Rocco ☆☆☆☆

« Rocco » c’est d’abord une grosse b…lessure d’amour propre pour le spectateur masculin. Le nu frontal de la première scène aura eu raison de son orgueil. Rocco est sans conteste un acteur hors catégorie. Et si les documentaristes Thierry Demaizière et Alban Teurlai (auxquels on doit le récent Relève tout à la gloire de Benjamin Millepied) réussissent à ne pas filmer de scènes qui les exposeraient à une interdiction au moins de dix-huit ans, un classement -16 ans les autorise à ne rien cacher du glorieux appendice de l’étalon transalpin.

Mais « Rocco » c’est surtout un double malaise.

D’une part le malaise d’être allé le voir dans une salle obscure au milieu d’un auditoire à 95 % masculin et solitaire. Et le malaise d’en parler ici, tiraillé entre l’honnêteté intellectuelle d’en rendre compte comme je rends compte des autres films que je vais voir au cinéma et la gêne de confesser des choix cinématographiques qui révèlent le cochon qui sommeille en moi (et en chacun d’entre nous ?)

D’autre part le malaise exactement symétrique du bourgeois horrifié et un peu bégueule. Car « Rocco » est un film profondément dérangeant. De quoi s’agit-il ? D’un pauvre Italien un peu perturbé du (gros) zizi, qui voue à sa défunte mère un respect morbide, qui a rencontré sa femme sur un tournage et qui demande devant la caméra à ses garçons, manifestement mal à l’aise avec le sujet, si la renommée de leur père les dérange. De son cousin qui lui sert tout à la fois de caméraman, de garde du corps et de souffre-douleur.

Et de femmes. De toutes ces femmes. La force de caractère de certaines force l’admiration : telle la star du porno Kelly Stafford qui explique, selon une logique toute hégélienne, que l’esclave soumise qu’elle se plaît à jouer est en fait le maître de son maître. Mais la vulnérabilité des autres émeut ou écœure : elle cette malheureuse débutante tchèque, aux seins pas encore siliconés, à la dentition imparfaite, à l’anglais rudimentaire, qui, pour décrocher un rôle, affirme crânement accepter toutes les pratiques mais qu’on sent terrifiée avant sa première DP.

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Maman a tort ★★☆☆

Anouk a quatorze ans. Ses parents sont divorcés. L’heure du stage en troisième a sonné qu’elle effectue dans la compagnie d’assurances qui emploie sa mère. C’est l’occasion pour la jeune fille de découvrir le monde du travail, ses lâchetés, ses compromissions.

Je ne serais pas allé voir « Maman a tort » si je n’en avais pas lu d’excellentes critiques : Les Inrocks, Télérama, Le Figaro et même Paris Match ! Unanimement, elles lui trouvent une fraîcheur et une justesse de ton que je lui reconnais volontiers. « Maman a tort » réussit, sans sombrer dans le manichéisme, à décrire le monde des adultes à travers les yeux d’une ado.

La jeune Jeanne Jestin évite les écueils du rôle et n’en fait jamais trop : elle a tout à la fois la fragilité de l’enfance, le charme bourru de l’adolescence et l’idéalisme de la jeunesse. Émilie Dequenne est elle aussi parfaite dans un rôle qui n’est pas sans rappeler celui que tenait récemment Virginie Effira dans « Victoria » : celui d’une jeune divorcée qui peine à être sur tous les fronts. Enfin, ce film est servi par une panoplie de seconds rôles attachants : Nelly Antignac et Camille Chamoux sont impayables en employées prétentieuses et idiotes.

« Maman a tort » louche d’un peu trop près vers les canons télévisuels et s’égare parfois dans le teen movie (insupportable romance avortée avec un autre stagiaire et inévitable meilleure copine déjantée). Mais il est sauvé par son dernier tiers qui, évitant le happy end, donne à l’intrigue un dénouement aussi plausible que cruel.

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Polina, danser sa vie ★★☆☆

Formée à la dure école du ballet russe, Polina pratique la danse classique depuis l’âge de quatre ans. Recrutée au Bolchoï, elle décide néanmoins de quitter son pays pour s’essayer à la danse contemporaine en France.

Angelin Preljocaj est un des plus grands chorégraphes français. Depuis bientôt vingt ans il dirige sa propre compagnie, installée au Pavillon noir d’Aix-en-provence – où une partie du film a été tourné. Il a réalisé des chorégraphies qui sont désormais célèbres : Le Parc, Roméo et Juliette, Blanche Neige… Avec sa compagne, la réalisatrice Valérie Müller, il porte à l’écran la bande dessinée à succès de Bastien Vivès.

Le parcours de Polina est ternaire. Dans un premier temps, en Russie, elle se forme par l’imitation. Puis, au moment de voir ses efforts couronnés de succès, elle décide de rompre avec les conventions et d’abandonner la danse classique. Elle le fera non sans difficultés, entre Aix-en-Provence – où l’accueille une chorégraphe interprétée par Juliette Binoche – et Anvers, la capitale européenne de la danse contemporaine – où elle enchaîne les petits boulots pour survivre. C’est seulement dans un troisième temps, et dans un duo sublime, qu’elle trouvera sa voie.

« Polina : Danser sa vie » est, comme son titre l’annonce, divisée entre deux registres. Le premier serait de raconter l’histoire d’une danseuse. Le second serait de la regarder danser. Sans doute Angelin Prejlocaj et Valérie Müller sont-ils plus à laise dans le second : « Polina » contient quelques séquences de danse, classique ou contemporaine, d’une grâce infinie. Mais ils sont plus maladroits dans le premier, la faute peut-être à l’héroïne qui, tel l’albatros de Baudelaire, cesse de nous toucher quand elle cesse de danser.

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Le Voyage au Groenland ★★☆☆

La trentaine bohème, Thomas rend visite à son père installé depuis une vingtaine d’années dans un petit village du Groenland. Il est accompagné d’un ami qui, comme lui, se prénomme Thomas et, comme lui, vit à Paris de petits rôles.

Sébastien Betbeder filme la suite de Inupiluk, un court métrage sur la visite de deux Inuits à Paris. Thomas Blanchard et Thomas Scimeca y tenaient déjà leur propre rôle. Cette fois-ci, c’est à eux de faire le chemin inverse et de bénéficier de l’hospitalité de leurs hôtes groenlandais.

Autant dire que ce Voyage au Groenland est exotique en diable. Sans chercher l’insolite ou le grandiose, la caméra les trouve rien qu’en filmant le calme village de Kullorsuaq, posé au bord de l’océan pris dans les glaces. La vie y suit calmement son cours, sans drame ni coup de théâtre.

Ce parti pris naturaliste est la plus grande qualité de ce fil aux allures de documentaire, de ce documentaire scénarisé comme un film. Il crée une ambiance douce, bienveillante, tendre, à la fois dépaysante et familière. Mais, faute d’enjeu narratif – si ce n’est une amourette avec une jolie autochtone et la maladie de cœur du père -, ce Voyage au Groenland se condamne au surplace.

Il aurait fait, sur le même format que Inupiluk, un excellent court métrage de trente-quatre minutes. Il en fait soixante-quatre de plus. Soixante-quatre de trop.

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La Sociale ★★☆☆

La Sécurité sociale est née en 1945. Ce documentaire retrace son histoire et réhabilite la figure de Ambroise Croizat, son père fondateur. Il en prend la défense et récuse les critiques néolibérales qui lui sont adressées.

Gilles Perret est un vieux routier du documentaire dont les récentes réalisations se fraient un chemin en salles. Très ancré dans son terroir haut-savoyard où il s’attache à recueillir la parole des acteurs, il revendique un cinéma engagé à gauche dans la défense des idéaux de la Résistance  (Walter, retour en résistance, 2009) ou la dénonciation des travers de la mondialisation  (Ma mondialisation, 2006).

C’est donc un plaidoyer univoque pour la Sécu qu’il réalise en faisant parler les archives, les historiens qui les ont étudiés et les derniers acteurs de sa création. Particulièrement attachant est le témoignage de Jolfred Fregonara (quel nom !), 96 ans, cégétiste et communiste, membre fondateur de la première caisse de sécurité sociale de Haute-Savoie.

Gilles Perret est moins convaincant quand il s’attaque à l’histoire immédiate. Alors que l’évocation de la figure d’Ambroise Croizat occupe une bonne moitié du documentaire, la réforme de 1967, la création de la CSG en 1988 et les grèves de 1995 font l’objet de mentions trop brèves pour être pertinentes.

Sans doute ce documentaire a-t-il ses vertus. Mais sa réalisation bien sage peine à susciter l’enthousiasme. Avec Sicko Michael Moore brossait un tableau décapant de l’état de délabrement du système de santé américain. Gilles Perret n’a ni son humour frondeur ni son sens du rythme. Dommage.

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La Supplication ★☆☆☆

Svetlana Alexevitch a reçu le prix Nobel de littérature l’an passé. Ses livres font entendre la voix, patiemment enregistrée, des témoins de l’histoire : les femmes ayant combattu pendant la Grande guerre patriotique de 1941-1945 (« La Guerre n’a pas un visage de femme »), les soldats de la guerre d’Afghanistan (« Les Cercueils de zinc ») ou les survivants de Tchernobyl (« La Supplication »).

C’est ce dernier livre publié en 1997 que le réalisateur luxembourgeois Pol Cruchten porte à l’écran, pariant probablement sur la récente notoriété que l’attribution du prix Nobel a conférée à son auteure.

Hélas, le pari est loin d’être réussi. Un recueil de témoignages peut faire un excellent livre. C’était le cas de « La Fin de l’homme rouge » qui avait fait connaître Alexievitch en France et que j’avais adoré. Mais il ne fait pas nécessairement un bon film. Pendant que des voix off psalmodient (en français) le texte de Alexievitch, Cruchten tourne des images de Tchernobyl et de Pripiat, la ville fantôme, abandonnée de ses habitants et peu à peu conquise par la végétation. Ces images sont désormais connues et n’inspirent aucune émotion. On s’ennuie ferme pendant une heure vingt-six.

Sur Tchernobyl, la fiction réalisée en 2011 par Michale Boganim, « La Terre outragée », était autrement réussie.

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Le Disciple ★★★☆

Dans un lycée de Russie, Veniamine est un élève à problèmes. Il sèche les cours, insulte ses professeurs, se bat avec ses camarades. La cause ? Une profonde crise de mysticisme et une lecture littérale de la Bible qui le pousse à condamner la société qui l’entoure : les filles en bikini à la piscine, le darwinisme enseigné en cours de biologie, l’homosexualité d’un de ses camarades…

Une fois encore le cinéma russe frappe fort. Deux ans après « Léviathan », un an après « Classe à part » – qui avait déjà le lycée pour cadre – c’est à la Russie qu’ont doit l’un des films les plus dérangeants de l’année. On n’oubliera pas de sitôt le personnage de Veniamine. Il rappelle inévitablement l’exaltation des héros dostoïevskiens. Une lueur de folie brille dans ses yeux. La Bible à la main, ses versets à la bouche, il crache sa haine à la société, à sa mère, à ses enseignants. Son obnubilation illustre l’aveuglement que le fondamentalisme religieux peut faire naître.

Mais ce qui est plus glaçant encore est la réaction de son entourage. Un seul personnage se dresse face à lui : sa professeur de biologie qui essaie de retourner ses propres armes contre lui, citant, comme il le fait, la Bible pour en montrer l’ambiguïté et la polysémie. Le reste de son entourage brille par sa lâcheté sinon par sa veulerie : sa mère est dépassée par les événements, son professeur de sports préfère draguer les filles en bikini et la directrice de l’école veut éviter les drames.

Le dénouement du drame est particulièrement édifiant. Ce qu’il révèle de la société russe n’incite pas à l’optimisme.

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Arès ★★★☆

En 2035, la France compte quinze millions de chômeurs et Paris est devenue une ville du tiers-monde. L’État en faillite a cédé le pouvoir aux groupes pharmaceutiques dont les produits anabolisants dopent en toute légalité les champions de l’Arena, un sport martial ultra-violent. Reda est un vieux boxeur sur le retour. Tout bascule pour lui le jour où le grand groupe Donevia teste sur lui son dernier produit.

Le cinéma français n’a jamais été à l’aise avec la science-fiction. « Babylon A.D. » fut un bide retentissant malgré l’ampleur des moyens déployés. « Gaz de France » sorti en début d’année est passé inaperçu et ne méritait pas autre chose. Cet « Arès » démontre toutefois que le cinéma français est capable de faire un film d’anticipation réussi sans la débauche de moyens mobilisés dans les super-productions de Luc Besson.

Pas de navette spatiale ou de combat intergalactique, mais une dystopie intelligente et bien filmée qui imagine un future anarchique, poisseux comme l’était celui de « Blade Runner » ou de « Soleil vert » (les images ont été tournées en Chine et en Ukraine et remarquablement mixées à des panoramas parisiens connus). Sur ce fond politique hélas réaliste s’écrit une histoire simple de rédemption et de machination. La rédemption d’un faux salaud, le héros, Arès, colosse bourru au cœur tendre interprété par Ola Rapace. Et la machination ourdie par les affreux capitalistes de Donevia, la multinationale présidée par Louis-Do de Lencquesaing caricatural à souhait.

Évidemment, « Arès » ne brille pas par sa subtilité. C’est un divertissement qui n’a pas la prétention de viser plus haut. Mais c’est un divertissement efficace dont je prends le pari qu’il aura son petit succès, sinon dans les salles (il est trop mal distribué pour l’espérer), du moins sur Internet.

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Seul dans Berlin ★☆☆☆

En juin 1940, alors que l’Allemagne nazie fête sa victoire sur la France, Otto et Anna Quangel pleurent la mort de leur fils unique tombé au champ d’honneur. Ils décident d’entrer en résistance en écrivant et en distribuant des cartes postales contre Hitler.

Un peu comme « Suite française » d’Irène Nemirowsky, le roman de Hans Fallada, écrit en 1946, dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », a connu un succès tardif et retentissant. Après une première traduction française en 1967 chez Plon, passée inaperçue, Denoël publie à nouveau « Jeder stirbt für sich allein » en 2002. Je l’ai lu entre Mascate et Shompole (mais là je frime). Le succès est cette fois ci au rendez-vous. Le livre est monté au théâtre, aux Amandiers et au Lucernaire où j’ai trainé mes ados maussades (je continue à frimer, un peu moins, mais encore trop). Il est traduit en anglais en 2009.

L’adaptation cinématographique était un produit dérivé inévitable. Elle est bizarrement l’œuvre de Vincent Perez, acteur populaire passé derrière la caméra, dont l’intérêt pour la Seconde guerre mondiale était jusqu’à présent peu médiatisé. Son film fut paraît-il difficile à réaliser. Et dès la première image on comprend pourquoi.

Tout sonne faux. Pour une raison simple. Les acteurs parlent anglais. Les Britanniques Emma Thompson et Brendan Gleeson – ce qui pourrait à la limite se comprendre – et même l’Allemand Daniel Brühl – ce qui est un comble. Ce choix linguistique calamiteux – dont on imagine qu’il a été dicté par le souci de toucher un public anglo-saxon rétif aux sous-titres – condamne inéluctablement ce film à n’être qu’une reconstitution empesée et désincarnée.

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Louise en hiver ★★☆☆

Alors que l’été se termine à Biligen-sur-mer, Louise rate le dernier train qui part vers la ville. Restée seule dans la cité balnéaire désertée, elle se prépare à affronter l’hiver.

La vieille dame et la mer. Le film d’animation de Jean-François Laguionie n’a pas grand’chose à voir avec le célèbre roman de Ernest Hemingway. Il n’y est pas question de pêche au thon ni de pêcheur tenace. L’auteur de « L’île de Black Mór » et « Le Tableau » raconte l’histoire d’une femme au crépuscule de sa vie qui finit par s’accommoder de la solitude à laquelle elle est condamnée. Après s’être construite une cabane sur la plage et s’être fait un compagnon d’un chien errant, elle s’organise une vie bien réglée.

La forme nourrit le fond. Les décors de « Louise en hiver » sont au diapason de l’histoire qu’il raconte : une gouache granuleuse aux tons pastels d’une grande tendresse. Flottant entre le présent et le souvenir, le rêve et la réalité, le sommeil et la veille, « Louise en hiver » est un film très doux, un peu triste, presque neurasthénique.

Pourquoi deux étoiles et pas trois ? Parce que, tout en reconnaissant les qualités de ce film, je n’ai pas été touché autant que j’aurais pu l’espérer. Soit que je n’étais pas hier dans le bon état d’esprit pour l’accueillir. Soit que cette histoire de vieille dame rêveuse est en fait trop insignifiante pour réellement susciter l’émotion.

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