Dans la religion orthodoxe, la famille et les proches se réunissent quarante jours après la mort d’un défunt. C’est cette réunion commémorative que filme Cristi Puiu dans un appartement de Bucarest.
Des réunions de famille, on en a déjà vues au cinéma. Des drôles (Un air de famille de Cédric Klapisch), des tristes (Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin) ou carrément des trash (Festen de Lars von Trier). Cristi Puiu fait le pari monstrueux de filmer une réunion de famille dans toute son interminable et désordonnée durée. On a beau y arriver en retard avec Lary, le fils aîné, et Laura, son épouse pimbêche, cette réunion s’éternisera pendant deux heures cinquante trois… Et encore Cristi Puiu l’interrompt-il lorsque la première bouchée du repas sans cesse retardée est enfin enfournée.
Cette durée monstrueuse, ce temps dilaté sont filmés – c’est le second pari du réalisateur – depuis le hall d’entrée d’un appartement. Les personnages vont et viennent, de la cuisine au salon, de la salle à manger à la chambre, passent et repassent devant la caméra, échangent quelques mots d’un dialogue interrompu et pas toujours très compréhensible. Le parti pris aurait pu être plus radical encore, filmant en temps réel, comme dans La Corde ou Victoria, une tranche de vie qui se joue devant nous. Cristi Puiu se permet quelques ruptures et quelques changement de focale. La caméra pénètre parfois dans une pièce, singularisant une discussion, un groupe.
On attend, comme dans Festen un événement : une révélation peut-être ou un drame. Mais cette attente est vaine ; car c’est la vie, ni plus ni moins, qui se joue : une vieille voisine ose être nostalgique du communisme, un cousin expose ses théories paranoïaques sur le 11-septembre ou Charlie Hebdo, une tante pleure un mari infidèle. On attend le pope qui vient bénir le costume du défunt ; puis on est interrompu par l’oncle volage qui essaie de récupérer sa femme. Enfin on passe à table. Deux heures cinquante trois plus tard. Le repas a commencé. Y aura-t-il une suite ?