L’Assaut (2010) ★★☆☆

Le 24 décembre 1994, en pleine guerre civile algérienne, un commando de quatre hommes du GIA prend en otage le vol AF8969 Alger-Paris. Les revendications du commando sont floues : veut-il la libération des deux leaders du GIA ? ou veut-il transformer l’Airbus en bombe volante et l’écraser sur la Tour Eiffel ? L’avion reste bloqué à Alger pendant deux jours ; le commando libère une partie des otages mais en exécute trois avant d’obtenir l’autorisation de décoller. Détourné sur l’aéroport de Marseille Marignane, il y est accueilli par le GIGN qui a reçu des autorités française l’ordre de donner l’assaut.

La prise d’otages d’un avion est un sujet éminemment cinématographique. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Plusieurs ont déjà inspiré des films : Vol 93 de Peter Greengrass, Otages à Entebbe ou L’Intervention (oups ! L’Intervention racontait une prise d’otages dans un bus, pas dans un avion !), sans parler d’un détournement (c’est le cas de le dire !) drolatique du genre : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? et ses suites.

Le parti pris de Julien Leclercq et de son co-scénariste est de raconter les événements sous trois angles. Premièrement bien sûr depuis l’Airbus lui-même. Deuxièmement du point de vue du gendarme du GIGN qui prendra la tête de la colonne au moment de l’assaut. Le rôle est interprété par Vincent Elbaz et nous vaut hélas, quelques scènes dispensables à Satory avec sa femme et sa fille. Troisièmement – et c’est la partie la moins réussie du film que la joliesse de Mélanie Bernier n’arrive pas à sauver – à travers les yeux d’une jeune rédactrice du Quai d’Orsay participant à la cellule de crise qui, depuis Paris, adresse ses instructions au GIGN.

Accueilli par une fraîche critique, L’Assaut n’a pas trouvé son public à sa  sortie début 2011. Certes le film n’est pas un inoubliable chef d’œuvre. Il entretient un faible suspens dont on connaît déjà le dénouement. Les tons désaturés dans lesquels il est filmé peuvent sembler bien chichiteux. La scène finale, si on apprend qu’elle est fidèle à l’enchaînement des faits, est passablement illisible. Pour autant, ces objections (nombreuses) mises de côté, on mentirait en affirmant qu’on a trouvé le temps long et qu’on n’a pas été happé par l’histoire.

La bande-annonce

Tout est pardonné (2007) ★★☆☆

L’action de Tout est pardonné se déroule en trois parties différentes dans le temps et dans l’espace. Elle commence à Vienne où on découvre Victor (Paul Blain), Annette (Marie-Christine Friedrich) sa compagne autrichienne et Pamela leur petite fille de six ans. Ils forment une famille en apparence unie mais dont le bonheur semble menacé par d’insidieuses failles. Victor en effet est hanté par ses démons intérieurs. De retour à Paris, la famille éclate. Victor qui n’arrive pas à décrocher de la drogue abandonne le domicile conjugal, vit un temps avec une junkie, ne laissant à Annette d’autre alternative que la fuite avec sa fille.
Onze ans passent. Pamela devient une gracile lycéenne. Grâce à Martine (Carole Franck), la sœur de Victor, elle retrouve son père et essaie de rattraper avec lui les années perdues.

À vingt-six ans à peine, Mia Hansen-Løve signait en 2007 avec Tout est pardonné son premier film. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, il emporta le prix Louis-Delluc – ex aequo avec La Naissance des pieuvres de Cécile Sciamma, une réalisatrice elle aussi promise à un bel avenir. Pas moins de sept autres films allaient lui succéder dans les années suivantes, les deux derniers attendant encore leur sortie en salles. Sur la lente reconstruction d’une quinquagénaire abandonnée par son époux, j’ai vu L’Avenir début 2016 – et ai cru y reconnaître la même colline creusoise qu’on voit à la fin de Tout est pardonné – qui ne m’avait pas emballé par la faute de Isabelle Huppert dont vous savez, lecteur fidèle, l’épidermique antipathie qu’elle me cause. Sur la toute aussi lente reconstruction d’un photographe enlevé en Syrie, j’ai vu Maya début 2019 qui m’avait déjà plus convaincu.

Découvrir, treize ans après sa sortie, le premier film de cette réalisatrice éclaire son œuvre d’un jour nouveau. On en comprend l’intelligence, la délicatesse. On est aussi bluffé par la maîtrise dont elle sait faire preuve à son âge pour son tout premier film – qui lui avait valu de la part de Jacques Mandelbaum dans les colonnes du Monde une critique hagiographique.

Pour autant, on peut légitimement y trouver à redire. La direction d’acteurs est inégale : si la jeune Constance Rousseau – qu’on voit sur l’affiche – avec sa carnation de porcelaine est une révélation, le jeu calamiteux de Paul Blain (quasi sosie de Pierre Cosso, le héros de La Boum 2) plombe le film. Plus grave encore : on peut reprocher à Mia Hansen-Løve, dans son film comme dans les suivants, une artificialité un peu hautaine dont portent la trace des dialogues trop écrits et des ellipses trop brutales qui peinent à masquer la banalité d’un scénario languissant.

La bande-annonce

Conversation secrète (1974) ★★★☆

Harry Caul (Gene Hackman) est un professionnel de la surveillance. Grâce aux technologies de pointe qu’il utilise, il est capable, avec les collaborateurs qu’il s’est adjoint, d’enregistrer n’importe quelle conversation.
Un mystérieux donneur d’ordre lui a demandé d’espionner un couple adultère. La filature est un défi, en plein midi, sur une place bondée du centre de San Francisco, au milieu de toutes les discussions. Mais Caul et ses hommes parviennent à collecter un enregistrement qui laisse penser que le couple court un danger mortel. Échaudé par un précédent malheureux où ses bandes avaient causé la mort d’une famille, Caul va tout mettre en œuvre pour lui venir en aide.

Francis Ford Coppola est un réalisateur d’anthologie, l’auteur multiprimé de la trilogie des Parrains et d’Apocalypse Now. Conversation secrète, tourné entre les deux premiers Parrains, n’est pas son film le plus connu. Il a pourtant obtenu la Palme d’or à Cannes en 1974.

On rapproche souvent Conservation secrète de Blow Up. le film d’Antonioni, sorti huit ans plus tôt, traite en effet d’un sujet similaire : un photographe prend un cliché dans un parc qui pourrait apporter la preuve du meurtre qui vient d’y être commis. En 1981, sur un thème toujours aussi proche, Brian De Palma tournera Blow Out avec John Travolta et Nancy Allen : un ingénier du son, témoin d’un accident de la circulation, cherche à prouver qu’il s’agit d’un crime au moyen de l’enregistrement qu’il en a fait. Les trois films ont en commun d’interroger les techniques modernes d’enregistrement et la fiabilité qu’on peut leur prêter. Le film d’Antonioni en particulier se termine par une scène d’anthologie en forme de pied de nez.

Conversation secrète a deux dimensions supplémentaires. Ce n’est pas seulement un film sur les technologies modernes. C’est aussi un film politique sur l’usage qu’on en fait dont la sortie au même moment que le Watergate, cette sombre affaire d’espionnage qui allait entraîner la chute de Nixon, allait lui valoir un retentissement que même Coppola n’imaginait pas. Mais c’est aussi un film psychologique sur son héros interprété par Gene Hackman qui était à l’époque encore un quasi-inconnu – tout comme Harrison Ford qu’on croise dans les couloirs des bureaux où Caul est censé remettre le fruit de ses investigations.

Caul ressemble à ces personnages des romans de Graham Greene, tiraillé entre une foi exigeante (Caul est catholique pratiquant) et de sombres menées. Maladivement solitaire, Caul se méfie de tout et de tous. La longue scène où on voit une demi-mondaine tenter vainement de le séduire et de le détourner du décryptage d’une bande sonore qui l’obsède est fascinante. Cette névrose paranoïaque aurait été filmée aujourd’hui avec plus de nervosité. Conversation secrète dure peut-être une vingtaine de minutes de trop. Mais il n’en demeure pas moins une oeuvre à (re)découvrir dans une filmographie flamboyante.

La bande-annonce

La femme est l’avenir de l’homme (2004) ☆☆☆☆

La neige tombe sur Séoul. Deux amis d’université se retrouvent et prennent un verre ensemble. Munho s’est marié avec une femme qui le caporalise et enseigne les arts plastiques. Hunjoon rentre d’un long séjour aux Etats-Unis et hésite à enseigner le cinéma ou à sauter le pas de la réalisation. Emportés par leurs rêveries, les deux amis se remémorent Sunhwa, une femme qu’ils ont tous les deux aimée, et décident de la revoir.

Depuis plus de vingt ans, Hong Sangsoo tourne encore et encore le même film. On y croise toujours des hommes d’une trentaine d’années qui se retrouvent dans des restaurants enfumés autour de repas lourdement alcoolisés qui délient leurs langues et embrument leurs souvenirs. Ces hommes retrouvent des femmes plus jeunes qu’eux, souvent des anciennes étudiantes, qu’ils ont aimées et qu’ils aiment encore, avec qui ils ont eu une liaison ou auraient aimé en avoir une. Le film se termine à peu près là où il a commencé, laissant ces héros tristes à leurs rêves d’amour et de succès inaboutis.

La femme est l’avenir de l’homme (un titre qui aurait pu être celui de n’importe lequel des autres films de Hong Sangsoo, un titre auquel aurait pu être substitué n’importe lequel des titres des 25 autres films qu’il a réalisés) a été tourné en 2003. C’est un de ses tout premiers films. C’est le premier à être projeté en compétition officielle à Cannes en 2004 (trois autres le seront ensuite en 2005, 2012 et 2017 mais sans jamais décrocher la moindre récompense).

Je l’avais raté à sa sortie et dois à la rétrospective programmée par Arte.tv de le revoir. Dois-je m’en réjouir ? Non car décidément, je ne comprends rien au cinéma de Hong Sangsoo et n’y adhère pas. J’ai déjà écrit plusieurs fois le mal que j’en pensais, notamment dans mes critiques de Yourself and yours ou de Hotel by the River. Le répèterai-je au risque de me voir retourner le reproche que j’adresse à ce cinéaste répétitif ? Non.

La bande-annonce

Versailles (2008) ★★★☆

La vie n’a pas été tendre avec Nina (Judith Chemla) qui est à la rue avec son petit garçon Enzo. Recueillie une nuit de maraude par le Samu social, elle échoue à Versailles où, au cœur de la forêt, elle rencontre Damien (Guillaume Depardieu), qui vit en quasi-autarcie dans une cabane qu’il a construite de ses mains. Nina va lui abandonner son fils pour partir en province se reconstruire. Entre l’homme des bois et le garçonnet se construira une relation quasi-filiale.

J’avais raté Versailles à sa sortie, à l’été 2008. Je rattrape le temps perdu avec France TV qui a la bonne idée de le reprogrammer. Sevré de salles obscures, je découvre la richesse de notre service public qui met gratuitement à disposition des petits bijoux oubliés, pendant que Netflix ou Prime Video déverse à flux ininterrompus des palanquées de comédies insipides ou l’intégrale de JP Belmondo.

Le titre du film ou sa photo où l’on devine en arrière-plan la façade majestueuse du palais de Louis XIV sont mal choisis. Versailles n’a rien de royal ni de solaire. Pas plus ce film rêche ne joue-t-il du contraste entre les ors du château et la misère des vagabonds qui peuplent son parc. On ne verra rien de Versailles ou de ses habitants BCBG.

Selon l’angle qu’il aurait souhaité souligner, Versailles aurait pu s’intituler Hors du monde ou Le Garçon. Car c’est bien de cela dont il s’agit : s’attacher aux pas des plus pauvres, des plus marginaux et y suivre un gamin qui subit sans pleurnicher les avanies d’une vie de misère. Une vie de misère, mais une vie entourée d’amour ; car le petit Enzo voit se succéder autour de lui deux figures aimantes : sa mère d’abord qui aurait sans doute abandonné la partie depuis longtemps si elle n’avait eu la responsabilité de son enfant, puis ce père de substitution qu’une improbable errance en forêt lui a donné. Si cinq ans plus tôt les frères Dardenne ne s’en étaient pas servis, Le Fils aurait été un titre sacrément malin qui jouait sur l’ambiguïté de ce lien de parenté : le fils de qui ?

Guillaume Depardieu y interprète le rôle d’un SDF en rupture de ban, incapable de s’intégrer à un ordre social qui l’a emprisonné avant de l’ostraciser. Ce personnage résonne avec la vie du jeune acteur – qui fit de la prison à dix-sept ans pour trafic de drogue avant de décrocher en 1996 le César du meilleur espoir masculin. Quand il tourne Versailles Guillaume Depardieu a trente-six à peine. Son corps émacié, couvert de cicatrices, sa claudication (il a été amputé d’une jambe en 2003) lui en donnent bien dix de plus. Il mourra deux mois à peine après la sortie du film.

La bande-annonce

Passe ton bac d’abord (1979) ★★☆☆

Une tranche de vies de quelques jeunes l’année de leur terminale. Leur horizon est borné par le bac, qu’ils sont censés passer en fin d’année et qui leur ouvrira la porte d’un avenir qui ne les fait pas rêver. D’origine modeste, de milieu souvent populaire, ils vivent à Lens dans un milieu ouvrier. Leur seul loisir est de hanter le bistrot du coin et, les soirs de match, les tribunes du stade Bollaert. Avec les beaux jours, ils s’autorisent une virée sur les plages de la mer du Nord.
Elisabeth (Sabine Haudepin) étouffe auprès de ses parents. Elle s’est mise en couple sans l’aimer vraiment avec Philippe qu’ils ont tôt fait de considérer comme leur gendre. Agnès passe de bras en bras et décide d’épouser Rocky pour se caser. Bernard est un briseur de cœurs qui rêve de partir à Paris.

Passe ton bac d’abord est l’anti-Diabolo menthe qui avait fait un tabac un an plus tôt, l’anti La Boum qui fera un triomphe un an plus tard. Il n’en a pas la légèreté sucrée. Il n’explore pas non plus la veine comique de À nous les petites anglaises ou des Sous-doués qui ont fait se gondoler de rire la France entière. Ces films-là montrent des adolescents parisiens, rieurs et optimistes, séduisants et séducteurs, pour qui la vie n’est qu’un prétexte à flirts et déconnades.

Fidèle aux règles exigeantes de son cinéma, Pialat filme la vérité sans fard. Il a recours à des acteurs quasi-amateurs qu’il tétanise par ses colères légendaires et dont il recherche avant tout l’authenticité. Il plante sa caméra dans le bassin minier du Pas-de-Calais à mille lieux des beaux quartiers policés où Diabolo Menthe, La Boum ou Les Sous-doués se déroulaient.

Le résultat est contrasté. Passe ton bac d’abord a vieilli. Beaucoup. Et mal. L’image a jauni ; le son est mauvais. Les acteurs sont empruntés dans des rôles qu’ils peinent à habiter, à l’exception peut-être de Sabine Haudepin qui – et ce n’est pas un hasard – est la seule du lot qui fera carrière. Plus grave encore : à force de refuser toute dramatisation inutile, Pialat (qui est aussi scénariste et dialoguiste de ses films) raconte une histoire sans drame dont on peine à s’intéresser.

À défaut d’être une œuvre de cinéma immémorable, Passe ton bac d’abord n’en reste pas moins un témoignage sociologique fascinant d’une France pas si ancienne, puisque j’étais déjà né, mais pourtant déjà si vieille, puisqu’elle a plus de quarante ans. Dans les années soixante dix, la France sortait des Trente Glorieuses et entrait dans une crise dont elle ne s’est jamais vraiment décidée à sortir. Le bassin minier fermait ses puits un à un, laissant sur le carreau ses mineurs silicosés. Ses jeunes reçoivent les injonctions contradictoires de leurs enseignants : leur prof de philo, aussi paumé qu’eux (et qui drague une lycéenne dans une scène qui aurait de nos jours provoqué la censure illico du film), les enjoigne à « désapprendre » ; leur prof de sport, lors d’un match de handball, les presse de se « démarquer ». Qu’ont-ils diable appris qu’ils puissent désapprendre ? Quel modèle leur est-il proposé qui puisse les inciter à se « démarquer ?

La bande-annonce

La Terre (1930) ★★☆☆

L’Ukraine au temps de la collectivisation. Le monde ancien meurt ; un nouveau lève. Un vieux paysan encore voûté sur sa charrue s’inquiète des changements en cours. Mais son fils Vassili déborde d’enthousiasme. Avec la collectivisation viendra la mécanisation symbolisée par ce tracteur qui arrive sous les applaudissements des paysans et qui facilitera la récolte. Vassili exulte et partage sa joie avec Natalka sa fiancée.
Mais les évolutions en cours ne sont pas du goût de tous. Khoma, le fils du koulak, hostile à la collectivisation et jaloux de Vassili, le tue d’une balle. Le père de Vassili refuse que son fils soit enterré selon le rite orthodoxe. C’est une foule silencieuse qui accompagne la dépouille du jeune kolkhozien tandis que Khoma, devenu fou, confesse son crime.

La Terre d’Alexandre Dovjenko est un film d’anthologie. « Le plus beau film du monde » annonce Bach films, avec un brin d’exagération, sur la jaquette du DVD. C’est que La Terre marque l’apogée du cinéma muet soviétique, dans la lignée des grands films de Eisenstein (Le Cuirassé Potemkine, Octobre) qui en ont éclipsé la mémoire.

La Terre est bien sûr une œuvre de propagande qui ne recule devant aucune outrance. Vassili incarne jusqu’à la caricature l’énergie et l’enthousiasme des jeunes forces révolutionnaires qui réussit à convaincre son vieux père des avantages de la modernisation là où le vieux pope reste prisonnier de son obscurantisme. Khoma au contraire est l’archétype du koulak aigri et revanchard dont même la Pravda, dans sa critique de l’époque, avait pointé du doigt le manichéisme. On ne peut aujourd’hui regarder cette ode à la collectivisation sans avoir à l’esprit l’effroyable famine qu’elle allait provoquer en Ukraine deux ans plus tard.

Pour autant, si on fait litière de cet encombrant arrière-plan propagandiste, si on accepte les conventions et les lourdeurs du muet, aujourd’hui irrémédiablement passées de mode, si on n’est pas rebuté par l’état catastrophique de l’image qui a pourtant été restaurée au début des 70ies par Mosfilm, on ne peut que se laisser emporter par l’énergie panthéiste, par la virtuosité sensuelle qui se dégage de La Terre.

Le film en v.o.

Cure (1997) ★☆☆☆

L’inspecteur Takabe enquête sur une série de meurtres présentant entre eux d’étranges coïncidences. Les victimes sauvagement assassinées portent toutes la même blessure en forme de croix cisaillée sur leur cou. Les assassins avouent tour à tour leurs crimes sans parvenir à en rassembler le souvenir ni à en expliquer la raison. Très vite, l’enquête conduit Takabe sur les traces de Mayima, un étudiant en médecine amnésique ou feignant de l’être, doté de mystérieux dons de mesmérisme.

Kiyoshi Kurosawa – dont on répète depuis vingt ans qu’il n’a aucun lien de parenté avec son célèbre aîné Akira Kurosawa – s’est fait connaître tardivement hors du Japon. Réalisé en 1997, sorti en France deux ans plus tard, Cure est le premier de ses films à avoir franchi les frontières alors que Kurosawa avait quarante ans passés. Depuis, sa renommée n’a cessé de croître avec des films aussi réussis que Tokyo Sonata (2008), Shokuzai (2012) ou, le dernier en date, Au bout du monde (2019) que j’avais particulièrement apprécié.

Avec Cure, Kurosawa s’affirme comme un nouveau maître du cinéma japonais. À mi-chemin du polar et du film fantastique, il invente un nouveau genre. Comme tous les bons récits sur les serial killers, ses films convoquent des policiers têtus et des assassins particulièrement pervers, auteurs de crimes sadiques (Cure est interdit aux moins de douze ans). Mais Cure ne se réduit pas à la traque du meurtrier et l’élucidation des crimes qu’il a commis. Kurosawa consacre autant sinon plus d’attention à la description d’une société en voie de délitement, rongée par la peur.

Je n’ai jamais été un grand fan des films de Kurosawa, que je vais pourtant voir stoïquement à chacune de leur sortie. Je trouve leur contenu trop noir, et surtout trop languide. Je reconnais volontiers qu’il n’a pas son pareil pour créer des ambiances étouffantes, pour camper des personnages fantomatiques, à mi-chemin entre réel et cauchemar. Mais ce sont des ambiances qui ne m’intéressent pas, des personnages pour lesquels je ne ressens aucune empathie, des cauchemars que je n’ai pas envie de faire.

La bande-annonce

Frissons (1975) ★☆☆☆

Le docteur Emil Hobbes a inventé un parasite qui lève les inhibitions sexuelles des personnes auxquelles il est inoculé. Mais le docteur constate sur la jeune femme qu’il a utilisée comme cobaye la réaction monstrueuse qu’il a suscitée. Horrifié par son invention, il assassine la jeune femme, brûle à l’acide les parasites et se donne la mort. Mais le mal est fait : le parasite s’est déjà répandu dans un immeuble de luxe en périphérie de Montréal désinhibant les appétits sexuels de ses habitants et y provoquant une monstrueuse orgie.

Frissons – diffusé au Canada et aux Etats-Unis sous plusieurs titres différents : Shivers, The Parasite Murders, They Came from Within – est le premier long métrage de David Cronenberg. Il fit scandale à sa sortie.

On peut certes y voir les prémisses de l’œuvre d’un des plus grands réalisateurs contemporains, inlassable entomologiste du corps humain, de ses névroses et de ses dérèglements. On peut aussi voir dans Shivers un film qui bouscule le conformisme ambiant, qui fait le procès du puritanisme dans lequel le Canada de l’époque était englué et qui, sous couvert d’en souligner l’horreur, ose montrer des scènes d’orgie (il fut évidemment interdit à un jeune public à sa sortie).

Mais, si on fait abstraction de ses éléments de contexte, Shivers se réduit à pas grand chose. Certes, il a une qualité : son action se déroule quasiment en temps réel dans une luxueuse résidence. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Mais c’est peut-être la seule qualité d’un film dont l’indigence des moyens saute aux yeux, dans la qualité du son et de l’image, dans celle des décors et des costumes, dans la direction d’acteurs, dans l’écriture du scénario, platement linéaire. Shivers est un thriller désuet qui n’angoisse pas, un film d’horreur passé de mode qui ne fait pas peur.

La bande-annonce

La Fille aux allumettes (1990) ★★★☆

Iris (Kati Outinen) travaille dans une fabrique d’allumettes à Helsinki. Elle verse tout son salaire à sa mère et à son beau-père qui l’hébergent dans un deux pièces miteux de la cité ouvrière. Elle croit trouver l’amour auprès d’Arne qui la méprise et l’humilie. La vie d’Iris ne peut que verser dans la tragédie.

L’Homme sans passé (2002) est souvent présenté comme le meilleur film d’Aki Kaurismäki. Il a raté de peu la Palme d’or à Cannes et y a obtenu, en guise de consolation, le Grand prix. Kati Outinen y a décroché le prix d’interprétation féminine. Le film a valu à Kaurismäki l’un des six Jussis (l’équivalent des Césars en Finlande) de sa longue carrière. Pourtant ce n’est pas mon préféré.

La Fille aux allumettes l’est peut-être. Car il résume le mieux selon moi le cinéma du maître finlandais. Résumer est le mot juste ; car il dure soixante-neuf minutes à peine, flirtant avec les canons du moyen métrage. Tout y est concentré, sans une once de gras : les banlieues pauvres de Helsinki, des personnages mutiques écrasés par une vie sans joie mais dotés d’une solide résilience, des plans fixes souvent suréclairés donnant aux images une patine de romans-photos, un humour grinçant, une bande musicale qui alterne les airs les plus démodés aux expérimentations néo-punks….

Kati Outinen porte le film sur ses frêles épaules. La beauté hyperboréenne, elle a vingt neuf ans déjà à la sortie de La Fille aux allumettes ; mais elle en fait bien dix de moins. C’est son troisième film sous la direction de Aki Kaurismäki avec qui elle en tournera huit autres. Avec La Fille aux allumettes, elle décroche son premier Jussi de la meilleure actrice (suivront deux autres en 1997 pour Au loin s’en vont les nuages et en 2002 pour L’Homme sans passé). Elle est si misérable durant la première moitié du film qu’on se demande un instant si elle ne joue pas un remake du comte du Danois Andersen et si elle va mourir de froid, sa dernière allumette soufflée. L’évolution du personnage dans la seconde moitié du film est étonnante, empreinte d’un féminisme enthousiasmant qui, en 1990, était encore d’avant-garde.

Extraits