Tout s’accélère ★☆☆☆

Un ancien trader, devenu instituteur, interroge ses élèves de CM2 sur l’accélération du monde.

Demain vient de toucher une audience exceptionnelle en jouant sur la corde sensible de l’inquiétude de nos sociétés pour leur environnement et pour leur futur. Tout s’accélère creuse la même veine du docu écolo, citoyen et responsable.

Il le fait avec de jeunes enfants, créant un double malaise.
Le premier est d’entendre des enfants évoquer « le bon vieux temps » et dire « c’était mieux avant ». Ce genre de propos amers se comprend dans la bouche de vieillards nostalgiques de mon âge. Il n’a aucune authenticité dans celle d’enfants de dix ans, décrédibilisant du coup son propos. Que le monde aille trop vite est une chose ; qu’il accélère en est une autre.
Le second est leur instrumentalisation : sous couvert de recueillir de leurs bouches un témoignage (forcément) authentique, cet enseignant n’est-il pas en train de leur inculquer sa propre idéologie ? Une idéologie qui interroge à bon droit la vitesse, la croissance, la cupidité. Mais aussi une idéologie malthusienne du moins, du petit, du contentement, du renoncement qui n’est pas celle sur laquelle l’humanité s’est bâtie et dont je doute qu’elle lui permette de relever les défis auxquels elle est aujourd’hui confrontée.

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Le Lendemain ★★☆☆

John, adolescent blond à la beauté angélique, rentre à la maison où il retrouve son père et son jeune frère. Au lycée, il est en butte à une hostilité sourde de la part de ses camarades. D’où vient-il ? On ne le dira jamais, mais le spectateur le devinera vite. Il a passé deux années en établissement fermé (prison ? établissement psychiatrique ?) pour un crime que personne ne lui pardonne. Sûrement pas cette femme qui l’agresse sauvagement au supermarché et dont on comprendra bientôt les motifs. Peut-être trouvera-t-il une planche de salut auprès de la belle Malin ; mais la violence le rattrapera.

On a déjà vu des adolescents sombrer dans la démence violente : Il faut qu’on parle de Kevin, Elephant… Magnus Von Horn explore le lendemain : que se passe-t-il après le crime ? après l’enfermement ? le retour à la normale est-il possible ? la rédemption et le pardon sont-ils envisageables ? la vengeance est-elle inévitable ?

Le Lendemain est une analyse au scalpel des conséquences d’un crime sur la famille du criminel. Comme la mère de Kevin dans le livre traumatisant de Lionel Shriver, le père de John est écartelé entre l’amour de son aîné, la crainte de voir son cadet suivre le même chemin et la charge de devoir seul, sans la mère de ses enfants (est-elle partie ? est-elle décédée ?), assumer cette responsabilité.

Le réalisateur suédois traite ce sujet sur un mode nordique, glacial. Tout est lent, étouffant, silencieux dans ce film catatonique : longs plans-séquences, couleurs grises d’un automne sans soleil, absence de musique. Rien n’est dit. On attend des explications qui ne viennent pas. Et le film se termine en laissant en suspens nombre des questions qu’il avait posées.

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Mr Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin ★★★☆

À côté du cinéma, j’ai une seconde passion : la danse contemporaine. Pas en tant que pratiquant ! Soyez rassurés ! Mais, une fois encore, en qualité de spectateur passif à tendance encyclopédiste. Depuis une vingtaine d’années, je suis abonné au Théâtre de la ville et y biberonne régulièrement les spectacles de Pina Bausch, Anna Teresa De Keersmaeker et Wim Vandekeybus.

C’est là que j’ai découvert la Batsheva Dance Company que dirige Ohad Naharin depuis 1990. Ce documentaire est consacré à ce chorégraphe de génie. Il raconte l’enfance d’un jeune kibboutznik dans les années 60, son service militaire pendant la guerre du Kippour et sa formation tardive à la danse chez Martha Graham puis chez Maurice Béjart.

La danse de Ohad Naharin est d’une extraordinaire vitalité. Il s’en dégage une puissance qui n’interdit pas la douceur. Le documentaire nous en montre les extraits les plus remarquables. Il nous en livre aussi les secrets de fabrication en filmant les répétitions des danseurs sous la rigoureuse férule de leur chorégraphe. On y découvre alors le mélange de perfectionnisme et de masochisme qu’il faut posséder pour atteindre ce niveau de qualité.  Le résultat est fascinant. Terrifiant aussi.

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Apprentice ★★★☆

Aiman travaille dans une prison de haute sécurité. Pour des motifs personnels qu’on découvrira (trop) vite, il se rapproche du bourreau pour en devenir l’apprenti.

Apprentice nous vient de Singapour et est, je crois, le premier film singapourien que j’aie jamais vu. Premier motif – même s’il est loin d’être suffisant – de l’intérêt qu’on peut lui porter.

Apprentice est un film sur la famille, dans une partie du monde où elle a plus de poids que dans nos sociétés occidentales individualistes. C’est la deuxième raison de s’y intéresser. Aiman poursuit le souvenir perdu de son père autant qu’il s’en cherche un de substitution. Pendant ce temps, sa sœur aînée, elle, choisit l’exil pour se libérer de ce lourd atavisme.

Apprentice est enfin un film sur la peine de mort. Je n’avais jamais vu décrite, avec un luxe quasi documentaire, l’organisation d’une exécution capitale, la préparation du condamné, sa pesée, son ultime repas, ses derniers pas dans le couloir de la mort. La peine de mort est ici dénoncée avec une subtilité absente des grosses productions hollywoodiennes manichéennes et lacrymales : « La Dernière Marche » de Tim Robbins, « La Vie de David Gale » d’Alan Parker, « À l’ombre de la haine » de Marc Forster… Ce refus du manichéisme est entretenu jusqu’à l’ultime image qui laisse le spectateur dans une incertitude diablement (trop ?) maligne.

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Desierto ★★☆☆

Unité de lieu, de temps, d’action : à la frontière mexicaine, un groupe d’immigrés illégaux est pris en chasse par un psychopathe xénophobe. Le scénario de Desierto a la subtilité d’un jeu vidéo. L’affiche frise la publicité mensongère qui évoque « les créateurs de Gravity » au seul motif que le fils Cuarón, réalisateur de Desierto, devait servir le café sur le plateau du film de son papa.

Mais reconnaissons à ce film, malgré son manichéisme caricatural, une certaine efficacité. Le chasseur et son redoutable berger allemand suscitent une antipathie radicale ; les malheureux immigrants, dont le nombre se réduit inexorablement, une sympathie entière. Et le scénario réussit, sur la base d’un pitch étique, à s’inventer suffisamment de rebondissements pour passer une séance sans regarder sa montre.

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Mékong Stories ★☆☆☆

Il y a une vingtaine d’années, j’ai vu L’Odeur de la papaye verte. C’était mon premier film vietnamien. En ce temps-là, les cinémas du monde peinaient à trouver un chemin jusqu’à nos écrans. Je me souviens de mon émerveillement devant des films aussi exotiques que le malien Yeelen ou le finlandais Ariel. Je me souviens aussi que j’avais somnolé la moitié du temps devant un film esthétiquement envoûtant… mais mortellement ennuyeux.

C’est un peu le même sentiment – et la même somnolence – qui s’est emparé de moi devant Mékong stories. Sauf que, hélas, vingt années de cinéphilie et la considérable ouverture du paysage audiovisuel aux filmographies les plus exotiques ont annihilé la curiosité que m’avait inspirée à l’époque L’Odeur de la papaye verte.

L’intrigue de Mékong stories – traduction en français (sic) de Cha và con và qui signifie littéralement Père et fils et – est passablement complexe. On suit mollement une bande de jeunes Vietnamiens dans la moiteur de Saïgon et de la campagne environnante. Vu photographie ; Thang deale ; Van danse. Vu est amoureux de Thang ; Thang couche avec Van ; Van n’aime personne sinon elle-même. Vous n’avez rien compris ? Moi non plus ! Rendormez-vous !

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This is my Land ★★☆☆

La documentariste Tamara Erde pose une question simple : comment les systèmes éducatifs israélien et palestinien enseignent-ils à leurs élèves l’histoire de l’autre ? Son enquête y donne une réponse tout aussi simple qui donne froid dans le dos : des générations de jeunes Israéliens et de jeunes Palestiniens sont éduqués au mieux dans l’ignorance de leurs voisins au pire dans leur haine.

La jeune Franco-Israélienne a mené,non sans mal, son enquête dans une série d’établissements scolaires des plus libéraux (un collège mixte où juifs et non-juifs suivent le cours d’histoire donné à deux voix par deux professeurs, un Juif et une Palestinienne) aux plus intransigeants (l’école rabbinique d’une colonie juive, un collège palestinien où un enseignant pourtant débonnaire laisse sans réaction le témoignage d’un élève qui raconte avoir « craché sur une Juive » la veille). Partout, à quelques détails près, elle dresse le même constat désespérant : les enfants des deux communautés sont élevés dans l’ignorance et la méfiance de l’Autre, présenté côté israélien comme une menace et côté palestinien comme un spoliateur. Un voyage scolaire à Belzec et Treblinka loin d’encourager la réconciliation semble accréditer chez les jeunes Israéliens l’esprit de persécution et le désir subséquent de vengeance.

Conséquence dramatique : ces enfants n’aspirent qu’à quitter une terre où la réconciliation semble impossible. This is MY land et non this is OUR land.

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Red Amnesia ★☆☆☆

Sur le papier, le dernier film de Wang Xiaoshuai avait tout pour séduire. Une retraitée, qui voue sa vie à ses deux fils, est rattrapée par son passé. Red Amnesia joue sur plusieurs registres. Thriller : qui est l’auteur des menaces anonymes qu’elle reçoit ? Portrait de femme : une veuve hantée par des hallucinations. Chronique sociale : le choc des générations dans la Chine contemporaine. Drame historique : comment la Chine panse-t-elle les plaies de son passé ?

Red Amnesia est coupé en deux par un déplacement dans l’espace qui est aussi un saut dans le temps. Aux deux tiers du film, l’héroïne retourne au Guizhou, une région du sud de la Chine où elle a été exilée durant la Révolution culturelle. S’y dévoileront le crime qu’elle avait alors commis et l’identité de celui qui entend lui en faire payer le prix.

Je suis totalement passé à côté de ce programme alléchant. Red Amnesia m’est resté opaque. Je n’en ai pas compris le scénario filandreux, peinant à distinguer les scènes d’hallucination des scènes bien réelles. Et j’ai trouvé que le départ au Guizhou privait le film de son unité.

Mon incapacité à comprendre et à apprécier ce film m’inquiète car elle n’est pas isolée. J’avais eu la même réaction face à The Assassin au début de l’année et face au dernier film de Jia Zhangke, pourtant porté aux nues par la critique en décembre dernier. Est-ce de ma part le symptôme d’un rejet systématique du cinéma chinois construit selon des schémas qui me sont définitivement étrangers ?

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Ultimo Tango ★★★☆

Voici la réponse éclatante à mes amis qui me suspectent de masochisme à regarder d’improbables documentaires guatémaltèques en noir et blanc, sous-titrés et muets ! Celui-ci est germano-argentin. Il est en couleurs. Et s’il est sous-titré, il n’est – donc – pas muet.

Plus important : c’est un bijou !

Ultimo Tango (quel titre ridicule !) raconte l’histoire du couple le plus célèbre de l’histoire du tango. Juan Carlo Copes et María Nieves ont donné au tango ses lettres de noblesse, dans les années 50, en le faisant monter sur scène. Ils en furent les ambassadeurs dans le monde entier, notamment à Broadway où ils réalisèrent Tango Argentino.

Pour raconter cette légende s’offrait au documentariste plusieurs options : des images d’archives, une reconstitution jouée par des acteurs, l’interview des survivants. Fort astucieusement, les trois procédés sont simultanément utilisés. Copes & Nieves commentent des images d’archives en répondant aux questions que leur posent les acteurs jouant leurs rôles. Le résultat est terriblement efficace.

Copes & Nieves formèrent un couple de légende sur scène et à la ville. Mais s’ils continuèrent à danser ensemble jusqu’en 1997, ils se séparèrent vingt ans plus tôt. Une haine toujours vivace les tenant à distance l’un de l’autre, ils répondent chacun à son tour à la caméra. On sent chez elle une passion encore vive, alors que lui a reconstruit sa vie ailleurs. Le tourbillon de haine et d’amour qui a emporté ce couple n’est pas moins impressionnant que la perfection diabolique de leurs chorégraphies.

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L’Origine de la violence ★☆☆☆

Coup sur coup trois romans français que j’avais lus et diversement appréciés viennent d’être portés à l’écran : Tout, tout de suite (Sportès-Berry), Elle (Djian – Verhoeven) et aujourd’hui L’Origine de la violence écrit par Fabrice Humbert et réalisé par Élie Chouraqui.

Ces adaptations posent des questions qui me passionnent depuis longtemps. Peut-on réaliser un grand film à partir d’un mauvais livre ? Oui : c’est le cas de tous les films de Kubrick adaptés d’œuvres littéraires sans grand intérêt y compris 2001… Peut-on réaliser un mauvais film à partir d’un bon livre ? C’est le cas hélas de cet « Origine… »

Car le drame autofictionnel de Fabrice Humbert, sorti en 2009, était terriblement réussi. Il mettait en scène un professeur de lycée qui croit reconnaître son père sur une photo de détenus du camp de Buchenwald. Cette découverte n’est que la première d’une série de révélations sur des secrets familiaux longtemps enfouis.

L’histoire n’est pas sans rappeler Un secret, le roman de Philippe Grimbert adapté avec beaucoup d’élégance par Claude Miller. L’élégance, c’est précisément ce qui manque à Élie Chouraqui. L’auteur de Paroles et musique et de Ô Jérusalem filme à la truelle. Les flash-back dans les camps de concentration sont d’une pachydermique maladresse. Et le choix de César Chouraqui pour jouer le jeune héros est calamiteux.

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