A Cure for Life ★☆☆☆

Broker à New York, Lockhart (Dane DeHaan) est envoyé par sa banque en Europe pour y retrouver un associé. Celui-ci semble avoir perdu la raison alors qu’il suivait une cure dans un établissement situé au cœur des Alpes suisses.

Après la trilogie « Pirate des Caraïbes », Gore Verbinski démontre qu’il a un vrai talent personnel. « A Cure for Life » vaut en effet par sa réalisation bluffante, qui vire parfois à l’esbroufe. Gore Verbinski et son chef opérateur ont réussi à construire un décor étonnant : un château néo-gothique, qui n’est pas sans rappeler par sa localisation celui de Louis II de Bavière, au sommet d’une montagne alpine. Dans ce château règne en maître un Dracula suisse : le docteur Volmer qui, avec un mélange de politesse mielleuse et de détermination froide, interdit à ses patients de quitter son établissement. Ses couloirs sont filmés comme des salles des machines dans une iconographie steampunk intemporelle.

Quel mystère cache-t-il ? Sans doute le pressent-on rapidement. Pour autant, cela ne gâche pas le plaisir sadique qu’on prend à voir Lockhart échouer encore et encore à s’échapper. Le film aurait été bien meilleur s’il s’était arrêté quinze minutes avant sa fin. Il sacrifie hélas aux règles d’un épilogue hollywoodien grand-guignolesque qui en affadit considérablement l’oppressante ambiance.

La bande-annonce

Rock’n Roll ★★★★

Guillaume Canet a quarante-deux ans. Une journaliste lui fait remarquer qu’il est de moins en moins « rock’n roll ». La jeune actrice (Camille Rowe, la top model de la pub Poison girl) qui partage l’affiche de son prochain film ne la contredit pas. La star française, assaillie par l’angoisse, va chercher par tous les moyens à vaincre les outrages du temps.

J’ai adoré ce film. Pour trois raisons. La circonstance que je traverse moi même depuis quinze ans au moins une persistante crise de la quarantaine ne sera pas ici développée.

La première, la plus importante peut-être, est que j’y ai beaucoup ri. Ri aux situations gaguesques dans lesquelles notre héros, en quête d’une seconde jeunesse, se retrouve. Ri aux apparitions, dans leur vrai rôle de Johnny Hallyday, de Kev Adams ou de Gilles Lellouche. Ri au virage complètement farfelu que prend le film dans son dernier tiers. Difficile d’en dire plus sur cette transformation bogdanovienne sans déflorer l’intrigue.

La deuxième est qu’il faut un sacré culot pour tourner un film pareil. Guillaume Canet va très loin dans l’auto-dérision. Il fait l’aveu de sa peur de vieillir comme Woody Allen fait rire de sa peur de mourir ou Beigbeder de sa peur d’aimer. La démarche pourrait sembler nombriliste. Elle ne l’est qu’en apparence. Car loin de se donner le beau rôle et de conclure son film par une morale toute faite (« la vieillesse, c’est dans sa tête », « vieillir c’est s’accepter »), Guillaume Canet ose aller au bout de la logique de son personnage.

La troisième est le jeu des acteurs auxquels on demande l’exercice difficile de jouer leur vrai rôle. On parle beaucoup de celui de Marion Cotillard qui passe la première moitié du film à s’exprimer en québécois pour préparer le prochain Dolan. On oublie son interprétation toute en nuances durant la seconde moitié, véritable déclaration d’amour à son conjoint parti en vrille.

Sans doute « Rock’n roll » ne mérite-t-il pas vraiment les quatre étoiles que je lui attribue. Mais, les occasions de rire aux éclats sont suffisamment rares pour ne pas m’autoriser une telle générosité.

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Loving ★★☆☆

L’État de Virginie, ainsi que seize États du Sud des États-Unis, a longtemps interdit les unions interraciales. C’est seulement en 1967 que la Cour suprême, saisie par les époux Loving, a censuré cette législation.

La question raciale ne cesse d’interroger le cinéma américain. Quelques semaines après The Birth of a Nation, quelques jours avant Fences de Denzel Washington ou I am not your Negro de Raoul Peck, c’est au jeune réalisateur surdoué de Take Shelter, Mud et Midnight special de filmer l’un des procès les plus célèbres de l’histoire constitutionnelle des États-Unis.

Le problème de Loving est que, précisément, Jeff Nichols se désintéresse du procès auquel il consacre à peine quelques minutes. Il ne dit rien des arguments juridiques échangés de part et d’autre ou des débats qui se sont tenus devant la Cour suprême. Nous n’apprendrons rien non plus sur le combat pour les droits civiques qui agite la société américaine des années 60.

Le sujet du film, le seul, c’est celui que le titre et l’affiche du film annoncent : l’amour qui unit les bien-nommés Mr and Mrs Loving. L’argument est puissant, quasiment irréfragable : si la loi prohibant le mariage interracial est injuste, c’est tout simplement parce que Richard et Mildred Loving s’aiment.

Joel Edgerton, une masse de muscles taiseuse constamment occupée de ses mains, et Ruth Negga, une « brindille » rayonnante qui dit tout haut ce que son mari pense tout bas, sont l’un et l’autre parfaits dans leurs rôles – même si leur couple trop sage ne produit pas d’étincelle. Ce n’est donc pas eux qu’on blâmera pour le manque d’ambition de ce film qui, à force de se resserrer sur son sujet, à force de priver les personnages secondaires de toute existence, finit paradoxalement par en briser le bel élan.

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David Lynch : The Art Life ★☆☆☆

David Lynch est probablement l’un des réalisateurs contemporains les plus marquants. L’univers particulier de ses films laisse une marque indélébile. Qu’on les ait aimés ou détestés, on n’oublie pas « Elephant Man », « Blue Velvet » ou « Mullholand Drive ».

Le documentaire qui lui est consacré le présente sous un jour inattendu. Loin du créateur torturé, on découvre un vieil homme (Lynch est né en 1946) nous raconter, sous un doux soleil californien en compagnie de sa dernière fille (née en 2012 de son quatrième mariage), son enfance épanouie dans l’Amérique du baby boom.

Seconde surprise : c’est moins le David Lynch cinéaste que le David Lynch peintre que le documentaire évoque. L’essentiel des imagées filmées le montre à l’œuvre, dans sa maison de Los Angeles, devant de grandes toiles cauchemardesques où s’expriment ses pulsions refoulées.

Le paradoxe – mais en est-ce vraiment un ? – de David Lynch est d’avoir accouché d’une œuvre cinématographique hallucinée alors qu’il est le rejeton emblématique de l’Amérique heureuse. Des parents unis. Un frère aîné et une sœur cadette. Une enfance dans les vertes prairies de l’Idaho. Un déménagement en Virginie au moment de l’adolescence. Rien que de très classique dans la vie du jeune David Lynch. Est-ce cette normalité abrutissante qu’il a voulu rejeter dans ces films ?

Le documentaire de Jon Nguyen, Rick Barnes et Olivia Neergard-Holm (pourquoi les documentaires sont-il si souvent co-réalisés alors que les œuvres de fiction ne le sont que rarement) est doublement décevant. Il ne nous dit pas grand-chose de l’œuvre picturale de David Lynch, dont quelques rares tableaux sont trop rapidement montrés. Il ne nous dit rien non plus sur son œuvre cinématographique s’arrêtant au début du tournage d’Eraserhead en 1972 alors que le jeune réalisateur a vingt-six ans seulement. Tout au plus nous explique-t-il comment un fou de peinture est passé derrière la caméra (« a moving painting with sound »).

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Dans la forêt ★★☆☆

Un père divorcé accueille ses deux fils, Tom (huit ans) et Ben (onze ans), en Suède où il s’est installé. Il les entraîne dans une longue marche en forêt.

Un homme et ses enfants dans une forêt inhabitée. Le thème n’est pas nouveau. Il vient d’être traité avec quelle efficacité par Viggo Mortensen dans Captain Fantastic, un de mes coups de cœur de l’année 2016. Deux ans plus tôt, en France, Cédric Kahn s’était inspiré de l’histoire vraie de Xavier Fortin qui s’était caché dans la nature pendant onze ans avec ses deux fils (Vie sauvage, 2014). Dans ces deux films, la forêt était un refuge, en marge d’une société oppressive aux codes réprouvés.

Dans la forêt ne repose pas sur le même message politique. Ce père – dont on ne saura pas le prénom – ne fuit pas tant la société que lui-même, entraînant dans sa fuite ses deux fils. On pense plutôt à l’atmosphère oppressante des romans de David Vann qui ont l’Alaska pour décor, un père neurasthénique et son fils pour héros.

Pour filmer cette dérive anxiogène, Gilles Marchand n’en est pas à son coup d’essai. Auteur du scénario de Harry, un ami qui vous veut du bien, il a réalisé Qui a tué Bambi ? (avec Sophie Quinton qui fait ici une trop courte apparition) et L’Autre Monde. Ces trois films ont en commun de jouer sur les peurs, de créer un malaise, de flirter avec le cinéma d’horreur.

La sobriété de l’intrigue est la principale qualité et le principal défaut de ce film angoissant. Passé la première demi-heure, le récit se referme sur son trio de personnages installés dans une maison menaçant ruine au cœur de la forêt. Rien ne les distrait – sinon l’arrivée de trois campeurs scandinaves. La tension monte. Tom, le plus jeune fils, a des visions cauchemardesques que son père encourage, au lieu de l’aider à les es chasser. Le scénario s’étire, ne maintenant l’intérêt du spectateur que dans le suspense qu’il crée sur l’issue de cette fuite sans retour.

Inutile d’ajouter que j’ai préféré La La Land.

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Le Divan de Staline ☆☆☆☆

En 1950, un Staline vieillissant passe quelques jours dans une datcha isolée au milieu de la forêt, protégée du reste du monde par un impressionnant déploiement de force. Il règne en maître sur quelques militaires et sur une domesticité terrorisés. Il demande à sa maîtresse, Lidia Semionova, de pratiquer des séances de psychothérapie sur un divan qu’il a voulu identique à celui qu’utilisait Freud. Pendant ce temps, au fond du parc, un jeune artiste travaille au monument que Staline entend se faire construire sur la place Rouge.

Le Divan de Staline est un film faussement historique. L’action se déroule en 1950. Le héros est le célèbre Joseph Staline au faîte de son pouvoir. Mais le manque de moyens prive cette reconstitution de toute authenticité. Écrasée par une musique sursignifiante, l’action ne quitte jamais le château portugais où le tournage a été réalisé. Les uniformes des soldats du corps de garde sentent la naphtaline et les traits de leurs visages sont plus ibères que slaves.

Emmanuelle Seigner n’a rien perdu de la sensualité empoisonnée qu’elle distille à chacune de ses apparitions, depuis Frantic jusqu’à La Vénus à la fourrure. Mais le choix de Gérard Depardieu pour interpréter un Staline vieillissant et obèse est trop caricatural pour laisser apprécier le talent – immense – de notre Gégé national.

Quant au triangle amoureux qui se noue entre le tyran, sa maîtresse et le jeune artiste, il manque à la fois de crédibilité et de lyrisme. Filmé sans imagination en plan fixe à coups d’interminables dialogues prétentieux, Le Divan de Staline avait plus sa place sur une scène de théâtre que sur un plateau de cinéma.

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Ouvert la nuit ★☆☆☆

Luigi a une nuit pour sauver de la faillite  le théâtre qu’il dirige, pour payer ses salariés qui menacent de se mettre en grève, pour trouver le chimpanzé qui jouera le lendemain lors de la première de la pièce qu’un dramaturge japonais monte avec un Michel Galabru vieillissant et pour se réconcilier avec sa plus proche collaboratrice que son dilettantisme maladif n’amuse plus.

Un film réalisé par Édouard Baer sur un scénario signé par Édouard Baer avec dans le rôle principal … devinez qui ?!
Ouvert la nuit est un one man show qu’on aimera ou détestera selon son degré d’indulgence au cabotinage d’Edouard Baer.

Edouard Baer, c’est Frédéric Beigbeder en moins trash. Son immaturité revendiquée, son narcissisme régressif sont-ils attendrissants ou horripilants ? Comme Beigbeder, Baer est suffisamment intelligent pour ne pas se prendre au sérieux, mais trop narcissique pour ne pas consacrer tout un film à son sujet préféré : lui. C’est dommage car il y a, dans cette peinture du théâtre et de ses coulisses, de beaux personnages trop vite entrevus. L’éternel on-ne-sait-jamais-comment-il-s’appelle Jean-Michel Lahmi en hilarant dompteur de chimpanzé. L’excellent Grégory Gadebois en syndicaliste dur au cœur tendre. Et surtout Audrey Tautou, dont j’avais tendance à trouver un peu répétitives les mimiques à la Amélie Poulain, mais qui, bien dirigée comme dans L’Odyssée, déploie son immense talent.

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Silence ★★★★

Au XVIIème siècle, des missionnaires chrétiens ont commencé l’évangélisation du Japon avant que le pouvoir shogunal, inquiet de ces influences étrangères, ne prohibe la foi catholique et n’interdise à ces prêtres l’accès à l’archipel. Deux jeunes Jésuites bravent cet interdit pour retrouver la trace d’un des leurs dont la rumeur prétend qu’il aurait apostasié.

« Silence » est l’adaptation du roman éponyme de Shūsaku Endo, un auteur japonais né au début du XXème d’une mère chrétienne, qui a suivi une partie de ses études en France et dont l’œuvre est souvent comparée à celle de l’écrivain catholique Graham Greene. Écrit en 1966, « Silence » ne fut traduit en français qu’en 1992 (Denoël) et publié en poche en 2010 seulement (Folio) quand la rumeur se répandit que Scorsese en préparait l’adaptation.

Le grand maître, qui abandonna le séminaire pour le cinéma et dont toute l’œuvre est traversée par un questionnement sur la foi, en réalise une adaptation grandiose aux dimensions hors normes. « Silence » dure deux heures quarante et une, une durée à laquelle le rythme pétaradant et la brièveté des courts épisodes des séries TV ne nous ont plus habitués. La photographie de Rodrigo Prieto livre quelques plans d’anthologie : trois prêtres descendant l’escalier monumental d’une église, une jonque voguant sur la mer de Chine, une plage battue par les vents où débarquent clandestinement les deux missionnaires.

« Silence » est un film sur la foi. La foi qu’on possède. La foi qu’on transmet.

La foi qu’on possède. Difficile de ne pas céder à l’anachronisme en interprétant à l’aune de nos mondes désenchantés la foi qui animait deux missionnaires du XVIIème siècle. Qu’on croit au Ciel ou qu’on n’y croit pas, bien dérisoire nous semblera aujourd’hui l’épreuve du fumi-e pratiquée par la police shogunale afin de dépister les croyants : fouler au pied l’effigie du Christ ou mourir dans les pires tortures (noyades, crucifixions, pendaisons par les pieds, ces tortures raffinées sont filmées avec le voyeurisme malsain qui caractérise nombre des réalisations de Scorsese). Peut-on abjurer sa Foi pour sauver la vie de ses Frères ? Ou faut-il au contraire souffrir le martyre pour sauver leurs âmes ?

La foi qu’on transmet. Comme « Mission » de Roland Joffé – mais avec autrement plus de subtilité et beaucoup moins de musique – « Silence » interroge les desseins de l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Le post-colonialisme est passé par là. Il y a trente ans, dans « Mission », les Guaranis étaient des victimes passives des guerres de conquêtes qui opposaient l’Espagne au Portugal en Amérique latine. Dans « Silence », le Japon est devenu l’agent de son destin. L’inquisiteur Inoue-Sama incarne à  merveille le raffinement et l’intelligence de cette résistance aux influences étrangères. Une résistance qui durera plus de deux siècles jusqu’à ce que les bateaux du Commodore Perry ne forcent la baie d’Edo et ne contraignent le Japon des Meiji à s’ouvrir au monde.

Revenons à nos Jésuites. On ne dira pas comment ils résoudront, chacun à leur façon, les dilemmes auxquels ils sont confrontés. Ces questions auraient pu rester en suspens, laissant à chaque spectateur le soin d’y apporter leur réponse. Scorcese prend un parti différent, nous livrant dans une dernière scène bouleversante la clé de ces questionnements.

La bande-annonce

Et les mistrals gagnants ★☆☆☆

Épidermolyse bulleuse, insuffisance rénale, neuroblastome… Ambre, Charles, Camille, Tugdual et Imad ont entre six et neuf ans. Ils sont atteints de maladie grave. Certains n’en guériront pas. La documentariste Anne-Dauphine Julliand les filme.

Difficile de ne pas se laisser attendrir par des enfants malades qui, en dépit du calvaire qu’ils traversent, conservent inaltérablement leur joie de vivre. Difficile d’émettre un jugement critique sur un documentaire qui fait de la souffrance enfantine son sujet principal.

La bande-annonce du documentaire de Anne-Dauphine Julliand se suffit à elle-même. On ne peut la regarder sans être doublement ému. Ému devant la fragilité de ces touts petits bonhommes frappés par des maladies lourdes dont certains ne se relèveront pas (quoi de plus déchirant que d’évoquer « la fin de vie » d’une enfant de neuf ans et les « soins palliatifs » qu’elle pourrait recevoir ?). Ému devant leur vitalité, la réalisatrice ayant l’intelligence de ne filmer ni leur douleur ni leurs larmes mais au contraire les pages les plus lumineuses de leurs éclats de vie.

Pour autant, on ne peut pas ne pas être vaguement mal à l’aise devant cette entreprise qui ne nous laisse d’autre alternative que l’empathie. Ce documentaire nous kidnappe. Il est des kidnappings plus malhonnêtes et plus désagréables. Celui-ci n’en est pas moins un pour autant.

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Brothers of the Night ★☆☆☆

L’affiche hyperstylisée laisse augurer un film esthétisant sinon fétichiste louchant du côté de Rainer Fassbinder ou de Gregg Araki. Pourtant « Brothers of the Night » (bizarre titre français traduit de l’autrichien »Brüder der Nacht ») est un documentaire qui n’a rien de poétique. Il a pour sujet un groupe de Roms d’origine bulgare qui appâtent les clients du Rüdiger, un bar gay du centre de Vienne.

Rien ne prédisposait ces jeunes machos hypervirils, mariés et pères de famille, à ce « business ». Sinon l’extrême misère qui les a poussés hors de leur pays vers l’Occident et ses richesses fantasmées. Yonko, Stefan, Vassili, Asen n’ont que mépris pour les « pédés ». Le film explore ce paradoxe : comment des hétérosexuels pur jus peuvent-ils être conduits à devenir des gitons ?

Le sujet est glauque. Hélas il le reste. Car le documentaliste Patric Chiha prend le partie de ne pas s’échapper du cercle réduit de ces jeunes garçons. On ne verra jamais leurs clients pas plus qu’on ne verra leurs familles restées au pays. Du coup, le matériau se réduit aux témoignages, suscitées ou spontanées, de ces travailleurs du sexe qui racontent leur parcours, leur arrivée à Vienne avec l’espoir d’un travail et d’un salaire, leur découverte du Rüdiger et de son sale « business », leur dégoût, puis leur lente accoutumance.

Qu’entend-on ? Des histoires tristement répétitives dominées par la quête obsessionnelle de l’argent : l’argent qu’il faut extorquer au client, l’argent qu’il faut envoyer au pays. Qu’en retenir ? Que ces garçons sont des victimes ? Ils exercent ce « business » de leur plein gré et ne font partie d’aucune filière. Que ce sont des monstres froids et sans morale ? Leur procès n’est instruit ni à charge ni à décharge (si on ose dire). Que leur machisme est une posture fragile sous laquelle transperce une sexualité plus ambigüe qu’ils ne le pensent ? Ce serait donner plus de signification qu’elles n’en ont à certaines manifestations d’une simple amitié masculine.

À force de maintenir son sujet à distance, à force de s’interdire toute empathie, « Brothers of the Night » glace et lasse.

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