Les Frères Sisters ★☆☆☆

Les frères Sisters sont tueurs à gages. Dans l’Amérique de la ruée vers l’or, ils vendent leurs talents au plus offrant. Charlie le cadet (Joaquin Phoenix) est le plus insouciant des deux, qui boit et qui couche dès que l’occasion s’en présente. Eli l’aîné (John C. Reilly) est le plus sensible, qui peut abattre de sang froid un homme mais ne supporte pas de voir une bête souffrir.
Leur donneur d’ordres, le mystérieux Commodore, leur a désigné leur prochaine cible : Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed) un alchimiste auquel ils devront, avant de l’exécuter, arracher la formule qu’il a inventée. Un détective privé est déjà sur ses trousses : l’élégant John Morris (Jake Gyllenhaal).

De tels tombereaux d’éloges se sont déjà abattus sur Les Frères Sisters qu’on sera bien hardi d’en dire ici du mal. On le sera d’autant plus qu’on tient Jacques Audiard pour le plus grand réalisateur français contemporain avec Abdellatif Kechiche : tous ses films, à l’exception peut-être de Dheepan, qui ne méritait pas la Palme, sont des chefs d’œuvre inoubliables de Sur mes lèvres à De rouille et d’os en passant par Un prophète et De battre mon cœur s’est arrêté.

On lit qu’il tourne un « western crépusculaire ». Expression ô combien galvaudée depuis que le western, genre éminemment daté, contemporain d’un âge d’or américain, qui n’en finit plus de connaître un long épuisement et dont on se demande diable ce que le réalisateur français est allé y chercher, dans des décors naturels espagnols ou roumains et avec des acteurs américains recrutés à prix d’or.

On lit aussi qu’il raconte « un sublime récit de fraternité » en mettant en scène deux frères au patronyme déroutant. On n’y voit pourtant, comme on l’a vu mille fois, qu’un duo de cowboys, ici unis par les liens du sang, qui incarnent chacun à leur façon des caricatures : l’aîné incarne la voix de la raison laissant au puîné le rôle du débauché capricieux et immature.

On lit enfin qu’il s’agit d’une « réflexion terrassante sur la banalité du mal », un sujet qui traverse l’œuvre de Audiard. C’est sans doute faire beaucoup de cas à ce quatuor de personnages dont l’histoire ne surprend guère, sinon par la scène, attendue pendant près de deux heures durant laquelle Warm teste enfin sa formule. Elle restera gravée dans les mémoires. Elle ne justifie pas à elle seule les éloges excessifs venus saluer cette odyssée américaine d’un réalisateur dont on espère le retour rapide à des horizons plus familiers.

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Leave No Trace ★★★☆

Tom (Thomasin McKenzie) a quinze ans. Elle vit seule dans les bois de l’Oregon avec son père Will (Ben Foster) qui fuit un passé qui le hante. Leurs contacts avec la société des hommes sont réduits au minimum.
Mais la police, qui ne tolère pas une telle marginalité, les pourchasse et les déloge. Les services sociaux placent le père et sa fille dans un haras. Tom semble se faire à sa nouvelle vie. Mais Will ne s’y fait pas.

Le dernier film de Debra Granik est tiré d’une histoire vraie et du roman My Abandonment qu’elle avait inspiré en 2010 à Peter Rock. Il brasse des sujets qui font écho à notre temps : l’écologisme radical, le retour militant à la nature, le refus des conventions sociales, la marginalité souhaitée ou subie… En témoigne le nombre de films, souvent excellents, qui en ont recemment traité : Into the Wild de Sean Penn, Wild de Jean-Marc Vallée, Vie sauvage de Cédric Kahn… Mais la référence qui vient immédiatement à l’esprit est Captain Fantastic de Matt Ross avec Viggo Mortensen, un des tout meilleurs films de 2016, avec qui Leave No Trace fait – presque – jeu égal : l’histoire d’un veuf et de sa nombreuse progéniture élevée dans les bois et contrainte de revenir à la civilisation.

Le mérite en revient à la retenue de la mise en scène qui fuit tout sensationnalisme. Ni sexe ni violence, presque pas d’action dans Leave No Trace où pourtant on ne s’ennuie pas une seconde. Pas non plus d’esthetisation ampoulée ni de divination panthéiste d’une nature dont l’inhospitalité n’est pas euphémisée : Leave No Trace n’est pas un film écolo béat.

La jeune Thomasin McKenzie, quasi-inconnue (la Néo-Zélandaise jouait un petit rôle dans le dernier Hobbit) crève l’écran. Il y a huit ans, Debra Garnik donnait déjà son premier rôle dans Winter’s Bone, l’histoire d’une fratrie abandonnée à elle même dans les Appalaches, à une inconnue. Son nom : Jennifer Lawrence…

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L’Ange ivre ★★★☆

Le docteur Sanada (Takashi Shimura) a installé son cabinet dans un quartier pauvre de Tokyo au bord d’une mare pestilentielle. Il cache derrière une approche revêche un grand cœur. Il soigne tous les malades, même ceux qui ne peuvent le payer. Aussi accepte-t-il de retirer la balle que Matsunaga (Toshiro Mifune) un yakuza patibulaire, a reçue dans la main. À l’occasion de cette consultation, le docteur diagnostique une tuberculose. Il ordonne à son patient de se soigner en évitant l’alcool et les femmes. Mais l’orgueilleux Matsunaga n’en fait qu’à sa tête au risque de s’affaiblir rapidement.
Sa santé déclinant, son autorité dans le quartier où il faisait régner la peur s’affaiblit. D’autant qu’un ancien caïd, récemment libéré de prison, y refait son apparition.

Kurosawa est peut-être le plus grand réalisateur japonais du vingtième siècle, si tant est que ces hit-parades aient un sens. Deux veines coexistent dans son œuvre. La plus connue, la plus tardive aussi, est celle des films de sabre chanbara : Rashomon, Les sept samouraïs, Le Château de l’araignée, Kagemusha, Ran… Le second a pour cadre le Japon contemporain et pour inspiration le cinéma néo-réaliste italien et le film noir américain : Chien enragé, Vivre, Dodes’kadenL’Ange ivre participe clairement de cette seconde veine. C’est le septième film de Kurosawa, le premier dont il a l’entière maîtrise, celui qui le fait accéder à la célébrité, un an avant Rashomon.

L’Ange ivre est construit autour de deux personnages.

Le rôle principal est celui du médecin alcoolique, qui consacre sa vie à soigner la douleur des autres. Le docteur Sanada est un véritable saint laïc, un Juste comme John Ford et Clint Eastwood aiment à les peindre, sans rien cacher de leurs tares. Sa figure se retrouve dans Vivre et dans Barberousse.

Mais la vedette lui est volée par Matsunaga. Le rôle est interprété par Toshiro Mifune dont c’est la première collaboration avec Kurosawa. Ils tourneront ensemble seize films qui sont autant de chefs d’œuvre. Mifune est encore si jeune qu’on peine à reconnaître les traits de l’un des acteurs japonais les plus célèbres du siècle. Mais déjà, il dégage un magnétisme à nul autre pareil. Son rôle était plus réduit au scénario. Mais sa force d’interprétation a convaincu Kurosawa de l’étoffer en cours de tournage. Un duo d’anthologie était né…

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Avant l’aurore ★★★☆

Ben se travestit sous le pseudo de Miranda. Il se prostitue à Phnom Penh. Accro à la drogue il partage une chambre avec un amant khmer. Son amie Judith, qui enquête sur le génocide pour le Tribunal international, l’aide.
Un jour, Ben/Miranda croise une enfant perdue qui se donne au premier venu pour cinq dollars.

Avant l’aurore sort enfin sur les écrans. Il avait été présenté à l’ACID à Cannes en 2015 sous le titre « De l’ombre il y a ». Ses difficultés à se frayer un chemin jusqu’aux salles s’expliquent aisément : le film est dur et ne se donne pas facilement. Il l’est d’autant que sa narration, remplie d’ellipses, est volontairement heurtée.

Nathan Nicholovitch veut nous raconter, façon Gloria la rédemption de deux êtres. Il ne s’agit pas comme chez Cassavetes d’une femme et d’un petit garçon, mais d’un homme et d’une petite fille. Lui fuit au Cambodge on ne sait quel démon. Il se perd dans la drogue – comme avant lui Billy Moore, le héros d’Une prière avant l’aube qui se déroulait pour l’essentiel dans une prison thaïlandaise. Elle, pauvre gamine, ne trouve que son mutisme à opposer à l’enfer qu’elle vit.

Le sujet serait simpliste ; mais il n’est pas traité simplement. Car l’action se déroule au Cambodge, un pays dont les investigations de Judith rappellent qu’il peine à panser les plaies du génocide. Et le film a pour héros David d’Ingéo, un acteur caméléon dont le corps émacié rappelle tout à la fois Mick Jagger et Iggy Pop. C’est un monstre en perruque blonde, talons aiguilles et faux seins qu’on voit durant la première partie du film. Nathan Nicholovitch le filme jusqu’au malaise prodiguant une fellation à un client dans des toilettes sales (c’est la première scène du film), dansant nu dans un nightclub, le corps marqué par les ans, les coups, la drogue. Il retrouve progressivement et non sans mal son humanité après un détour par Pailin, sur la trace d’un ancien Khmer rouge recherché par Judith, puis au bord de l’océan à Sihanoukville sur celle des parents de la petite Panna.

On ne ressort pas indemne de ce film trop long, trop lourd, trop confus, et pourtant porté par une énergie et une grâce rarement vues.

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L’amour est une fête ★★☆☆

1982. Pigalle. Deux agents des impôts sous couverture dirigent un peep show pour piéger les barons du X.

Cédric Anger, qui a déjà à son actif quelques films intéressants (Nos années folles, La prochaine fois, je viserai le cœur avec Canet déjà, L’Avocat…), se prend les pieds dans le tapis dans un film plein de bonnes intentions mais couturé de défauts.

On comprend progressivement qu’il veut restituer le climat d’une époque – une démarche d’autant plus intrigante qu’elle est l’œuvre d’un réalisateur et d’une bande d’acteurs trop jeunes pour l’avoir connue. Car la clé du film est dans son titre dont on tarde à saisir le lien avec l’intrigue. Comme Michel Spinoza dans La Parenthèse enchantée, L’amour est une fête se déroule durant cette courte période, entre la pilule et les années Sida, où le X avait explosé avant qu’on réalise qu’il n’était pas l’expression joyeuse d’une sexualité libérée mais l’instrument d’un asservissement des femmes.

Pour raconter cette époque, Cédric Anger signe un scénario passablement alambiqué où Canet (le cheveu scandaleusement blond) et Gilles Lellouche (les rouflaquettes très 70ies) jouent, sans guère de crédibilité deux inspecteurs under cover. Mais l’essentiel est ailleurs : dans ces superbes filles aux seins parfaits et à la croupe aguichante, complaisamment filmées de pied en cap (ou de pied sans cape). Ces quatre drôles de dames, aussi sexy et fraîches les unes que les autres, dont émerge la ravissante Camille Razat, carburent à la coke et forment avec leurs deux maquereaux une joyeuse bande (si l’on ose dire) qui trouvera dans l’épilogue du film un destin inattendu.

Sans me faire plus bégueule que je ne le suis, j’ai été gêné par L’amour est une fête. À supposer que le X ait pu être « cool » dans ses premières années, on ne peut, sans ignorer ce qu’il est devenu ensuite, relater innocemment cette histoire aujourd’hui. Si tel était le propos de Cédric Anger, il aurait dû le faire avec plus de nostalgie ou d’humour, cruellement absent. Si au contraire, son propos s’était voulu plus critique, il aurait dû gommer de son film aguicheur sa complaisance.

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Climax ★☆☆☆

Une troupe de jeunes danseurs fête la fin des répétitions avant de partir en tournée. La soirée commence dans la liesse. Mais bientôt, le trip devient very bad. La sangria a semble-t-il été préparée au LSD plongeant les participants à la fête dans un état de transe anxiogène.

Gaspar Noé est l’un des réalisateurs français les plus marquants de sa génération. Il traîne derrière lui la réputation d’un cinéaste sulfureux et provocateur. Après Carne et Seul contre tous, Gaspar Noé a accédé à la célébrité en 2002 avec Irréversible, présenté à Cannes en compétition officielle. En treize séquences antichronologiques (en commençant par la fin), y était raconté un viol. Avec Monica Bellucci, Vincent Cassel (qui, à l’époque formaient un couple hypissime) et Albert Dupontel, le film, interdit aux moins de seize ans, fit scandale. Huit ans plus tard, Gaspar Noé revenait avec Enter the Void, l’histoire filmée en caméra subjective d’un dealer entre la vie et la mort abattu par la police. Son dernier film, Love, sorti en 2015, se frottait à la pornographie, filmant des scènes de sexe non simulé – qui lui valurent une interdiction aux mineurs de dix-huit ans par la justice administrative saisie par l’association Promouvoir. J’en avais fait à l’époque une critique débordante d’enthousiasme que je relis quatre ans plus tard, gêné par autant d’euphorie.

On comprendra donc mon impatience à voir Climax… et ma déception.

Gaspar Noé reste un cinéaste virtuose qui signe des plans séquence vertigineux. C’est, depuis l’origine, sa marque de fabrique. Et Climax nous en donne notre lot qui suit les danseurs dans leurs folles chorégraphies puis dans leurs déambulations erratiques dans cette maison sans fenêtre où ils passent la soirée. Les images sont d’autant plus puissantes que la musique est forte, produisant peu à peu un effet de transe pulsative, une sidération hypnotique.

Le problème est que cette forme somptueuse n’est au service de rien. On cherche en vain dans Climax des personnages ou une histoire. Parmi la troupe de danseurs, on ne s’attache à personne – sinon peut-être à Selva interprétée par Sofia Boutella qui creuse sa voie entre Paris et Hollywood. Quant à l’histoire, il n’y en a pas. Aucun des fils égrenés en début de film (ce drapeau tricolore de l’affiche, cette danseuse qui confesse sa phobie du noir…) n’est tiré.

Noé avait caressé le projet de faire un documentaire sur la danse. Il a finalement décidé de réaliser une fiction mais a oublié en chemin d’écrire un scénario. Si bien que Climax se réduit à un long clip. Certes bluffant. Certes trippant. Mais un clip rien de plus.

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Contes de juillet ★★☆☆

Deux moyens-métrages d’une trentaine de minutes chacun
L’Amie du dimanche : Collègues de travail, Milena et Lucie décident de passer le dimanche à la base nautique de Cergy. Milena s’y fait draguer par un plagiste très entreprenant tandis que Lucie fait la rencontre d’un fleurettiste.
Hanne et la fête nationale : À la veille de son retour dans son pays, Hanne, une étudiante norvégienne, passe le 14 juillet 2016 à Paris, assiste au défilé militaire sur les Champs-Élysées, rentre dîner à la Cité universitaire. Durant cette journée, qui s’achève tragiquement par l’annonce de l’attentat de Nice, elle croise trois garçons.

Guillaume Brac s’est fait connaître en 2012 avec un moyen-métrage plein de charme Un monde sans femmes. Il a sorti un long en 2014, avec Vincent Macaigne dans le rôle principal, Tonnerre. À partir d’un travail mené avec les élèves du Conservatoire, il revient au format d’Un monde… dans ces Contes de juillet dont le titre (on pense à ses Contes d’été) et le lieu (L’Amie de mon amie avait été tourné également à Cergy) se revendiquent ouvertement de Eric Rohmer.

Il y a chez les deux héroïnes de L’Amie du dimanche la même délicatesse, la même pudeur que chez le maître de la Nouvelle Vague, sans la préciosité qui rend certaines de ses œuvres aujourd’hui ridicules voire irregardables. Il y a aussi quelque chose de Hong San-soo dans le quatuor de personnages de Hanne et la fête nationale et dans le long dîner qu’ils partagent ensemble au crépuscule du 14 juillet.

Contes de juillet joue sur la frontière ténue entre l’amitié, le flirt, l’amour. Il le fait avec ce mélange étonnant car intrinsèquement instable de légèreté et de sérieux que Rohmer réussissait si bien à respecter et que Brac reproduit avec autant de talent. Les personnages ont une fraîcheur, une spontanéité que les acteurs de Rohmer, engoncés dans des textes trop écrits, n’atteignaient pas toujours. Comme si #MeToo et #BalanceTonPorc n’étaient pas passés par là, les relations hommes-femmes – ou plutôt garçons-filles car les acteurs semblent à peine sortis de l’adolescence et leurs marivaudages ont le goût des jeux de l’enfance – ont la même texture que dans les Comédies et proverbes ou les Contes des quatre saisons vieux de trente ou quarante ans

Mais l’ensemble pêche par ses qualités même. À force de revendiquer sa délicatesse, il finit par friser l’insignifiance. Sa durée bâtarde ne l’aide pas. Il manque à ses deux moyens métrages de trente minutes chacun un troisième opus – qui figurait d’ailleurs dans les projets du réalisateur mais a été abandonné en cours de route – pour étayer la construction.

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L’Œuf du serpent ★★☆☆

Abel Rosenberg (David Carradine) est un trapéziste américain échoué à Berlin en novembre 1923. La République de Weimar est en plein chaos, minée par l’hyperinflation et le chômage. Abel et son frère Max partagent une chambre insalubre. Le film débute avec le suicide de Max qui se donne la mort d’une balle de pistolet dans la tête.
Abel informe la police ; mais le commissaire Bauer (Gert Fröbe), loin de le réconforter, le soupçonne d’être l’auteur des crimes en série qui frappent alors la capitale. Abel retrouve l’ex-femme de Max, Manuela (Liv Ullman) qui a quitté le cirque pour s’employer dans un cabaret. Ils emménagent bientôt ensemble tandis qu’Abel trouve à s’employer aux archives d’une mystérieuse clinique.

L’Œuf du serpent occupe une place à part dans la filmographie d’Ingmar Bergman. C’est le seul film qu’il ait tourné en anglais, durant son exil de Suède qu’il avait précipitamment quittée pour fraude fiscale. Bergman s’installe à Munich et y tourne L’Œuf du serpent fin 1976, dans les décors utilisés par Fassbinder pour adapter Berlin Alexanderplatz. C’est la seconde originalité du film : pour la première – et la dernière – fois de sa carrière, Bergman se frotte à un sujet politique. Comme dans Cabaret de Bob Fosse, sorti quatre ans plus tôt , il décrit la République de Weimar, ses établissements louches, la misère repoussante du peuple, l’état d’abrutissement qui allait jeter l’Allemagne quelques années plus tard dans les bras de Hitler.

Hélas le scénario de Bergman est bancal – si l’on ose, le rouge au front, adresser au grand maître suédois dont on fête cette année le centenaire de la naissance une critique aussi sacrilège. Car, dans son dernier tiers, le film bascule dans une histoire façon Marathon Man. On se retrouve dans les sous-sols claustrophobes d’une clinique où un savant fou pratique d’inquiétantes expérimentations. Dans sa dénonciation du nazisme, Bergman mélange tout, au risque de l’anachronisme : l’exploitation démagogue de la misère humaine qui ronge l’Allemagne de Weimar et la mise en œuvre d’un projet eugéniste qui conduira notamment à la Shoah. C’est beaucoup. C’est trop.

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Sollers Point – Baltimore ★☆☆☆

Keith (McCaul Lombardi) a vingt-quatre ans. Il vient de sortir de prison. Il retourne chez son père, un bracelet électronique à la chevillle qui limite son autonomie, à Baltimore dans le quartier de Sollers Point.
Keith aimerait revenir dans le droit chemin. Il s’est converti. Il essaie de suivre une formation professionnelle. Mais ses vieux démons l’assaillent : l’alcool, la drogue, les bars topless

Sollers Point se présente sous les atours de l’histoire, déjà mille fois racontée, de la rédemption impossible d’un repris de justice. On s’y laisse prendre et on étouffe un bâillement d’ennui à suivre pas à pas Keith, aussi agréable soit-il à regarder, tout en muscles et en yeux bleus. On le voit face à son père (méconnaissable Jim Belushi), écrasé par le chagrin d’avoir perdu sa femme et de n’avoir pas donné une bonne éducation à son fils. On le voit face à son ancienne fiancée, qui a trop souffert de son absence pendant son séjour en prison pour accepter de reprendre la vie conjugale sous la menace d’une nouvelle séparation. On le voit face à ses anciens codétenus qui entendent lui faire payer à l’extérieur le prix de la protection qu’ils lui ont accordée à l’intérieur.

Mais on réalise bientôt que le sujet du film n’est pas là. Comme le titre nous l’avait indiqué (et comme il l’indiquait déjà dans le précédent film de Matt Porterfield Putty Hill), le propos de Sollers Point n’est pas de dresser le portrait à fleur de peau d’un enfant perdu de l’Amérique, mais celui d’un lieu. Sollers Point est un quartier défavorisé afro-américain de Baltimore frappé par la désindustrialisation. Quelques Blancs rednecks y vivent encore tels que le père de Keith ou ses camarades de poker. Mais les Noirs l’ont investi, parmi lesquels Keith compte d’ailleurs plusieurs amis.

Le projet convaincrait s’il ne restait pas à l’état d’ébauche maladroite. On sort de Sollers Point doublement frustré : frustré par l’histoire inaboutie de Keith, un personnage qui n’avance pas et frustré par la description d’un quartier qui nous reste aussi étranger à la fin du film qu’il l’était au début.

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Quand une femme monte l’escalier ★★★☆

Keiko n’a guère plus de trente ans. Mais la mort de son mari cinq ans plus tôt et ses responsabilité à la tête d’un bar à hôtesses du centre de Tokyo l’obligent à revêtir un habit trop grand pour elle. Chaque soir, elle doit monter l’escalier étroit qui conduit à son établissement et y faire bonne figure pour attirer une clientèle qui se fait de plus en plus rare.
Pour sortir de son état, elle pourrait épouser l’un de ses clients. Mais elle ne sait auquel faire confiance.

L’œuvre de Mikio Naruse, écrasée par celles de Kurosawa, Ozu et Mizoguchi, est à tort méconnue. Tourné en 1960, Quand une femme monte l’escalier n’était jamais sorti en France avant l’hiver 2016. Il repasse à l’Espace Saint Michel dans le cadre d’un festival consacré au cinéma japonais.

Le film est un bijou. Il suit pas à pas Keiko, lumineusement interprétée par Hideko Takamine. La tenancière de bar doit faire bonne figure à chacun de ses clients, se montrer suffisamment aimable pour les inciter à revenir mais ne pas trop s’engager au risque de se compromettre. Elle doit fidéliser une clientèle qui se lasse vite et qui l’abandonne pour des établissements plus modernes, quand ce ne sont pas ses propres filles qui font défection.

Ces clients s’avèrent humains trop humains. Un riche industriel se révèle d’une rare radinerie, qui refuse de mettre la main au pot lorsque Keiko lui demande un prêt. Un soupirant qui semblait sincère et qui demande Keiko en mariage est en fait marié et père de famille. Keiko aura bien une liaison avec Fusijaki, un banquier, mais il n’osera pas quitter sa femme pour elle. Reste Komatsu, moitié maquereau, moitié homme de main, qui admire Keiko pour son courage mais ne peut l’épouser sauf à compromettre le commerce dont il a la responsabilité.

Quand une femme monte l’escalier raconte le long chemin de croix d’une femme courageuse. Sa dernière scène est un déchirement.

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