The Wrestler (2008) ★★★☆

Randy The Ram (le bélier) Robinson (Mickey Rourke) n’est plus que l’ombre de lui-même. Vingt ans plus tôt, c’était une star du ring. Aujourd’hui, c’est un homme usé. Chaque week-end, il donne des combats dans des salles de plus en plus minables et signe des autographes pour des fans toujours plus âgés et moins nombreux. Sans le sou, il vivote dans une caravane dont il paie le loyer en se faisant exploiter dans un supermarché par un contremaître sadique. Sa seule famille est Stéphanie, sa fille, aujourd’hui adulte, qui lui fait payer le manque d’attention qu’il lui a apporté quand elle était enfant. Sa seule amie est Cassidy (Marisa Tomei), une stripteaseuse à la vie presqu’aussi cabossée que la sienne.
Le corps de Randy, essoré par la consommation abusive de stéroïdes, ne le soutient plus. Son cœur menace de le lâcher.

Garçon ou fille, on ne peut pas avoir traversé l’adolescence dans les années quatre-vingt sans s’enflammer pour Mickey Rourke, sa clope au bec, son sourire canaille, dans Rusty James, L’Année du dragon, Barfly, Angel Heart ou Neuf Semaines et demie, le soft porn le plus célèbre du monde jusqu’à Cinquante Nuances de gris. Aussi beau que James Dean, aussi incandescent que Marlon Brando (et vice versa) l’acteur s’est brûlé les ailes à sa soudaine célébrité. Refusant les codes de Hollywood, qu’il a abondamment conchié dans les médias, il s’est imaginé une autre carrière, loin des plateaux de cinéma, sur les rings de boxe, et une autre vie dans l’alcool et la drogue. Plusieurs opérations esthétiques et plusieurs cures de désintoxication plus tard, l’acteur, désormais cinquantenaire en est ressorti défiguré.

C’est cette image de lui, presque monstrueuse que Darren Aronofsky, le réalisateur génial de Pi et de Requiem for a Dream) a voulu montrer. Le résultat est saisissant. Il l’est à cause précisément de ce jeu de miroirs entre l’acteur Mickey Rourke et son personnage, véritable double autobiographique.

Sans doute The Wrestler ne réserve-t-il aucune surprise : c’est l’histoire, écrite d’avance, de l’impossible rédemption d’un homme déchu qui, avant de quitter une vie d’abus, essaie de se réconcilier avec les autres et avec lui-même. On craint le pire quand Marisa Tomei évoque la Passion du Christ (le film de Mel Gibson était sorti quatre ans plus tôt) ; mais le reste du film, par sa douceur et son empathie, évite la métaphore christique trop appuyée.

C’est bien là le seul défaut qu’on puisse reprocher à ce film poignant dont la dernière image et les options qu’elle ouvre nous accompagneront longtemps.

La bande-annonce

Safe (1995) ★★★☆

Carol White (Julianne Moore) mène la vie ennuyeuse d’une riche femme au foyer californienne : elle réaménage son intérieur en houspillant sa bonne mexicaine, elle prend des cours d’aérobic, elle déjeune de temps en temps avec sa meilleure amie en échangeant des ragots…. Sa santé se dégrade imperceptiblement – toux, saignement de nez, commotion… –  sans que la médecine ne parvienne à identifier la cause de son mal. L’origine en est-elle psychosomatique ? ou Carol développe-t-elle une hypersensibilité à l’environnement de plus en plus toxique ?
Pour se protéger, Carol décide, avec l’accord de son mari, de se retirer au Nouveau-Mexique, dans un centre de soins New Age dirigé par un gourou melliflu qui soigne les âmes autant que les corps. Réussira-t-elle à y retrouver l’équilibre qu’elle avait perdu ?

Safe a été réalisé en 1995 mais n’a pas pris une ride en un quart de siècle. Mieux : les questions qu’il soulève semblent plus d’actualité que jamais au temps de la pandémie du Covid.

Safe joue avec beaucoup de succès sur plusieurs registres.
Safe
pose en premier lieu la question de notre relation à notre environnement, de la capacité de notre corps à en supporter la toxicité et les agressions. Il s’agissait à l’époque pour le jeune réalisateur Todd Haynes – qui allait effectuer dans les décennies suivantes la brillante carrière que l’on sait (I’m Not There, Carol, Dark Waters…) – de tisser une métaphore du Sida. Cette métaphore-là a en partie perdu de son actualité. Mais la question de notre relation à l’environnement reste brûlante : électrosensibilité, hypersensibilité chimique multiple, intolérance environnementale idiopathique…

C’est aussi un film sur le vide de nos vies. Julianne Moore – qui n’était pas encore la star qu’elle allait devenir – y joue à la perfection la femme au foyer américaine. La première scène du film où on la voit, en position du missionnaire, attendre avec un mélange d’abnégation, de tendresse et d’ennui, l’orgasme de son laborieux époux, résume son personnage. Sa vie n’est pas si malheureuse ; mais elle ne suffit pas à la combler. Ses pathologies sont peut-être l’expression de ce malaise.

Safe flirte enfin avec le film d’horreur – et est parfois catégorisé comme tel – même s’il ne contient aucune scène d’horreur. Son dernier tiers, qui se déroule à l’institut Wrenwood au Nouveau-Mexique, baigne dans une ambiance angoissante, alors même que les représentants de l’Institut qui accueillent Carol font avec elle assaut de bienveillance. La fin du film est aussi intelligente qu’angoissante. Elle soulève des questions qui continuent à nous poursuivre bien après la dernière image.

La bande-annonce

Glengarry (1992) ★☆☆☆

L’antenne new yorkaise d’une société immobilière, dirigée par John Wiliamson (Kevin Spacey), emploie quatre vendeurs chargés de démarcher des clients potentiels et de les inciter, par tous les moyens, à acheter des terrains. Un représentant du siège (Alec Baldwin) y débarque un soir et les houspille : les résultats sont préoccupants et les deux plus mauvais commerciaux seront licenciés d’ici la fin de la semaine.
L’annonce exacerbe les rivalités entre les quatre hommes. Richard Roma (Al Pacino), le plus brillant, n’a pas grand souci à se faire ; en revanche Shelley Levene (Richard Lemon), un vieux vendeur sur le retour dont l’heure de gloire est passée depuis longtemps, est au désespoir.

Glengarry est un film de répertoire, souvent cité dans les différents palmarès. Il doit sa célébrité à son casting exceptionnel. C’est l’adaptation d’une pièce de théâtre à succès, couronnée par le prix Pulitzer huit ans plus tôt, de David Mamet (dont l’excellent Engrenages (1987) figure au panthéon de mes films préférés).

Mais je dois hélas avouer avoir été bien déçu en le voyant près de trente ans après sa sortie. Je l’ai trouvé horriblement vieilli, comme s’il s’agissait moins d’un film du début des années 90 que de la fin des années 70. Adapté d’une pièce de théâtre, il en charrie les défauts : d’interminables joutes verbales très bavardes, une unité de temps, de lieu et d’action qui rend ses cent minutes bien longues.

Connaissant le machiavélisme de David Mamet, on attend et on espère un twist final renversant qui nous fera considérer tout le film sous une autre perspective. Las ! rien de tel ne se passe….

La bande-annonce

Remember Me (2010) ★★☆☆

Ally (Emilie De Ravin) a vu mourir sous ses yeux sa mère, assassinée en 1991 sur un quai de métro. Devenue dix ans plus tard une ravissante étudiante, elle est couvée par son père (Chris Cooper), officier de la police new yorkaise.
Tyler (Robert Pattinson) a lui aussi été traumatisé par un drame familial : le suicide de son frère aîné Michael qui a fait voler en éclat sa famille. Sa mère (Lena Olin) s’est remariée ; son père (Pierce Brosnan), brillant avocat à Wall Street, affiche pour lui et pour sa sœur cadette, une artiste géniale et précoce, une hostilité que Tyler n’accepte pas.

Il y a deux façons de considérer Remember Me.
La première, qui domine pendant presque la totalité du film, est d’y voir une aimable bluette un peu pataude destinée aux admiratrices adolescentes en pâmoison devant Robert Pattinson, le héros de Twilight, à qui on a adjoint, pour faire bonne mesure, la jolie actrice australienne révélée par Lost, Emilie De Ravin. Cette bluette raconte à la fois l’histoire d’amour, prévisible, qui se tisse entre les deux héros et la réconciliation, qui l’est presqu’autant, de chacun d’eux avec leur père respectif.

Mais il y en a une autre qui se révèle à l’extrême fin de l’histoire. Elle est surprenante pour ce genre de films qu’on imaginait beaucoup plus conventionnel et dont on attendait un happy end convenu. Annoncée par quelques indices ténus éparpillés de-ci et de-là, elle donne tout son sens au titre du film. J’en ai déjà trop dit en évoquant l’existence de ce twist final. Je n’en révèlerai pas le contenu glaçant.

La bande-annonce

Le Corps de mon ennemi (1976) ★★★☆

François Leclercq (Jean-Paul Belmondo) vient de purger une peine de sept ans de prison pour un double meurtre dont il est innocent. Il revient à Cournai, une grande ville ouvrière du nord de la France, sur les lieux du crime, pour démasquer le coupable. Ce retour teinté de nostalgie est l’occasion de retrouver tour à tour chacun des protagonistes de son passé.
Jeune homme d’origine modeste, Leclercq avait séduit une riche héritière, Gilberte Beaumont-Liégard (Marie-France Pisier) dont le père (Bernard Blier) tenait la ville en coupe réglée, avant de devenir le directeur d’une boîte de nuit où se déroulaient à son insu des trafics louches.

Netflix propose à ses abonnés une dizaine de films de Belmondo. Vu de Los Gatos, Bébel est peut-être une star immortelle du cinéma français. Vu de France, c’est nettement moins le cas. Son sex appeal ne fait plus se pâmer un sexe qui n’est plus faible. Ses cascades ne font plus trembler des spectateurs qui depuis Tom Cruise et Harrison Ford en ont vu bien d’autres.

J’avais vu sur Netflix il y a quelques semaines Stavisky qui m’intéressait parce qu’il était l’œuvre de Alain Resnais et qu’il racontait un épisode célèbre de l’histoire de la IIIème République. J’ai déjà écrit ici le mal que j’ai pensé de ce film vieillot et vieilli.

Je n’attendais pas mieux de cette sixième collaboration entre Jean-Paul Belmondo et Henri Verneuil (il y en aura encore une dernière en 1984, Les Morfalous, que je vis dans la petite salle de cinéma de mon village et dont une réplique de Marie Laforêt me fait encore hoqueter de rire). Circonstance aggravante, il s’agit de l’adaptation d’un roman de Félicien Marceau, un académicien qui a laissé le souvenir d’un romancier conservateur sinon réactionnaire.

Très bizarrement, la mayonnaise prend. Et quarante-cinq ans après, elle n’a pas tourné.
Le récit oscille sans jamais perdre l’équilibre entre l’enquête policière et la chronique de la vie provinciale. Eût-il été plus sardonique, on se serait cru chez Chabrol. Belmondo fait du Bébel, monte les escaliers quatre à quatre, dévoile des pectoraux avantageux (j’ai pensé à Olivier Véran), fume après l’amour – qu’il fait sans qu’on en voit rien bien sûr. Marie-France Pisier y a la beauté du diable – et on pense avec déchirement à la déchéance dans laquelle l’alcool et ses déboires familiaux l’avaient fait tomber à la fin de sa vie jusqu’à sa mort dans sa piscine de Saint-Cyr-sur-Mer. On prend plaisir à retrouver tout un tas de seconds rôles, des plus jeunes (Nicole Garcia, Bernard-Pierre Donnadieu…) aux plus anciens (Daniel Ivernel, François Perrot, Charles Gérard…).

Même si le film dépasse les deux heures et se perd dans des circonvolutions parfois inutiles, on ne regarde pas sa montre et on se surprend à se laisser séduire au plaisir suranné et régressif de ce spectacle d’un autre âge.

La bande-annonce

La Fille du RER (2009) ★☆☆☆

Jeanne (Emilie Duquenne) est orpheline de père. Elle vit avec sa mère Louise (Catherine Deneuve) dans un modeste pavillon de la banlieue parisienne. Sans emploi, elle rencontre Franck (Nicolas Duvauchelle), un sportif séduisant hélas mêlé à de louches combines qui sera bientôt victime d’une agression.
Plus jeune, Louise avait été courtisée par Samuel Bleistein (Michel Blanc) devenu depuis un avocat célèbre. Samuel a un fils Alex (Mathieu Demy), sur le point de divorcer de son épouse (Ronit Elkabetz), et un petit-fils Nathan.
Le jour où Jeanne simule une agression antisémite dans le RER, vite montée en épingle dans les médias, c’est vers Samuel que Louise se tourne pour la conseiller et la défendre.

Un fait divers avait fait sensation en juillet 2004. Une jeune femme, lacérée de coups de couteaux, le ventre tagué de trois croix gammées, avait porté plainte au commissariat d’Aubervilliers. Elle affirmait avoir été attaquée dans le RER D par une bande de six jeunes de banlieue sans susciter de réactions des autres voyageurs. L’information, relayée par l’Agence France presse, enflamma l’opinion publique et la classe politique. Le Monde, Le Figaro, Libération firent leur une sur la résurgence de l’antisémitisme, la violence des « nazis de banlieue » maghrébins et africains et « l’odieuse passivité » des autres voyageurs. Mais deux jours plus tard, la jeune femme avoua à la police avoir tout inventé pour attirer l’attention de son compagnon. Elle fut condamnée à quatre mois de prison avec sursis et à une obligation de soins pour « dénonciation de crime imaginaire ».

André Téchiné adapte la pièce de théâtre, RER, que Jean-Marie Besset avait tiré des faits. Deux options s’offraient à lui. Il écarte la première : il ne dira quasiment rien de l’emballement médiatique suscité par le faux témoignage de la jeune femme – ni du mea culpa piteux auquel la révélation de la vérité a obligé les rédactions quelques jours plus tard. Il se concentrera sur la pseudo-victime et sur son entourage proche.

Ce parti pris n’est en rien critiquable. La question que soulève cette affaire est en effet fascinante : comment une jeune femme de vingt-trois ans peut-elle en arriver à simuler une telle agression ? Hélas, l’option retenue par André Téchiné pour y répondre déconcerte. Au lieu de se focaliser sur son héroïne, au lieu de traquer dans son histoire, dans son comportement, les motifs de son geste, le réalisateur – qui comme dans chacun de ses films cosigne le scénario – noie son héroïne dans une foule de caractères parasitaires et d’intrigues secondaires. Particulièrement inutile apparaît l’histoire de Samuel Bleistein, de son fils, de sa belle-fille et de son petit-fils, qui occupe pourtant un bon tiers du film.

Il aurait fallu ne pas lâcher d’une semelle Jeanne, interroger chacun des petits mensonges avec lesquels elle se plaisait à enjoliver sa vie, scruter le point de bascule où ces petits mensonges vont se muer en un plus gros, comprendre pourquoi elle utilise le ressort, diablement explosif, de l’antisémitisme (on la voit seulement verser une larme devant un documentaire sur la Shoah). Faute de n’en rien faire, La Fille du RER, malgré la qualité de sa distribution plaqué or, se condamne à rester à la surface des choses et des êtres.

La bande-annonce

JC comme Jésus Christ (2011) ★☆☆☆

Jean-Christophe Kern (Vincent Lacoste) est un jeune génie du cinéma. Son premier film a décroché la Palme d’or à Cannes à quinze ans et une moisson de Césars. Le cinéaste, aussi talentueux qu’immature, prépare le deuxième au sujet transgressif : une comédie musicale sur les Dutroux. Une équipe de documentaristes l’accompagne.

Faux documentaire tourné par un acteur,  JC comme Jésus Christ est une satire du monde du cinéma qui ne recule devant aucune outrance. Jonathan Zaccai qui, à l’époque, n’avait pas encore perdu son pied dans Le Bureau des légendes, prend le parti du documenteur en convoquant une brochette d’acteurs (Elsa Zylberstein, Aure Atika, Gilles Lellouche, Kad Merad…) pour jouer dans leur propre rôle. Sa bande-annonce donne le ton qui suscite l’envie de voir ce film… ou pas

JC comme Jésus Christ contient quelques scènes passablement drôles, comme celle où Gilles Lellouche tente de convaincre Vincent Lacoste qu’il ferait un parfait Marc Dutroux. Mais son scénario est trop lâche – qui manifestement ne sait pas comment se terminer – sa réalisation trop dilettante – on retrouve les quatre mêmes malheureux décors – sa durée trop courte – soixante-seize minutes à peine – pour être pris au sérieux. Le film a fait un bide à sa sortie en salles début 2012. MK2 le propose gratuitement en ligne pour tous les orphelins du cinéma. Pas sûr que ce soit leur rendre service….

La bande-annonce

Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986) ★★☆☆

Nola Darling est une femme indépendante et libérée qui habite son propre appartement à Brooklyn. Elle a trois amants entre lesquels son cœur – et son cul – balancent. Jamie Overstreet est un poète romantique. Mars Blackmon (Spike Lee himself) a pour lui un irrésistible sens de l’humour. Greer Childs est un macho narcissique. Nola Darling a aussi une voisine lesbienne qui lui fait du rentre-dedans.

Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (traduction audacieuse mais pas si mauvaise du titre original  She’s Gotta Have It) est le premier long métrage de Spike Lee. Tourné en 1986, il a connu une seconde jeunesse avec la série télévisée qui en a été tirée et dont les deux saisons ont connu sur Netflix en 2017 et 2019 un vif succès. Le canevas sur lequel il est construit se prête en effet bien à des déclinaisons : faire le portrait d’une femme à travers celui de ses amants.

Spike Lee, qui présidera le prochain jury du festival de Cannes, est souvent présenté comme le cinéaste d’une cause : celle de l’égalité des droits de la communauté noire aux Etats-Unis. Certes, il a passé sa vie à filmer des Afro-Américains : Do the Right Thing, Jungle Fever, Malcom X, etc. Mais ses films ne versent pas pour autant dans un militantisme obsessionnel. Spike Lee filme les Noirs comme Woody Allen ou Éric Rohmer filme les Blancs : dans leur vie de tous les jours.

C’était déjà le cas de son premier film. Son manque de moyens saute aux yeux : le son est crachotant, le cadrage pas toujours maîtrisé, la direction d’acteurs trop flottante… Son scénario ressemble un peu à ceux qu’on ânonne en dernière année d’école de cinéma. Mais son sujet n’a rien perdu de sa modernité – ce qui explique d’ailleurs le succès de la série qui en a été tiré : Nola Darling n’en fait qu’à sa tête dresse le magnifique portrait d’une femme libre et celui d’une masculinité, sous trois formes différentes, obligée à se remettre en question face à la revendication montante d’une émancipation féministe.

La bande-annonce

Les Producteurs (2005) ★★☆☆

Max Bialystock (Nathan Lane) n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses productions à Broadway enchaînent les flops. L’échec de la dernière en date, une adaptation soi-disant comique de Shakespeare, le laisse désespéré et ruiné. Mais son comptable, Léopold Bloom (Matthew Broderick) lui souffle une idée paradoxale : produire un énorme bide pourrait le rendre très riche.
Aussi les deux hommes bientôt rejoints par Ulla, une improbable secrétaire suédoise (Uma Thurman), se mettent-ils en tête de réaliser la pire comédie musicale jamais produite à Broadway. Ils cherchent d’abord la pire pièce jamais écrite et pense l’avoir trouvée avec l’œuvre d’un nazi repenti (Will Ferrell), Springtime for Hitler. Pour la monter, ils recrutent le plus gay des metteurs en scène (Gary Beach).

La publication d’une caricature de Charlie Hebdo sur mon mur Facebook a récemment suscité une discussion enflammée sur le thème « Peut-on rire de tout ? ». La conclusion, intelligente quoique aujourd’hui un peu convenue, convoqua Desproges : « Oui, mais pas avec n’importe qui ». Dans le cours de la discussion un ami évoqua le film de Mel Brooks sorti en 1968, qui inspira au début des années 2000 une comédie musicale à succès laquelle fut portée à l’écran en 2005. Il me recommanda chaleureusement de la voir. Je suivis son conseil.

En effet, Les Producteurs repose – en partie – sur une idée sacrément transgressive : faire rire d’Adolf Hitler. L’idée n’est pas nouvelle. Charles Chaplin l’a utilisée dès 1940, avec un génie indépassable dans Le Dictateur. Puis Ernst Lubitsch en a fait un des ressorts du cultissime To Be or Not to Be – dont Mel Brooks produira en 1983 un remake assez navrant. Cinquante ans plus tard, Roberto Benigni a signé avec le succès que l’on sait La vita è bella.
Cette dimension est portée par le personnage de Franz Liebkind (littéralement Franz l’enfant adorable) qui élève sur les toits de New York des pigeons voyageurs pour correspondre avec ses amis allemands en Argentine, porte des lederhosen, est toujours coiffé d’un Stahlhelm M35 et entonne volontiers des champs hitlériens. Le personnage, interprété avec la bouffonnerie qui le caractérise, par Will Ferrell, est hilarant. Il l’est plus encore si l’on pense que le scénario date de 1968 et qu’il a été écrit par un juif germano-russe qui donne aux deux personnages principaux, pour le premier, le nom d’une ville de Pologne vidée de ses habitants par la Shoah et, pour le second, un patronyme juif (déjà utilisé par Joyce dans Ulysses).

Les Producteurs est une bouffonnerie qui ne recule devant aucune outrance. Son scénario est, à y regarder de plus près, complètement dénué de crédibilité tout en étant bigrement ironique : il s’agit de réaliser une comédie musicale à Broadway qui parle de la réalisation de la pire comédie musicale jamais produite à Broadway ! Ses personnages en font des tonnes, à commencer par le héros Bialystok condamné à séduire des octogénaires crédules pour financer sa pièce et par son acolyte, Bloom, un comptable introverti qui va se libérer de ses névroses au contact de la belle Ulla (qui lui prend vingt bon centimètres au garrot).

Si on est de bonne humeur et indulgent, si on aime les comédies musicales (c’est mon cas !) et leurs inévitables longueurs, on se laissera séduire par Les Producteurs. En révisant mes fiches, j’ai réalisé à mon plus grand étonnement que je l’avais en fait déjà vu à sa sortie en 2006. Je n’en avais pas gardé le moindre souvenir alors pourtant que c’est le genre de film qui ne s’oublie pas facilement. Plus étonnant encore, je lui avais mis à l’époque…. zéro étoile, signe que je n’avais pas, mais alors pas du tout, aimé.
Double conclusion pessimiste : 1. je perds la mémoire 2. mon jugement, qui varie du tout au tout à quinze ans d’intervalle, n’a décidément aucune consistance et vous, cher lecteur, me donnez plus de crédit que je n’en mérite en vous y fiant.

La bande-annonce

Madadayo (1993) ★☆☆☆

Le professeur Uchida (Tatsuo Matsumura) enseigne l’allemand dans un lycée de garçons. Alors que la guerre fait rage, il décide de prendre une retraite anticipée après trente années de services pour vivre de sa plume. Ses anciens élèves lui restent indéfectiblement attachés tout au long de sa retraite. Chaque année, ils organisent un banquet en son honneur. Ils l’aident à trouver un logement quand sa maison est détruite par un bombardement. Ils remuent ciel et terre pour retrouver Nora, le chat de gouttière auquel le professeur s’était tant attaché et dont la disparition l’afflige.

Diffusé gratuitement pendant une semaine sur le site mk2curiosity.com, Madadayo est le dernier film du grand réalisateur Akira Kurosawa (à ne pas confondre avec son homonyme Kiyoshi Kurosawa dont j’ai écrit ici, il y a quelques semaines, le mal que j’en pensais). Il est difficile de ne pas voir, dans le portrait qu’il dresse d’un vieux maître au seuil de la mort, une autobiographie crépusculaire et fantasmée.
Crépusculaire car son sujet, qui devait toucher le réalisateur alors âgé de quatre-vingt-trois ans et qui allait mourir cinq ans plus tard, est la fin de la vie d’un homme.
Fantasmée. Car c’est la fin de vie qu’on rêverait tous d’avoir : paisible et entourée de l’admiration de ses proches.

Le professeur Uchida a pour seule famille son épouse qui veille sur lui avec la dévotion silencieuse d’une servante – une posture qu’on ne peut pas ne pas remarquer, vue d’Occident où les rôles conjugaux sont plus égalitaires, et vue d’une époque où le féminisme a bien progressé. Il a recueilli un chat de gouttière dont la disparition l’écrase de chagrin. On imagine qu’il s’agit de la métaphore d’un enfant adopté (?) et peut-être disparu brutalement (au combat ?) auquel le film ne fait pourtant aucune allusion.

Sa seule famille, ce sont ses élèves, dont on ne comprend pas les motifs de la dévotion qu’ils vouent à leur enseignant. Car le professeur Uchida n’a rien d’héroïque. Rien ne transparaît de sa production intellectuelle ni de son œuvre littéraire. Au contraire, Kurosawa, très prosaïque, le dépeint comme un vieux monsieur banal et enfantin, qui a peur du noir et des orages.

Le problème de Madadayo est qu’il dure plus de deux heures mais n’a pas grand-chose à raconter. Certes, le personnage de Uchida est intéressant – comme l’est celui, quoique très effacé, de son épouse, qui a valu à son interprète plusieurs prix d’interprétation. Mais une fois, le cadre de l’histoire posé – le professeur dans sa retraite solitaire, ses élèves qui s’occupent de lui – rien ne se passe sinon la réitération des mêmes scènes répétitives, jusqu’à la mort du maître (s’agit-il d’un spoiler ?).

La bande-annonce