film raconte, à l’issue sans surprise, a si souvent été filmée (on pense à Nos vies formidables, à My Beautiful Boy et à Ben is Back mais on pense plus encore à trois films français extraordinairement réussis : La Prière (2018), La fête est finie (2017) et Le Dernier pour la route (2009)) qu’elle peine à susciter le moindre intérêt.

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Le Procès du chien ★★☆☆

Avril Luciani (Laetitia Dosch) est une avocate suisse qui ne sait pas dire non aux clients, même les plus improbables. C’est ainsi, contre l’avis de son patron (Pierre Deladonchamps), qu’elle accepte d’assurer la défense de Dariuch Michovski (François Damiens). Son chien Cosmos est menacé d’être euthanasié pour avoir mordu et défiguré la femme de ménage portugaise de son maître. Me Luciani opte pour une ligne de défense audacieuse et revendique, pour Cosmos, le statut de sujet de droit, alors que le Code civil suisse l’assimile à une chose.

Les animaux sont-ils des sujets de droit ? On connaît les procès qui au Moyen-Âge ont condamné des cochons, des dauphins ou des mouches, pénalement et même civilement responsables car créatures de Dieu. Ces pratiques furent progressivement abandonnées à l’époque moderne avec la théorie cartésienne de l’homme-machine : seul l’Homme, créature pensante, peut être désormais tenu pour responsable de ses actes.

Voici l’arrière-plan théologique, juridique pour ne pas dire métaphysique d’un film au sujet passionnant qui avait déjà inspiré Les Chèvres sorti en février dernier qui, malgré la présence de Dany Boon à l’affiche, a fait un bide retentissant. Si Les Chèvres se déroulait au dix-septième siècle, Le Procès du chien, au titre bien plat, se déroule à Lausanne de nos jours.

Laetitia Dosch, devant comme derrière la caméra, choisit de traiter ce sujet par le biais de la comédie. Il faut reconnaître qu’il s’y prête et qu’elle s’en sort à merveille. Le mérite en revient largement à son jeu drolatique, à sa rousseur, à sa voix et aux talents dont elle s’entoure : François Damiens hilarant en RMIste louche et décoiffé, Jean-Pascal Zadi en maître chien au cœur gros comme ça et Anne Dorval en avocate zemmouriste prête à tous les coups bas pour obtenir la condamnation du chien qui a mordu sa cliente.

On regrettera simplement les facilités d’un scénario qui, faute de prendre à bras-le-corps son sujet, lui greffe d’inutiles histoires secondaires. Ainsi de celle du jeune voisin d’Avril, maltraité par ses parents, qu’elle prend sous sa coupe et choisit comme fils de substitution.

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Maya, donne-moi un titre ★☆☆☆

Séparé de sa fille Maya par l’Atlantique et le confinement, Michel Gondry a longtemps communiqué avec elle via Internet. Elle lui donnait le titre d’une histoire qui la mettait en scène (« Maya prend son bain », Maya et le hamac »…) ; il lui bricolait en retour, avec des feuilles de dessin, de la colle et des ciseaux, des dessins animés filmés en stop motion, image après image.

Michel Gondry est génial. La chose est entendue. Avec des riens, il fabrique des mondes oniriques, ludiques, drolatiques, fantasmagoriques… On le sait depuis que ce fils de pub est passé derrière la caméra au début des années 2000 faisant avec Eternal Sunshine of a Spotless Mind une entrée fracassante à Hollywood. Mais ce créateur hors normes a refusé de se fondre dans la norme et de devenir, comme tant d’autres expatriés hollywoodiens un exécutant anonyme à la solde des majors.

À soixante ans passés, il continue à revendiquer le droit à l’originalité, à un cinéma artisanal, à un bricolage talentueux. Ses derniers films, tournés en France, en portaient la trace : L’Ecume des Jours, Microbe et Gasoil, Le Livre des solutions (avec Pierre Niney qui prête sa voix à Maya…)…

Le problème est qu’aussi rafraichissant son cinéma soit-il, aussi irrésistibles ses trouvailles soient-elles, elles le sont de moins en moins. On a un peu l’impression que Michel Gondry a tiré sur la corde, qu’il a remisé ses fonds de tiroir, qu’il a utilisé des matériaux qui n’avaient pas vocation à être rendus publics pour en faire un film – et payer ses impôts.

Certes, Maya, donne-moi un titre sonne comme une touchante déclaration d’amour d’un père à sa fille. On imagine aisément l’émotion de cette enfant quand elle reverra ce film dans quelques années. On peut certes l’envier d’avoir un père aussi aimant et aussi créatif. Mais, on est un peu gêné d’être invité à ce qui aurait dû rester dans le cénacle familial.

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