Joy ★☆☆☆

Joy est un film déroutant. Avec Jennifer Lawrence et Bradley Cooper, on escompte une comédie romantique gentiment superficielle qui se conclura logiquement par la réunion des deux sex symbols les plus bankable du cinéma américain sous les yeux complices de Robert De Niro et Isabella Rossellini – dont la présence est censée attirer les seniors. Il n’en est rien.

Joy n’est pas une comédie romantique. Ce n’est pas non plus une ode aux valeurs familiales ni à l’amour. Joy est un film totalement dépourvu de la tendresse sirupeuse dans laquelle s’engluent bon nombre de films américains. Pour autant, Joy n’évite pas le piège d’un autre type de bien-pensance : celui de l’éloge d’un certain modèle américain. La success story entrepreneuriale. Vous êtes divorcée ? Vous vivez chez vos parents avec vos deux gamins ? Vous gagnez une misère dans un boulot harassant ? N’ayez pas peur ! La réussite est au bout du chemin si vous serrez les dents et croyez dans vos rêves.

La recette fonctionnait plutôt bien avec Julia Roberts dans Erin Brockovich. Elle ne fonctionne pas avec Jennifer Lawrence, trop jeune, trop lisse, pour être crédible dans le rôle d’une housewife rêvant de commercialiser une serpillière révolutionnaire.

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Ixcanul ★★★☆

Ixcanul est un film guatémaltèque. Son titre et son pedigree semblent le condamner à un genre quasi documentaire. Sa première partie le confirme : on y découvre Maria qui vit auprès de ses parents, au pied du volcan Ixcanul. Elle aimerait suivre Pepe, son amoureux, qui rêve de s’exiler aux États-Unis ; mais ses parents souhaitent la marier au fils de leur métayer.
Ce conte gentiment exotique peinerait à convaincre s’il ne se lestait progressivement d’un contenu dramatique. Jusqu’à un dénouement parfaitement maîtrisé qui, comme les épilogues doivent l’être, est à la fois surprenant et cohérent.

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Nous trois ou rien ★★★☆

« Nous trois ou rien » c’est « Persepolis » + « L’Arabe du futur ». Soit, sur les traces de Marjane Satrapi et sur celles de Riad Sattouf, l’autobiographie d’une famille qui fuit la dictature pour s’installer en France. À me faire regretter d’être le fils d’un vétérinaire varois qui, du fait de cette filiation bien peu romanesque, n’écrira jamais de best-seller autofictionnel !

Vous imaginez déjà la suite de cette critique : « c’est pas mal… mais ce n’est pas très novateur », asséné avec la morgue du monsieur-je-sais-tout qui a vu tous les films et la moue du cynique que plus rien ne transporte.

Eh bien… vous avez raison… et tort. Il ne serait pas honnête de passer sous silence la principale faiblesse du film de Kheiron : l’antériorité de « Persepolis » qui, sur la forme comme sur le fond, était innovant, authentique, bouleversant. Je manquerais tout autant d’objectivité en omettant les bons sentiments un peu trop sucrés dans lesquels le film s’englue au risque de se noyer dans une ode boursouflée au vivre-ensemble républicain.

Pour autant, celui qui n’aura pas ri et pleuré devant une histoire aussi déchirante que celle des parents de Kheiron, résistants au Shah, dupés par la révolution de Khomeiny, obligés de fuir leur pays pour se réfugier en France. Celui dis-je qui, devant cette histoire racontée avec légèreté et humour, sans jamais verser dans la mièvrerie ni la vulgarité,  n’aura pas fondu de bonheur, celui-là a un cœur de pierre.

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L’idiot ★★★☆

Le cinéma russe n’en finit pas de démontrer sa vitalité. Après Léviathan en 2014 et Classe à part en 2015, L’Idiot ! vient d’être couronné au Festival de cinéma européen des Arcs.
Récompense méritée pour ce film de Yuri Bykov qui dénonce les failles, au sens propre et figuré, de la société russe.

Dans une petite ville de province, un plombier employé municipal découvre qu’un HLM est menacé d’effondrement. Sa conscience le pousse à sonner l’alerte mais il se trouve bien vite confronté à l’inertie bureaucratique et à la lâcheté.
L’Idiot ! – en russe Durak – n’est pas, on l’aura compris, l’adaptation du roman de Dostoïevski – en russe Idiot.

Ce film peut se lire à deux niveaux. Au premier, l’espace d’une nuit, c’est la tentative désespérée d’un individu de prévenir une catastrophe. Au second, c’est une métaphore de la société russe qui serait au bord de l’éclatement mais que personne, par lâcheté ou par impuissance, ne serait capable de sauver.

La conclusion du film, d’une lucide noirceur, n’incite pas à l’optimisme.

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Star Wars – Le réveil de la force ★★☆☆

Le battage médiatique autour de Star Wars VII m’avait porté sur les nerfs. Aussi avais-je quelque prévention à aller, tel un mouton de Panurge, le voir dès sa sortie. Mais l’enthousiasme de mes ados est venu à bout de mes réticences. Et dès le cultissime générique (A long time ago in a galaxy far far away) la musique de John Williams m’a transporté.
[Je réalise en recopiant cette formule que Star Wars est censé se dérouler dans le passé et non dans le futur]

Star Wars VII est une immense resucée des précédents épisodes
Comme si J.J. Abrams n’avait pas osé rompre avec les canons de la série. Les anciens personnages réapparaissent… trente ans plus vieux : Han Solo, la princesse Leia (« You changed your hair! ») et Luke Skywalker. Même R2-D2 a pris un coup de vieux.
Quand J.J. Abrams ne peut pas recycler les personnages, il copie-colle à l’identique les situations : le plan secret confié au droïde, l’antre des contrebandiers, le combat à mort du père et du fils sur une passerelle suspendue au-dessus du vide, l’attaque finale des forces de la Résistance contre l’Étoile noire…
Seule évolution significative de l’évolution des mœurs : le héros (qui, comme Luke au début du IV, regarde le soleil se coucher sur une planète désertique en attendant le retour de ses parents) est une… héroïne et son coéquipier est afro-américain.

On a l’impression de revoir le même film.
Ce qui sur le coup ne prête pas à conséquence. Au contraire : on sort de la salle euphorisé par ce bain de jouvence. Mais, à la réflexion, on se dit que les milliards déversés dans la conception – et le marketing – de ce nouvel opus l’ont été bien paresseusement.

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Au-delà des montagnes ★★☆☆

Jia Zhang-Ke est souvent présenté comme le plus grand réalisateur chinois contemporain. C’est peut-être vrai.

Son œuvre prend pour héros les exclus du miracle économique chinois : les résidents d’un village bientôt submergé par la mise en eau du barrage des Trois Gorges (Still Life), les locataires d’une cité ouvrière détruite par la construction d’une résidence de luxe (24 City), des habitants de Shanghai qui ne reconnaissent plus leur ville (I wish I knew).

« Au-delà des montagnes » essaie de peindre cette accélération de l’histoire que connaît la Chine contemporaine. Il le fait en racontant l’histoire d’une mère et de son fils que rien ne pourra jamais séparer (c’est le sens du titre chinois, que la traduction en français via l’anglais « Mountains may depart » a perdu en cours de route). Il le fait en trois séquences.  La première en 1999 voit la jeune Tao préférer l’ambitieux Zhang, qui incarne le capitalisme auquel la Chine a décidé de se vouer, à l’honnête Lianzi, incarnation d’un communisme désormais passé de mode. La deuxième en 2014 dresse le constat de la séparation du couple, leur fils, dont son père a obtenu la garde, perdant le contact avec sa mère.  Le troisième en 2025 se déroule en Australie où Zhang a trouvé refuge, son fils cherchant à renouer avec sa mère.

Narré en trois formats distincts (4/3 pour 1999, 16/9 pour 2014, Scope pour 2025), « Au delà des montagnes » se donne des airs d’épopée. Pourtant l’histoire de Tao et de son fils n’est pas suffisamment ample pour justifier un tel dispositif.

La bande annonce sur Allociné

Tangerine ★☆☆☆

J’ai déjà dit ici combien la miniaturisation était en train de révolutionner le cinéma.
« Tangerine » le montre, qui a été entièrement tourné avec trois iPhone 5S (pub !) équipés de lentilles anamorphiques.
On me dit que l’iPhone permet au cadreur d’être plus discret, plus proche des acteurs, de moins les intimider. Je veux bien le croire, mais je m’en fous un peu.
Je remarque simplement que l’image n’est pas mauvaise sauf qu’elle est saturée dans les oranges (tangerine = mandarine) et que c’est la signature graphique du film. Je veux bien le croire… mais c’est quand même très moche.

L’histoire ? Un(e) trans dénommée Sin-Dee Rella ( = Cinderella = Cendrillon !!) sort de prison. Il/elle n’a plus un radis et dépense ses dernières économies en mangeant un donut avec son/sa meilleur(e) copain/pine, Alexandra, qui lui apprend que son mec/mac le/la trompe. Circonstance aggravante, son mec/mac l’a trompé(e) avec une fille cisgenre [cette phrase n’a d’autre utilité que de glisser un mot compliqué dans un post par ailleurs dangereusement vulgaire] [cette phrase a une seconde utilité : vous obliger à googler « cisgenre » parce que j’en ai marre de la passivité avec laquelle vous me lisez !!].

Furieu(x)se, la donzelle monte sur ses grands chevaux et part à sa recherche. Comme vous l’imaginez, cher lecteur, chère lectrice, cher lecteur/lectrice transexuel(le), elles/ils feront en chemin bien des rencontres. Notamment un chauffeur de taxi arménien qui, pour lutter contre l’ennui d’une morne conjugalité, taille des pipes dans des car washes à de jeunes filles/hommes tarifé(e)s [quel bonheur de pouvoir écrire des trucs bien sales sans craindre la censure de Facebook !].

Dit comme cela, ça a l’air marrant. Mais en fait, ça ne l’est guère.
Les saynètes s’enchaînent. J’allais écrire « sans queue ni tête »; mais c’eût été un peu facile.
A la fin, tout le monde se retrouve pour une grande explication. On dirait « Femmes au bord de la crise de nerfs » filmé par Spike Lee – alternativement j’aurais pu écrire « Jungle Fever » filmé par Almodovar. Sauf que ça fait hélas aussi penser à « Ma femme s’appelle Maurice ».

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My skinny sister ★☆☆☆

Volontairement ou pas, le titre du film et son affiche miroitent (et je ne dis pas cela parce que Rebecka Josephson se regarde dans la glace !). Le titre annonce une sœur maigrichonne ; l’affiche nous montre une fille rondelette. Alors ? Erreur d’indexation ?
Oui et non. Comme « Mistress America », « My skinny sister » n’a pas une mais deux héroïnes.
D’un côté, Stella, 12 ans, qu’on voit sur l’affiche, dont la couleur des cheveux et la débrouillardise rappelle sa compatriote Fifi Brindacier (cette référence risque d’être totalement hermétique à toute personne née après 1970 !).
De l’autre, Katja, 16 ans, championne en herbe de patinage artistique, a la grâce et la sveltesse que sa jeune sœur envie.
Sauf que cette grâce, cette sveltesse a un secret que sa petite sœur découvre : Katja traverse des phases de boulimie et d’anorexie qui mettent sa santé en danger.

La réalisatrice suédoise Sanna Lenken, qui vécut la même expérience, réalise un film sur l’anorexie. La fraîcheur de ses héroïnes ne réussit pas à en faire oublier le didactisme pesant et la morale simpliste : l’anorexie est une maladie grave que seule l’amour d’une famille unie permet de vaincre. Un film à thème pour « Les Dossiers de l’écran » (lecteur né après 1975, ne t’inquiète pas de ne pas comprendre cette référence-là non plus !)

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Pauline s’arrache ★★★☆

Grâce aux progrès technologiques, on peut aujourd’hui tourner un film avec un téléphone portable. Nous sommes donc tous devenus, pour le meilleur et pour le pire,  des cinéastes en puissance.

Réalisé avec deux bouts de ficelle, « Pauline s’arrache » laisse augurer le pire : la chronique brouillonne de l’adolescence en révolte. Emilie Brisavoine, qui a filmé sa demi-soeur, n’a pas fait beaucoup d’efforts pour soigner son travail. L’image est mal éclairée. Le son est saturé. Le montage est paresseux.

Mais ces défauts formels ne doivent pas entamer l’excitation ressentie devant ce film. Pauline, 18 ans, affronte avec une énergie communicative les épreuves de l’adolescence : ses parents, son petit copain en font successivement les frais. Hystérique, excessive, elle est follement attachante.

Pauline n’est pas le seul sujet du film. Elle n’en est peut-être même pas le sujet principal. Car le récit se décentre progressivement, donnant de plus en plus de place à la mère et au père.  Ils ne forment pas un couple ordinaire. Lui est un travesti de dix ans plus jeune qu’elle. Leur couple semble à la fois terriblement conflictuel et incroyablement soudé.

Le mystère de ce couple hors norme n’est pas moins fascinant que l’incroyable énergie juvénile de leur fille.

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Le nouveau ★★☆☆

Le teen movie est un style à part entière outre-Atlantique dont l’excellent documentaire « Beyond Clueless » a récemment rappelé les ressorts obligés : un nouveau/une nouvelle arrive dans un lycée, y est froidement accueilli(e) mais finit par s’y intégrer. On en a tous vu un jour ou l’autre : Grease, American Graffiti, Lolita malgré moi (un titre à vomir … et un film à voir)
Bizarrement ce genre de films est plutôt rare en France. « La boum » malgré son immense succès n’a pas vraiment eu de descendance sinon « Lol » ou « Les beaux gosses ».

Cette longue introduction pour dire que « Le nouveau » constitue un teen movie français étonnant.
Du teen movie américain, il reprend le pitch : un nouveau fait sa rentrée au collège. Il peine à s’y insérer.
Mais « Le nouveau » ne va pas où on l’attend : Benoît ne sera pas élu délégué, il ne finira pas en couple avec la reine de beauté et ne parviendra pas vraiment à s’intégrer. Mais son parcours, autrement plus réaliste que celui, stéréotypé, que nous servent les teen movies américains, recèle beaucoup plus de richesse et de drôlerie.
Servi par de jeunes acteurs qui ne cabotinent pas, « Le nouveau » trouve le ton juste pour décrire cet âge où tout est grave mais rien n’est important.

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