Une jeunesse allemande ★★★☆

La jeunesse allemande que décrit Jean-Gabriel Périot dans ce documentaire est celle du post-nazisme soixante-huitard. Des enfants qui questionnent leur père : « Que faisais-tu en 1942 ? » « Ne ressens-tu aucune responsabilité ? »

La révolte de cette jeunesse contestatrice reste sympathique tant qu’elle emprunte des voies pacifiques : performance, street art, agit-prop… Elle devient plus inquiétante quand elle verse dans la lutte armée. Car la jeunesse allemande, que ce documentariste présente à un public français qui la connaît mal, est celle de la bande à Baader et sa dérive dans une violence nihiliste.

La figure d’Andreas Baader, rarement filmée, reste dans l’ombre. Celle d’Ulrike Meinhof prend toute la lumière. À peine sortie de l’adolescence, elle est invitée sur les plateaux où d’austères gérontes écoutent poliment ses argumentaires ciselés contre le capitalisme. Réalisant son impuissance, elle décide de passer dans la clandestinité. Son parcours, si logique et si absurde à la fois, fut celui d’une fraction de la jeunesse allemande hier. Il pourrait être celui d’une partie de la jeunesse française, révoltée à tort ou à raison contre le « système », aujourd’hui.

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Crimson Peak ★★★☆

Guillermo del Toro est un réalisateur fascinant. Il a résisté à la lessiveuse hollywoodienne (Hellboy, Hellboy 2, Pacific Rim) pour conserver l’identité visuelle de ses premiers films (Le Labyrinthe de Pan, L’Échine du diable).
Un cinéma gothique, fantastique, onirique (ça rime !)

Crimson Peak est son film le plus abouti qui mêle tous les genres sans perdre en cohérence.
Sa première moitié se déroule dans la bonne ville de Buffalo à la fin du XIXe siècle. On se croirait dans un roman d’Edith Wharton. Edith (!) Cushing, impeccablement interprétée par la blonde Mia Wasikowska (Alice au pays des merveilles, Jane Eyre), fille unique d’un veuf fortuné, gribouille des histoires de fantômes et s’amourache d’un nobliau anglais.
La seconde partie bascule dans le fantastique, lorsque l’innocente Américaine suit son jeune époux outre-Atlantique dans l’inquiétant manoir qu’il possède sur une lande battue par le vent.

Le scénario de Crimson Peak n’est pas surprenant, mais ce n’est pas un problème. L’intérêt de Crimson Peak est dans son visuel éblouissant. Chaque plan est millimétré. Chaque décor est étonnant. Chaque costume est parfaitement coupé.
Peu importe qu’on ne se laisse guère entraîner dans cette histoire de fantômes anglais, le plaisir des yeux emportant tout le reste.

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L’Homme irrationnel ★★☆☆

Le dernier Woody Allen (le 47e en date) reçoit des critiques contrastées : Télérama adore, Le Monde et L’Obs font la moue, Pif Gadget n’a pas tout compris.
Et moi ?
I. – Si un Woody Allen, même imparfait, reste un excellent film…
II. -… le réalisateur new-yorkais atteint peut-être les limites de son œuvre

I.- Ne boudons pas notre plaisir, Woody Allen reste toujours Woody Allen
On prend plaisir à le retrouver chaque automne aussi ponctuel qu’un roman de Amélie Nothomb ; avec ses acteurs toujours différents et toujours identiques, remarquablement dirigés, son débit, son humour, ses thèmes de prédilection.
Un mot sur sa tonicité : Woody Allen filme à tout allure. Avec lui, pas un temps mort, pas un instant d’ennui. Son montage est très cut, coupant les scènes sans attendre leur achèvement. Les dix premières minutes sont un modèle du genre, qui devraient être montrées dans les écoles de cinéma pour leur capacité à introduire et à caractériser les personnages.

II. – Mais le cinéma de Woody Allen tourne de plus en plus à vide. Comme une culture hors sol dans un milieu social CSP déconnecté de son époque et des enjeux qui la traversent.
Tout est artificiel dans L’Homme irrationnel. Joaquin Phoenix n’est pas crédible dans le rôle du professeur de philo dépressif. Emma Stone, aussi charmante soit-elle, ne l’est guère plus dans celui de l’étudiante enamourée. Et le meurtre parfait, façon Crime et Châtiment, qui meuble la seconde partie, se juxtapose pesamment à la comédie romantique qu’annonçait la première partie. Du coup, sans bouder son plaisir, on reste extérieur au film, spectateur d’un film plaisant qui nous divertit sans jamais nous happer.

Conclusion : Allez voir L’Homme irrationnel et faites-vous votre propre opinion !

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Belles Familles ☆☆☆☆

Belles Familles aurait pu être tourné dans les années 80. C’est ce qui en fait le charme. C’est ce qui en constitue la limite.

À quatre-vingts ans passés, Rappeneau n’a rien perdu de sa fougue. Il filme à sauts et à gambades. Délaissant les films en costumes qui ont fait son succès (Les Mariés de l’an II, Cyrano de Bergerac), il peint une famille française qui se dispute autour d’un héritage. Le sujet est grave : le père a abandonné sa femme et ses enfants pour refaire sa vie. Mais le film n’a rien de tragique. Rappeneau louche vers Courteline plutôt que vers Racine.

Et c’est bien là que le bât blesse. Le vaudeville, aussi talentueusement tourné soit-il, reste toujours du vaudeville. Si la scène finale, dans une abbaye gothique une nuit de festival, est un bijou de mise en scène, elle n’en constitue pas moins l’épilogue prévisible et moralisateur d’un drame pas assez grave pour émouvoir, d’une comédie pas assez drôle pour divertir.

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Adama ★★☆☆

Longtemps ignorée, la « force noire » est aujourd’hui mise à toutes les sauces. On débat à l’infini sur la contribution des tirailleurs sénégalais – qui n’étaient pas tous, loin de là, sénégalais – à la victoire alliée en 1918. Mais l’important est ailleurs : l’enrôlement de ces soldats noirs a mis en contact des populations qui ne se connaissaient pas. Des Blancs qui avaient des Noirs une image exotique et fantasmée ; des Noirs qui ne connaissaient des Blancs qu’en situation coloniale et eurent tôt fait de les désacraliser en combattant dans les mêmes tranchées.

C’est cette rencontre que le dessin animé Adama met en scène. Son jeune héros voit son frère partir à la guerre. Trop jeune pour s’enrôler à son tour, il s’enfuit de son village, grimpe clandestinement dans un cargo, débarque en France et ira jusqu’à Verdun pour ramener son aîné au village.

Véritable road-movie qui enchaîne à grande vitesse les étapes et les rencontres, servi par un graphisme élégant, Adama n’en reste pas moins un produit déconcertant. Trop sérieux pour les enfants qu’il ne distraira pas, trop puéril pour les adultes qu’il n’intéressera pas.

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Elser, un héros ordinaire ★★★☆

Le 8 novembre 1939, un menuisier allemand a failli assassiner Hitler à Munich. Georg Elser agissait sans complice. En eût-il cherché, il n’en aurait pas trouvé, comme il le concède lucidement, tant l’Allemagne nazie était à l’époque subjuguée par son maître. Mais l’isolement de Elser, loin de rendre dérisoire sa tentative, en fait sa grandeur. Son acte, c’est le sursaut irréductible de l’Homme contre la barbarie.

La thèse est belle. Elle est scrupuleusement mise en scène par Olivier Hirschbiegel, le réalisateur de La Chute et admirablement incarnée par Christian Friedel. Ils évitent le manichéisme qui aurait pu plomber le film : Elser a ses zones d’ombre et ses bourreaux ont leurs états d’âme.

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Seul sur Mars ★★★★

Seul sur Mars nous parle de l’Amérique (I) mais d’une Amérique qui change (II)

I. – Un film terriblement américain
A. – Une ode à l’individu… (Cf. Cast Away)
Formidablement positif, Seul sur Mars nous convaincrait presque que l’Homme est capable de survivre aux situations les plus périlleuses.
B. – … et au groupe (Cf. Saving Private Ryan)
Seul sur Mars… mais pas seul sur terre. Pour survivre, Matt Damon peut compter sur la solidarité de ses coéquipiers et de toute la communauté scientifique.

II. – Une Amérique qui change
A. – Une Amérique moins unilatéraliste
Le chimiste d’Ares 3 est allemand et le lanceur qui le ravitaille est chinois. On est loin du jingoïsme triomphant de Armageddon ou Mars Attacks!.
B. – Une Amérique moins machiste
L’expédition est commandée par une femme … Mais est-ce si étonnant de la part du réalisateur de Alien ?

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Mon roi ★★★★

Les critiques n’ont pas épargné le film de Maïwenn : trop impudique, trop hystérique, trop tout. Je n’y souscris pas. J’ai été touché. Maïwenn n’esthétise pas. Elle ne fictionnalise pas. Elle filme cash.

La relation entre Georgio et Marie-Antoinette (alias Tony) est juste de bout en bout. Leur première fois est filmée sans l’afféterie des embrasements romantiques et les lumières tamisées qui n’existent qu’au cinéma. On couche. On rit. On parle. C’est cru, mais vrai.

Leur relation est très moderne. Le couple en 2015 ne se vit plus – et ne se filme plus – comme avant. On est loin de Roméo et Juliette ou de César et Rosalie. L’amour fou vire vite à la folie. Excessifs dans le coup de foudre, les amants deviennent hystériques dans leur déchirement entrecoupé de réconciliations solaires.

Le film repose sur ses acteurs. Emmanuelle Bercot est le double de Maïwenn à l’écran. Elle en a l’énergie, les éclats de rire… les dents. Elle mérite haut la main sa Palme d’or. Vincent Cassel la méritait tout autant. Je n’ai jamais aimé sa tête de fouine et son jeu faussement décontracté, mais je dois reconnaître qu’il est parfait dans le rôle.

Elle n’est pas une gourde enamourée ; il n’est pas un pervers narcissique ; ils forment un couple incapable de vivre ensemble, incapable de rompre. Plutôt que Mon roi emprunté à Elli Medeiros, With or without you de U2 les aurait mieux résumés.

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Le Bouton de nacre ★★☆☆

Le bouton de nacre, c’est le prix payé par l’explorateur anglais Fitzroy pour convaincre un Indien de Patagonie, sitôt surnommé Jimmy Button, de le suivre à Londres au début du dix-neuvième siècle. C’est aussi le minuscule vestige laissé par une victime de la dictature pinochetiste jetée à la mer du haut d’un hélicoptère : un bouton de nacre est retrouvé au fond des océans sur le rail qui lestait son corps.

En exhumant un passé que le Chili souhaiterait refouler, Patricio Guzmán est, depuis quarante ans, la mauvaise conscience de son pays. L’auteur du Cas Pinochet et de Salvator Allende narre l’histoire de la relation compliquée du Chili à la mer : un pays qui dispose du plus long littoral au monde mais qui bizarrement lui a toujours tourné le dos. Il ose un parallèle audacieux entre le sort des Indiens de Patagonie et celui des victimes de la dictature pinochetiste.

Fable mystico-poétique ponctuée d’images (splendides) de la voie lactée, enquête ethnographique sur un génocide méconnu aux confins du monde habité, témoignage des années de plomb, Le Bouton de nacre est un documentaire d’une heure vingt ambitieux. Trop peut-être.

The Lobster ★★★☆

Dans un futur doucement totalitaire, le célibat n’est plus toléré. Les divorcés et les veufs sont envoyés dans un hôtel de luxe où quarante-cinq jours leur sont laissés pour retrouver une compagne. S’ils échouent, ils seront transformés en l’animal de leur choix. Le homard, c’est l’animal dans lequel le héros, interprété par Colin Farrell, a choisi d’être réincarné.

Le parti pris de Yorgos Lanthimos est radical. Comme dans Canine ou Alps, ses précédents films, il flirte avec le fantastique et l’absurde. Ici il s’attaque au modèle du couple et à l’injonction que nos sociétés nous adressent de nous y conformer. « Mariez-vous ! Accouplez-vous ! Sinon… »

Le sujet serait vite épuisé si le réalisateur n’avait l’intelligence de le renverser.
Car Colin Farrell, après avoir échoué à trouver une compagne, réussi à s’évader pour se réfugier dans les bois, auprès d’une bande de croquants en rupture de ban qui ont décidé d’interdire l’amour et de châtier l’empathie. Dans ce groupe, dirigé de main de fer par une Léa Seydoux en poncho kaki, Colin Farrell tombe vite amoureux de Rachel Weisz.
Du coup, le film gagne en complexité.

Entre le modèle du couple et la valorisation de la liberté individuelle, la société nous adresse des injonctions contradictoires. La réponse finale du réalisateur pourra sembler frustrante. Elle est, tout bien réfléchi, la plus intelligente qui soit.

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