Sanjuro (1962) ★★★☆

Dans le Japon des Tokugawa, neuf jeunes samouraïs naïfs et idéalistes se sont unis pour dénoncer la corruption qui gangrène leur clan. Mais leur lettre échoue entre les mains de Kikui, le chef de la police, qui s’avère en fait être l’instigateur de ce réseau. Les neuf idéalistes sont sauvés par l’arrivée providentielle d’un mystérieux rōnin, cynique et terre-à-terre, mais maître indépassable dans l’art du sabre. Avec son aide, ils vont délivrer le grand chambellan, son épouse et sa fille, kidnappés par Kikui.

En 1961, Kurosawa tourne Yōjinbō, un film de sabre, avec son acteur fétiche dans le rôle titre, Toshirō Mifune. Son succès l’incite à en tourner sinon une suite proprement dite du moins un prolongement avec le même personnage interprété par le même acteur. Ce sera Sanjuro sorti un an plus tard.

Le chanbara – le film de sabre japonais – est un genre cinématographique japonais aussi vieux que le septième art. Boudé par la critique, il a acquis ses lettres de noblesse avec Kurosawa après-guerre. Son titre le plus célèbre est Hara-kiri (1962) de Masaki Koyabashi que le Champo diffuse aussi en ce moment et que j’espère trouver le temps d’aller voir.

Ce qui frappe, quand on découvre aujourd’hui Sanjuro, c’est sa modernité. Impeccablement filmé, cadré, monté, le film est d’une drôlerie qu’on n’attendait pas dans un film japonais, habitué qu’on est au cinéma de Ozu, de Mizoguchi ou de Naruse qui ont mille et une qualités mais rarement celle-là (on m’opposera – et on aura raison de le faire – certains films de Ozu tels Bonjour). Sans rien céder à ses exigences formelles, Kurosawa ne se prend pas au sérieux et le montre : dans les situations souvent burlesques, dans les caractères qui rappellent des héros de bande dessinée.

Enfin et surtout – même si on l’y réduirait à tort – Sanjuro annonce Kill Bill. Bien sûr, Tarantino a rajouté de la couleur (le jaune canari du survêtement de Uma Thurman !), de la musique et de la podophilie. Mais, à regarder Sanjuro et son ultime scène iconique, on constate avec stupéfaction qu’il n’a rien inventé.

La bande-annonce

Qui chante là-bas ? (1980) ★★★☆

L’action se déroule en avril 1941, en Yougoslavie, à la veille de l’occupation allemande. Une dizaine de personnes montent dans un bus pour se rendre dans la capitale : un ancien combattant, un chanteur de charme, un couple de jeunes mariés, deux musiciens tziganes, un chasseur, un tuberculeux, un journaliste germanophile…. Le véhicule, en piteux état, propriété de Miško Krstić, conduit par son propre fils, un simple d’esprit, rencontrera sur son chemin bien des obstacles avant d’arriver à destination.

Qui chante là bas ? a été sélectionné dans la section Cannes Classics du Festival de Cannes 2020. À l’occasion de la réouverture des salles, Malavida a la bonne idée de le ressortir dans un circuit de quelques cinémas d’art et d’essai. Ce film yougoslave de 1980 nous rappelle le dynamisme et la créativité du cinéma de ce pays qui, sous Tito, s’enorgueillissait de posséder les meilleurs écoles de dessins animés, qui organisait un grand festival annuel et où le cinéma était une matière enseignée dans le secondaire.

Quand on regarde aujourd’hui Qui chante là bas ? on pense immanquablement à Emir Kusturica. Slobodan Šijan n’est son aîné que de quelques années. Les deux réalisateurs ont le même scénariste, Dušan Kovačević, quand ils tournent Qui chante là bas ? au début des années quatre-vingt et Underground quinze ans plus tard. Les deux oeuvres présentent de nombreuses ressemblances formelles et substantielles. Chez Šijan comme chez Kusturica, la musique, qui emprunte aux rythmes endiablés du folklore tzigane, est une actrice du film à part entière. Les histoires qu’ils racontent sont traversées d’un humour souvent grotesque et très cartoonesque. Le sujet qu’ils traitent est celui de l’impossible vivre-ensemble yougoslave.

Dans Underground, Kusturica évoque l’éclatement de la Yougoslavie. On aurait pu penser, en lisant le résumé de Qui chante là bas ? qu’il y serait au contraire question de la construction d’une identité nationale pour faire front face à l’invasion allemande. Comme Maupassant dans Boule de Suif, comme John Ford dans La Chevauchée fantastique, Šijan convoque dans un lieu clos un échantillon de la population yougoslave. Découvrira-t-il au-delà des conflits qui l’opposent ce qui la réunit ? Saura-t-il dépasser ses clivages pour faire front face à l’ennemi nazi ? C’est ce qu’on aurait volontiers imaginé d’un film tourné en plein titisme. La réponse qu’on découvre à la dernière image est étonnante.

La bande-annonce

Tongues Untied (1989) ★☆☆☆

Tongues Untied est un documentaire de cinquante-cinq minutes réalisé pour la télévision en 1989. Le financement public dont il avait bénéficié aux Etats-Unis avait suscité une polémique : les milieux conservateurs américains ont reproché au National Endowment for the Arts de financer une œuvre pornographique.

À le regarder trente ans plus tard, on ne trouve pas que Tongues Untied insulte la décence. Pas de pornographie mais en revanche un pamphlet dont on comprend qu’il ne plaisait pas aux franges les plus conservatrices de l’échiquier politique américain (le candidat Pat Buchanan en fit même en 1992 un argument de campagne pour dénoncer la dépravation des mœurs à Washington).

Réalisé par Marlon Riggs, une figure du black new queer cinema qui mourut cinq ans plus tard du Sida, Tongues Untied est une œuvre militante à l’intersection de deux combats : le combat pour la reconnaissance des droits des homosexuels et celui contre les discriminations faites aux Noirs américains. Ces deux combats ignorent et écrasent paradoxalement les Noirs homosexuels : le militantisme gay est un militantisme blanc qui essentialise le corps noir pour en faire un objet de fantasme tandis que la lutte contre les discriminations raciales emprunte souvent des accents virilistes voire homophobes.

Tongues Untied est un plaidoyer convainquant en faveur de cette cause, qui n’a rien perdu de son actualité. Sa forme l’est moins qui accumule plusieurs saynètes à la va-comme-je-te-pousse : des témoignages face caméra, des chorégraphies, des poèmes déclamés d’Essex Hemphill, de Steve Langley ou d’Alan Miller, des chansons de Nina Simone ou de Roberta Flack, des extraits d’un one-man-show où Eddy Murphy déploie une homophobie rance….

Le résultat est politiquement fort mais pas cinématographiquement éblouissant.

La bande-annonce

La Vie de bohème (1992) ★★☆☆

Marcel (André Wilms) est un écrivain français philosophe dont la pièce de théâtre en vingt-et-un tableaux est refusée partout et qui vient d’être expulsé de son appartement. Le locataire qui lui succède est Schaunard (Kari Väänänen), un musicien irlandais, qui interprète sur son piano des compositions sinistres. Les deux hommes se lient d’amitié avec un troisième artiste, Rodolfo (Matti Pellonpää), un peintre albanais sans titre de séjour, qui vit sous la menace d’un arrêté d’expulsion. Les trois hommes et leurs amoureuses, Mimi et Musette, tirent le diable par la queue sans jamais perdre leur proverbial optimisme.

La rétrospective Kaurismäki de Arte s’est terminée au bout de six mois le 30 avril. Elle fut l’occasion de voir ou de revoir quelques uns des films du maître finlandais : Ariel (1988), La Fille aux allumettes (1990), Au loin s’en vont les nuages (1996), L’Homme sans passé (2002)… In extremis j’en ai vu le cinquième opus, adapté du feuilleton de Henry Murger publié au milieu du dix-neuvième siècle et qui inspira cinquante ans plus tard Puccini dans l’un des opéras les plus fameux au monde.

Après avoir vu la « trilogie du prolétariat » (dont Ariel et La Fille aux allumettes constituaient les deux derniers volets), on comprend immédiatement ce qui avait intéressé Kaurismäki dans ces Scènes de la vie de bohème : la description de la vie quotidienne de ces artistes sans le sou qu’unit une chaleureuse fraternité. Comme dans Ariel, comme dans La Fille aux allumettes, Kaurismäki filme dans un noir et blanc intemporel, qui rappelle les années quarante et le cinéma de Marcel Carné ou de Jean Grémillon, des gens de peu. Aucun misérabilisme, aucun sentimentalisme dans son cinéma quasi muet rempli d’un humour pince-sans-rire volontiers absurde ; mais au contraire une immense humanité qui constitue peut-être le fil rouge d’une oeuvre qui s’est déployée durant près de quarante années et qui se continue encore.

Pour autant, j’aurais tendance à placer cette Vie de bohème un chouïa en dessous de ses autres films et notamment d’Ariel ou de La Fille aux allumettes que j’ai tellement aimés. La raison en est en partie sa durée : La Vie de bohème dure cent minutes là où les deux autres, plus ramassés, en comptaient trente de moins. Une autre en est la difficile émigration d’un cinéaste finlandais qui, pour la première fois, filme en France (avant d’y revenir en 2011 pour Le Havre où il retrouvera André Wilms, Jean-Pierre Léaud et Evelyne Didi) avec un mélange assez improbable d’acteurs français et finlandais, ces derniers récitant leur texte en phonétique sans manifestement en comprendre un mot.

La bande-annonce

La Dernière Séance (1971) ★★★☆

Dans une petite ville quasiment déserte du nord du Texas, à la frontière de l’Oklahoma, en 1950-1951, La Dernière Séance raconte la dernière année de lycée de trois adolescents : Sonny (Timothy Bottoms) qui s’est trouvé avec Sam (Ben Johnson), le propriétaire du cinéma, un père de substitution, Duane (Jeff Bridges), qui ne rêve que de partir, et Jacy (Cybil Shepherd) qui, sous l’influence d’une mère (Ellen Burstyn) qui veut lui éviter les erreurs qu’elle a faites, se cherche le meilleur parti possible.

La Dernière Séance est un film déconcertant pour qui le voit cinquante ans après sa sortie. Car c’est un film tourné au début des années soixante-dix dont l’action se déroule vingt ans plus tôt. Il est profondément ancré dans une époque, celle des années cinquante, dont il fait revivre l’ambiance, les décors, les costumes. Mais quelques indices – notamment les scènes de nu qui, à sa sortie, firent encore scandale – nous mettent la puce à l’oreille : un tel film n’aurait pas pu être tourné avant 1970.

La Dernière Séance est l’oeuvre d’un jeune réalisateur, cinéphile obsessionnel venu de la critique de cinéma (il regardait environ quatre-cents films par an dont il rédigeait une critique pour chacun !). Bogdanovich nourrissait pour Hawks, Ford et Welles une admiration revendiquée. Son premier film s’inscrit dans cette généalogie. Son héros rappelle le James Dean de La Fureur de vivre. Les événements qu’il vit dans la petite ville de Anarene, sans jamais en franchir les limites, rappellent l’enfermement des personnages de La Poursuite impitoyable de Arthur Penn. Il a lancé la carrière de Jeff Bridges et de Cybil Sheperd – qui était à l’époque la compagne de Peter Bogdanovich.

Le film eut un immense succès. Il reçut huit nominations aux Oscars – mais deux statuettes seulement pour les meilleurs seconds rôles masculin et féminin. L’agrégateur de critique Rotten Tomatoes lui donne une note de 100 %. Son succès est mérité. La Dernière Séance est un film profondément mélancolique qui n’a pas pris une ride.

La bande-annonce

Le Bal des actrices (2007) ★★★☆

Le Bal des actrices est un documenteur, un faux documentaire, où Maïwenn se met en scène, caméra au poing, en train de filmer ses consœurs.

L’entreprise semble au départ anodine. On s’attend à une galerie de portraits hauts en couleurs d’actrices françaises dont on nous révélerait, façon Gala ou Voici, quelques pans de la vie privée. Mais, bien vite, le projet diablement malin et dangereux de Maïwenn se révèle pour ce qu’il est : les actrices du casting joueront moins leur propre rôle qu’une parodie paroxystique d’elle-même : Karin Viard rêve d’une carrière à Hollywood mais ne sait pas parler anglais, Mélanie Doutey va adopter un orphelin en Inde, Romane Bohringer est has been, Marina Foïs se fait botoxer, etc. On y reconnaît Karine Rocher et on se prend à regretter de ne pas l’avoir vue plus souvent depuis quinze ans jusqu’à Madame Claude.

Le jeu de massacres est jubilatoire. Personne n’y échappe, pas même Maïwenn elle-même qui se met en scène dans le couple qu’elle forme (et que d’ailleurs elle formera ensuite dans la vraie vie) avec Joey Starr qu’on n’aurait jamais imaginé aussi juste (son interprétation lui vaudra le César du meilleur second rôle masculin). Elle pousse la provocation jusqu’à imaginer le fiasco de son documentaire et la rébellion de ses actrices.

Le Bal des actrices était le deuxième film de Maïwenn après Pardonnez-moi, un documentaire qui utilisait les mêmes procédés partiellement autobiographiques. Dix ans plus tard, elle tourne ADN, qui reproduit avec autant de succès les mêmes codes. Entretemps elle aura réalisé Polisse et Mon roi. Autant de succès critiques et publics qui démontrent, si besoin en était que la grande gigue un peu fofolle, volontiers excessive, cache en fait une réalisatrice hors pair capable de toutes les transgressions.

La bande-annonce

Kandahar (2001) ★★☆☆

Nafas s’est enfuie d’Afghanistan quelques années plus tôt pour se réfugier au Canada. Elle a laissé derrière elle dans sa fuite sa sœur, qui a perdu ses jambes dans l’explosion d’une mine et qui vient de lui adresser un appel à l’aide. Nafas décide de retourner à Kandahar lui porter secours. Elle franchit la frontière afghane clandestinement, cachée derrière une burqa, en se faisant passer pour la quatrième épouse d’un vieux réfugié. Sur son chemin semé d’embûches, Nafas fera bien des rencontres.

Kandahar est un film qui a connu un étrange destin. Il est projeté à Cannes en sélection officielle au printemps 2001 sans susciter beaucoup de réaction. Mais après le 11-septembre et l’invasion américaine, les yeux du monde se braquent sur l’Afghanistan ravagée par les occupations étrangères, la guerre civile et la chappe de plomb qu’ont fait peser sur elle les talibans. Kandahar devient alors le témoignage le plus récent et le plus frappant des épreuves endurées par la population afghane – jusqu’à ce qu’il soit éclipsé par le succès mondial du best-seller de Khaled Hosseini Les Cerfs-volants de Kaboul et, dans une moindre mesure, par celui du livre de Yasmina Khadra, Les Hirondelles de Kaboul (l’un comme l’autre portés à l’écran ultérieurement).

Kandahar vaut donc surtout par ses qualités documentaires. Son scénario enchaîne les rencontres de l’héroïne qui tissent un portrait kaléidoscopique de l’Afghanistan en peine. D’abord une famille traditionnelle avec un homme, ses trois épouses et sa ribambelle d’enfants entassés dans un tricycle sur le chemin de retour de l’exil. Ensuite, un gamin chassé de l’école coranique qui propose à l’héroïne de la guider. Enfin, la rencontre la plus étonnante peut-être, un Afro-américain exilé en Afghanistan où il exerce sans diplôme les fonctions de docteur du village, examinant derrière un rideau les femmes qui viennent le consulter.

Il vaut aussi par quelques scènes d’une paradoxale beauté. Ainsi de ses unijambistes, aux jambes fauchées par les mines, qui courent sur leurs béquilles dans le désert pour s’approprier les prothèses parachutées par un hélicoptère de la Croix-Rouge. Ainsi de ce groupe de femmes aux burqas multicolores qui marchent dans le désert dans un convoi nuptial.

La bande-annonce

Tetsuo (1989) ★☆☆☆

Un homme, qui vient de se mutiler avec une barre en fer, est renversé par une voiture.
Un autre homme – dont on comprendra plus tard qu’il était au volant de cette voiture – découvre en se rasant que des excroissances métalliques jaillissent de son corps. Il contamine dans le métro une voyageuse qui, prise de folie et transformée en zombie, menace de le tuer. De retour chez lui, alors que sa mutation s’accélère, il assassine sa femme.
L’homme qui l’avait renversé, et dont la mutation s’est achevée, est à sa recherche et menace de le transformer en « homme d’acier ».

Tetsuo est un film culte.
Tourné en 16 mm dans des conditions rocambolesques par quelques passionnés, Tetsuo est avec le manga Akira le film fondateur du cyberpunk japonais, un sous-genre de la science-fiction qui imagine un futur sombre, pollué et sur-urbanisé dominé par les nouvelles technologies.

C’est aussi un film qui se réclame du body horror, un sous-genre du film d’horreur qui soumet le corps humain à toutes sortes de transformations horrifiques. David Cronenberg est le maître de ce sous-genre qu’il a traité dans la quasi-totalité de ses œuvres depuis Shivers jusqu’à Crash en passant par La Mouche.

Il faut avoir le cœur bien accroché et être un aficionado de ces sous-genres très pointus pour goûter Tetsuo, ses soixante-sept minutes hypervitaminées, ses scènes de cannibalisme érotisées, ses séquences bricolées en motion capture, sa bande son hystérisée. Pour cette ultra-minorité, Tetsuo mérite sa place au cinéma du panthéon expérimental. La quasi-totalité des autres n’aura jamais vu ce film, quasiment pas distribué sinon dans quelques festivals underground, ne le verront pas et ne s’en porteront pas plus mal. Quant à ceux, dont je suis, que le masochisme ou l’encyclopédisme compulsif aura conduit à regarder ce film, ils en garderont un souvenir paradoxal, horrifié et amusé à la fois.

La bande-annonce

Thirty Two Short Films About Glenn Gould (1993) ★★★☆

Glenn Gould (1932-1982) est un pianiste génial qui a marqué le vingtième siècle, notamment par ses interprétations de Bach. Sans doute atteint du syndrome d’Asperger, il est resté célèbre pour ses tics et ses tocs. En 1964, au sommet de sa gloire, il avait décidé de renoncer à se produire en public pour se consacrer uniquement à des enregistrements radiographiques ou discographiques.

Pour faire le biopic d’un artiste, il y a plusieurs possibilités. L’une est de raconter sa vie de sa naissance jusqu’à sa mort comme Frida, Ray ou La Môme. L’autre est de s’attacher à l’un de ses épisodes comme Artemisia, Renoir ou Rodin.
Le parti retenu par le réalisateur canadien François Girard pour raconter la vie de son compatriote est aussi différent que stimulant. Par analogie avec les trente-deux mouvements des Variations Goldberg, il présente Glenn Gould à travers trente-deux courtes saynètes. Leur style est extrêmement divers : certaines sont de courtes séquences filmées avec des acteurs (Colm Feore y est remarquable dans le rôle du pianiste), d’autres des interviews des proches de Glenn Gould, d’autres des scènes sans paroles. Il y a même une séquence d’animation réalisée par Norman McLaren, le célèbre bédéiste. Elles sont quasiment toutes accompagnées des interprétations les plus célèbres de Glenn Gould, les Variations Goldberg, le Clavecin bien-tempéré.

Le résultat est enthousiasmant. Se tisse lentement sous nos yeux le portrait kaléidoscopique d’un être exceptionnel. Exceptionnel par la relation totale qu’il a nouée avec son art, livrant, de l’aveu général, les interprétations de Bach les plus parfaites – si tant est que ce mot ait un sens en musique. Exceptionnel aussi par la solitude désespérante dans laquelle sa folie obsessionnelle et le recours massif aux médicaments l’ont plongé jusqu’à son décès précoce à cinquante ans à peine.

Le film (en VO)

Les Cavaliers (1970) ★★★☆

Ouroz (Omar Sharif) vit depuis toujours dans l’ombre envahissante de son père Toursène (Jack Palance), le chef des tchopendoz, ces fiers cavaliers afghans. Il voit enfin dans l’organisation d’un grand bouzkachi par le roi à Kaboul l’occasion de s’en émanciper. Chevauchant Jehol, le plus beau cheval de l’écurie de son père, il espère y triompher et en  revenir avec une aura qui éclipsera enfin celle de son père.
Mais durant le tournoi, Ouroz chute et se brise la jambe. Il refuse les soins qui lui sont prodigués à l’hôpital et décide de prendre la route du retour accompagné du seul Mokkhi, son fidèle palefrenier. Tandis que la gangrène le gagne, qui conduira finalement à l’amputation de sa jambe, Ouroz multiplie les défis suicidaires pour regagner sa propre estime et celle de son clan. En route, son chemin croise celui de Zéré (Leigh Taylor-Young), une nomade cupide qui incite Mokkhi à tuer Ouroz.

Ce film hollywoodien à gros budget, tourné en Afghanistan et en Espagne par un jeune réalisateur voué à une étonnante carrière avec un casting international, est l’adaptation du célèbre roman de Joseph Kessel publié trois ans plus tôt à peine.

Je l’avais lu en novembre dernier, profitant du temps libre laissé par le confinement pour dévorer ses cinq-cent-quatre-vingt-six pages. Plusieurs de mes amis, qui le plaçaient au sommet de leur panthéon, me l’avaient chaudement recommandé. Voici le commentaire que j’en faisais (mon narcissisme gagne dangereusement du terrain : je suis en train de m’auto-citer) : « J’ai le sentiment d’avoir lu Les Cavaliers trente (quarante ?) ans trop tard. L’exaltation de ses personnages, l’exotisme de ses décors m’auraient enthousiasmé à quinze ans. Mais à près de cinquante, celle-là m’a semblé caricaturale, celui-ci frelaté. »

J’étais néanmoins curieux d’en voir l’adaptation cinématographique. J’ai eu bien du mal à mettre la main dessus ; mais j’y suis enfin parvenu. Et je ne suis pas mécontent de ma persévérance. Pourtant, parmi mes amis, ceux même qui m’avaient vanté le livre de Kessel m’avaient mis en garde contre son adaptation : kitsch et vieilli.

J’ai trouvé au contraire que le film de Frankenheimer réussissait superbement à mettre en images ce conte oriental. Alors que les cinq-cent-quatre-vingt-six pages du livre m’avaient semblé bien longues, les cent-neuf minutes du film vont à l’essentiel sans rien sacrifier d’une intrigue pourtant foisonnante. Certes, le film a ce kitsch désuet des grands films en technicolor avec Curd Jürgens ou Charlton Heston. On pense au Docteur Jivago ou à Michel Strogoff. Mais ces références, ma foi, n’ont rien de déshonorant.

J’ai beaucoup – et sans doute trop – parlé de moi dans cette critique. C’était pour appuyer un point : l’opinion éminemment subjective qu’on se fait d’un film varie selon les conditions dans lesquelles on le voit. Eussé-je vu Les Cavaliers avant de lire le roman de Kessel, je l’aurais immanquablement trouvé démodé. Mais, prévenu de ces défauts, informé de l’intrigue et des personnages, j’y ai pris un plaisir que je n’aurais pas pris sinon.

La bande-annonce