Le Pont des espions ★★☆☆


On peut dire beaucoup de bien ou beaucoup de mal de Spielberg.
Beaucoup de bien : il a signé les plus grands succès du cinéma américain de ces quarante dernières années depuis Les Dents de la mer jusqu’à La Liste de Schindler en passant par E.T. ou Les Aventuriers de l’arche perdue.
Beaucoup de mal aussi : c’est un réalisateur sans génie, aux idées simplistes et aux recettes éculées, dont le cinéma vieillira mal et que les générations futures jugeront avec sévérité.

C’est précisément ce jugement balancé qu’on peut porter sur sa dernière réalisation.
Le Pont des espions est basé sur une histoire vraie – car Spielberg sait, non sans démagogie, que le potentiel émotionnel de ses films est d’autant plus grand qu’il s’inspire d’une histoire vraie. Ici, celle de l’avocat américain James Donovan qui, pendant la guerre froide, assista le gouvernement dans des négociations délicates d’échanges d’espions ou de libérations d’otages.
On se tromperait en considérant que Le Pont des espions est un film sur la guerre froide. Outre que Berlin y est filmé sous une neige artificielle qui prive cette ville de toute authenticité, Spielberg traite toujours et encore le même sujet : la démocratie américaine et la défense de ses valeurs. Comme dans Lincoln, comme dans Il faut sauver le Soldat Ryan, Spielberg dresse un monument aux valeurs constitutives des États-Unis d’Amérique, mélange d’individualisme irréductible et de messianisme compassionnel.
Selon les goûts et l’humeur, on y verra une bien-pensance poisseuse ou une humanité bouleversante.

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L’Homme qui répare les femmes ★★☆☆


Thierry Michel a réalisé quelques-uns des meilleurs documentaires consacrés au Congo : Mobutu roi du Zaïre (1999), Congo River (2005), L’Affaire Chebeya (2012). Colette Braeckman a, elle, signé quelques-uns des meilleurs livres écrits sur ce pays : Le Dinosaure (1992), Rwanda. Histoire d’un génocide (1994), L’Enjeu congolais (1999). Il était prévisible que leurs chemins se croisent.

Leur rencontre s’est faite autour du docteur Mukwege. Ce gynécologue originaire du Kivu y soigne les femmes victimes de guerre. La région est en proie depuis 1996 a des guerres civiles incessantes, conséquence indirecte du génocide rwandais.

Âmes sensibles s’ abstenir. Le documentaire expose sans euphémisme une réalité insoutenable. La monstruosité des crimes sexuels commis sur les femmes de tout âge est décrite sans détour. Par les mots des femmes qui les racontent. Par les images du chirurgien qu’on voit opérer.

Mais L’Homme qui répare les femmes ne se réduit pas à décrire les bonnes œuvres d’un docteur Schweitzer du XXIe siècle. Le documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman a, comme son héros, une dimension politique. Car Denis Mukwege ne se contente pas de réparer les femmes. Il combat les causes de leur mal : la guerre et, plus encore, l’incurie d’un État incapable de l’arrêter. La croisade qu’il mène lui a causé de solides inimitiés nécessitant la mise en place d’une impressionnante protection onusienne.

Les réserves que suscitent la réalisation platement télévisuelle de ce documentaire sont de peu de poids face à l’effroi que fait naître l’horreur des crimes commis et l’admiration que suscite l’abnégation du docteur Mukwege.

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Cosmos ☆☆☆☆


Quand je ne comprends pas un film, je suis tiraillé entre deux sentiments contradictoires. Le premier est la détestation : je déteste ce film qui m’est hermétique. Le second, un peu moins prétentieux, est la honte et le regret : je suis trop bête pour le comprendre et regrette de ne pas l’être un peu moins pour y comprendre quelque chose.

Rarement ces deux (trois ?) sentiments contradictoires se sont-ils autant opposés qu’à la vision du dernier film de Andrzej Zulawski, adapté de Witold Gombrowicz.

Ces références écrasantes m’interdisaient de tenir Cosmos pour une hystérie foutraque, pour un brouillon potache. Pourtant, la direction d’acteurs en roue libre, le scénario inconsistant, la mise en scène aux abonnés absents, évoquent plus un étudiant prétentieux de la Fémis en fin de scolarité que deux des plus grands artistes polonais contemporains.

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Suburra ★★★☆


Le cinéma italien est de retour.
Et il ne se réduit pas à Nanni Moretti, largement galvaudé.

Une génération de jeunes cinéastes nourris au lait – ou plutôt au Red Bull – des séries américaines est en train de prendre la relève. Sa marque de fabrique : des polars compliqués qui croisent le crime et la politique. Ses titres phares : ACAB (All Cops Are Bastards), Romanzo Criminale, Gomorra
Stefano Sollima a réalisé le premier et dirigé les séries TV inspirées des deux suivants. Il a utilisé un scénario de Giancarlo De Cataldo (l’auteur du roman dont Romanzo Criminale a été tiré). Son action se passe à Rome où jadis les puissants et la pègre se croisaient dans le quartier de toutes les débauches, Subure.

Suburra est un film choral peuplé de toutes les caricatures du film noir : le politicien véreux, la pute au grand cœur, le tueur froid, le caïd sous acide…
Une intrigue, à la fois très complexe et parfaitement lisible, va les rapprocher bien malgré eux.
Sollima réussit à croquer des personnages bigger than life. On n’oubliera pas de sitôt la maison des Anacleti, cette famille tzigane enrichie dans le racket, bruyante et saturée des symboles d’une richesse trop vite acquise. Ou l’appartement de Numéro 8 construit sur la plage d’Ostie qu’il rêve de transformer en Las Vegas.
Suburra ne résiste pas à quelques facilités de mise en scène : une esthétique de pub, une BOF envahissante. Mais ces défauts ne suffisent pas à ternir le plaisir qu’on prend à ce film sous ecstasy.

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Demain ★★☆☆


Demain explore en cinq chapitres les solutions possibles à la crise écologique : alimentation, énergie, économie, démocratie, éducation.

Ce documentaire optimiste a d’abord suscité chez moi l’irritation : trop de bons sentiments, trop de manichéisme, trop de simplifications. Et surtout un gros ras-le-bol contre l’idéologie à la mode qui jette le bébé avec l’eau du bain, voue aux gémonies le capitalisme libéral au motif qu’il asservit les pauvres, engraisse les riches et détruit la planète en oubliant que grâce à lui le monde a connu depuis deux siècles la croissance le plus rapide.

Mais je reconsidère mon opinion sur Demain. Pour saluer d’abord l’enthousiasme communicatif de ses auteurs, qui rompt avec le catastrophisme apocalyptique qui caractérise la plupart des documentaires écologiques, vantant la beauté de notre planète et annonçant son inexorable destruction. Cyril Dion et Mélanie Laurent cherchent des solutions. Peu importe qu’ils aient dépensé pour ce faire le bilan carbone de 5.000 Éthiopiens ! Qui suis-je, dans mon fauteuil, pour leur en faire le reproche ?
Et pour remettre en cause mes vieilles convictions. Que le capitalisme et la démocratie nous aient apporté depuis deux siècles la prospérité et la croissance est une chose. Que l’efficacité de ce système perdure en est une autre. Peut-être est-il temps de remettre en cause l’idéologie de la croissance. Peut-être est-il temps de lui chercher des alternatives.

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Le Dernier Jour d’Yitzakh Rabin ★☆☆☆


Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin avait, sur le papier, tout pour me plaire. Un film polémique sur la politique contemporaine qui revisite l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire d’Israël. Et un film de Amos Gitaï grâce auquel j’ai découvert dans les années 90 le cinéma israélien avec des films comme Kadosh (1999) qui m’avait enthousiasmé.

Sauf que la filmographie d’Amos Gitaï alterne le pire et le meilleur, s’égarant sur des chemins de traverse pas toujours bien maîtrisés. Et que sa lecture de l’assassinat du Premier ministre israélien, tombé sous les balles d’un extrémiste sioniste qui lui reprochait la signature des accords d’Oslo, ne m’a pas convaincu.

Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin alterne les images d’archive et les reconstitutions fictionnelles. Pourquoi ce mélange ? Quel parti sert-il sinon celui de créer un flou entre le réel et la fiction ? Il fallait choisir son camp : le documentaire pur ou la reconstitution intégrale. Amos Gitaï ne choisit pas entre les deux, comme si l’indécision l’avait emporté.

Du coup, son film est trop long, qui s’étire durant deux heures trente interminables. Une durée d’autant plus pénible que le montage manque terriblement de nerfs, faisant se succéder de longs face-à-face dialogués qui ont plus leur place au théâtre qu’au cinéma.

Grosse déception…

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The Revenant ★★★☆


L’actualité cinématographique de ce mois de février était dominée par deux films événements : Ave, César ! des frères Coen et The Revenant de Alejandro G. Iñárritu. Deux films marquants dans deux registres radicalement différents. Le premier est un bijou d’humour parodique ; le second est d’une âpre rudesse. C’est peu dire que le premier m’a déçu et le second impressionné.

Impressionnante est l’histoire – vraie – du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort après avoir été grièvement blessé par un grizzly, parcourt 300 km sans armes ni vivres en 1823 dans les montagnes enneigées du Dakota jusqu’au poste le plus proche. Pour survivre il se nourrit de racines, pêche à mains nues et dispute à des loups la viande d’un bison mort. Pour se protéger du froid, il dort dans un cheval éviscéré.

Impressionnant surtout est le parti qu’en a tiré Alejandro G. Iñárritu et son directeur de la photographie Emmanuel Lubezki. Avec la révolutionnaire caméra Alexa 65 mm, ils filment l’action en tourbillonants plans-séquences. Quand les Indiens attaquent, quand le grizzly charge, quand les trappeurs lancent la poursuite, on est au coeur de la scène comme on l’a rarement été, assourdis par la mitraille, assommés par les coups, hébétés par la bataille. Malick (« Le Nouveau Monde »), Boorman (« La Forêt d’émeraude ») et Kurosawa (« Ran ») prennent un sacré coup de vieux.

« The Revenant » est tout à la fois intimiste et grandiose. Intimiste par son scénario épuré : un homme, seul face à une nature hostile, survit pour se venger. Grandiose par ses paysages dans lesquels cette histoire est campée : les montagnes enneigées du Dakota où l’homme est si fragile.

Évidemment, The Revenant ne fait pas dans la dentelle. Leonardo DiCaprio – qui aura amplement mérité son Oscar – est trop occupé à cautériser ses plaies avec de la poudre à canon et à manger de la viande de bison crue pour verser dans la romance. L’accumulation d’épreuves qui jalonne sa route confine au chemin de croix et pourrait révulser les âmes sensibles. La Passion de Mel Gibson avait la même propension au sadisme et au voyeurisme.

Pour autant, je n’ai pas trouvé les deux heures trente-six que dure The Revenant trop longues alors que l’heure quarante-six de Ave, César ! m’avait semblé interminable.

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Ave, César ! ☆☆☆☆


Impossible d’ignorer le torrent de critiques enthousiastes qui a accompagné la sortie du dernier film des frères Coen ! « Hommage roboratif à l’âge d’or de Hollywood » ! « Malicieuse satire » ! « Distribution éclatante » ! « Fiévreuse déclaration d’amour au cinéma » ! N’en jetez plus, la coupe est pleine !

C’est du coup avec beaucoup d’humilité que je m’autorise un coup de gueule contre un film qui m’a fait ronfler d’ennui.
Pourquoi tant de somnolence ? Bon d’accord, parce que je suis vieux (et chauve), que la séance était tardive et ma voisine confortable. Mais pas seulement.

Ave, César ! est une aimable succession de vignettes que relie sans conviction un scénario sans intérêt : la star hollywoodienne Baird Whitlock (George Clooney plus grimaçant que jamais) a été kidnappé par une bande de pieds nickelés crypto-communistes et Eddie Mannix (Josh Brolin, la moustache au carré), l’homme à tout faire des studios Capitol Pictures, se charge de le libérer.

Sans doute, les frères Coen rassemblent-ils une cohorte de stars. Mais à quoi bon les montrer si peu ? On entraperçoit Scarlett Johansson, qui nage comme un poisson et parle comme une morue. Frances McDormand n’a droit qu’à une seule scène (je n’exclus pas qu’elle en ait eu plusieurs… mais je dormais). Seule exception notable : le méconnu Alden Ehrenreich qui crève l’écran dans un rôle drôlissime de cowboy forcé de jouer un bellâtre dans un drame cukorien.

Quant à la déclaration d’amour au cinéma des années 50, elle ressemble plutôt à l’accumulation kitsch de reconstitutions artificielles : western, péplum, comédie musicale (avec un numéro de claquettes de Channing Tatum délicieusement gay-friendly)… tout y passe. Rien à dire : c’est filmé au millimètre, brillant et drôle. Mais où est l’émotion ?

Mes réticences à l’égard de « Ave, César ! » s’expliquent largement par mon manque d’intérêt pour le cinéma des frères Coen. Je n’ai jamais compris la vénération dont ils font l’objet. Leurs films noirs me plaisent : Sang pour sang (1984), Miller’s Crossing (1990), No Country for Old Men (2007). Mais leurs bouffonneries parodiques peinent à m’arracher un sourire : je tiens O’Brother (2000), avec le grimaçant George Clooney, comme un des pires films jamais tournés.

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Je ne suis pas un salaud ★★☆☆

Un type, ni vraiment sympathique ni vraiment détestable, est poignardé par une bande de voyous. Il doit identifier son agresseur, hésite, se décide enfin.

Le titre est trompeur. Il voudrait nous faire croire qu’en dépit de tous ses défauts, Eddie (Nicolas Duvauchelle) n’est pas un si mauvais bougre. Sans doute a-t-il tendance à biberonner sec et à lever la main sur sa femme (Mélanie Thierry) mais l’agression qu’il subit lui offre une rédemption : sa femme lui rouvre les bras, son fils le regarde en héros, un patron accepte de l’embaucher. Les ennuis commencent quand il doit identifier son agresseur.

Le dernier film d’Emmanuel Finkiel est bourré de qualités. La toute première scène est un modèle du genre qui nous fait toucher du doigt, avec un cadrage très serré et une musique obsédante, l’enfermement de son personnage. Les acteurs sont exceptionnels : Nicolas Duvauchelle en salopiot émouvant,  Mélanie Thierry en mère courage.

Mais l’histoire est tellement noire que le film, dans son refus de se rendre sympathique, atteint son but au-delà de toute espérance.

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Contre-pouvoirs ★☆☆☆

Malek Bensmaïl avait réalisé en 2009 un documentaire épatant La Chine est encore loin qui – comme son nom ne l’indiquait pas – suivait pendant une année une classe de jeunes Algériens. Début 2014, il filme la rédaction de El Watan, le grand quotidien francophone d’Alger alors qu’il s’apprête à déménager dans de nouveaux locaux et que la campagne présidentielle bat son plein. Fondé en 1990, ce journal manifeste une liberté de ton étonnante, dans un système verrouillé et sclérosé.

Suivant les dogmes du cinéma documentaire, la caméra de Malek Bensmaïl se fait oublier, se glissant dans les salles de rédaction, enregistrant les discussions entre journalistes, les réunions de rédaction, captant les gestes des imprimeurs. Aucune voix off, aucun sous-titre pour expliquer ou contextualiser. Du coup, on veut bien croire que El Watan est en butte aux autorités, mais rien à l’écran ne le montre – si ce n’est un rendez-vous entre le rédacteur en chef et son avocat où sont rapidement passés en revue les procès en cours.

Le fil rouge du documentaire est la réélection annoncée de Abdelaziz Bouteflika. Ce choix n’est pas très heureux car le suspense est mince : la campagne est lancée sur un faux rythme, avec un président physiquement absent dont la figure est paradoxalement omniprésente ; elle se clôt sur une victoire « dans un fauteuil », double clin d’œil au score « soviétique » obtenu par le président sortant et à l’accident cardio-vasculaire qui le cloue dans une chaise roulante.

Contre-pouvoirs a le handicap de succéder à deux documentaires autrement réussis sur le même sujet : À la une du New York Times (2011) et Les Gens du Monde (2014)

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