Fixeur ★★☆☆

Fixeur (n.m.) : Personne employée (comme guide, interprète etc.) par un(e) journaliste pour faciliter son travail.
Radu travaille pour l’Agence France Presse (AFP) à Bucarest. Quand il apprend que deux prostituées mineures sont rapatriées de France vers la Roumanie, il propose à une équipe française de télévision d’organiser une rencontre.

Le cinéma roumain produit des pépites. Les films de Cristian Mungiu (Baccalauréat), Cristi Puiu (Sierranevada) ou de Corneliu Porumboiu (Le Trésor) décrivent une société âpre où l’individu est confronté à des dilemmes éthiques. Le précédent film de Adrian Sitaru (Illégitime) m’avait enthousiasmé. J’attendais beaucoup de Fixeur. J’en ai été un peu déçu.

Fixeur traite de la déontologie du journaliste. Quelles compromissions peut-il accepter pour décrocher un scoop ? Quel respect doit-il aux personnes qu’il interviewe ? Jusqu’où peut-il orienter leurs réponses ? Doit-il s’inquiéter des conséquences de leur témoignage sur leur vie et sur leur sécurité ? Les questions sont nombreuses et elles ouvrent autant de pistes potentiellement très fécondes.

Hélas, on sent Adrian Sitaru étrangement retenu. Comme s’il n’était pas allé jusqu’au bout de son projet.
L’intrigue se réduit à pas grand chose. Radu accompagne un journaliste français et son cameraman dans la région de Cluj. Ils retrouvent la trace de Anca, jeune mineure de quatorze ans, traumatisée par le mois qu’elle a passé sur le trottoir à Paris et inquiète des représailles qu’elle pourrait subir pour avoir donné son proxénète à la police. Elle a trouvé refuge chez des religieuses qui refuse son accès aux journalistes.
Le film se termine par la rencontre d’Anca et de Radu. Non ! ce n’est pas un spoiler ! C’est son affiche ! Cette rencontre déçoit. Car il ne s’y produit rien qu’on n’escomptait pas. Est-on blasé des mille horreurs dont les actualités et la fiction nous mitraillent quotidiennement pour ne plus être bouleversé par une gamine de quatorze ans qui dit face caméra « Cinquante euros la pipe et l’amour » ? Peut-être.

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Sage-femme ★☆☆☆

Claire est sage-femme en banlieue parisienne. Elle reçoit un appel de Béatrice, l’amante fantasque qui, près de quarante plus tôt, avait brisé le cœur de son père. Béatrice, atteinte d’une tumeur cancéreuse au cerveau, ignore que le père de Claire s’est suicidé après son départ.

Le dernier film de Martin Provost (réalisateur du pluri-césarisé « Séraphine » en 2009) rappelle ceux de Sautet : une histoire bien française de famille, de maîtresse, de regard jeté en arrière sur une vie bien remplie et pourtant trop tôt achevée. C’est ce qui en fait le charme. C’est aussi ce qui en constitue la limite.

Car Martin Provost tourne en 2016 comme on aurait tourné quarante ans plus tôt. Avec certes autant de sensibilité. Mais avec guère plus de talent.

Pour filmer cette histoire intemporelle, il fait appel à deux monstres sacrés du cinéma français. A soixante-dix ans passés, Catherine Deneuve est parfaite dans le rôle d’une flamboyante maîtresse au crépuscule de sa vie, condamnée à squatter les appartements de ses anciens amants et à gagner aux cartes l’argent qui lui brûle les doigts. Pourtant, notre star nationale n’a pas si bien vieilli. Le botox se voit sur son visage, les kilos en trop aussi.

L’autre Catherine est censée jouer le rôle d’une femme de quarante neuf ans. Elle en a dix de plus. Claire est, dans le film, une femme sage autant qu’une sage-femme. Un modèle d’abnégation qui a perdu son père dans sa prime adolescence et qui ne s’est jamais entendue avec sa mère. Mère d’un fils sans père, elle est à cet instant de sa vie où son enfant va quitter le cocon familial et la laisser seule. Aussi excellente soit-elle, Catherine Frot n’était pas la meilleure pour ce rôle qui l’oblige à mettre sous l’éteignoir la petite graine de folie dont elle égaie ses interprétations.

Comme on s’y attend, les deux femmes se rencontrent, s’observent, se rapprochent. Les ennemies deviendront complices. Claire, qui ne boit ni ne fume, va s’encanailler. La rencontre de Paul, un routier philosophe, n’y sera pas étrangère. Là encore : rien à redire à l’interprétation aux petits oignons du toujours parfait Olivier Gourmet. Sauf que ce personnage masculin vient déséquilibrer un duo dont la densité dramaturgique ne suffisait pas à tenir la durée d’un film.

Que dire enfin de la lourde métaphore de la maternité, de l’accouchement, de la transmission (entre Béatrice, la femme sans fille, et Claire, la fille sans mère) ? Sur un mode quasi-documentaire, on voir un accouchement. Un deuxième. Un troisième. Un quatrième. C’est beaucoup.

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Grave ★★★☆

Justine intègre l’École vétérinaire. Elle y retrouve sa sœur. Elle est végétarienne. Durant le bizutage, on la force à manger un rognon de lapin. Son comportement en est étrangement altéré.

« Grave » est arrivé sur nos écrans lesté d’une réputation flatteuse. Le film avait fait sensation à la Semaine de la Critique à Cannes l’an dernier. Réalisé par une jeune femme issue des rangs de la Femis, il signerait le renouveau du cinéma français. Film « cross-over », il réconcilierait le roman d’initiation et le film d’horreur.

« Grave » a produit sur moi un effet paradoxal. Sur le coup, je ne lui ai pas trouvé grand chose. Mais plus j’y pense, plus je lui trouve d’intérêt.

Pourquoi ce peu d’enthousiasme initial ? Parce qu’en faisant de son héroïne une cannibale, « Grave » bascule dans un gore auquel il est difficile d’adhérer – et qui ne fait même pas peur. C’est le problème du cannibalisme, un thème pourtant souvent traité au cinéma (« Trouble Every Day » de Claire Denis, « Dans ma peau » de Marina de Van, « Only Lovers Left Alive » de Jim Jarmusch…) : je n’arrive pas à le prendre au sérieux. Quand c’est bien fait, je peux à la limite éprouver une once de peur ; mais la plupart du temps, le fou rire n’est pas loin. Et, dans un cas comme dans l’autre, la crédibilité est aux abonnés absents. Alors ne venez pas me parler de la « scène du doigt » dont on fait grand cas. Je n’y ai pas adhéré pas. Pas du tout.

Pour autant, depuis ma sortie de la salle, le film a creusé sa marque dans mon esprit. Et plus j’y pense, plus je le trouve intéressant. Ou pour le dire autrement : intelligent. Que sa réalisatrice soit une ancienne élève de Normale Sup n’y est peut-être pas pour rien. Car « Grave » ne se réduit pas à un aimable film de série B, vite vu, vite oublié, du genre « La vétérinaire vénère » ou « Justine l’aime cru ».

« Grave » brasse beaucoup de sujets. Et les brasse bien.
La découverte de la sexualité d’une jeune fille un peu coincée qui quitte pour la première fois le cocon familial.
Les liens du sang qui unissent une enfant à sa sœur et à ses parents. Pour le meilleur et pour le pire.
Le désire de s’intégrer et le refus d’entrer dans la norme
La transgression et l’ivresse qu’on y trouve.
L’addiction et la difficulté de s’en sevrer.

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Wrong Elements ★☆☆☆

Au nord de l’Ouganda, depuis près de trente ans, la Lord’s Resistance Army (LRA) est entrée en rébellion. Son chef, Jospeh Kony, n’hésite pas à kidnapper des enfants, des filles pour les réduire en esclaves sexuelles et des garçons pour en faire des soldats fanatisés. Jonathan Littell, l’auteur des Bienveillantes, prix Goncourt 2006, filme quatre d’entre eux, revenus à la vie civile.

Difficile de ne pas être écrasé par un sujet aussi grave. Moins connus que le génocide rwandais, les crimes perpétrés par la LRA en Ouganda n’en sont pas pour autant moins choquants : la durée exceptionnelle de la rébellion, le nombre des victimes qu’elle a causés (100 000 morts, 2 millions de déplacés), le fanatisme de son leader, le recours systématique aux enfants soldats en font un exemple tristement caractéristique de violence politique extrême. Il n’est dès lors pas surprenant que l’auteur des Bienveillantes s’y soit intéressé. Comme dans son roman-fleuve, c’est le mal qu’il dissèque, comment on le fait, comment on supporte de l’avoir fait.

A ce titre, les ex-enfants soldats de la LRA constituent une population chimiquement pure. Victimes innocentes d’un kidnapping, peuvent-ils être tenus pour coupables des exactions qu’ils ont commises ? La caméra de Jonathan Littell n’est pas neutre qui montre des ex-soldats pudiques et souriants dont les rares confessions les posent en victimes plus qu’en coupables. Utilisant exactement le même procédé, le documentariste Joshua Oppenheimer aboutissait à un résultat inverse en allant à la recherche des tortionnaires indonésiens auteurs des crimes commis en 1966 contre la rébellion communiste (The Act of Killing, The Look of Silence).

Le problème est ailleurs. Il est dans le décalage entre l’ambition philosophique du projet et sa réalisation cinématographique. Pour le dire plus brutalement : Jonathan Littell pense bien mais filme mal.
Les témoignages des ex-recrues de la LRA sont rythmés par de longs plans séquences d’une savane filmée dans une lumière inutilement esthétisante. La musique est au diapason, qui invite au recueillement. Mais pourquoi diable avoir choisi Bach ou Biber ?
Plus grave : le montage. Pendant une heure, on suit Geoffrey et Mike, Nighty et Lakwena. Le film pourrait s’arrêter là. Mais, Jonathan Littell lui greffe une autre séquence : la remise du chef Dominic Ongwen à l’Union africaine avant son transfert à la Cour pénale internationale de La Haye. Du coup, la durée du film double avec au final une séquence, certes émouvante, mais qu’on sent reconstituée pour les besoins du documentaire, où l’on voit Geoffrey revenir dans un village qu’il avait razzié lorsqu’il œuvrait dans les rangs de la rébellion.
Une dernière irritante interrogation : que faut-il comprendre du titre ? L’expression Wrong Elements est empruntée à Alice Auma Lakwena, l’inspiratrice de la LRA : « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments ». De quels « mauvais éléments » parle-t-on ? De ces quatre victimes devenues à leur corps défendant des bourreaux ? Pourtant, tant aux yeux de la prophétesse acholi que de ceux du réalisateur franco-américain, ils ne sont pas de mauvais éléments. Alors ?

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Fences ★☆☆☆

L’action commence en 1957 à Pittsburgh. Elle se déroule pour l’essentiel au foyer de Troy Maxson un Afro-américain d’une cinquantaine d’années marié à Rose. Dans sa jeunesse, Troy fut un surdoué du baseball auquel les lois raciales interdirent de faire carrière dans le sport. Éboueur pour la ville de Pittsburgh, il remâche sa rancœur. D’un premier lit, il a eu un fils, Lyons, qui peine à  vivre de sa musique et ne cesse d’emprunter de l’argent à son père. Avec Rose, il a eu un second fils, Cory, qui espère, contre les conseils de son père, passer professionnel en football américain.

« Fences » repose sur un double malentendu. Le premier aurait pu être surmonté ; le second, hélas, est fatal.

Réalisé par Denzel Washington, « Fences » donne au sympathique acteur le rôle principal d’un … salopard. Car c’est bien à cela que se réduit le personnage de Troy Maxson. Sans doute son caractère s’explique-t-il par son enfance misérable, ses rêves contrariés de carrière, son passage en prison. Mais, tous comptes faits, Troy est un salaud qui trompe sa femme aimante et tyrannise ses enfants.
L’ambiguïté est d’avoir confié ce rôle au plus sympathique des acteurs. Pendant presque tout le film, on s’attend à ce que l’acteur et son double se retrouvent : Troy Maxson va-t-il faire tomber la carapace du salaud pour révéler la bonté prisonnière au fond de lui ?

Plus grave est le malentendu provoqué par la mise en scène. « Fences » est au départ une pièce de théâtre. Ecrite en 1983 par l’immense dramaturge afro-américain August Wilson, elle s’est vu décerner le prix Pulitzer en 1987. Le rôle de Troy Maxson a été créé par James Earl Jones et repris à la scène par Denzel Washington lui-même.
Le film « Fences » porte la trace de cette trop lourde généalogie. C’est du théâtre filmé dans ce qu’il a de pire : des décors statiques auquel une caméra virevoltante essaie sans succès de donner du mouvement, des dialogues interminables et trop écrits dont une interprétation, au demeurant excellente, ne parvient pas à restaurer la spontanéité.

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Les fleurs bleues ★★☆☆

Tandis que la chape de plomb du communisme s’abat sur la Pologne de l’après-guerre, le peintre Władysław Strzemiński qui refuse se faire obédience aux nouvelles règles artistiques imposées par le pouvoir, est lentement marginalisé.

Filmé dans la blancheur glaciale de l’hiver, « Les Fleurs bleues » n’ont rien de printanier. C’est moins un hymne à la peinture qu’une description presque masochiste de la déchéance d’un homme, brisé par un système auquel il refuse de céder.

« Les Fleurs bleues » est le dernier film de Andrzej Wajda (1926-2013). A plus de quatre-vingt dix ans, le grand réalisateur polonais signe une œuvre qui résume toute son œuvre. Par sa forme très classique. Mais surtout par les thèmes qu’il traite, empruntés à l’histoire nationale polonaise : critique du communisme, refus de la compromission, exaltation de l’abnégation.

Toute sa vie durant, Wajda a défié les autorités de son pays. À l’époque communiste, la palme d’or attribuée en 1981 à « L’Homme de fer » lui a conféré une célébrité internationale le préservant du risque de persécution. Couvert d’honneurs dans la Pologne post-communiste, il n’hésite pas à ferrailler contre les dérives de la classe politique. « Les Fleurs bleues » peut se lire comme une dénonciation du PiS, le parti de droite national-conservateur qui a remporté les dernières élections de 2015 et dirige le pays dans une inquiétante impasse.

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L’Autre côté de l’espoir ★☆☆☆

Khaled a fui la Syrie. Il débarque par hasard en Finlande. Il dépose une demande d’asile qui est bientôt rejetée. Sur le point d’être reconduit vers la Turquie, il s’échappe du centre de rétention.
Wikstrôm change de vie. Il quitte sa femme et son emploi et rachète un restaurant dont il entend moderniser la gestion.
Le destin de ces deux solitaires va se croiser.

Voilà plus de trente ans qu’on connaît les films de Aki Kaurismâki. Cette curiosité et cette fidélité ont probablement deux motifs. Le premier est le snobisme de pouvoir citer et prononcer le nom d’un réalisateur finlandais – je serais bien en peine d’en citer un autre. Le second est l’intérêt que suscite la profonde originalité de son œuvre.

Car les films du géant finlandais, qu’il écrit, produit et réalise, sont reconnaissables au premier coup d’œil. Des plans fixes sans aucun mouvement de caméra. Des personnages taciturnes qui ne sourient jamais filmés en plan américain. Un éclairage très puissant accentuant les couleurs et les contrastes. Un décor intemporel évoquant l’esthétique industrielle de l’URSS (ou de la Finlande ?) des années 50. Une quasi-absence de dialogue et de musique extradiégétique ; mais l’omniprésence de musiciens qu’on écoute jouer longuement Un humour cynique cachant un profond humanisme.

La marque de fabrique des films de Kaurismäki est désormais solidement établie. Au point de remporter un succès grandissant dans les festivals. « L’Autre côté de l’espoir » lui a valu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au dernier festival de Berlin. « Le Havre » avait emporté le prix Louis-Delluc en 2011. « L’Homme sans passé » avait reçu le Grand Prix au festival de Cannes en 2002.

Cette avalanche de récompense est suspecte. Elle consacre un cinéma qui creuse un sillon dans lequel Kaurismäki se sent à l’aise et ne se met plus en danger. « L’Autre côté de l’espoir » ressemble trop à son précédent film, « Le Havre », où un jeune immigré gabonais était recueilli par un cireur de chaussures au grand cœur. Quant aux thèmes qu’il aborde (la dénonciation de la xénophobie, l’indispensable solidarité humaine), ils sont si évidemment admirables que leur candide ressassement finit par lasser.

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Paula ★☆☆☆

En 1900, Paula Becker a vingt-quatre ans. C’est une jeune femme émancipée qui veut consacrer sa vie à sa passion, la peinture, et veut briser le carcan dans lequel les femmes sont encore enfermées. Dans la colonne d’artistes de Worpswede, près de Brême, elle rencontre un jeune veuf, peintre comme elle. Elle l’épouse. Mais elle rêve de partir à Paris y élargir sa palette.

Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker jusqu’à l’exposition que lui a consacrée l’an dernier le Musée d’art moderne de la ville de Paris. J’ai patiemment fait la queue pour y accéder et ai découvert des nus, des autoportraits, des paysages caractérisés par un refus aussi radical de l’esthétisme que du vérisme. Cette exposition m’a donné envie de lire le livre qu’a consacrée à la peintre Marie Darrieussecq (qui prend encore la poussière sur ma P.A.L.), de voir le documentaire qui en a été tiré et enfin ce film sorti en Allemagne l’an passé.

Le biopic de Christian Schwochow n’échappe pas hélas à l’académisme contre lequel Paula s’est rebellée sa vie durant. Il suit paresseusement l’histoire de sa vie de son arrivée à Worpswede en 1900 jusqu’à sa mort sept ans plus tard.

Le film hésite entre deux partis. Faute de moyens, ce n’est pas une immense fresque historique qui brosse la Belle époque, entre Worpswede et Paris – dont on réalise quelle attraction elle exerçait sur les milieux artistiques allemands. Ce n’est pas non plus un drame intimiste construit autour des tourments de Paula, mariée à un homme incapable de lui faire l’amour et cherchant à Paris un père pour l’enfant qu’elle rêve d’avoir.
L’actrice Carla Juri ne m’a pas convaincu. C’est elle pourtant qui a été retenue pour jouer dans « Blade Runner 2049 » aux côtés de Harrisson Ford et de Ryan Gosling.

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Paris pieds nus ★★☆☆

Depuis plus de dix ans, le duo belgo-canadien Abel & Gordon signe des films aussi improbables que la rencontre de ces deux nationalités : « L’Iceberg » (2005), « Rumba » (2008), « La Fée » (2011). Pour la première fois, il pose sa caméra à Paris, sur les berges du seizième arrondissement, entre la Tour Eiffel et l’île aux cygnes. Fiona (Fiona Gordon) y campe une postière canadienne débarquée dans la capitale à la recherche de sa vieille tante gentiment foldingue (Emmanuelle Riva). La rousse voyageuse y fait la rencontre de Dom, un SDF loufoque (Dominique Abel) qui l’aidera à retrouver l’octogénaire étourdie.

On l’aura compris : l’intrigue ténue n’est qu’un prétexte à un enchaînement de saynètes burlesques sinon absurdes. Abel & Gordon creuse un sillon qu’on aurait cru stérile depuis Buster Keaton et la fin du cinéma muet : celui du gag triste. Un tango à bord d’une péniche, un banc au Père-Lachaise, l’escalade nocturne de la Tour Eiffel : tout leur est prétexte à improviser des chorégraphies surprenantes, des duos émouvants, des plaisanteries charmantes.

Comme les précédents films du duo, « Partis pieds nus » séduit par sa fraîcheur. Abel & Gordon s’affranchissent des codes pour produire une œuvre en tout point original. Pour autant, l’effet de surprise passé, le film peine à tenir la distance. Sa brièveté (il dure une heure vingt-trois seulement) le sauve.

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Citoyen d’honneur ★★★☆

L’écrivain Daniel Mantovani déprime depuis qu’il a reçu le Prix Nobel de littérature [C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je l’ai toujours refusé : la peur de la déprime]. Cloîtré dans sa luxueuse villa, il refuse toutes les sollicitations. Mais, sur un coup de tête, il s’envole pour Buenos Aires pour retourner dans son village natal, Salas, le cadre de chacun de ses romans où il n’est plus revenu depuis quarante ans.

Qui n’a jamais rêvé de retourner pavoiser devant le caïd de la cour de récré dont il/elle était le souffre-douleur et de faire étalage de la réussite de sa vie professionnelle ou familiale ? « Citoyen d’honneur » repose sur une idée très simple dont sont tirées toutes les potentialités.

La première, la moins exploitée, est celle de la nostalgie. Daniel Mantovani revient sur les lieux de son enfance. Il n’en retrouve quasiment aucune trace, si ce n’est un cimetière envahi par les herbes folles, une institutrice clouée sur un fauteuil roulant. D’ailleurs le village de Salas, anonyme, sans charme, ne se prête guère à la nostalgie.

La deuxième est celle de la drôlerie qui naît du décalage entre l’écrivain célèbre et la simplicité de ses hôtes. Mantovani est accueilli par des ploucs sympathiques. Son chauffeur, sous prétexte d’emprunter un raccourci crève au milieu de nulle part et l’oblige à passer la nuit à la belle étoile. Le maire de la ville le fait parader sur le camion des sapeurs pompiers. Chacune de ses déambulations dans le village est interrompu par un automobiliste trop pressant qui veut à tout prix le conduire dans son véhicule.

La troisième, plus dérangeante, est la jalousie et le mépris que la célébrité de cet enfant du village suscite. Car si la bienveillance domine parmi les hôtes de Mantovani, des sentiments moins amicaux affleurent vite. Pour avoir refusé de donner à un concours de peinture le premier prix au peintre autoproclamé de la commune, Mantovani, accusé d’élitisme, s’attire l’hostilité d’une partie du village. Son pèlerinage se transforme bientôt en chemin de croix, voire en chasse à l’homme.

La dernière, la plus intelligente, est une réflexion sur le rôle de l’artiste. On pense à l’albatros de Baudelaire, exilé sur le sol au milieu des huées. Le statut de son œuvre est sans cesse questionné : chaque villageois exige le droit de s’y reconnaître quand l’écrivain revendique celui de s’être affranchi de ses modèles. Un écrivain a-t-il une dette avec son inspiration ? Peut-il s’en libérer ? Compromettre son art est-ce l’abâtardir ? refuser de le compromettre est-ce sombrer dans un narcissisme prétentieux ?

Le séjour de Mantovani à Salas est un crescendo qui se conclue par un twist surprenant. À double détente. Au propre comme au figuré.

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