Les Terrasses ★★★☆

Merzak Allouache s’est fait connaître avec des comédies grand public : Chouchou (qui avait lancé Gad Elmaleh) ou Bab el Web (qui avait lancé Faudel). Le ressort de ces comédies pas toujours fines : traiter par l’humour les décalages culturelles entre la France et l’Algérie.

L’humour en moins, la finesse en plus, Merzak Allouache est revenu filmer Alger du haut de ses terrasses.

Cinq terrasses, cinq quartiers, cinq histoires.
Tout aussi sombres les unes que les autres : un frère qu’on torture pour qu’il cède sa part d’héritage, un vieil oncle qu’on séquestre, des jeunes enrôlés par un imam djihadiste, des squatteurs qu’on expulse, des propriétaires qu’on assassine…

Cette accumulation est servie par une remarquable mise en scène. Le réalisateur évite le film à sketches, composé de cinq chapitres successifs, et lui préfère, comme Alaa Al Aswany dans L’Immeuble Yacoubian, une composition plus complexe où les histoires s’entremêlent et se répondent.

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Titicut Follies (1967) ★★★☆

Frederick Wiseman tourne en 1967 son tout premier documentaire, dans un noir et blanc granuleux, avec un son inaudible, dans le service psychiatrique d’un hôpital militaire. Il n’est pas encore le « pape du documentaire » mondialement reconnu, consacré en 2017 par un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son œuvre. Mais, déjà, il a posé les règles dont il ne s’éloignera guère et auquel le documentaire contemporain a l’obligation de se conformer : montrer plus que démontrer en filmant sans commentaire, sans voix off, sans sous-titres.

Pour ces raisons, Titicut Follies impressionne par sa modernité. C’est un documentaire marquant de l’histoire du documentaire. Mais c’est aussi un documentaire inscrit dans son époque : un temps où les Noirs étaient minoritaires dans les établissements pénitentiaires, un temps où les gardiens et même les médecins avaient la clope vissés au bec, un temps où la guerre du Vietnam constituait l’arrière-plan politique de la vie en prison.

Mais, au-delà de ces considérations historiographiques, Titicut Follies impressionne voire traumatise par le portrait sans concession qu’il fait de la vie en prison. On est loin de l’artificialité des séries américaines (Prison Break, Orange Is the New Black) qui donnent au spectateur une fallacieuse impression de familiarité. Wiseman filme des prisons sales, bruyantes, incroyablement dures aux hommes.

Au vu de ce portrait à charge de l’institution pénitentiaire, on se demande comment Wiseman a pu obtenir l’autorisation de filmer. D’ailleurs, on n’est qu’à moitié surpris par le jugement rendu par la Cour du Massachusetts qui en a interdit la diffusion (Wiseman s’était pourvu devant la Cour suprême mais sa requête n’a pas été examinée) non pas pour maintenir le secret sur les pratiques répréhensibles des services pénitentiaires mais par respect pour la vie privée des patients livrés nus à l’œil inquisiteur d’une caméra.

Car Wiseman filme les patients de la prison de Bridgewater dans leur traumatisante nudité. Il montre un fou qui déblatère sans queue ni tête, un autre qui est intubé pour être nourri de force, un troisième (le même ?) dont on fait la toilette mortuaire avant de sceller son cercueil, un autre encore qui essaie vainement de convaincre une commission de révision qu’il est sain d’esprit et n’a pas sa place ici. Les images sont crues, brutales. Sans doute cette vérité sert-elle à nourrir un procès. Le procès d’une psychiatrie d’un autre âge – comme Vol au-dessus d’un nid de coucou allait la dépeindre huit ans plus tard. Soigner et punir pour paraphraser Foucault – dont les travaux sur le bio-pouvoir sont contemporains. Mais ces images sont aussi celles d’humains souffrants qu’on en peut regarder sans souffrir à son tour.

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La Tête haute ★★★☆

Bouleversant… mais…

On ne pourra qu’être bouleversé par La tête haute, un film qui décrit avec une justesse exceptionnelle l’adolescence tourmentée de Malony qu’un éducateur (Benoît Magimel) et une juge pour enfants (Catherine Deneuve) cherchent à sauver de sa violence auto-destructrice.
Remarquablement interprété, le film d’Emmanuelle Bercot qui a fait l’ouverture de Cannes en 2015 contient des scènes splendides : la rupture brutale avec son premier éducateur, sa découverte maladroite de la sexualité…

Pourtant, à la réflexion, on peut se demander si la réalisatrice ne rate pas sa cible qui, en trop voulant nous montrer comment la société doit traiter ses éléments les plus fragiles, ne finit pas par nous en désespérer.

Frôlant parfois l’exposé didactique, le film expose les différentes formules expérimentées pour aider Malony : CER, CEF, contrôle judiciaire, établissement pénitentiaire… La réalisatrice cite à deux reprises le prix élevé de ces processus d’accompagnement coûteux. Le pompon est décroché avec une séance de sophrologie proposée aux jeunes en difficulté pour se réconcilier avec leur corps.

Ce n’est pas Malony qui se bat contre la société (comme Rosetta le faisait dans le film des frères Dardenne) mais la société qui se bat coûteusement pour lui. Et elle est bien mal payée en retour tant Malony refuse de saisir la main qui lui est tendue jusqu’à un happy end d’autant plus décevant que la principale qualité du film est son âpreté.

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Mad Max: Fury Road ★☆☆☆

Après Mad Max (1979), Mad Max II – le défi (1981) et Mad Max – Au delà du dôme du tonnerre (1985), il a fallu attendre trente ans la sortie de Mad Max: Fury Road.
Dit autrement : les trois quarts de l’audience juvénile de la salle où j’étais allé le voir en 2015 n’étaient pas nés à la sortie des premiers épisodes !
Si les vrombissements post-apocalyptiques des bolides customisés et le perfecto de Mel Gibson ont bercé mon enfance, sur quel ressort cet opus tardif joue-t-il chez un public nourri entretemps de mille autres références ?

Deux longues heures ne m’auront pas donné la réponse à cette question.
George Miller nous livre un spectacle visuel gratuit.
Gratuit ? pas tant que ça. Le moindre plan est si sophistiqué qu’il a probablement coûté à lui seul le PIB du Swaziland.

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La Loi du marché ★★★☆

On réagira différemment selon ses opinions politiques à La Loi du marché présenté à Cannes en 2015 et couronné par le César du meilleur film.

Si on penche à droite, on trouvera bien caricaturale la charge contre l’entreprise accusée de tous les maux.

Si on penche à gauche, on sera ému aux larmes par ce portrait sans concession d’un homme qui lutte contre un système qui bafoue sa dignité.

Mais, où qu’on se situe, on ne pourra qu’être impressionné par la maîtrise du réalisateur et par le jeu des acteurs, Vincent Lindon en tête qui a amplement mérité la Palme.

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Le Trou ★★★☆

La Cinémathèque française a consacré le mois dernier une rétrospective à Jacques Becker. l’un des plus grands réalisateurs des années 50, il a laissé une œuvre hétéroclite : des films naturalistes (Goupi mains rouges, Casque d’or), des polars (Touchez pas au grisbi), des œuvres plus intimistes qui annoncent la Nouvelle vague (Rendez-vous de juillet, Rue de l’estrapade).

Le Trou est son dernier film. Jacques Becker est mort avant d’en avoir fini le montage. C’est son chef d’œuvre.

Il est inspiré d’une histoire vraie : la tentative d’évasion d’un groupe de prisonniers de la prison de la Santé relatée par l’un de ses protagonistes, José Giovanni, dans son tout premier roman. Toute l’action se déroule dans leur cellule et dans les sous-sols de la prison dont ils essaient de s’évader. Avec une économie de moyens remarquable et une efficacité redoutable, sans aucune musique mais avec une attention aigüe au bruitage, Becker filme en longs plans séquences quasi-documentaires la réalisation d’une évasion. On voit ces co-détenus mettre en œuvre un plan méticuleusement exécuté ; on partage vite leur anxiété et leur impatience.

L’enjeu dramatique ne se résume pas à la question de savoir s’ils parviendront à creuser ce trou dans le plancher de leur cellule pour accéder aux souterrains de la prison qui communique avec les égouts de Paris. Un autre enjeu est la solidarité des prisonniers auxquels se greffe un cinquième détenu dont on se demande pendant tout le film s’il les trahira ou pas.

À sa sortie en 1960, le film avait été d’autorité réduit de trente minutes par son producteur. Il ressort dans son version originale de deux heures douze. Happé par le suspense de cette évasion dont on ignore juste à l’ultime scène si elle réussira ou pas, je n’ai pas regardé ma montre une seule fois.

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De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites ★☆☆☆

De l’influence… a pour héroïne Beatrice Hunsdorfer, une femme d’une quarantaine d’années. Séparée de son mari, elle élève seule ses deux filles et vit dans une maison délabrée dont elle sous-loue une chambre à des personnes en fin de vie.

De l’influence… a été tourné en 1972 par Paul Newman qui était alors au sommet de sa gloire. Le rôle de Beatrice est interprétée par son épouse, l’actrice Joanne Woodward. Il est tiré d’une pièce de théâtre qui venait de remporter le Prix Pulitzer.

De l’influence… est emblématique de son temps. À commencer par son titre à rallonge qu’on n’aurait plus l’idée de donner aujourd’hui.
Il est inspiré d’une pièce de théâtre, comme l’était un grand nombre de films de la décennie précédente : Qui a peur de Virginia Wolf ?, La Chatte sur un toit brûlant, Un lion en hiver
Surtout il s’inscrit dans un registre dramatique qui est aujourd’hui totalement passé de mode. À l’époque, le théâtre et le cinéma avaient une tendance à l’hystérisation qui s’est perdue. Les personnages étaient paroxystiques, au bord de la folie. Aujourd’hui, si le sujet des films n’a pas changé – Aurore sorti le mois dernier avait pour héroïne une femme divorcée élevant seule ses deux filles – leur ton n’est plus le même. Il est plus réaliste, plus doux, et surtout plus comique. La solitude d’une mère célibataire, hier, faisait pleurer. Aujourd’hui, elle fait, à tort ou à raison, rire.

Faster, Pussycat! Kill! Kill! ★★★☆

Attention ! Film culte ! L’intraduisible et impayable Faster, Pussycat! a pour héroïnes trois amazones qui sillonnent le désert californien dans leurs voitures de course.

Le film commence par quelques lignes lues en voix off : « Ladies and gentlemen, welcome to violence, the word and the act. While violence cloaks itself in a plethora of disguises, its favorite mantle still remains . . . sex. »
Suivent des images psychédéliques de stripteaseuses filmées en contre-plongée face à des spectateurs masculins émoustillés et éructants.
Le film à proprement parler commence par un plan séquence : trois cabriolets roulent à vive allure sur une piste. Soudain, l’un d’eux bifurque vers un lac. Sa conductrice stoppe, descend de voiture et plonge dans l’eau. Une autre conductrice la rejoint bientôt. Une mêlée s’ensuit. D’abord dans l’eau. Puis sur la berge. On l’aura compris : tout est bon pour filmer deux filles à gros seins se rouler dans la boue.

Faster Pussycat! a été tourné avec trois bouts de ficelle en 1965 par Russ Meyer, un ancien photographe de Playboy passé derrière la caméra. Sans s’encombrer d’un scénario sophistiqué, il y filme ses fantasmes : des femmes libérées, violentes, à la poitrine démesurée.

Faster Pussycat! est à la fois terriblement sexiste et étonnamment féministe. C’est une série B au mauvais goût assumé qui charrie tous les stéréotypes du film X : jolies pépés, T-shirts mouillés, latex fétichistes, grosses cylindrées … Mais c’est aussi un film dont les héroïnes sont des femmes. Des femmes qui utilisent leur sexualité agressive pour subvertir les codes d’un monde d’hommes. L’affiche du film le montre : Tura Satana, une ex stripteaseuse nippo-amérindienne, toute de cuir (dé)vêtue, fait une clé de bras à un homme cloué au sol.

Faster Pussycat! est le film culte de Quentin Tarantino. Impossible de le voir aujourd’hui sans penser à son Death Proof qui en est directement inspiré. C’est à la fois l’intérêt et la limite du film de 1965. Faster Pussycat! a inspiré une œuvre qui en a sophistiqué et modernisé l’écriture et qui, du coup, l’a démodé.

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Casanova ☆☆☆☆

J’ai tout détesté dans « Le Casanova de Fellini » : le libertinage triste, le scénario répétitif, les monstres chers à Fellini, le titre narcissique….
Est-ce parce que le film, qui porte à la caricature l’esthétique kitsch des années 70, est passé de mode ? Ou suis-je à ma grande honte hermétique au génie du Maestro ?

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Utu ★☆☆☆

L’action de Utu se déroule en Nouvelle-Zélande pendant les années 1870 durant la colonisation de cet archipel par les Britanniques.

Utu signifie vengeance en maori. Le sujet du film est celui d’une triple vengeance.
Vengeance de Te Wheke, un supplétif de l’armée britannique qui se rebelle contre ses maîtres après le sac de son village, se tatoue le visage, chante des hakas et prend la tête d’une troupe de guérilleros.
Vengeance de Williamson, un colon blanc rendu fou de douleur par l’assassinat de sa femme par les rebelles maoris.
Vengeance du lieutenant Scott, un Néo-Zélandais blanc dont l’histoire personnelle le conduit à se démarquer des méthodes violentes du colonel Elliot, chargé de mater la rébellion.

Sorti en 1983, Utu figure au nombre des 1001 films à voir avant de mourir. Il doit ce statut à sa renommée en Nouvelle-Zélande dont il raconte un pan de l’histoire. Un peu comme La Marseillaise ou Paris brûle-t-il ? dans l’hexagone. Cette célébrité et la curiosité qu’inspire ce petit pays antipodique expliquent que Utu ressorte en salles cette semaine à Paris.

Je dois confesser une grande déception à la découverte de cette pépite méconnue. La faute sans doute à l’époque où il a été tourné. 1983, c’est Le Retour du Jedi, L’Étoffe des héros, Tchao Pantin et Scarface. Des œuvres, je l’admets volontiers, que nous avions en leur temps vues et aimées. Mais des œuvres qui ont mal vieilli. En ces temps là, les films sont longs, lents, horriblement mal éclairés.

Utu ne fait pas exception. Pendant près de deux heures, c’est une succession vite monotone de combats mal filmés. Les paysages grandioses de la Nouvelle Zélande, que Peter Jackson allait rendre mondialement célèbres en en faisant l’arrière-plan du Seigneur des anneaux vingt ans plus tard, sont gris et pluvieux. Même les personnages de Te Wheke, qui retourne contre le colon la violence exercée contre ses compatriotes, ou de Wiremu, qui préfère construire une relation apaisée avec les Britanniques plutôt que de nourrir un combat stérile, n’émeuvent pas.

La bande-annonce